POUR CITER CET ARTICLE, UTILISER L’INFORMATION SUIVANTE :
Perron, Normand (2013). «Les nouvelles tendances migratoires des Québécois» dans Yves
Frenette, Étienne Rivard et Marc St-Hilaire (dir.), La francophonie nord-américaine. Québec:
Les Presses de l'Université Laval (coll. «Atlas historique du Québec»). [En ligne]: https://atlas.
cieq.ca/la-francophonie-nord-americaine/les-nouvelles-tendances-migratoires-des-quebecois.
Tous droits réservés. Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ)
Dépôt légal (Québec et Canada), 2013.
ISBN 978-2-7637-8958-3
Par Normand Perron
Les nouvelles tendances migratoires des
Québécois
Les nouveLLes tendances
migratoires des québécois
Par Normand Perron
HommefaisantLessemencesàL’aided’unepocHetenue enbandouLièreLuiservantdesemoir, abitibi, vers 1927
Bibliothèque et Archives nationales du Québec (Abitibi-Témiscamingue), Fonds Canadien National, P213,P7
famiLLe turcot te, premièrefamiLLe arrivéeà amos, 1911
Société d’histoire d’Amos, Fonds Pierre Trudelle, P028/P032 Le s a n n é e sd e t r a n s i t i o n, 19 2 0 -19 6 0 Ch a p i t r e 4 La p r o s p é r i t é é c o n o m i q u e q u i c a r a c t é r i s e L e s p r e m i è r e s d é c e n n i e s d u x xe s i è c L e s’a c -c o m p a g n e d’u n e p o u s s é e i n d u s t r i e L L e d a n s L e s r é g i o n s d u qu é b e c, d e L a c r o i s s a n c e r a p i d e d e s v i L L e s s u r t o u t L e t e r r i t o i r e e t d’u n e e x p a n s i o n n o t a b L e d e L’e s p a c e H a b i t é. Le s m o u v e m e n t s d e p o p u L a t i o n q u e c e s t r a n s f o r m a t i o n s c o m m a n d e n t t o u c H e n t à L a f o i s L e s é c H a n g e s i n t e r n a t i o n a u x e t L e s m i g r a t i o n s i n t e r r é g i o n a L e s 1.
Entre 1901 et 1931, plus de 654 582 per
sonnes a rrivent au Québec, dont
292 296 entre 1910 et 1915. En par
tie à cause des départs persistants
vers les ÉtatsUnis, le solde migra
toire demeure cependa nt négat if
pendant les trois premières décennies
du xx
esiècle, cela en dépit de tous
les efforts des gouvernements cana
dien et québécois, y compris ceux
qu i mènent au rapat r iement des
FrancoAméricains. D’une manière
générale, le Québec bénéf icie peu
du f lot migratoire à cette époque
et s’il y a augmentation de la popu
lation, c’est davantage le fruit de la
croissance naturelle.
Occuper le territoire
Le Québec du début du
xxesiècle se
transforme avec la poussée de l’indus
trialisation dans diverses régions et
l’exploitation accrue des ressources
naturelles. Pendant ce temps, le pro
jet de poursuivre l’agrandissement
de l’écoumène agricole bat de l’aile ;
il faudra la crise économique des
années 1930 pour redonner une nou
velle vigueur à la f lamme, laquelle
vacillera à nouveau sitôt la reprise
industrielle venue. L’occupation de
nouveaux territoires au cours des
années 19201960 ne s’en poursuit
pas moins, avec un changement de
taille toutefois. Aux mobiles tradition
nels de l’exploitation des ressources
agroforestières et, dans une moindre
mesure, maritimes, s’ajoute, à compter
des années 1920, celui de la mise en
valeur du domaine minier du Bou
clier canadien. S’ajoute aussi un autre
changement notable dans la volonté
politique d’occuper le territoire : l’État
se fait beaucoup plus présent.
S’il y a toutefois une chose inchan
gée, c’est bien le mythe du Nord. Au
Québec, l’Ouest c’est le Nord, pour
reprendre l’expression du géographe
Christian Morissonneau (1978). La
conquête du Nord, si chère entre autres
au curé Labelle dans la deuxième
moitié du
xixesiècle, reste toujours
dans la mire au
xxesiècle. La région
de l’Abitibi, les villes de Chibougamau
et de Chapais et quelques villes de la
MoyenneCôteNord illustrent à la fois
la poursuite de cette conquête du Nord
et quelques aspects des tendances
migratoires des années 1920 à 1960.
Colonisation agricole en Abitibi
D’abord l’Abitibi, une région dont
l’appartenance au Québec n’est recon
nue qu’en 1898. Son rattachement au
Québec suscite aussitôt un vaste projet
de colonisation agricole et d’exploita
Laf r a n c o p h o n i en o r d-a m é r i c a i n e 2 2 0
tion des richesses forestières. Mais la
difficulté d’accès au territoire abitibien
est depuis longtemps connue, surtout
en raison de la ligne de partage des
eaux, qui correspond à la zone des
hautes terres entre le nord du Témisca
mingue et le sud de l’Abitibi. Le bassin
versant de l’Abitibi appartient en effet
au bassin de l’Hudson. Au nord des
hautes terres se situe une zone de
basses terres. C’est d’ailleurs dans
cette zone de basses terres, en l’occur
rence la plus propice à l’établissement
de paroisses agroforestières, que sera
construite la section abitibienne du
chemin de fer National Transconti
nental à compter de 1909.
C’est au cri de « Emparonsnous du
sol ! » et le « Nord, notre salut ! » des
propagandistes de la colonisation que
les colons débarquent en Abitibi dans
une première phase de colonisation,
qui s’étend de 1912 à 1924. Malgré la
conscription lors de la guerre de 1914
1918 qui freine le f lux colonisateur
et les d i f f icu ltés d ’aprèsg uer re,
c’est quelque 2 388 fermes qui sont
dénombrées au recensement de 1921.
Visiblement, le mouvement s’essouf
f le et, 10 ans plus tard, la région
ne compte que 2 413 fermes. Mais
la popu lation est passée de 9 915 à
19 421 habitants entre 1921 et 1931.
Il est évident que l’on ne vit pas seu
lement de la terre, mais aussi de la
forêt dans cette zone agricole. En
sont témoins les centres de sciage
importants qui se sont développés à
Senneterre, Barraute, Amos, Malartic,
La Sarre et La Reine, toutes des localités
situées dans la zone agricole et desser
vies par le chemin de fer.
Naissance des villes minières
de l’Abitibi
Presque en parallèle à l’Abitibi agro
forestier naît un autre pays abitibien,
celui du domaine minier. La zone de
massifs rocheux qui sépare le Témisca
mingue de l’Abitibi et qui correspond
aux hautes terres attirait depuis long
temps l’attention des prospecteurs et
de nombreux rapports faisaient état
de son potentiel minier. En 1922, un
rapport de l’Ontario Bureau of Mines
suggère que la ceinture minéralisée à
l’origine de l’exploitation minière dans
le nord de l’Ontario se prolonge au
Québec. Dès 1925, la société Noranda
Mines Limited fa it conna ître ses
intentions d’expoiter les gisements.
C’est le signal de départ de la mise en
valeur de la faille Cadillac, en particu
lier dans le district de Rouyn et dans
celui de la Vallée de l’Or. La fonda
tion de Noranda, la construction de
voies ferrées reliant les gisements au
Transcontinental ainsi que l’entrée en
production de la Noranda Mines et de
la fonderie de cuivre Horne en 1927
marquent véritablement la naissance
de l’Abitibi minier. Indépendamment
des projets d’établissements agro
forestiers et des effets néfastes de la
crise, naît ainsi un front de peuple
étabLissementdecoLonsseLonLespL ansdecoLonisation, 1932-1937
abitibi Province de Québec % abitibi/Québec
Colons Personnes Colons Personnes Colons Personnes
Plan Gordon, 1932-1935 472 2 776 976 5 956 48,4 46,6 Plan Vautrin, 1935-1937 3 341 12 305 7 419 29 411 45,0 41,8
Source : Barrette, 1975 : 109 et 142
scierie beaucHemin, amos, 1925
Société d’histoire d’Amos, Fonds Société historique d’Amos, P003/P-9
vuegénér aLed’amos, vers 1930
Société d’histoire d’Amos, Collection Société d’histoire d’Amos, P013 S2/P-377
vuedeL a 1re avenue ouest, amos, vers 1920
L e s nou ve lle s t e nda nc e s mig r at oir e s de s Q ué b é cois
2 21
ment dans la faille de Cadillac. Le
développement minier est donc por
teur de l’occupation d’une partie du
territoire abitibien.
La croissance démographique des
villes minières est rapide et, en 1951,
ces dernières comptent 46 132 habi
tants, alors que l’Abitibi (division
de recensement d’Abitibi à laquelle
sont ajoutées les v illes de Rouy n,
de Nor a nd a e t d ’Éva i n) c ompte
113 0 0 0 habit a nt s. Au m i l ieu du
xxe
siècle, quelque 41 % des Abitibiens
habitent donc dans les villes miniè
res. C’est un monde bien différent de
celui de la campagne que peuplent les
Canadiens français. Le peuplement
des villes minières est aussi l’affaire
de Canadiens anglais et d’immigrants
européens, en particulier de Polonais
et d’Ukrainiens. Ces anglophones et
immigrants, soit plus de 1 500 person
nes, forment la moitié de la population
de RouynNoranda en 1931. Vingt
ans plus tard, les immigrants consti
tuent encore pas moins de 20 % de
la population de RouynNoranda et
de Vald’Or. Ils possèdent une expé
rience du monde minier qui manque
généralement aux Canadiens français.
L’immigration pionnière présente
donc un visage particulier dans la
zone minière. Moins de 20 ans après
le début de la colonisation agricole
de l’Abitibi, les francophones doivent
partager « leur » Nord. De plus, dans
un premier temps tout au moins,
le peuplement de la zone minière
semble se faire indépendamment
de l’occupation agroforestière des
territoires environnants.
Une nouvelle période de
colonisation agro-forestière
L’époque du peuplement agroforestier
n’est pas pour autant révolue : une
nouvel le pha se, accompag née de
l’ouverture de paroisses, a lieu dans
les années 1930, à la suite de la crise
et de l’élaboration de plans de colo
nisation, en par ticu lier les pla ns
Gordon, initié par le gouvernement
canadien, et Vautrin, établi par le
gouvernement québécois. Une véri
table stratégie de colonisation dirigée
domine ces années, ce qui permet à
l’Abitibi, en particulier, d’accroître
substantiellement ses effectifs, puisque
sa population rurale passe de 19 421
à 49 469 entre 1931 et 1941 et que,
entre 1930 et 1942, 40 paroisses sont
fondées. Cette région est d’ailleurs
la grande bénéficiaire de ces plans de
colonisation, accaparant un fort pour
centage des nouveaux colons. Mieux
soutenus grâce entre autres à l’engage
ment financier de l’État et bénéficiant
d’une meilleure sélection de terres en
raison de l’évaluation du potentiel des
sols, les colons viennent en nombre
d’autres régions du Québec accroître
le domaine agricole à proximité de
l’axe SenneterreLa Sarre, mais aussi
à proximité des centres miniers, dont
celui de RouynNoranda, soudant
unefamiLLedecoLonsde LafertédevantLeurmaison enboisrondenHiver, 1933
Bibliothèque et Archives nationales du Québec (Abitibi-Témiscamingue), Fonds Canadien National, P213,P228
Les plans de colonisation, mis en place par les gouvernements pour répondre à la Crise des années 1930 et au
chômage qui l’accompagne, vont faire plus que doubler la population abitibienne dans l’espace d’une décennie.
De nature agro-forestière, ce type de développement laisse les colons abitibiens du
xxesiècle dans des conditions
matérielles qui ne sont pas, en définitive, bien différentes de celles qui ont marqué l’ouverture des fronts pionniers
de l’Outaouais ou du Saguenay un siècle auparavant.
Laf r a n c o p h o n i en o r d-a m é r i c a i n e 2 2 2
ainsi les zones agroforestières du
vieux Témiscamingue et de la jeune
Abitibi plus au nord.
En dépit d’une meilleure organi
sation de la colonisation agricole, les
difficultés des colons combinées au
développement soutenu des industries
minière et forestière conduiront rapi
dement à une forte déprise agricole.
Les villes d’industrie forestière et les
villes minières offrent des emplois et
une modernité que la campagne a bien
du mal offrir à ces colons. En fait, ce
sont ici les environs immédiats qui
vont nourrir les villes en maind’œu
vre. Dès la fin de la crise, le facteur
stabilisateur de l’occupation du ter
ritoire est bien davantage l’activité
industrielle que la colonisation agri
cole. La ville joue un rôle important
dans les régions neuves de peuplement.
Nouvelles villes sur la Côte-Nord
Ce rôle de la ville, c’est aussi le fait
de la CôteNord. Jusque dans les
premières décennies du
xxesiècle, la
CôteNord est une région dominée par
de petits villages qui, le plus souvent
si on excepte la HauteCôteNord,
doivent leur existence à la pêche et
aux scieries. Les villages exclusive
ment forestiers, donc sans assises
agricoles, ont même un avenir souvent
précaire, comme en témoignent quel
ques exemples en HauteCôteNord
dans la deuxième moitié du
xixesiè
cle. Les travailleurs dans ces villages
sont certes plus sédentaires que ceux
qui viennent passer l’hiver dans les
chantiers, mais la fermeture de la
scierie les oblige généralement à quit
ter le village, puisque celuici perd sa
raison d’être.
Comme pour les villes minières
de l’Abitibi, la création de milieux
urbains sur la CôteNord introduit
des modifications sensibles dans les
tendances migratoires. Jusqu’en 1941,
la population se répartit de façon assez
équilibrée entre les trois secteurs de
la région, chacun comptant 6 700 à
9 300 personnes. Avec la création de
nouvelles villes papetières et minières
dans les années 1930, il s’ensuit une
croissance considérable de la popula
tion après 1941 dans la zone centrale,
favorisée entre autres par ses gisements
de fer et un contexte géopolitique qui
en commande l ’exploitation (dif
férend frontalier avec TerreNeuve
relativement à la frontière du Labra
dor.) Alimentée par le développement
rapide des villes de BaieComeau,
Hauterive, SeptÎles, PortCartier et
du secteur du NouveauQuébec, la
croissance annuelle atteint 6 % entre
1941 et 1956 et plus de 10 % au cours
des dix années suivantes. Pendant ce
temps, l’accroissement démographique
dans les deux autres zones est plutôt
anémique. Ainsi, entre 1956 et 1966,
la zone orientale s’enrichit d’à peine
un millier de résidants et l’occiden
tale de 2000. Le fort accroissement de
la zone centrale correspond donc au
territoire où se développent des villes
accueillant des papeteries ainsi que des
alumineries et les villes qui naissent de
l’exploitation du minerai de fer ou qui
en tirent des retombées.
évoLutiondeL apopuL ationdeL a côte-nord, 1941-1966
SECTEuR 1941 1951 1956 1961 1966
Ouest : Sacré-Cœur – Betsiamites 7 705 10 839 14 614 15 681 17 620 Centre : Betsiamites – Riv.-au-Tonnerre – Caniapiscau 9 322 16 999 23 100 47 285 70 838 Est : Rivière-au-Tonnerre – Blanc-Sablon 6 689 8 313 9 818 10 221 10 941
TOTAL 23 716 36 151 47 532 73 187 99 399
Note : La population amérindienne n’est pas incluse, parce que difficilement distribuable dans les secteurs. Entre 1941 et 1966, elle se situe entre 1 910 et 3 445 personnes, et est en hausse constante. Source : Frenette, 1996 : 434
L’usinedeL acompagnie quebec nortH sHore paper, à baie-comeau, 1939
Bibliothèque et Archives nationales du Québec (Côte-Nord), Fonds Société historique de la Côte-Nord inc., P8,S1,P223
L e s nou ve lle s t e nda nc e s mig r at oir e s de s Q ué b é cois
2 2 3
Nouvelles tendances migratoires
Globalement, la fondation et l’expan
sion des villes nordcôtières favorisent
l’émergence de structures nouvelles
qui cana lisent la migration et en
modifient les caractéristiques, ce qu’il
lustrent les origines de la population
de BaieComeau et les changements
dans les comportements migratoires
des BasLaurentiens travaillant sur
la CôteNord.
Dans la relance du développement
minier et forestier vers la f in des
années 1930, les nouvelles villes, ou
la croissance de celles qui existent
déjà, s’alimentent à même les milieux
ruraux des alentours, sinon à même
d’autres régions. C’est le cas des villes
de l’Abitibi minier. C’est également le
cas de BaieComeau, ville papetière
et qui verse aussi dans le raffinage de
l’aluminium après le milieu des années
1950. Une analyse des origines de sa
population en 1956 révèle l’apport
des diverses régions au peuplement
de cette ville et, en particulier, la
contribution des villages nordcôtiers
et des comtés de Rimouski, Témis
couata et Matane, sur la rive sud
du SaintLaurent.
Il semble bien aussi que la consoli
dation des villes autour des industries
forestières et minières mette fin aux
migrations saisonnières sur la Côte
Nord, un phénomène qui caractérisait
particulièrement les travailleurs en
provenance du BasSaintLaurent.
Aussi tardivement qu’en 1956, en dépit
d’une industrie forestière f lorissante
sur la CôteNord et l’existence de
scieries et d’usines de pâtes et papiers,
il subsiste une forte population de tra
vailleurs saisonniers. Une étude sur
l’origine géographique des travailleurs
de la Québec North Shore révèle la
présence d’un nombre considérable
de bûcherons en provenance de la rive
sud du SaintLaurent, en particulier
des comtés de Rimouski, Matapédia
et Matane, travailleurs qui sont des
migra nts saisonniers. Ils passent
l’hiver dans les chantiers et retour
nent cultiver leurs petites fermes, le
printemps venu. Ils vont bientôt aban
donner ce vaetvient et élire domicile
sur la CôteNord, une tendance favo
risée par la professionnalisation du
travail en forêt et les services sans
cesse croissants offerts dans les villes
nord côtières, mais une tendance
liée aussi au fait qu’en période de
nonemploi l ’assura ncechômage
est souvent préférable à la culture de
petites fermes au potentiel limité.
Domination du mode de peuplement
lié aux villes minières
Un autre exemple illustre le modèle de
peuplement qui est propre aux villes
minières et où toute vocation agricole
est ignorée ou peu considérée. C’est le
cas des villes de Chibougamau et de
Chapais, toutes deux localisées aux
limites ou tout au moins aux frontières
des régions administratives de l’Abitibi
et du SaguenayLacSaintJean. Ces
villes naissent dans les années 1950 et
leur population provient en majorité
du nord du LacSaintJean et des villes
minières de l’Abitibi. Chacune des
deux régions fournira par ailleurs une
maind’œuvre très différente : les Jean
nois verseront plutôt dans les activités
de service et les Abitibiens continue
ront d’être des mineurs.
D’autres zones minières seront aussi
mises en exploitation, comme cel
les de villes dans l’arrièrepays de la
CôteNord (Caniapiscau) ou encore
celle de MatagamiJoutel vers le début
Source : Byais, 1964 : 480
Laf r a n c o p h o n i en o r d-a m é r i c a i n e 2 2 4
Le vieux projet de conquérir le Nord se poursuit entre les années 1920 et
1960. L’objectif de colonisation agricole perdure, mais il n’est plus l’unique
moteur de l’occupation des régions plus nordiques. Au cours de ces
décen-nies, le développement minier joue en effet un rôle de premier plan. Plutôt
que des paroisses agricoles, ce sont des villes qui sont établies, en particulier
après 1940. Il s’agit donc davantage d’une occupation urbaine du territoire
que d’une occupation agricole, si l’on fait exception du résultat des plans
de colonisation mis en œuvre dans le contexte de la crise des années 1930.
Aussi le développement des villes minières est l’occasion pour des milliers de
Canadiens français des paroisses environnantes ou d’autres régions moins
urbanisées de faire le saut vers le monde urbain où ils côtoient immigrants
européens et Canadiens de langue anglaise. De manière plus immédiate que
l’exil vers les États-unis ou le départ à destination des grandes villes
cana-diennes, ces nouvelles petites villes minières ou industrielles offrent des
perspectives d’emplois et l’accès au mode de vie urbain.
La mise en place des villes industrielles et
minières de l’Abitibi et de la Côte-Nord
entre 1920 et 1960 complète le réseau
urbain du Québec. Reliées aux principaux
centres par la localisation des sièges
sociaux, par les circuits financiers, par les
réseaux de transport ferroviaire, routier
ou maritime, ces villes qui agissent comme
pivots de l’organisation des espaces
régionaux dits périphériques contribuent
également à la croissance des grandes
villes du Sud, au premier chef Montréal
qui s’impose plus que jamais comme pôle
québécois dominant pendant la période.
vuedeL aviLLede montréaL, 1943
Bibliothèque et Archives nationales du Québec (Québec), E6,S7,SS1,P23840
Lamine campbeLLà cHibougamau, 1952
Bibliothèque et Archives nationales du Québec (Abitibi-Témiscamingue), Fonds Canadien National, P213,P412
des années 1960. On va encore plus
au nord, mais l’expansion minière
est totalement dissociée des possibi
lités d’un terroir agricole immédiat.
C’est bien différent du développement
minier qui avait été à l’origine de villes
sur les hautes terres de l’Abitibi, une
zone où le développement agricole et le
développement forestier étaient venus,
au cours des années 1930, consolider
le développement initial. Ainsi, en
attendant l’ère des grands ouvrages
hydroélectriques qui s’ouvre dans les
années 1970, la conquête du Nord peut
se poursuivre en se fondant sur la mise
en valeur de la seule ressource minière.
Ce développement monoindustriel
engendre une prospérité très sensible
aux conjonctures économiques, pou
vant même conduire à la fermeture
de la ville. Après 1960, des périodes de
croissance et de décroissance démo
graphique se succèdent souvent dans
ces villes minières, phénomène révé
lant toute la fragilité de cette forme
d’occupation du territoire.
N O T E S
CHAPITRE 4
les annÉes de transitiOn, 1920-1960
Les nouvelles tendances
migratoires des Québécois
1. Cet article s’appuie sur les travaux de l’auteur et ceux de plusieurs autres dont Barette (1975), Blanchard (1954), Byais (1964), Fortin et al. (1993), Frenette (1996), Girard et Perron (1989) et Vincent et al. (1995).
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