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ARTheque - STEF - ENS Cachan | La valeur formative du concept d'énergie et l'enseignement des sciences

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Academic year: 2021

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LA VALEUR FORMATRICE DU CONCEPT D'ÉNERGIE

Mariana V ALENTE, Teresa AMBROSIO, Duarte COSTA PEREIRA Université d'Évora, Université Nouvelle de Lisbonne, Université du Porto

MOTS-CLÉS: ÉNERGIE - CONCEPT INTÉGRATEUR - CULTURE - FORMATION

RÉSUMÉ: Le concept scientifique d'énergie naît au milieu du XIXe siècle. Quelles rapports peut on établir entre ce nouveau concept et l'idée d'énergie très répandue à la fin du XVIIIe siècle? Malgré la spécificité du concept scientifique il "appartient à la nébuleuse que nous appelons idée d'énergie". En recourant à l'Histoire des Idées etàl'Histoire de la Science nous proposons un regard sur la culture qui nous peIl11ettra de mieux saisir les spécificités du concept scientifique d'énergie.

SUMMARY : The scientific concept of energy is born by the midle of the 19th century. What relationships can be established between the new concept and the idea of energy which was sa successful by the end of the 18th century ? We will try ta show that even though this scientific concept has its own specificity, it belongs to the "cluster" we call energy. Having resource to the History of Ideas and History of Science we propose a regard to the culture for getting better the specificity of this concept.

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1. INTRODUCTION

La conviction que les concepts scientifiques, au-delà d'être des outils importants dans la construction scientifique, contribuent, aussi, à la construction personnelle de la compréhension du monde,

à

travers la production de nouvelles significations et images, nous a motivés pour une recherche sur la valeur formatrice du concept d'énergie. Pourquoi le concept d'énergie? Nous partageons l'opinion que "dans le monde de la pensée en général et dans les sciences physiques en particulier, les concepts les plus fructueux sont ceux auxquels il est impossible d'attacher une signification bien définie" (Kramers cité par Elkana) et que, d'un point de vue formateur, il nous aideà matérialiser ce qui Whitehead a si bien exprimé: "Les hommes ont besoin que leurs voisins leur donnent quelque chose d'assez semblable pour qu'ils les comprennent, quelque chose d'assez différent pour retenir leur attention, et quelque chose d'assez grand pour susciter leur admiration". Le concept d'énergie rentre dans toutes ces categories: il est semblable, différent et assez grand pour susciter notre admiration, ce qui fait de lui un concept très fructueux du point de vue de l'éducation et de la formation.

Cependant le fait que le mot "énergie" soit utilisé dans différents domaines avec une multiplicité de significations sera-t-il bon ou mauvais? On pourrait dire que du point de vue éducatif ce serait bon parce qu'il permet de croiser différents domaines; mais du point de vue de l'enseignement strict de la physique c'est souvent plutôt ressenti comme une difficulté pour l'apprentissage. Parce que dans la hierarchie des savoirs que l'école cultive on veut que les concepts physiques, la plupart du temps sans signification réelle pour les élèves, annulent les autres conceptions. On peut deviner ici un début de contradiction entre les buts éducatifs et les buts de l'apprentissage de la physique.

Les enseignants se sentent mal à l'aise avec ce concept parce qu'ils ne maîtrisent pas tous les sens de ce mot et ne sont pas préparés à inscrire les significations scientifiques dans la culture environnante. Leur formation, en général, ne les aide pas non pl us à saisir les significations scientifiques de ce concept. Un travail antérieur fait sur la valeur épistémologique de ce concept de la part des enseignants nous a conduits à l'hypothèse suivante: le manque de dimension historique et philosophique dans la formation des enseignants conditionne fortement leurs idées sur le concept d'énergie et, dès lors, ce qu'ils transmettent dans la classe. Il y a des concepts dont la justification et la pertinence se trouvent dans la propre histoire, comme c'est le cas de l'énergie. L'enseignant doit être mis en contact avec quelques aspects historiques de son développement. Maîtriser la multiplicité de significations associées au mot "énergie" ne peut pas se réduire à connaître l'information donnée par le dictionnaire. Il faut comprendre quels sont les différents rôles joués par ce concept dans différents domaines de la culture et sentir la pertinence de ces rôles. Ceci conduitàplonger dans le contexte historique de la physique du XIXe siècle où ce concept émerge: Est-ce que l'idée d'énergie avait un rôle important dans la culture et dans la pensée avant l'émergence du concept scientifique? Quelles sont les significations du motàl'époque? Quelles nouvelles significations émergent avec le concept scientifique? En réalité les études déjà faites à travers l'histoire des idées permettent d'affirmer que le concept scientifique du XIXe siècle est l'héritier d'une culture où l'idée d'énergie est une idée-clé pour la compréhension de nouveaux mouvements émergeant pendant le XVIIIe siècle dans la littérature, dans les beaux-arts et dans la pensée en général.

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2. L'IDÉE D'ÉNERGIE À LA FIN DU XVIIIe SIÈCLE

Michel Delon (1988) a developpé une recherche sur l'idée d'énergie dans la littérature, dans lesartset dans la pensée "au tournant des Lumiéres". Ce travail d'un homme de lettres aideàmieux saisir l'inscription culturelle du concept: "Même si l'histoire des sciences connaît ses rythmes propres et sa logique, le concept (scientifique) appartientàla nébuleuse que nous appelons l'idée d'énergie" (p.l82). Deux aspects qui méritent une attention particulière:1)le rôle intégrateur de l'idée d'énergie dans la vision de la culture de l'époque et 2) la méthode d'aboutissementàl'idée antérieure. En ce qui concerne ce deuxième aspect on pourrait dire que Delon inspiré par des travaux circonscrits à des domaines particuliers oÙ l'idée d'énergie est prise comme élément de liaison entre mouvements antagonistes a été pris par le désir d'élargir le rôle intégrateur de l'idée d'énergieàtoute la culture. Avec cette clé, il a construit une vision de la culture où les styles des arts et les mouvements de pensée si variés trouvent des confluences habituellement ignorées.

Le saut que Delon donne avec l'idée d'énergie rappelle les sauts donnés par les protagonistes de la consrruction du concept scientifique. Par exemple, Mayer (1841-1845) à partir de la constatation d'un fait, le changement de couleur du sang aux tropiques, va vers une unification des phénomènes physiques, chimiques et physiologiques. Joule, personnalité peu spéculative, ne peut pas s'empêcher de spéculer quand il parle de ce qui deviendra le concept d'énergie, quand il dit (1847) : "Indeed the phenomena of nalllre, whether mechanical, chemical, or vital, consist almost entirely in a continuai conversion of attraction through space, living force, and heat into one another. Thus it is that order is maintained in the universe - nothing ever lost, but the entire machinery, complicated as it is, works smoothly and harrnoniously".

2.1 Le mot énergie est à la mode dans le monde des lettres

Selon Delon les textes "fourmillent d'occurrences du mot énergie, durant le dernier tiers du XVIIIe siècle et au début du XIXe". Quelques exemples montrent bien qu'avant on n'utilisait pas beaucoup ce teffile : Mme Du Deffand, écrivantàla duchesse de Choiseul (1779), éprouve un scrupule d'avoir employé le mot et rapporte à sa correspondante une anedocte : "Je me souviens qu'il [l'abbé Barthélemy] me tourna en ridicule une fois que, par hasard, je prononçai ce mot énergie. Eh bien! qu'il sache qu'aujourd'hui il est devenu à la mode et qu'on n'écrit plus rien qu'on ne le place". Quand la duchesse de Choiseul répondàMme Du Deffand, elle se fait fort de fixer la date de naissance du mot dans son acception moderne: "C'est depuis qu'on a des convulsions en entendant la musique". Delon interprète ces occurrences du mot énergie par un besoin de "passage des mots aux choses". Dans l'exemple cité on voit bien la quête d'un mot qui puisse exprimer les fones sensations vécues, résultats de l'émergence de nouveaux mouvements dans les arts et dans la pensée en général. Dans la poésie le mot énergie est très utilisé,àcette époque. On peut donner comme exemple une partie d'un poème de William Blake (The Marriage of Heaven and Hell", 1793) :

Energy is the only life anù is l'rom the Boùy :

anù Reason is the bound or outwarù eireurnferenee of Energy. Energy is Etcrnal Delighl.

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Blake conteste le pouvoir de la raison conquis pendant l'Illuminisme. Il rejette la soumission de l'imagination à la raison et fait de l'énergie la forme de l'existence. On peut aussi trouver de fréquentes utilisations du mot dans des poèmes d'un grand scientifique anglais de l'époque, Sir Humphry Davy, qui fréquentait les milieux littéraires et philosophiques (Elkana 1974).

2.2 L'idée

ct

'énergie dans la pensée

L'idée d'énergie permet d'accéderilune nouvelle vision de l'univers. "Si, dans une perspective très générale, l'énergie, avec le mouvement, participe d'une nouvelle vision du monde qui aux essences substitue des devenirs et des existences, le temle se trouve dans les domaines les plus divers, dans la production scientifique aussi bien que littéraire, dans l'approche physiologique aussi bien que psychologique de l'homme. Les rationalistes de la sensation l'ont en commun avec les apôtres du sentiment" (p.31). Ce point est la clé pour la compréhension de tous les nouveaux mouvements qui apparaissent dans les différents domaines:

- L'énergie comme nouvelle vision de l'univers oÙ tous les êtres sont en relation.

- L'énergie est toujours "au point vif delacontradiction" : des mouvements antagonistes prennent avec conviction l'idée d'énergie comme aspect important de leurs identités.

- Les significations et les rôles de l'énergie.

On pourrait se demander si l'on est toujours devant les mêmes significations du mot énergie. Bien sûr il y a des différences, surtout si on se demande qu'elle est la nature de l'énergie (voir les matérialistes versusles spiritualistes), maisily a des modes communs "d'existence" pour l'idée d'énergie dans ces différents mouvements: les modes des échanges et des changements (des transformations). C'est toujours une forme d'activité, même si elle prend une dimension invisible. Dans l'Iluminisme on prend l'activité delaraison, dans le romantisme c'est l'activité de la sensibilité qui prend le dessus. Ainsi, on peut envisager des ponts entre ce qui était pris comme différent. Dans ce sens l'idée d'énergie est prise comme un élément intégrateur. Ce rôle d'intégration doit être envisagé non comme un désir de réduire toute la diversité à un même élément, mais comme un désir de bousculer des hiérarchies existantes dans notre vision de l'univers.Àla "traditionnelle disproportion entre l'univers et l'homme succède une exaltante participation de l'individuàl'énergie du tout" (Delon). Ceci est illustré par le tableauLe moine au bord de la mer(easpar Friedrich, 1808).Àson propos, un critique portugais écrivait "la nature est calme et l'homme [le moine] fonctionne comme témoin d'une grandeur surnaturelle du monde" (Porfirio, 1992). Mais quand on le regarde, on sent que le moine est beaucoup plus qu'un "témoin d'une grandeur surnaturelle du monde", il participe de cette grandeurà travers des échanges (d'énergie) qui se donnent entre le moine et le cosmos.

2.3 Le rôle intégrateur de l'idée d'énergie: le cas des Beaux-Arts

Jusqu'à la moitié du XVIIIe, il y avait, dans une grande partie de l'Europe, une séparation hiérarchique entre les arts qui se développaient sous l'égide de l'imitation (la peinture, la danse, le théatre) et les autres dont l'esthétique ne relève pas de l'imitation (la musique). Mais cette dernière devient de plus en plus importante et sa place dans la culture bouleverse cet ordre hiérarchique. Quel autre pouvoir est en jeu') C'est en essayant de répondre~lcette question que le mot énergie prend une

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place importante. On a besoin du mot "depuis qu'on a des convulsions en entendant la musique". On peut se demander quel effet aura sur les autres arts la découverte de ce pouvoir. Prenons, par exemple, un texte de Novene (1760), Maître des Ballets à l'Opera de Paris:

"Il n'est pas possible d'imprimer cel intêret en récitanl machinalement de beaux vers, et en faisant tout simplement de beaux pas:ilfaut que l'âme, la physionomie, le geste, les auitudes parlent toutes avec autant d'énergie gue de vérité. [...] Ils Iles danseurs) doivent également enchaîner le public par la force de l'illusion, et lui faire éprouver tous les mouvements dont ils sont animés. Cetle vérité, cct cnthousiasme qui caractérise le grand acteur, et qui est l'âme des beaux-ans, est l'image du coup électrique; c'estunfeu qui sccommuniqueavec rapidité, qui embraseen un

instant l'imagination cles SpeCtlllCUrS, qui ébranle leur âme el qui ouvre leur coeuràla sensibilité".

On trouve très clairement les éléments importants de notre approche de l'idée d'énergie, En effet on commence par constater,àtravers les mots de Noverre, que la vérité (l'imitation) n'est plus suffisante comme but pour l'œuvre d'art. Àcôté de la "vérité", Noverre fait appelàl'énergie comme dimension expressive permettant des échanges entre les artistes et les publics, source d'événements pour l'imagination et la sensibilité. Les publics ne sont plus vus comme entités séparées vis-à-vis du produit artistique. Un autre aspect importantilrépérer dans ce texte est que ce nouveau langage petllletàNovene de passer de la danse aux beaux-ans en général, le langage devient plus puissant. Un autre exemple qu'on voudrait donner, d'une façon très sommaire, c'est le cas de la peinture, Alpers (1983) caractérise la peinture figurative hollandaise du XVIIe siècle avec une expression très utilisée par Hooke (dans

Micrographie,

1664): "Avec une main sincère et des yeux fidèles". Cette phrase écrite dans un contexte scientilique se révèle significative pour la peinture parce que, comme l'affirment Shapin et Shafer (1993), Alpers en cherchant il "mettre en lumière les principes sousjacents à la prédilection des Hollandais pour la peinture figurative et les conventions auxquelles se soumet la production de ces œuvres peintes" découvre que "tant la peinture figurative hollandaise que la science empirique anglaise impliquaient une métaphore du savoir: "J'entends par là une culture dans laquelle il est présumé que nous connaissons ce que nous connaissonsàtravers le reflet produit sur l'esprit par la nature", L'art du peintre et celui de l'expérimentateur revenaient ainsi à fonner des représentations lJui imitaient avec fidélité ce que l'on voyait de ses propres yeux" (ce qui est souligné l'est par nous). Cela est valable pour la peinture du nord de l'Europe mais pas pour le cas italien. Ainsi, il faut préciser que quand Delon parle des arts sous le signe de l'imitation il pense surtoutàce Cjui se passe en France, en Angleterre et en Allemagne. C'est dans cet espace qu'il cherche les valeurs qui prend l'idée d'énergie. En ce qui concerne le développement du concept scientifique d'énergie ce sont aussi ces pays lJui prennent plus d'importance. "L'idée d'énergie apparaît comme un coin qui menace la toute-puissance du priacipe d'imitation". De nouveaux idéaux esthétiques émergent. La clarté du paysage donne placeàun paysage presque abstrait: c'est le cas des paysages de W. Turner. Contrairement à Caspar Friedrich, dans les paysages de Turner on trouve l'explicitation du mouvement cosmique qui nous fait voir les villes comme participant d'un tout énergétique, Mais cette énergie peut prendre une dimension menaçante pour l'homme ou, comme dit Delon, ces tableaux "donnent le sentiment d'une puissance du paysage qui bouleverse les petits conventions de l'être social et le confronte àune énergie insoupçonée". Turner est "le premier paysagiste de la société chaude" (Grinevald, 1976) : il incorpore déjà une vision carnotienne delanature et de la société.

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Cependant, ces nouveaux mouvements, qui doivent beaucoup àl'idée d'énergie, n'annulent pas le courant qui défend que la peinture du paysage doit continueràse développer avec "une main sincère et des yeux fidèles". Ce courant récupère l'idée d'énergieàson profit: "le peintre doit choisir le site où la nature apparaît dans toute son énergie, le point de vue qui permet de transformer un paysage monotone en une peinture variée ou encore le moment qui ouvre un lieu à la rêverie, libère l'imagination". Ces paysagistes à travers le choix du local et du temps mettent à l'œuvre une énergie qui transforme et qui se communique. On peut dire avec Delon que l'idée d'énergie "se situe au point vif de la contradiction entre une esthétique de la représentation et une esthétique de l'expressivité".

3. LE CONCEPT SCIENTIFIQUE D'ÉNERGIE

Le paysage d'émergence du concept scientifique d'énergie est très riche et plein de bifurcations. Ceci nous donne un potentiel de production de multiples histoires qui dépendent des questions formulées et des chemins choisis.

3.1 L'émergence du concept scientifique d'énergie

Beaucoup d'historiens des sciences considèrent que le concept émerge avec ce qu'on appellait, dans le temps, le "principe de conservation de la force", énoncé plus précisémentp~rHelmholtz (1847). Ce principe a été énoncé par plusieurs scientifiques de formations diverses, avec des styles très différents et comme aboutissement de chemins très variés. "La conservation de l'énergie apparaît en fait comme un point de convergence entre des lignées problématiques et expérimentales jusque là disparates. Elle constitue en ce sens un point de "suspense" où se joue, selon l'interprétation adoptée, selon la tradition reconnue comme dominante, l'interprétation de l'ensemble des résultats de toutes les lignées qui convergent sur elle". On n'a pas la possibilité, ici, de mettre en évidence ces différentes lignées mais on peut déjà y prévoir une place "au point vif de la contradiction" pour le concept scientifique d'énergie (Alliez, Stengers,1984) :

"Àpartir de ces lignées différentes. trois grands types d'interprétation peuvent être dégagées à propos de la notion de conservation de l'énergie. Pour certains (ce scm le cas de Poincaré et de Duhem), la conservation de l'énergie (<<il y a quelque chose qui demeure constant») est un principe d'investigation, dont la vérité n'a d'autre aune que la fécondité. Pour d'autres (tel Ostwald), la différence qualitative entre les différentes formes d'énergie est irréductible, et la mécanique n'est donc qu'une science parmi d'autres. Pour d'autres encore, la conservation de l'éncrgie implique la possibilité de réduire toutes lcs formes d'énergieàune seule, l'énergie mécanique (énergie potentielle délcnninée par les forces d'interaction entrc les corps, Cl énergie cinétique liéeàleur mouvement)". Donc, on a un antagonisme entre le deuxième groupe et le troisième groupe mentionnés. En fait, le troisième groupe, les mécanistes, représente le couronnement d'une certaine tradiction (ce groupe récupère le concept d'énergie pour élargir son pouvoir (voir la deuxième version du Traité de

Philosophie Naturellede Tait et Kelvin) et le deuxième représente un nouveau regard sur les sciences

physiques qui se développe au tour du concept d'énergie. Des polémiques très vives auront lieu, comme entre les partisans d'une esthétique de l'imitation et ceux d'une esthétique de l'expressivité.

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La "physique", groupement des contenus comme la mécanique, le son, la lumière, l'électricité, le magnétisme et la chaleur, prend naissance au début du XIXe siècle comme corps de connaissance scientifique sous la juridition de la mathématique (Cardwel!, 1989). Bien entendu, la mécanique avait un statut supérieur, son fOffi1alisme mathématique étant le plus developpé. Le manque d'une certaine unité conceptuelle entre ces domaines sera dépassé avec l'émergence du concept d'énergie qui devient l'origine de deux conceptions différentes d'unité: couronement de la hiérarchie établie (la diversité peut être réduiteàun seul élément, c'est le rêve des mécanistes - tout réduireàla mécanique), ou bouleversement de la hiérarchie existante - la mécanique est une science parmi d'autres. L'énergie continueàse placer "au point vif de la contradiction". Cette place fait de l'énergie une notion fondamentale pour une conception unifiée des phénomènes physiques (Jammer, 1957), une notion fondamentale pour l'unification des phénomènes physiques et chimiques (Mayer, 1845). Mayer (1845) va encore plus loin en affirmant: "ftcan be proveda prioriand confirrned everywhere by experience that the various forms of forcescanbe transformed into one another. In truth there exists only a single force. In never-ending exchange this circles through al! dead as we1l as living nature. In the latter as weil as the fOimer nothing happens without form variation of force!" On trouve sur ce texte et associé au concept d'énergie, qui est encore dénommé de "force", des idéesd'échan~eet de transformation, et un rôle de concept intégrateur entre la nature morte et la nature du vivant.

Prenons encore comme exemple l'introduction du Mémoire sur la Conservation de la Forcede Helmholtz (1847). Ce texte nous met en parallèle la "matière" et la "force". Selon Helmholtz "la science considère les objets du monde extérieur sous deux points de vue distincts", que nous pourrions désigner comme le point de vue de l'existence passive [la matière, l'essence, selon Delon] -et le point de vue de l'existence active [les forces, l'existence]. Comme il l'affirme, "nous ne connaissons et ne pouvons connaître que la matière active". Ces exemples montrent que lorsque les scientifiques parlent des concepts ils ne peuvent pas se mettre hors de la culture où ils existent.

3.2 De nouvelles significations associées au concept d'énergie

L'énergie,àtravers sa conservation, établit des liens entre des phénomènes très différents mais ces liens sont seulement de l'ordre du quantitatif, de la mesure. Comme disait Mayer (1863) sur le mouvement et la chaleur, "le rapport qui subsiste entre chaleur et mouvement a égardàla quantité, nonàla qualité". La conservation sera complétée avec le deuxième principe de la Thermodynamique (naissance du concept d'entropie). Sur ces concepts, énergie et entropie, Gillispie (1966) écrit:

"Tous les deux sont des représent:Ilions forlement sophistiquéesctabstraites de certaines expériences e1émentaires du monde, de certaines intuitions importantes: l'Énergie, de l'intuition qu'ilya une activité. une «force» dans les choses au delil de la matière en mouvement, qu'ilya quelque chose de réel qui fait tourner la nature (... ] ; l'Entropie, de l'expérience complémentaire de l'cau cherchant son niveau adéquat, des corps chauds qui refroidissent. des ressorts qui deviennent moins tendus, [...1 d'un destin tcl que

«Thal no life lives l'orever : Thal de ad men rise up never ; That even the wearicsl river

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Avec le développement de ces deux principes, les scientifiques introduisent de nouvelles significations. Par exemple, Lindsay (1975) affirme que "l'idée fondamentale dans le concept d'énergie est la constance, pamli le changement". Ogborn (1989) propose de regarder le changement comme produit par la différence et limité par l'énergie. Ostwald (1834) se réfère à l'énergie dans un double sens: "Elle constitue un pôle immobile dans la mobilité des phénomènes, et en même temps, la force d'impulsion qui fait tourner le monde des phénomènes autour de ce pôle". Planck dit que "le principe de la conservation de l'énergie déclare qu'il n'y a de possibles, parmi les phénomènes naturels, que ceux où il n'y a ni création ni anéantissement, mais simplement transformation d'énergie; le second principe, allant plus loin, dit que toutes les transformations d'énergie ne sont pas possibles mais seulement un cenain nombre d'entre elles et dans cenaines conditions".

Notre culture va importer du concept scientifique de nouvelles façons de dire les "choses". En fait, on continueàutiliser les "vieux" sens pOlir l'énergie mais en plus on a des significations qui dérivent d'une cenaine façon de "dire" le concept scientifique. Donnons deux exemples. Le premier exemple est pris d'un livre de Martha Graham (1991), une des créatrices de la dance moderne, qui se refère

à

un discours fait pour ses danseurs. Le discours est chargé d'une fort spiritualité: "They say that energy, once it is created and enrers the world, can never be destroyed, it only changes. Perhaps that is why 1 sense so many presences in this room". Le second exemple est pris d'un anicle du grand philosophe Gilles Deleuze, dans le Magazine Liuéraire (1992) : "La volonté de puissance est comme l'énergie, on appelle noble celle qui est apteàse transfonner".

4. QUELQUES CONSIDÉRATIONS FINALES

On a pris le pani des liaisons qui peuvent, parfois, être entendues comme des "liaisons dangereuses" et qui som, pour nous, des liaisons formatrices. En fait, elles permettent de voir "what place physics has in the total reality, in the context of ail intellectuel endeavors" (Holton, 1973). On voulait aussi montrer comment des travaux extérieurs à la science et

à

l'histoire peuvent aider

à

mieux saisir les spécificités des concepts scientifiques. Beaucoup de dimensions restent à explorer, particulièrement tout le contexte technique et expérimental du début du XIXe siècle. Le début de ce siècle est l'héritier d'une culture de l'énergie mais on ne prétend pas dire que le concept scientifique est le résultat de cette culture. Beaucoup d'éléments jouent dans le développement de ce concept scientifique et dans ses rapports avec la société. Comme disait Ostwald, le concept d'énergie "ferait une épopée que l'on pourrait regarder à bon droit comme celle de l'humanité".

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Références

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