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Théorie positive de la comptabilité

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Théorie positive de la comptabilité

Jean-François Casta

To cite this version:

Jean-François Casta. Théorie positive de la comptabilité. coordonné par B. Colasse. Encyclopédie de comptabilité, contrôle de gestion et audit, Economica, Paris, p. 1393-1402, 2009. �halshs-00679544�

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Théorie positive de la comptabilité

Jean-François Casta

La recherche en comptabilité financière a connu de profondes mutations au cours des dernières décennies. Jusqu’aux années 1960, dans un contexte qui postulait implicitement l’utilité de l’information financière pour l’utilisa-teur, la recherche comptable était essentiellement de nature normative et se préoccupait de sélectionner, de façon purement spéculative, les principes et méthodes jugés les plus pertinents.

À partir de la fin des années 1960, dans le but d’évaluer ces travaux normatifs, la recherche comptable, en quête d’assises scientifiques, a progres-sivement évolué vers une approche empirique. À l’image de l’évolution des sciences économiques, l’introduction d’une démarche positive a nécessité le recours àde nouveaux instruments dont les premières expérimentations ont porté sur la validation de l’hypothèse d’utilité décisionnelle de l’information comptable. Paradoxalement, les tests empiriques ont mis en évidence l’importante anticipation par le marché du contenu informatif de ces données bien avant leur divulgation. Le problème de la nature de l’utilité des nombres comptables était posé et, plus généralement, celui du rôle institutionnel de la comptabilité comme système de production d’information financière.

En réaction, un paradigme fondé sur l’utilité contractuelle des nombres comptables a émergé vers la fin des années 1970. Le « programme de recherche » associé se proposait d’expliquer les pratiques observées et de prédire les choix comptables effectués, tant par les dirigeants que par les organismes de normalisation. Le contenu de ce programme – intitulé Positive

Accounting Theory – a été formulé par Watts et Zimmerman (1978, 1979 et

1986). Il a engendré, à partir des années 1980, la création d’un véritable courant – appelé École de Rochester par référence à l’université dans laquelle exercent ses deux promoteurs.

La théorie positive de la comptabilité occupe, de ce fait, un rôle central dans le récent processus de construction de la recherche comptable. Ayant posé le problème au plan épistémologique et emprunté à des champs connexes – comme la théorie économique, la théorie financière ou la théorie des organisations –, cette école a permis à la recherche comptable d’acquérir un statut et une reconnaissance scientifique. Par ailleurs, souvent qualifiée de sectaire, à l’origine de nombreuses polémiques avec les tenants d’autres

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visions de la recherche, la théorie positive de la comptabilité est elle-même devenue, à l’issue d’une longue période d’essor, objet de critique et même de réfutation.

1. L’émergence des recherches positives en comptabilité financière

L’émergence de l’approche positive se caractérise par la redéfinition de la relation chercheur-objet de recherche et par l’exigence d’une validation empi-rique de toute proposition théoempi-rique. À ce double titre, cette perspective constitue une orientation majeure de la recherche en comptabilité.

1.1. Les pratiques comptables, objet de recherche empirique

Jusqu’à la fin des années 1960, période qualifiée d’« âge d’or de la recherche a priori », les travaux de recherche comptable, présumant de l’utilité décisionnelle de l’information financière, étaient essentiellement normatifs et se donnaient pour objectif l’identification conceptuelle des « meilleures » méthodes comptables.

L’émergence des recherches positives en comptabilité procède du mouve-ment observé, dans les années 1950, en sciences économiques. Le dépasse-ment de la problématique normative et l’introduction de la démarche posi-tive font directement référence à Milton Friedman (The Methodology of

Positive Economics, 1953) et à l’École de Chicago qui, à la suite de John

Neville Keynes, établissaient une distinction fondamentale entre une science

positive, ensemble de connaissances sur « ce qui est », et une approche

normative, ensemble de connaissances sur « ce qui devrait être » au regard d’un système de valeurs. Cette nouvelle orientation traduisait une volonté de donner des assises scientifiques à la recherche comptable. En effet, cette approche fondée sur l’observation des phénomènes, qui confère un rôle central au modèle1 – instrument d’investigation et de représentation d’une

« réalité » à découvrir –, puis qui soumet toute proposition théorique à la validation empirique, caractérise le choix épistémologique effectué par les sciences « dures », tout au moins dans leur phase de construction.

L’introduction d’une approche positive, ayant pour finalité l’élaboration de « lois » de comportement explicatives, a eu pour conséquence directe de déplacer l’objet de la recherche des méthodes comptables « produites » par les chercheurs vers les pratiques comptables observées. Par ailleurs, soumise au principe de réfutation, cette problématique a ouvert la voie à une évalua-tion empirique de proposiévalua-tions qui avaient antérieurement le statut de « vérités » présumées, comme l’utilité décisionnelle des données comptables pour les utilisateurs.

1. Pour les économistes financiers qui reprendront cette problématique, l’évaluation d’un modèle se fonde exclusivement sur la pertinence empirique de ses prédictions et non sur le réalisme de ses hypothèses. Cette problématique a donné naissance à un puissant courant de recherche qui traite de l’interaction entre les marchés de capitaux et l’information comptable (voir Khotari, 2001).

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1.2. L’évaluation empirique de l’utilité décisionnelle des données comptables

Décisifs quant à l’introduction de la démarche positive en comptabilité, les travaux fondateurs relatifs à l’évaluation empirique de l’utilité décision-nelle des données comptables sont dus à Ball et Brown (1968) ainsi qu’à Beaver (1968), tous issus de l’École de Chicago. Relayés par de nombreux chercheurs, ces travaux, qui se concentrent essentiellement sur les années 1970, prennent appui sur un corpus théorique et une modélisation empruntés à la micro-économie financière (hypothèse d’efficience des marchés de capitaux, modèle de marché…) et recourent à la méthodologie d’études d’événements. Leur objectif était la mise en évidence de la réaction du marché, sous la forme de rendements anormaux, à la publication d’infor-mations comptables (rapports annuels ou intérimaires). De façon conver-gente, ces recherches montrent empiriquement que le contenu informa-tionnel de tels rapports se limite, pour le marché, au seul résultat comptable

(bottom line). Surtout, ces travaux mettent empiriquement en évidence que la

publication du résultat a un effet beaucoup plus limité que ne le présumait la « théorie » comptable, le marché ayant déjà anticipé par d’autres canaux, depuis plusieurs mois, plus de 80 % du contenu des données comptables divulguées par les états financiers.

Parallèlement, à la même époque, des recherches ont été entreprises, selon une méthodologie analogue, dans le domaine de la réaction du marché aux changements de méthode comptable. Ces travaux, dont les premiers sont dus à Kaplan et Roll (1972), mettent aussi empiriquement en évidence le fait que la politique comptable des entreprises n’induit généralement pas le marché en erreur, dès lors que son action porte sur le seul résultat comptable. D’autres études montrent même que le marché appréhende assez correcte-ment les « manipulations comptables » complexes ayant un double effet de sens inverse, en raison de leur impact fiscal, sur le résultat comptable, mais aussi sur les cash-flows et donc sur la valeur de l’entreprise.

Ces travaux de nature positive, montrant empiriquement l’importance du concept d’efficience des marchés financiers, ont eu un retentissement majeur sur l’évolution de la recherche comptable et ont conduit à l’essor d’un nouveau paradigme.

2. La théorie positive de la comptabilité

L’incapacité de la recherche traditionnelle à expliquer des pratiques – de politique comptable ou le lissage des résultats –, observées malgré un faible contenu informatif des états financiers pour les investisseurs, a été à l’origine de la formulation d’une théorie positive essentiellement fondée sur le para-digme de l’utilité contractuelle de l’information comptable (Watts et Zimmerman, 1978). Déniant tout caractère scientifique aux recherches tradi-tionnelles, ces deux économistes ont parallèlement suggéré un modèle expli-catif de l’existence d’une offre de méthodes comptables issues de « théories » normatives. Leur analyse, très polémique, repose sur le concept de Market for

Excuses – point de rencontre d’une offre et d’une demande de justifications ad

hoc servant d’alibis aux entreprises (Watts et Zimmerman, 1979). Ces travaux ont jeté les bases d’un ambitieux cadre théorique d’analyse économique des

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pratiques (méthodes ou normes) comptables observées. Ultérieurement, la publication de l’ouvrage Positive Accounting Theory (Watts et Zimmerman, 1986) a consacré la fondation de cet important courant de recherche – appelé2

« Théorie positive de la comptabilité » – dont il convient d’examiner les objectifs, les fondements, la méthodologie et les résultats.

2.1. Les objectifs de la théorie positive de la comptabilité

La théorie positive de la comptabilité s’est fixé comme objectif d’inférer, sur la base des pratiques observées, un ensemble de règles de comportement empiriquement validées et constitutives d’une théorie générale de l’élabora-tion – entre marché et processus politique – des états financiers par les entre-prises. À partir d’une modélisation du comportement des acteurs face aux choix comptables, elle a défini un ensemble d’hypothèses portant sur leurs déterminants et visant à :

– rendre compte des facteurs associés aux choix de méthodes particu-lières ;

– mettre en évidence les motivations de la politique comptable menée par les dirigeants ;

– prévoir les choix de méthodes comptables effectués par les dirigeants en fonction des caractéristiques des entreprises ;

– expliquer, par ailleurs, le processus d’élaboration des normes comptables.

2.2. Les fondements de la théorie positive de la comptabilité

Évaluant toute théorie sur son aptitude explicative et prédictive, l’École de

Rochester a délaissé l’étude des objets comptables (états financiers, principes ou

méthodes comptables) et a focalisé son attention sur les choix effectués par les acteurs – dirigeants ou normalisateurs. La théorie positive de la comptabilité tend à expliquer et à prédire le comportement des producteurs et des utilisa-teurs de l’information comptable, dans le but ultime d’éclairer la genèse des états financiers. Pour ce faire, elle emprunte ses modèles à la théorie de l’agence et à la théorie économique de la réglementation.

La théorie de l’agence (Agency Theory), d’inspiration néo-classique, appréhende la firme comme une « fiction légale », nœud d’un ensemble de contrats en équilibre passés entre des acteurs (actionnaires, dirigeants, sala-riés, bailleurs de fonds, fournisseurs, clients) rationnels, guidés par la maxi-misation de leur intérêt (Jensen et Meckling, 1976). Elle postule que le système de coordination des activités repose sur la délégation et sur des rela-tions (implicites ou explicites) de mandat ; face à l’asymétrie d’information des contractants, des clauses limitatives ou incitatives sont nécessaires pour réduire les divergences d’intérêt mandant-mandataire et limiter le comporte-ment présumé opportuniste des mandataires. Ces conflits d’intérêts latents – et les coûts de surveillance ou d’opportunités qu’ils engendrent – confèrent aux mesures comptables un rôle déterminant dans le suivi des contrats et

2. Également intitulée théorie contractuelle (Tremblay et al., 1994), théorie politico-contrac-tuelle (Raffournier, 1990) ou théorie des conséquences économiques des choix comptables (Holthausen et Leftwich, 1983).

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placent la comptabilité au cœur des relations d’agence (Jensen et Meckling, 1976 ; Jensen, 1983). Ce rôle central assigné à la comptabilité quant à l’exécu-tion des contrats conduit à formuler le problème du choix de méthodes (et de normes) comptables à partir de modèles renvoyant à la rationalité écono-mique des agents.

La théorie économique de la réglementation (Posner, 1974) – constitutive de l’École du Public Choice – appréhende le processus politique comme une compétition entre les individus pour maximiser leur intérêt. Elle postule que la finalité des réglementations est d’effectuer des transferts de richesse, les « nombres » comptables – plus particulièrement le résultat comptable et les capitaux propres – étant utilisés comme argumentaire technique auprès des électeurs par les politiciens. En raison de leur « visibilité politique », les grandes entreprises seraient davantage exposées à ces mesures.

Organisée autour d’une conception politico-contractuelle de la formation des choix comptables, l’École de Rochester s’appuie, d’une part, sur la nature des contrats régulant les relations d’agence et, d’autre part, sur la vulnérabi-lité politique des entreprises face aux nouvelles réglementations, pour formuler un certain nombre d’hypothèses de comportement des acteurs de la comptabilité. Les hypothèses les plus caractéristiques concernent :

– le conflit d’intérêts entre les actionnaires et les créanciers : afin de se prémunir contre des transferts de richesse effectués au détriment des créan-ciers, les contrats de prêt incluent des clauses3, formulées à partir de ratios

comptables, restreignant l’action des dirigeants. Cela conduit les tenants de

l’École de Rochester à formuler « l’hypothèse de la dette » selon laquelle les

entreprises endettées devraient privilégier les méthodes comptables augmen-tant le résultat présent ;

– le conflit d’intérêts entre les actionnaires et les dirigeants : afin de limiter les risques de comportement opportuniste des dirigeants, les entre-prises leur accordent des plans d’intéressement aux résultats se référant géné-ralement à des indicateurs comptables4. Ce raisonnement conduit à formuler

« l’hypothèse de la rémunération » selon laquelle les dirigeants, dans les sociétés à forte dilution du capital, devraient privilégier les méthodes comp-tables augmentant le résultat présent ;

– les relations avec l’environnement politique : afin de limiter le risque d’émergence de réglementations fiscales ou administratives (par exemple, loi anti-trust) et pour ne pas attirer de concurrents dans le secteur, les grandes entreprises réduiraient leur « visibilité politique », recherchant le profil le plus neutre dans leurs rapports avec le grand public ou la classe politique. Ce raisonnement conduit à formuler « l’hypothèse de la taille » selon laquelle les grandes entreprises devraient privilégier les méthodes comptables mino-rant le résultat.

3. Les prêts à long terme sont, aux États-Unis, le plus souvent assortis de clauses contrac-tuelles (debt covenants) restreignant l’action des dirigeants. Ces clauses comprennent des sanc-tions financières en cas de violation (par exemple : ratio maximum d’endettement).

4. Bien que, depuis lors, les plans incitatifs reposent davantage sur des instruments de marché (stocks-options, performance shares), ceux-ci intègrent le plus souvent des conditions de perfor-mance de nature comptable.

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2.3. Le cadre théorique d’analyse des pratiques comptables

La plupart des recherches comptables positives menées depuis deux décennies ont été inspirées par le cadre théorique d’analyse des pratiques comptables défini par l’École de Rochester. Face à la diversité des contextes de recherche et des résultats empiriques, Mouck (1995), analysant ce cadre comme un « programme de recherche » au sens de Lakatos, a suggéré, afin d’en préciser le contour, de distinguer deux catégories d’hypothèses :

– les hypothèses fondamentales caractérisant le cœur du programme de recherche qui se réfèrent à la forme de rationalité micro-économique postulée par l’École de Chicago. Elles s’énoncent comme suit : les agents ont une bonne connaissance de leur situation ; à connaissances et moyens donnés, les agents préfèrent la meilleure alternative ; le système de coordination des acti-vités est stable ; les préférences des agents sont données ; les agents sont motivés par la maximisation de leur intérêt personnel ; la firme est un « nœud » de contrats ;

– les hypothèses annexes, par nature plus contingentes. Il s’agit de l’effi-cience des marchés5, du modèle d’équilibre des actifs financiers (MEDAF),

des anticipations rationnelles, de la théorie de l’agence, de la théorie de la réglementation, des hypothèses soumises à une vérification empirique (rému-nération, dette, taille), des hypothèses relatives à la procédure de test.

Selon cette typologie, seule la réfutation empirique des hypothèses fonda-mentales porterait atteinte à la viabilité du programme de recherche.

2.4. Méthodologie de la validation empirique

La théorie positive de la comptabilité a introduit un séquencement métho-dologique, jusqu’alors absent du monde de la recherche comptable, qui comprend des phases d’observation des pratiques, de modélisation, de formulation d’hypothèses testables, de construction de tests, puis de valida-tion (ou d’infirmavalida-tion) empirique des différentes proposivalida-tions.

Pour ce faire, les chercheurs ont progressivement élaboré une instrumen-tation adaptée à l’observation des variables comptables. Dans un premier temps, cherchant à valider les prédictions de la théorie sur une méthode comptable prise isolément, les recherches ont porté sur des échantillons d’entreprises ayant toutes effectué un choix portant sur la même méthode comptable. Par exemple, dans le cas du traitement comptable des dépenses de recherche et développement : la modalité étant activation versus charges, la variable est binaire. Face au caractère particulièrement limitatif de cette technique d’observation et présumant que la politique comptable devait mobiliser concurremment plus d’une méthode, les chercheurs ont développé une technique d’observation du choix d’un portefeuille de méthodes compta-bles (Zmijnevski et Hagerman, 1981). Depuis une vingtaine d’années, le concept d’accruals est utilisé comme instrument global d’observation de certains choix comptables (Healy, 1985 ; De Angelo, 1986). Les accruals, définis comme différence entre le cash-flow d’exploitation et le résultat comptable, mesurent l’incidence de la politique comptable menée par les

5. Voir dans cette encyclopédie l’article de P. Dumontier, « Marchés efficients et comptabi-lité », p. 1035.

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dirigeants sur les variables calculées (provisions, amortissements, opérations de régularisation, charges à répartir) et permettent de tester les prédictions de la théorie quant à la gestion stratégique du résultat (earnings management).

2.5. Les avancées de la recherche positive

Le cadre d’analyse défini par l’École de Rochester s’est avéré très fécond. Les hypothèses formulées par la théorie positive de la comptabilité ont fait l’objet de nombreux tests empiriques donnant lieu à des synthèses régulières en termes d’avancées et de critiques (par exemple, Holthausen et Leftwich, 1983 ; Whittington, 1987 ; Watts et Zimmerman, 1990 ; Raffournier, 1990 ; Chambers, 1993 ; Dumontier et Raffournier, 2000).

Ces études procèdent, dans le contexte nord-américain, à un examen des motivations conduisant au choix d’une méthode comptable ou d’un porte-feuille de méthodes. Les conclusions les plus significatives de ces études empiriques ont trait aux choix suivants :

– la décision de « capitaliser » les intérêts à l’actif dans le coût des immo-bilisations en cours (au lieu de les comptabiliser en charges). Cette solution, qui majore le bénéfice, est pratiquée par les entreprises dont les ratios finan-ciers sont les plus proches des contraintes imposées par les contrats de prêt et par les entreprises de grande taille ;

– la décision d’immobiliser à l’actif les coûts de recherche et développe-ment (au lieu de les comptabiliser en charges). Cette solution est retenue par les entreprises de plus petite taille utilisant un fort levier financier et distri-buant la plus grande partie de leur bénéfice. En effet, cette pratique, en augmentant le résultat comptable, permet de mieux satisfaire aux clauses contractuelles intervenant lors de la négociation des emprunts. À l’inverse, pour les entreprises de plus grande taille, cet objectif reste secondaire au regard de la recherche d’une minoration de leur bénéfice comptable ;

– le choix de la méthode d’amortissement (linéaire versus accéléré). La technique d’amortissement linéaire est de préférence pratiquée par les entre-prises utilisant un fort levier financier, à structure de capital diffuse, sans bloc de contrôle et à gestion managériale. Dans ce type d’entreprises où les dirigeants contrôlent la communication financière, ce choix permet de majorer le résultat publié. D’autres études ont établi une relation entre les modifications de la méthode d’amortissement (passage de l’amortissement accéléré à l’amortissement linéaire) et la politique de distribution de divi-dendes, notamment dans le cas de sociétés pour lesquelles cette distribution est limitée par les clauses de contrat de prêt ;

– le choix d’une méthode d’évaluation des stocks (LIFO versus FIFO). En situation inflationniste, le choix de la méthode FIFO engendre un résultat comptable plus élevé que celui qui serait obtenu en utilisant la méthode LIFO. Différentes études montrent que la méthode LIFO est retenue, afin de réduire le résultat, de préférence par les entreprises de grande taille, exerçant dans un secteur à fort taux de concentration.

Au-delà de ces hypothèses majeures (rémunération, endettement, taille), d’autres facteurs, souvent corrélés, apparaissent empiriquement comme des déterminants des choix comptables effectués par les dirigeants : la politique

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de dividende, l’intensité capitalistique, le degré de risque propre à l’entre-prise, la concentration dans le secteur ou la structure de l’actionnariat.

De façon générale, une revue des études empiriques met en évidence que les choix comptables sont, aux États-Unis, notablement influencés par la taille et la structure financière des entreprises, par la nature des clauses insérées dans les contrats de prêt, par la structure de leur capital et le système d’inté-ressement de leurs dirigeants. Un certain nombre de ces études montrent des résultats non conformes aux prédictions de la théorie, soit pour des raisons singulières, liées le plus souvent au contexte de la vérification empirique, soit de façon plus récurrente en ce qui concerne l’hypothèse de la taille.

La vérification empirique des prédictions de l’approche politico-contrac-tuelle des choix comptables a aussi été menée dans un environnement euro-péen francophone. Elle conduit, dans un contexte de recherche de majoration du résultat, à des conclusions conformes à celles formulées par la théorie en ce qui concerne l’hypothèse de l’endettement et généralement à une infirma-tion de l’hypothèse de la taille.

3. La théorie positive de la comptabilité : critiques et limites

Après avoir mobilisé, pendant plusieurs décennies, une part importante de la recherche nord-américaine et suscité un grand nombre de travaux empi-riques aux résultats souvent divergents, l’École de Rochester fait l’objet d’une critique de plus en plus virulente. Celle-ci a contesté ses orientations épisté-mologiques (Christenson, 1983) et a dénoncé tant le caractère réducteur de son cadre d’analyse que le sectarisme du courant de recherche (Sterling, 1990 ; Chambers, 1993)6.

En premier lieu, l’objet de la théorie positive de la comptabilité n’est pas jugé pertinent. Selon Christenson (1983), il tend à expliquer et à prédire le comportement des comptables ou celui des dirigeants en matière de choix de méthodes comptables ; il devrait exclusivement s’intéresser aux faits compta-bles – les états financiers. Cette critique l’a conduit à contester l’appellation de théorie comptable et à qualifier de « sociologie de la comptabilité » la théorie développée par l’École de Rochester. Dans leur réponse, Watts et Zimmerman (1990) ont précisé que les faits étudiés procèdent d’une cons-truction sociale. Il ne peut donc y avoir de fait comptable indépendamment des comptables et des dirigeants ; ces acteurs ont des intérêts qui les condui-sent à préférer certaines méthodes, leur permettant d’agir indirectement sur le processus d’allocation des ressources : ce raisonnement justifierait l’obser-vation des pratiques comptables et il conviendrait de parler d’une théorie des conséquences économiques des choix comptables.

En second lieu, au plan épistémologique, Watts et Zimmerman prônent un positivisme radical qui repose sur une conception de la « théorie » issue des sciences « dures » et emprunte sa modélisation aux sciences économiques (rationalité, maximisation de l’utilité, marché de l’information comptable…). Se référant à l’individualisme méthodologique, l’École de Rochester recourt à une acception particulièrement restrictive de la recherche positive, tant au plan de la modélisation économique sous-jacente que d’une mise en œuvre

6. Pour une synthèse de ces critiques, voir Jeanjean (1999).

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très quantitativiste des vérifications empiriques. Il en résulte une déperdition de sens ainsi qu’un appauvrissement de la portée des conclusions relatives aux comportements comptables. Ce phénomène est amplifié par la pauvreté de l’instrumentalisation des variables explicatives traduisant les concepts sous-jacents au modèle.

À l’opposé du positivisme, les tenants de l’épistémologie constructiviste – critiques naturels de l’École de Rochester – considèrent que la connaissance scientifique relève d’un processus, et non d’une révélation liée à l’expérimen-tation : il n’y aurait pas de réalité observée, mais seulement une réalité (socia-lement) construite. Il existe un lien étroit entre les choix épistémologiques et méthodologiques, c’est-à-dire entre la façon de concevoir la réalité et la méthode d’investigation retenue dans la démarche scientifique. Ce débat pose le problème de la nature de la « réalité » comptable (Colasse, 1995).

Enfin, la nature contingente des hypothèses constitue une limitation du modèle. Les mécanismes de régulation des contrats sont souvent spécifiques à l’environnement nord-américain. Il est difficile de transposer sans précau-tion les conclusions des recherches précédentes dans un contexte différent. Il existe, en effet, d’importantes différences qui tiennent à l’état des pratiques contractuelles – notamment dans le domaine de l’intéressement des diri-geants –, à l’influence de la fiscalité sur les pratiques comptables, à l’impor-tance du contrôle de type familial ou des blocs de contrôle, ainsi qu’à la place relative de l’État et des marchés financiers dans l’activité économique.

* * *

Après plusieurs décennies d’essor, la théorie positive de la comptabilité est l’objet de vives critiques. Le modèle explicatif des choix comptables et de genèse des états financiers proposé par l’École de Rochester, fondé sur une vision politico-contractuelle des organisations, est jugé trop réducteur. Malgré un « programme de recherche » considérable, l’introduction de ce nouveau paradigme n’a pas permis de faire émerger des lois de comporte-ment suffisamcomporte-ment générales et acceptées pour expliquer l’action des produc-teurs et des utilisaproduc-teurs d’information comptable. Il a néanmoins mis en lumière le rôle institutionnel de la comptabilité, centré sur la reddition des comptes, dans une problématique de gouvernement d’entreprises.

La formulation de cette théorie a cependant joué un rôle majeur dans la récente construction des assises de la recherche comptable ; l’introduction d’un débat de nature épistémologique, la mise en œuvre d’un programme de recherche de grande ampleur et l’adossement à des champs de recherche connexes – procédant de la théorie économique, de la théorie financière ou de la théorie des organisations – constituent des facteurs qui ont contribué à rendre légitime l’existence d’une démarche scientifique en comptabilité.

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Mots clés

Choix de méthode comptable, conséquences économiques (des choix comptables), Earnings

management, École de Rochester, épistémologie positive, politique comptable, recherche

comp-table, théorie de l’agence, théorie positive de la comptabilité.

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