RISQUES ET PRINCIPE DE PRÉCAUTION
Michelle DUPONT, Christian SOUCHON Association D.I.R.E.S., Paris
MOTS-CLÉS : RISQUE ENVIRONNEMENTAL – ÉVALUATION DES RISQUES – RAISONNEMENT - PRINCIPE DE PRÉCAUTION
RÉSUMÉ : Dans une démarche didactique, comment présenter, illustrer, critiquer le principe de précaution ? À partir de l’analyse de documents médiatiques, sur des exemples actuels de problèmes de société potentiellement concernés par le principe de précaution (listériose, marée noire ...), comment faire apparaître les difficultés de transmission d’un message pédagogique et proposer une méthode d’analyse en classe ? Il importe de relativiser l'utilisation de ce principe.
SUMMARY : How to present, how to illustrate, how to criticize the precaution principle in a didactic way ? On the base of mediatic documents analysis, with actual examples of problems which may happen in societies concerned by precaution principle (listeriosis, pollution...), how to show the difficulty of a pedagogical message and to propose an analysis method in school class ? It
1. INTRODUCTION
Il est essentiel, pour traiter des problèmes de société entraînant des risques pour la santé ou l'environnement, de tenir compte de la spécificité de la démarche d'analyse. En effet, les problèmes à traiter ne sont pas disciplinaires, mais correspondent à une ouverture vers l'extérieur de l'école, vers la société. Cette caractéristique entraîne un certain nombre de contraintes que les participants ont essayé de repérer, avant de proposer un type de méthode d’analyse, méthode compatible avec des objectifs d’une éducation à l’environnement.
2. CAS DE LA LISTÉRIOSE
C'est cet exemple, le plus récent à la date des journées de Chamonix 2000, mais aussi le plus spectaculaire et le plus « facile » à analyser, qui a été le premier étudié dans l'atelier.
2.1 Contraintes et principe de la démarche d'analyse 2.1.1 Contrainte
Une contrainte importante est l'absence d'un matériel pédagogique élaboré : il n'y a pas de manuel scolaire traitant de ces problèmes de société qui touche la santé publique, l'agroalimentaire.... et qui apparaissent brutalement dans notre vie quotidienne. Dans ce cas, pour le grand public, et donc pour les élèves de collège et de lycée, les seules sources d’information sont les médias, qui, quotidiennement, couvrent les phénomènes d'actualité : catastrophes, « scandales »... mais aussi des problèmes comme la pollution des océans, les modifications des climats, etc... Mais les journalistes privilégient le catastrophique et/ou le spectaculaire aux dépens des analyses de fond et de la prise en compte de la récurrence et de la chronicité de ce type de problème.
2.1.2 Matériel brut
Il faut cependant utiliser ce matériel brut, notamment des coupures de presse. Mais comment travailler, en situation de classe, à partir d’un tel matériel ? On peut suggérer la méthode suivante, en analysant le contenu à partir d’une approche systémique :
- décrire les processus,
- identifier les besoins des élèves, ou du public, en savoirs scientifiques, souvent interdisciplinaires (cas du nucléaire),
- s'inscrire dans une perspective de problème de société et, donc, d'éducation citoyenne, - faire ressortir les concepts en jeu (principe de précaution, probabilité, risques..).
2.2 Déroulement possible d'une analyse
2.2.1 Identification des savoirs scientifiques indispensables aux élèves
- notions de microorganismes (besoins, développement, stérilisation, asepsie...), - origine de la bactérie et mécanismes de transmission à l’Homme,
- symptômes et conséquences (parfois mortelles) chez l’Homme et traitements, - notions de probabilité, de prévision, de risque.
Le journal Le Monde fournit de nombreux éléments sur ce problème
- le 03/ 03/ 2000, un schéma d'ensemble sur la transmission de la bactérie (Figure 1) - le 20/01/2000, un article traitant du paradoxe observé dans cette contamination :
"Un luxe de précautions fait le lit des Listeria et explique en partie pourquoi la listériose est l'apanage des pays à haut niveau d'hygiène." En effet, dans un milieu naturel les Listeria sont en compétition avec d'autres micro-organismes et voient leur développement fortement limité ; c'est ce qui explique qu'en cas de nettoyage, ce fragile équilibre est rompu et que les Listeria se multiplient.
Figure 1 : Une présentation du « trajet » de la Listeria et de ses effets sur la santé humaine
Le Monde, 03/03/2000
2.2.2 Recherche des acteurs
- les scientifiques et les experts scientifiques
- les autres experts (économiques, politiques, de santé...) - les décideurs
2.2.3 Schéma systémique (Figure 2)
À chaque niveau, les " acteurs " : personnes, responsables, règlements… (symboles = ) Les flèches indiquent les " trajets " possibles de la Listeria.
B
1B
2B
3PA
R
A
1A
2A
3B
C
D
E
F
A
A : " Sources " (la Listeria est présente dans l’eau A1, dans l’air A2, sur les plantes A3) ; B : Animaux et leurs produits (lait B1, viande B2, poisson B3) ;
C : Produits alimentaires PA (fabrication, transport, distribution) ; D : Consommation dont stockage à la maison (réfrigérateur R) ;
E : La population " touchée " par la Listeria (risques surtout pour les " catégories fragiles " F).
Figure 2 : Trame de départ pour un schéma systémique.
2.3 Pertinence de l'application du principe de précaution
Le principe de précaution ne s'applique pas toujours ! Dans le cas de la listériose, par exemple, deux constats s'imposent :
- il y a, d'une part, des produits à risque : produits « frais », non stérilisés, correspondant à une culture gastronomique, à des choix de consommateurs revendiqués comme appartenant au patrimoine national,
- il y a, d'autre part, des populations à risque : femmes enceintes et populations fragiles comme les jeunes enfants et les personnes immunitairement déprimées, âgées ou non.
2.3.1 Quelles sont les responsabilités au niveau de la société ?
Dans la mesure où les risques sont parfaitement identifiés, les actions des pouvoirs publics devraient être déterminées, pertinentes et adaptées :
- légiférer sur des contraintes d'hygiène, de délais de péremption, de transport, de commercialisation...
- assurer le contrôle de l'application des règles établies.
Il n'y a dans ce cas, aucun principe de précaution à prendre en compte ! 2.3.2 Quelles sont les responsabilités individuelles ?
À ce niveau-là, par contre, la responsabilité des individus est totale ! Mais la prise de risques se fait souvent par ignorance ou par négligence ou imprudence, et cette remarque nous renvoie à l'impérieuse nécessité d'une éducation dans ces domaines.
3. GÉNÉRALISATION : ANALYSE D'AUTRES SITUATIONS À RISQUES
3.1 Qu’est ce que le principe de précaution ?
- Sur quelles notions s'appuyer pour aborder l'idée du principe de précaution ? - Quels liens avec des concepts tels que :
doute / certitude ; vrai / faux ; probabilité / prévision ;
évaluation des risques / décision...à quel niveau ? individuel ou collectif ?
- Il est essentiel dans tous les cas de savoir que le principe de précaution ne dit pas « il ne faut jamais.... », mais prescrit d'évaluer les risques potentiels d'une situation, par rapport à d'éventuels avantages que cette situation serait susceptible d'apporter ; dans ce cas une prise de risques n'est pas à exclure.
Une prise de risques connus et l'absence de prise de précautions n'est pas l'utilisation du principe de précaution. Analysons, dans cet esprit, quelques exemples.
3.2 Cas de la marée noire de l'Érika
Pas plus que pour la listériose, le principe de précaution ne s'applique ici. En effet, les risques d'utilisation de pétroliers, sous pavillon de complaisance, dépourvus d’une double coque et dont l'entretien est insuffisant, sont parfaitement identifiés, et bien connus statistiquement. La prise de risques dans ce cas, sans précaution, s'intègre au sein de l'activité économique, dans une logique de profit et de rentabilité.
3.3 Cas de « la vache folle »
Il ne s'agit pas ici, de remettre en cause l'utilisation de farine animale pour nourrir des herbivores : une source d'azote peut en valoir une autre. Le problème est ailleurs, et là, on trouve alors une non-application du principe de précaution. L'arrêt du chauffage de ces farines a été décidé sans évaluation des risques potentiels que cela pouvait entraîner, et uniquement dans un souci d'économie.
Par ailleurs, continuer à permettre l’usage de ces farines pour d’autres animaux comme les porcs ou la volaille, sans certitude sur les éventuels franchissements de la barrière d’espèces et sans mise en place du contrôle d’un éventuel mélange de farine dans les étables, relève d’une prise de risques dans des domaines où il n’y a pas de certitude. Dans ce cas, l'utilisation du principe de précaution mériterait d'être envisagée.
3.4 Cas des O.G.M.
Il n’est pas possible de soumettre tous les cas d’O.G.M., à la même analyse : il faut, ici, les traiter cas par cas. Prenons quelques exemples de plantes modifiées et analysons leurs caractéristiques. 3.4.1 Le maïs transgénique
- Quels risques ? Pour l’environnement, peu, puisqu'il n’y a pas d’espèces voisines dans nos régions.
Pour la santé, le problème de la résistance aux antibiotiques, est présenté comme minime. Mais le risque principal de la présence de ce maïs modifié pourrait être celui de l'apparition et de la sélection d'insectes résistant à la toxine Bt.
- Quels avantages ? Quelles qualités nouvelles ? Quels besoins ? En quoi la résistance à cette chenille (que l'on sait parfaitement éliminer) participera-t-elle à la lutte contre la faim dans le monde ?
3.4.2 Le colza
- Quels avantages ? La résistance à certains herbicides augmente la rentabilité des cultures.
- Quelles prises de risques ? Dans le cas de cette espèce, on ne sait rien des possibilités de dispersion du transgène à d'autres espèces sauvages de l'environnement, proche du colza du point de vue taxonomique et qui pourraient, elles aussi, devenir résistantes aux herbicides et envahir les cultures. Il faudrait alors rechercher, re-synthétiser d'autres herbicides, peut-être plus dangereux que ceux utilisés actuellement. L'application du principe de précaution s'impose dans ce cas.
3.4.3 Les plantes modifiées contenant un transgène pour un vaccin.
Certains dénoncent la possibilité de déclenchement de réactions allergiques chez certains sujets. Comment, dans ce cas appliquer le principe de précaution ? Si le choix apparaît entre, pour une population donnée, provoquer quelques milliers de réactions allergiques et vacciner des millions de
personnes, et donc éviter des troubles souvent mortels à cette population, alors dans ce cas, au nom des avantages indiscutables de l’emploi de l’O.G.M., le principe de précaution ne devra pas jouer.
4. ÉDUCATION CITOYENNE ET PRINCIPE DE PRÉCAUTION
4.1 Difficulté d'accès à l'information
La difficulté n'est pas liée à une diffusion insuffisante, mais au contraire à une profusion de publications souvent superficielles, insuffisamment documentées, et qui se révèle presque toujours, au moins dans la presse "grand public", déficiente en matière d'analyse et de réflexion : les éléments de débat ne sont pas toujours mis en évidence avec la clarté nécessaire.
4.2 Difficultés de traiter l'information
- Ce type de traitement de l'information n'est pas encouragé chez les élèves, habitués à recevoir un enseignement trop normatif caractérisé par un manque de formation relativement à une perspective statistique de santé publique, à une formation épidémiologique, à l'accès à certains concepts comme la notion de risque, individuel et collectif.
- Par ailleurs, la surabondance d'une information médiatique et l'accent mis sur l’impact médiatique de tel ou tel aspect, souvent mineur, peu important ou peu significatif, mais particulièrement spectaculaire, nuit à la réflexion, à la relativisation des risques (comparer en effet le nombre de décès imputés à la listériose, au tabac, à l'alcool, aux accidents de la route....).
4.3 Difficultés d’application de cette méthode
La perception de ces problèmes par la société se fait à deux niveaux :
*individuellement, le public réagit différemment selon les problèmes, mais le plus souvent en dehors de toute approche rationnelle (réactions engendrées et/ou renforcées par les références au spectaculaire des médias) :
- pour la voiture, par exemple, il est difficile de faire prendre conscience du risque : la réaction est du type : « moi, ce n'est pas mon problème, je conduis bien !!! », - pour le nucléaire : c'est loin,
- pour les rillettes et les O.G.M., c'est la panique.
*la transposition collective dépend de ces réactions individuelles et influence fortement la représentation des problèmes et de leurs conséquences vis-à-vis de la société.
5. CONCLUSION
Il semble qu'une pratique pédagogique relative aux risques puisse être efficacement basée, pour une situation donnée, sur une mise en évidence des processus et du jeu des différents acteurs (à l'aide par exemple de l'approche systémique). Au-delà d'une description initiale, qui exige une certaine maîtrise de l'information, l'analyse obligera à clarifier certains concepts comme, par exemple, le principe de précaution et son application. Par ailleurs, la mise en œuvre de telles pratiques éducatives, ouvertes sur des problèmes de société rencontre, entre autres obstacles, l'insuffisance de formation de nombreux enseignants qui restent attachés à une approche cognitive et conceptuelle des différents champs disciplinaires.
BIBLIOGRAPHIE
GODARD O., Le principe de précaution est un principe d'action, La Recherche, 2000, 330, 111. KOURILSKY P., VINEY G., Le principe de précaution. Rapport au Premier Ministre, Paris : O. Jacob et La Documentation Française, 2000.
LE MEUR H., Bruxelles prend ses marques sur le principe de précaution, La Recherche, 2000, 330, 73.
