CONCLUSION DES XXIIIes J.I.E.S.
EXPÉRIENCES DE LA NATURE ET DE LA TECHNIQUE
Jean-Louis MARTINAND E.N.S. CACHAN Président des J.I.E.S.
REMARQUES CONCLUSIVES
I.
Les participants des présentes Journées « expériences de la nature et de la technique » ont eu avec le premier numéro de Slalom distribué cette année, la possibilité de se reporter vingt deux ans en arrière, avec les premières Journées de Chamonix, qui n’étaient pas encore internationales. Consacrées aux
démarches expérimentales, les séances, toutes plénières, mettaient en avant trois approches : • une approche « didactique », centrée sur les opérations intellectuelles, • une approche « pédagogique », sur les rôles, la communication, • une approche « scientifique », avec des « témoins », et des historiens.
On peut ainsi prendre la mesure des changements : participants, intérêts et points de vue, problématiques, contextes.
Mais on doit aussi prendre conscience des permanences. C’est qu’il y a sans doute quelques enjeux centraux et rémanents de l’éducation et de la communication scientifiques et industrielles. – un titre qui lui aussi est venu plus tard - . J’aimerais m’exprimer sur ces enjeux en formulant quatre missions pour l’enseignement et la diffusion :
1. faire acquérir une familiarité pratique avec les phénomènes, les procédés, les rôles, les langages, ou pour faire bref, vivre avec les objets et les symboles.
2. faire prendre la mesure de la diversité, de la variabilité, du monde naturel et artificiel, ou cultiver l’étonnement,
3. aider à s’approprier un patrimoine humain de représentations, d’explications, d’inventions, de solutions et de problèmes, c’est-à-dire participer à une des grandes aventures de l’humanité.
4. promouvoir les capacités pour l’intervention citoyenne, avec les compétences et les postures qui permettent de se faire une opinion, d’interpeller les experts et les responsables, d’argumenter une orientation.
Pour ouvrir les chemins tracés par ces quatre missions, il y a deux clés qui ont joué un rôle historique majeur, et qui continuent, semble-t-il à fonder la maîtrise personnelle :
- le rapport expérimental aux phénomènes, base du développement scientifique et technologique, - la pensée avec des modèles, que ce soit dans l’investigation scientifique, la conception technique, la
délibération politique…
C’est bien de cela qu’il a été débattu ; mais chacun est venu avec un passé et des préoccupations diverses : innovateurs, chercheurs, formateurs, praticiens, plus ou moins familiers avec ces questions, plus ou moins avancés dans la réflexion. Si l’expression a été très libre, aussi bien en séances plénières que dans les groupes de communication, on a pu noter des difficultés à discuter : c’est qu’il y a de réels décalages qui n’ont que peu à voir avec « l’ésotérisme », mais plutôt avec l’effort nécessaire d’écoute et de respect : respect des chercheurs pour les praticiens, en évitant de croire que les choses commencent avec la recherche, ou que les praticiens ne comprennent pas ce qu’ils font ; respect des praticiens et innovateurs pour le travail de recherche et en particulier, l’effort intellectuel de conceptualisation et de problématisation, qui passe par un examen des formulations.
II.
Le titre de nos Journées comportait expériences, au pluriel. C’était appeler l’attention sur la diversité et la complexité de ces expériences possibles. Le tableau qui en résulte est peut être confus. Que retenir ?
Personnellement, je dirais que cinq points me paraissent décisifs.
1. Le premier concerne la prise de conscience des changements historiques, des réalités des pratiques scientifiques et technologiques actuelles : usage des modèles, entrelacement de la simulation et de l’expérimentation. Ceci pose un problème : les activités de travaux pratiques sont-elles encore « contemporaines » et significatives ? avons-nous rectifié nos représentations des pratiques, en biologie ou en ingénierie par exemple ?
2. La construction d’un rapport expérimental à la nature et à la technique pose de difficiles problèmes matériels, économiques et moraux, par exemple avec le vivant. C’est bien ce rapport précis qui est en cause et pas le « rapport savoir » évoqué à tout propos maintenant ou même comme on l’entend parfois le « rapport à l’expérimental ».
3. Les expériences sont toujours médiates dans le champ des sciences et des techniques : la médiation par la technique (instruments) est essentielle. De ce point de vue, le réel, c’est du virtuel comme du
matériel, du potentiel comme de l’actuel : les oppositions sont stériles, mais la question des différences et des passages est posée.
4. Les expériences sont très diverses. Rappelons que Galilée parlait d’essai ; de l’expérience à l’expérimentation, il y a de nombreuses modalités qui ne peuvent être ramenées à un schéma unique de « méthode », et dont les fonctions sont différentes. Il importe alors de valoriser chacune d’elles, selon un empirisme pluraliste et assumé, mais aussi de faire des choix et de maintenir des équilibres en cohérence avec les missions poursuivies.
5. L’expérience de la nature et de la technique est enfin expérience de vie, à l’école et hors l’école. Elle est expérience pédagogique, moment social, processus qui échappe en partie aux fins scientifiques ou technologiques. Cela aussi, qui est source de tensions fécondes, il faut l’appréhender mieux.