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Genèse du « développement par le sport » : socio-histoire de sa mise à l’agenda de l’Unesco (1952-1976)

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Université Haute Bretagne Rennes 2

sous le sceau de L’université Européenne de Bretagne pour obtenir le diplôme de :

Master Sports Sciences Sociales Administration Territoires Intégration HAUTE BRETAGNE RENNES 2

présenté par

Arnaud Roy

Préparé au VIP&S

Laboratoire de Recherche : Violences Identités Politiques & Sports

http://www.sites.univ-rennes2.fr/violences-identites-politiques-sports/

Mémoire de recherche

Sous la direction scientifique de :

M. Michaël Attali

Professeur des Universités à l’Université de Rennes 2

Genèse  du  «  développement  

par  le  sport  ».  

Socio-­‐histoire  de  sa  mise  à  

l’agenda  de  l’Unesco  (1952-­‐

1976).  

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Sommaire

Sommaire  ...  1  

Introduction  ...  2  

I.  Du  sport  au  développement  par  le  sport  :  les  fonctions  sociales  du  sport  ...  14  

1.  Le  sport  comme  outil  social……….15  

  2.  L'apparition  d'un  phénomène  nouveau  :  le  développement  par  le  sport………..21  

II.  Le  développement  par  le  sport  à  l’UNESCO  :  le  rôle  et  l’influence  du  contexte   international  ...  26  

1.  Les  relations  entre  l'UNESCO  et  le  système  onusien……….26  

  2.  Le  développement  par  le  sport  à  l'UNESCO  :  entre  alignement  et  intérêt     stratégique………...…28  

III.  Le  développement  par  le  sport  à  l’UNESCO  :  le  rôle  et  l’influence  des  réseaux  ...  32  

1.  L'UNESCO,  une  "somme  de  personnes"……….32  

  2.  Les  années  1950  :  l'influence  des  réseaux  français  dans  la  promotion  du  sport     éducatif………36  

  3.  Les  années  1960  :  internationalisation  de  la  recherche,  le  sport  éducatif  comme     outil  de  développement  ……….42  

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Introduction

L’utilisation du sport comme vecteur d’inclusion sociale a fait l’objet de nombreuses publications scientifiques en France (Arnaud, 1999 ; Chovaux, 2001 ; Falcoz et Koebel 2005 ; Gastaut, 2008 ; Gasparini, 2008 ; Vieille-Marchiset 2008 ; etc.). En revanche, depuis le début des années 2000, un nouveau champ de recherche s’est structuré au sein de la sociologie du sport internationale et échappe encore à la recherche française : le « développement par le sport ». A notre connaissance, un seul article écrit par des chercheurs français se penche sur le thème du développement par le sport (Attali, Sempé et Le Yondre, en cours de publication).

Ce nouveau champ s’est développé en même temps que son application pratique par les ONG. En 2009, 255 organisations sont enregistrées sur la plateforme sportanddev.org - un site dédié au secteur du développement par le sport - dont 93% ont été créées depuis 2000 (Levermore et Beacom, 2009). Aujourd’hui, la plateforme regroupe 512 organisations, soit deux fois plus qu’en 20091. Sur quels fondements idéologiques ce mouvement s’est-il fondé ? Quels événements ont fait se rencontrer les secteurs du développement et du sport ? Le phénomène est-il aussi récent que l’intensification de son utilisation depuis le début du vingt-et-unième siècle ? Nous tenterons de répondre à ces questions dans ce mémoire.

1. Définition du thème

Aussi évidente soit-elle, il est nécessaire, pour étudier le phénomène, d’évoquer cette logique : le développement par le sport est la synchronisation de deux phénomènes, le développement et le sport. Cette simple déconstruction permet de définir séparément les deux concepts afin de mieux comprendre le thème dont traite notre recherche.

Si la sociologie du sport souffre d’un manque de prestige, l’intérêt scientifique pour cet objet s’est accru ces dernières années (Duret, 2001). Pourtant, « le sport » reste un phénomène complexe, parfois insaisissable et pas toujours clairement

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défini. Parle-t-on de la pratique physique ou du spectacle sportif ? Du « sport loisir » ou du sport de compétition ? Il faut le constater : il n’existe pas de définition du sport internationalement admise. Enjeu de controverses intellectuelles et scientifiques, variable selon les contextes géographique et historique, la définition du sport est mouvante à mesure que le phénomène évolue. Finalement, « la

définition du sport se présente comme une question pratique » (Defrance, 1995, 97)

: lorsqu’il s’agit de mener une enquête, d’attribuer des subventions ou encore d’organiser des activités physiques. Nous utiliserons dans ce mémoire une définition étendue du sport, compris comme l’exercice d’une activité physique – elle-même désigne « tout mouvement produit par les muscles squelettiques, responsable d’une

augmentation de la dépense énergétique », selon l’Organisation Mondiale de la Santé

(OMS).

Le mot « développement » est aussi polysémique que le concept précédent. Comme celui-ci, le sens qu’on donne au « développement » évolue avec son utilisation pratique. C’est en économie qu’il est le plus présent : on le retrouve par exemple dans l’expression « Pays en voie de développement » (PED) ou encore dans « Indice de développement humain » (IDH). Pour comprendre ce phénomène, il faut faire un détour par l’histoire. Après la Seconde Guerre mondiale et avec les premières vagues de décolonisation, l’Europe et les Etats-Unis « découvrent » l’existence de l’extrême pauvreté que connaissent les pays regroupés sous l’expression « Tiers-Monde ». L’idée de développement est pour la première fois évoquée lors du discours d’investiture du président des Etats-Unis Harry Truman, le 20 janvier 1949 (Escobar, 1995). Il y fait part de son intention de lutter contre la pauvreté dans les « pays sous-développés » grâce à la croissance économique. A l’origine, le développement est donc fortement corrélé à la notion de croissance. On le mesure par le « Produit intérieur brut » (PIB) ou le « Produit national brut » (PNB), qui font référence à la production économique d’un pays. Face aux limites de ces indicateurs, l’IDH a été créé : en plus du PIB, il mesure l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’éducation d’un pays. On ajoute donc une dimension humaine à la dimension économique du développement. In fine, le développement est une notion multidimensionnelle. Une acceptation large voudrait le définir comme un

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moyen de lutter, dans les pays dits « du Sud », contre la « pauvreté » … elle-même une notion polysémique (Benicourt, 2001).

Pour faire la synthèse des deux concepts, les chercheurs qui étudient le développement par le sport retiennent des définitions globales et le présentent comme « le mouvement qui soutient l’utilisation du sport et du jeu comme outils

pour améliorer les vies des populations issues des communautés « en voie de

développement » » (Darnell, 2007)2. L’avantage de cette définition consensuelle est

d’accorder la majorité des chercheurs sur l’objet d’étude. Corollairement, il n’évite pas l’écueil de l’imprécision et cette définition désigne une réalité plurielle, aussi bien dans la mise en application des programmes de développement par le sport que dans leurs objectifs recherchés.

2. Institutionnels, privés, scientifiques : les acteurs du développement par le sport

Sans prétendre à rendre compte de la totalité du secteur, on peut en recenser certaines manifestations concrètes. On distinguera trois types d’acteurs du développement par le sport : institutionnel, organisation non gouvernementale (ONG) et universitaire. Chacun de ces acteurs contribuent à la structuration d’un nouveau champ spécifique.

C’est à l’aune du vingt-et-unième siècle que le mouvement commence à se doter de structures institutionnelles. Si la genèse du phénomène précède cette période, l’adoption en 2000 par l’Organisation des nations unies (ONU) des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) en fait figure de catalyseur. À partir de cette date, l’ONU prend conscience du potentiel du sport dans la réalisation des OMD. En 2001, elle nomme Adolf Ogi Conseiller spécial pour le sport au service du développement et de la paix. En 2003, l’Assemblée Générale de l’ONU adopte la résolution 58/5 dans laquelle elle se déclare « consciente du rôle important que

peuvent jouer l’Organisation des Nations Unies et ses fonds et programmes, ainsi que l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

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[UNESCO] et les autres institutions spécialisées dans la promotion du développement humain grâce au sport et à l’éducation physique » et par le truchement de laquelle

l’organisation décide de proclamer l’année 2005 « Année internationale du sport et de l’éducation physique », affirmant que « les Nations Unies se tournent vers le

monde du sport pour l’aider dans son travail en faveur de la paix et dans ses efforts vers la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement ».

Aujourd’hui, de nombreux fonds de programmes des Nations Unies - organes subsidiaires de l’ONU - utilisent le développement par le sport, en organisant ou en finançant des projets, dont le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), le Bureau du Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Les institutions spécialisées - organisations intergouvernementales (OIG) en théorie autonomes par rapport à l’ONU mais en pratique rattachées à elle par de nombreux accords – du système des Nations Unies se sont aussi emparées du phénomène, comme l’UNESCO, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ou encore l’OMS. Actives dans ce domaine, les agences onusiennes travaillent aussi en coopération avec des organisations internationales directement issues du milieu sportif, comme le Comité International Olympique (CIO) ou la Fédération International de Football Association (FIFA).

Les ONG sont aussi très actives. Pionnière dans le domaine, l’ONG canadienne Right to Play est présente dans une vingtaine de pays autour des thématiques de la santé, de l’éducation et du rapprochement des communautés. Rare structure française à œuvrer pour le développement par le sport, l’ONG PLAY International, anciennement Sport Sans Frontières, agit par exemple au Burundi dans les Villages ruraux intégrés (VRI) mis en place par le PNUD pour accueillir les réfugiés venant de Tanzanie. En Inde, l’ONG Magic Bus développe des activités physiques et ludiques pour tenter de sortir les enfants de l’isolement et les mener vers la scolarisation. La liste est longue, mais ces quelques exemples illustrent l’utilisation qui est faite du sport dans le domaine du développement par les ONG.

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Parallèlement à son déploiement sur le terrain, le développement par le sport est devenu un objet d’étude scientifique au début des années 2000 (Chapell, 2004 ; Giulianotti, 2004 ; Coalter, 2007 ; Levermore, 2009 ; Hartmann, 2011 ; Darnell, 2012 ; etc.). Aujourd’hui, le sport comme outil de développement constitue désormais un objet de recherche en soi (Hasselgard, 2015). Le sujet commence à être très documenté, en particulier au Royaume-Uni. La désignation du phénomène varie d’un auteur à l’autre : on le trouvera par exemple sous le nom de

« development through sport » (Coalter, 2007), « sport-in-development »

(Levermore et Beacom, 2009), « Sport for Development and Peace » (SDP) (Giulianotti, 2011). Les études les plus récentes paraissent s’accorder sur ce dernier terme (« Sport pour le développement et la paix » en français), reprenant ainsi la terminologie de l’ONU (Hasselgard, 2015).

Notre recherche a la particularité de s’intéresser aux prémices de ce mouvement, bien avant son explosion sur la scène internationale au début des années 2000. Même si c’est bien l’origine du SDP que nous étudions, le terme n’existe pas encore pendant la période qui nous intéresse. Afin d’éviter l’anachronisme, nous emploierons donc l’expression « développement par le sport » lorsque nous désignerons le phénomène antérieur aux années 2000.

3. Démarche intellectuelle et pertinence scientifique de l’objet d’étude

Afin de réduire la distance entre l’étude scientifique du SDP et son application pratique, de nombreux chercheurs appellent à une étude empirique du phénomène. Pourtant, une autre zone d’ombre persiste dans la recherche sur le SDP : l’étude de son émergence. En effet, peu de recherches interrogent les facteurs socio-historiques qui expliquent sa construction. Il nous paraît important de réaliser ce travail, dans la mesure où il permettrait de mieux appréhender la nature du phénomène et les tensions qui le traversent aujourd’hui. C’est donc dans cette démarche de mise en évidence d’une construction historique et sociale que nous nous plaçons pour appréhender le phénomène.

Pour étudier cette construction, nous avons choisi de franchir la porte d’une OIG pionnière et active dans ce secteur : l’UNESCO. En effet, elle en évoque les

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prémices dès les années 1960. D’autre part, l’UNESCO est, et a été, une organisation étroitement liée à la question du sport. Elle est « l’agence spécialisée des Nations

Unies chef de file pour l’éducation physique et le sport »3. Créée en 1976 à l’initiative de l’UNESCO, la Conférence internationale des ministres et hauts fonctionnaires responsables de l'éducation physique et du sport (MINEPS) est « un

forum qui facilite l’échange intellectuel et technique en matière d’éducation physique et de sport ». Cinq conférences MINEPS ont été organisées jusqu’à

aujourd’hui : Paris (1976), Moscou (1988), Punta del Este (1999), Athènes (2004) et Berlin (2013). La conférence MINEPS tenue à Paris en 1976 est à l’origine de l’adoption en 1978 de la Charte internationale pour l’Éducation Physique et le Sport qui proclame que « la pratique de l'éducation physique et du sport est un droit

fondamental pour tous ». Dans cette charte, l’UNESCO associe déjà le terme de

développement à celui de sport en affirmant que « l'éducation physique et le sport

doivent renforcer leur action formatrice et favoriser les valeurs humaines fondamentales qui servent de base au plein développement des peuples ». Le MINEPS

est aussi à l’origine du Comité intergouvernemental pour l’éducation physique et le sport (CIGEPS), établi en 1978 et constitué de représentants de 18 États membres de l’UNESCO. Il a pour objectif de « développer le rôle et la valeur du sport et

promouvoir son inclusion dans les politiques publiques ».

Aujourd’hui, le SDP est un des thèmes majeurs du programme de l’UNESCO pour l’éducation physique et le sport. Elle apporte son soutien - essentiellement financier et promotionnel - à des projets mis en place en Amérique centrale et en Afrique subsaharienne dont les objectifs sont divers : « promouvoir l’éducation

physique et la pratique du sport afin d’en faire un moyen de prévention contre la violence, la délinquance et la consommation de drogues », « utiliser le sport pour promouvoir une meilleure cohésion et une coopération dans les régions de l’Afrique de l’Ouest », « former (composante éducative, scolaire et sportive) les enfants au Sénégal » ou encore « mobiliser les jeunes par des activités d’éducation physique et sportive, en vue de les sensibiliser aux problèmes du VIH et du SIDA ».

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L’UNESCO, par son rôle pionnier et influent dans le secteur du SDP, apparaît donc comme un objet d’étude scientifique pertinent pour appréhender l’émergence de ce phénomène.

4. Question de recherche, problématique et hypothèses

Des explications précédentes découle donc la question qui guidera notre recherche : quels sont les facteurs socio-historiques qui expliquent la « mise à l’agenda » (Neveu, 2015, 156)4 du développement par le sport à l’UNESCO ?

Nous mobiliserons la théorie de la construction des problèmes publics pour cerner les procédés utilisés par les agents sociaux pour publiciser le phénomène que nous étudions. Selon la définition de Neveu (2015, 7), « un problème public naît de

la conversion d’un fait social en objet de préoccupation et de débat, éventuellement d’action publique ». Leur publicisation est le produit d’une entreprise de

« traduction », de « mise à l’agenda ».

Il existe plusieurs étapes, pas forcément chronologiques, dans la construction d’un problème public : l’identification, le cadrage, la justification, la popularisation et la mise en politique publique. Identifier un problème public, c’est percevoir, nommer et cibler une situation comme problématique. Cadrer est une opération qui consiste « à expliciter, à définir la nature et les contours des problèmes » (Neveu, 2015, 96). Justifier la gravité d’un problème public, c’est opérer « une montée en

généralité », « donner au discours de ses promoteurs une objectivité, une force qui le soustrait au statut de point de vue pour le sublimer en vérité indiscutable »

(Neveu, 2015, 127). Il existe deux registres de justification : l’un fondé sur l’objectivation chiffrée et le recours aux connaissances scientifiques, l’autre basé sur l’émotion. Le fait de populariser « combine les notions de vulgarisation, de

diffusion, d’amplification. L’opération ramène vers un concept signalé dès l’introduction, celui d’agenda. (…) Littéralement l’agenda est un ordre du jour »

(Neveu, 2015, 155). Enfin, la dernière opération, mais qui ne se vérifie pas toujours, est la prise en compte du problème par les autorités publiques, et donc la mise en

4 « La notion de mise à l’agenda se décalque de la notion anglaise d’agenda setting. Elle signale

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place d’une politique publique pour répondre à ce problème. Notre recherche tentera donc de rendre compte de ce processus et de ses différentes étapes jusqu’à l’apparition du développement par le sport « à l’ordre du jour ».

Créée à Londres le 16 novembre 1945, l’UNESCO a pour mission « de contribuer

au maintien de la paix et de la sécurité en resserrant, par l’éducation, la science et la culture, la collaboration entre nations »5. A ces fins, l’acte constitutif de l’organisation énonce une série de moyens pour y parvenir : favoriser « la

connaissance et la compréhension mutuelle des nations en prêtant son concours aux organes d’information des masses », imprimer « une impulsion vigoureuse à l’éducation populaire et à la diffusion de la culture », aider « au maintien, à l’avancement et à la diffusion du savoir ». A priori, ses missions ne prédestinent pas

l’UNESCO à s’intéresser aux activités physiques et sportives. Lors de la première Conférence générale de l’Unesco, tenue à Paris du 20 novembre au 10 décembre 1946, seule le représentant de la Nouvelle-Zélande évoque le sport, en ajoutant qu’il « présume qu’il n’entrera pas dans la sphère des questions culturelles auxquelles l’UNESCO s’intéressera » (Bosman, Clastres, Dietschy, 2006, 340). D’autre part, la question du développement, qui ne se pose pas encore en 1945, n’est, de fait, pas à l’agenda de l’institution. Pourtant, quinze ans plus tard, l’UNESCO met en place

« une coopération avec ses Etats membres et les organisations sportives internationales et régionales pour développer la contribution du sport à la compréhension internationale », guidée par une volonté de « revaloriser les peuples du Tiers Monde » (Maurel, 2006, 665).

Dans ce contexte, notre problématique tend à mettre en avant l’apparente absence de liens entre les missions de l’UNESCO lors de sa création et l’orientation qu’elles prennent en faveur du développement par le sport. Nous tenterons donc de reconstituer les processus sociaux et historiques qui ont contribué à la mise à l’agenda de la question du développement par le sport à l’UNESCO.

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Notre démonstration tentera de valider ou d’infirmer les hypothèses suivantes :

-   L’instrumentalisation politique des vertus du sport permet de justifier l’utilisation du sport comme outils de développement

-   L’influence du contexte international entraîne l’UNESCO à s’intéresser à la question du développement

-   Les « réseaux sociaux » (Lazega, 2014, 6) interorganisationnels à l’UNESCO ont

entrepris une mise à l’agenda du sport comme outil de développement

5. Cadre chronologique : 1952-1976

Notre sujet s’inscrit dans un cadre chronologique compris entre 1952 et 1976. En 1952 a lieu à Paris la 7ème session de la Conférence Générale de l’UNESCO. C’est à cette occasion que, pour la première fois, le sport s’invite à l’agenda de l’UNESCO. La borne finale de notre cadre chronologique correspond quant à elle à la conférence MINEPS I, qui s’est tenue à Paris en avril 1976, et qui considère dans son rapport final « qu’il y a lieu d’accroître la qualité et la valeur de l’Education

physique en tant que facteur de développement économique et social des pays ».

Cette conclusion paraît donc ancrer la question du développement par le sport à l’agenda de l’UNESCO.

6. Méthodologie : outils et limites

Pour mener cette recherche, la méthode directrice retenue a été celle de la socio-histoire. L’objectif de ce mémoire étant d’étudier la construction sociale et historique de l’émergence de l’intérêt de l’UNESCO pour le développement par le sport, les regards croisés de la sociologie et de l’histoire ont permis de répondre à cette ambition en ce qu’ils rejettent « la « réification » du monde social » et, combinés, offrent une perspective indispensable pour révéler « la genèse des

phénomènes qu’[ils] étudie[nt] » (Noiriel, 2006, 3 et 4).

Afin de comprendre les changements entrepris par l’UNESCO, nous nous sommes situés dans une démarche d’analyse du changement dans les organisations

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internationales telle que définie par Nay et Petiteville : « L’étude du changement

dans les organisations internationales suppose donc de croiser l’analyse sociologique des espaces bureaucratiques et l’étude des échanges interinstitutionnels entre les organisations et leur environnement, dans une perspective diachronique permettant de reconstruire des processus de transformation institutionnelle qui mêlent indissociablement des évolutions par paliers (ou par ruptures) et des dynamiques de changement graduel. » (Nay et Petiteville, 2011, 9-20).

Les données sur lesquelles nous nous sommes appuyés pour mener notre recherche sont issus des archives de l’UNESCO, situées au siège de l’UNESCO, 7 place de Fontenoy, dans le 7ème arrondissement de Paris, ainsi que sur sa plateforme en ligne d’archives numérisées, le catalogue AtoM (« Access to Memory », « Accès à la Mémoire »). L’étude s’est concentrée sur des notes internes, des publications officielles, des rapports d’assemblées générales, et des retranscriptions de discours. Elles nous ont permis d’évaluer les représentations de l’institution à propos du sport et du développement. L’étude des archives nous a aussi conduit à identifier les acteurs centraux de ce processus, les « entrepreneurs de cause » (Neveu, 2015, 41) qui ont joué un rôle actif dans la promotion du développement par le sport au sein de l’organisation.

7. Plan

Nous utiliserons un plan thématique pour développer notre réflexion. En effet, nous centrerons davantage notre regard sur une analyse systémique plutôt que périodique. Cependant, à l’intérieur de chaque partie, nous utiliserons un plan chronologique afin de mettre en évidence des paliers, des ruptures, bref des périodes différentes dans l’analyse de la mise à l’agenda du développement par le sport à l’UNESCO.

Dans une première partie, nous observerons les fonctions attachées par l’UNESCO au développement par le sport (I). Dans un second temps, nous analyserons le rôle et l’influence du contexte international dans la mise à l’agenda du développement par le sport à l’UNESCO (II). Enfin, nous nous focaliserons sur le rôle et l’influence des réseaux dans ce processus (III).

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I. Du sport au développement par le sport : les fonctions

sociales du sport

Dans cette partie, nous tenterons de mettre en évidence, via l’étude des publications, des discours et des procès-verbaux de réunions, les arguments, pratiques et théoriques, scientifiques et idéologiques, utilisés par l’UNESCO pour justifier l’utilisation du sport dans l’aide au développement. Quelles sont, selon l’UNESCO, les fonctions et les vertus attachées au sport qui permettent de favoriser l’équilibre individuel et collectif ? Sans nous inscrire dans un débat entre laudateurs et détracteurs du sport, nous voulons ici mettre en avant l’existence d’un discours sur les fonctions ou sur les « valeurs » du sport (Duret, 2001). Ce discours entretient une « réflexion en termes d’impact, d’efficacité voire d’utilité, réelle ou imputé » qui « emprunte ses catégories d’analyse au langage fonctionnaliste » (Defrance, 1995, 71). Son objectif est de mettre en évidence l’impact du sport sur la société et/ou l’individu.

1. Le sport comme outil social

Lors de sa première Conférence, en 1946, l’Assemblée Générale de l’UNESCO n’a quasiment pas abordé la question du sport. On ne préjugeait pas qu’elle puisse être un sujet de débat, de réflexion et d’action au sein de l’institution. Sans doute les liens entre le sport et « l’éducation, la science et la culture » n’étaient-ils pas assez évidents pour y voir un objet d’intérêt. Cette distance vis-à-vis du sport se confirme lorsqu’il est concrètement mis à l’ordre du jour en 1952, par l’adoption de la résolution 1.353. Celle-ci déclare : « Le Directeur Général est autorisé à conduire

une enquête auprès des Etats Membres et Organisations Internationales compétentes en vue de soumettre à la Conférence Générale, dans le cadre du projet de programme pour 1955-1956, des propositions précises concernant l’action que l’UNESCO pourrait entreprendre pour contribuer à développer et à améliorer la pratique du sport à des fins éducatives ». Quatre questions sont posées par ladite

enquête, à propos de la place du sport dans l’enseignement, la possible organisation d’une conférence internationale sur la question du sport, le rôle des manifestations

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de la conférence internationale à l’occasion des Jeux Olympiques (JO) de 1956 à Melbourne. Parmi l’ensemble des réponses envoyées par les Etats Membres suite à cette enquête, intégrer le sport à l’agenda de l’UNESCO ne fait pas l’unanimité. Bien que les réponses défavorables soient largement minoritaires, il convient de mesurer le poids et l’influence de ceux qui les énoncent : les Etats-Unis, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Pour les Etats-Unis, la question du sport est sans intérêt dans le cadre des missions de l’UNESCO. La position du Royaume-Uni est plus nuancée : au regard des faibles ressources de l’agence, il est nécessaire de privilégier d’autres sujets d’études. Enfin, les Pays-Bas considèrent que le rôle de l’UNESCO doit se limiter à la stimulation et au financement des organisations en charge des sujets liés au sport, sans en faire un sujet à l’agenda de l’organisation. Malgré ces quelques réticences, la majorité des Etats membres ayant répondu favorablement à l’enquête, l’organisation d’une conférence internationale afin de promouvoir « la pratique du

sport à des fins éducatives » est ancrée dans l’agenda de l’UNESCO.

La création du Conseil International de l’Education Physique et du Sport (CIEPS), en 1956, et la nomination de René Maheu en tant que Directeur Général de l’UNESCO, en 1961, semblent accroître l’importance accordée au sport au sein de l’institution. Le Trophée du Fair Play Pierre de Coubertin, mis en place par l’UNESCO, le CIEPS et l’Association International de la Presse Sportive (AIPS) en 1963, à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Pierre de Coubertin (1863-1937), afin de « récompenser des athlètes et des équipes, voire des publics, ayant

fait preuve d’un remarquable esprit sportif », en témoigne. Annonçant la création

du Trophée, devant la Conférence internationale réunie à Paris le 28 octobre 1963 par le CIEPS, René Maheu évoque sa compréhension de l’évolution du phénomène sportif et des défis auxquels il fait face : la démocratisation de la pratique, les défis de l’amateurisme et l’internationalisation du phénomène. Alors que des réflexions sont déjà engagées sur le rôle du sport dans l’éducation, et qu’il est déjà envisagé comme favorisant le « développement harmonieux de l’individu », Maheu se contente dans ce discours d’évoquer le sport en soi et non comme un outil de développement.

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A. Le sport, remède aux (r)évolutions des années 1960-1970

Dans les années 1970, le sport est pensé quasi philosophiquement comme un remède aux transformations contemporaines : urbanisation, mécanisation du travail, consommation de masse, etc. Le 24 août 1972, René Maheu prononce un discours à l’occasion des 20ème JO de Munich, dans lequel il conçoit le sport comme un facteur d’équilibre face aux changements du temps : « Dans une civilisation d’essence

intellectualiste et technologique, qui concentre l’excellence dans le cerveau et s’en remet pour le pouvoir à la machine, en un temps de démesure où abondent les distorsions de toutes sortes, ce facteur d’équilibre, de plénitude et d’harmonie est particulièrement salutaire ». Peu de temps après 1968, année de révoltes (France,

Prague, Mexique…), la civilisation occidentale manque de repères. Selon Maheu, le sport serait ainsi une sorte d’échappatoire, un lieu protégé des progrès dont il ne veut pas. Dans son discours, Maheu oppose l’homme, source de vertus, et la machine, symbole d’une destruction de la valeur humaine. Dans la vie quotidienne, celle du travail, l’homme est confronté à la technologie déstabilisante. Sur le terrain, seules les corps et la nature s’expriment : c’est réconfortant. Le Directeur Général de l’UNESCO appelle donc de ses vœux à une revalorisation de la place de l’éducation physique au sein de l’école : « Dans les programmes et les horaires de la plupart des

systèmes scolaires, l’éducation physique et le sport continuent d’être sacrifiés aux disciplines de l’intelligence, comme tant d’autres activités éducatives essentielles telles l’éducation esthétique, l’éducation sexuelle, l’éducation civique et la préparation à la vie sociale. Et c’est ainsi que se forme dès l’école l’homme unidimensionnel, dont la société bâtie par lui à son image ne fait que magnifier et institutionnaliser l’inhumanité malheureuse et cruelle ».

B. Le sport, formateur du « bon citoyen »

Dans son discours d’ouverture de MINEPS I, la conférence réunissant les Ministres en charge de l’éducation physique et sportive des Etats membres de l’UNESCO, qui se tient à Paris en mai 1976, prononcé par le Directeur Général de l’UNESCO, M. M’Bow, le ton change. Premièrement, le sport permettrait, par l’enseignement de valeurs, de former des citoyens. M. M’Bow lui reconnaît les

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valeurs suivantes : « le goût de l’effort », « le respect de l’adversaire », « le collectif », « le respect de la règle ». Ces valeurs, R.W. Jones les avait déjà identifiées dans son rapport sur le développement par le sport en Afrique (nous y reviendrons) : « Le

bon sportif, notait-il, sera aussi un bon citoyen. A travers les sports, il aura développé son sens de la responsabilité, sa capacité à coopérer, son sens du sacrifice, de la perfection, de l’efficacité ; il aura appris à obéir à l’esprit de la règle de manière loyale ; il respectera ses adversaires et gardera son calme et sa dignité en toute circonstance ». Cette fonction attachée au sport fait écho à sa

fonction intégratrice ou inclusive : l’objectif est d’intégrer le citoyen à la société.

C. L’idéal olympique : la paix par le sport

Le sport est aussi considéré comme un instrument de paix : « le sport peut et

devrait préparer les hommes à vivre ensemble dans un monde réconcilié », souhaite

M. M’Bow. Célèbre manifestation sportive internationale, les JO illustrent sans doute le mieux comment le sport peut être instrumentalisé à des fins de coopération et de pacification. En 1894, Pierre de Coubertin, secrétaire général de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA), préside le « Congrès International de Paris pour l’étude des questions d’amateurisme et du rétablissement des JO » à la Sorbonne. Deux ans plus tard, les « JO modernes » ont lieu à Athènes. Si les volontés réelles de Pierre de Coubertin concernent d’abord la vigueur et l’éducation de la jeunesse française, suite à la défaite de 1870 contre la Prusse, celui-ci prétend vouloir pacifier les relations internationales à travers les JO (Boniface, 2016). Par la suite, plusieurs exemples prouvent la mise en avant de cet idéal pacificateur associé aux JO. Dans sa résolution 48/11 du 25 octobre 1993, l’ONU répond à un appel du CIO en adoptant la Trêve Olympique. Issue de la tradition grecque de l’ekecheiria (« trêve »), créée au VIIIe siècle avant J.-C, les Nations Unies « exhorte[nt] les Etats

Membres à prendre l’initiative d’observer individuellement et collectivement la Trêve et à œuvrer pour le règlement pacifique de tous les conflits internationaux ».

En 1994, lors des JO norvégiens de Lillehamer, la Trêve est respectée à Sarajevo, ville assiégée de 1992 à 1995. En 2000, les deux Corée défilent pour la première fois sous le même drapeau lors des JO de Sydney, poursuivant ainsi le processus de paix enclenché par les gouvernements des deux pays. En 2004, l’UNESCO, lors de la 169ème

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session de son Conseil exécutif, entérine à son tour la Trêve olympique, notant que ce principe, au même titre que l’Olivier, la Torche et la Flamme olympiques sont des « symboles universels de paix et liberté, indissociables de l’idée de la paix et

de la coexistence pacifique mondiale ».

Cette vision pacificatrice du sport portée par les organisateurs des JO est la manifestation pratique de la théorie de pacification des mœurs d’Elias. Pour l’auteur, l’euphémisation de la violence dans les sociétés modernes, intériorisée dans les normes comportementales, se vérifie aussi dans le sport. Le sport serait alors un moyen de canaliser la violence guerrière des Etats en déplaçant la compétition dans les stades (Elias et Dunning, 1994).

D. Le sport au service de l’éducation

Troisièmement, l’éducation physique et sportive est abordée sous le prisme de l’éducation permanente, un concept développé par l’UNESCO à partir de 1960 et qui considère que l’éducation se réalise tout au long de l’existence de l’être humain, comme le rappelle M. M’Bow : « On n’a peut-être pas assez vu qu’il [le sport] fait

appel à toutes les facultés, réalisant cette unité fondamentale de l’homme dont la reconnaissance est à la base de tout humanisme (…) Nous voici donc parvenus, me semble-t-il, à un stade de la réflexion où un large consensus s’est établi dans le monde sur le concept d’une éducation permanente globale et démocratisée. Il vous appartient maintenant d’en dégager les incidences sur l’éducation physique et le sport ».

L’intérêt porté à l’activité physique dans l’éducation de l’individu puise sa source très tôt dans l’Histoire. Dès 387, à Athènes, au sein de son Académie, Platon enseigne la musique, la danse ou la gymnastique, avant même la littérature et les mathématiques. Guidé par une volonté de trouver une harmonie entre le bien et le beau, la morale et l’esthétique, l’esprit et le corps, il met l’accent sur la formation physique de ses élèves par des jeux éducatifs (Minois, 2006). On retrouvera ce principe beaucoup plus tard, au XIXème siècle, chez les penseurs du courant « évolutionniste », dont Charles Darwin et Herbert Spencer sont les figures de proue.

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La philosophie évolutionniste place l’expérience, et non la seule connaissance, de l’enfant au centre de sa théorie. Elle propose une nouvelle pédagogie fondée sur une méthode active et laisse place au jeu dans l’éducation (Ottavi, 2009). Toujours dans le souci de rompre avec une pédagogie classique, John Dewey donne corps à sa théorie en fondant une école atypique au sein de l’université de Chicago en 1896. Les élèves y apprennent par exemple à cuisiner, bricoler, travailler le bois et mener des projets concrets. Le cœur de la méthode Dewey, c’est l’expérience. Si le sport ne fait pas explicitement partie du programme de Dewey, l’expérience s’acquiert par la relation entre le corps et son environnement. L’école doit permettre l’épanouissement et favoriser la créativité des enfants, plutôt que lui inculquer des vérités absolues (Meuret, 2007).

Ces principes sont au cœur de la Charte internationale de l’éducation physique et du sport adoptée en 1978 par l’UNESCO. L’article 2 y affirme par exemple que « l'éducation physique et le sport constituent un élément essentiel de

l'éducation permanente dans le système global d'éducation ». En France,

l’importance de l’activité physique et du rapport du corps à son environnement dans l’éducation de l’enfant est reconnue avec l’instauration de programmes d’éducation physique et sportive (EPS) à l’école.

Malgré l’apparente évidence de ce constat, le rôle positif de l’activité physique dans l’éducation ne va pas de soi. En témoignent les nombreux débats institutionnels, pédagogiques et politiques auxquels s’est confrontée la disciplinarisation de l’EPS en France (Arnaud, 1983 ; Attali, 2002). Ces controverses ont aussi animé l’histoire de la discipline en Europe (Klein, 2004). Surtout, historiquement, l’instauration de l’éducation physique n’a pas servi uniquement des desseins pédagogiques. Son instrumentalisation politique au service d’idéaux militaires ou moraux est avérée (Attali et Saint-Martin, 2004).

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2. L’apparition d’un phénomène nouveau : le développement par le sport

Il faut attendre les années 1970 pour que le sport soit réellement envisagé comme un outil de développement. Dans cette orientation, le rôle de l’ONU est décisif. En effet, la Deuxième Décennie des Nations Unies pour le développement évoque déjà les limites d’une conception économico-centrée du développement, offrant ainsi un terrain favorable au développement centré sur l’individu. René Maheu a totalement conscience de cette opportunité. Il l’exprime le 4 mai 1971, à Paris, lors d’une allocution à l’occasion de la remise du septième Trophée international du Fair Play Pierre de Coubertin : « Quant aux pays en voie de

développement, ils découvrent que le sport n’est pas seulement un divertissement ; il peut contribuer efficacement à la promotion des ressources humaines (…) Tous ceux qui œuvrent pour le succès de la Deuxième Décennie des Nations Unies pour le développement, que l’on a placé sous le signe de la promotion des ressources humaines, devront tenir compte de tout ce que le sport peut apporter au progrès de l’éducation, de la culture et de la vie sociale ».

Pour affirmer cette certitude que le sport peut contribuer efficacement au développement des pays, René Maheu peut s’appuyer sur un rapport remis par Renato William Jones, détaché auprès du gouvernement de Libye par l’UNESCO et le CIEPS pour étudier le rôle du sport dans le développement des pays africains. Dans ses « Notes sur la situation des sports en Afrique, et sur le rôle dans la promotion du développement culturel, social et économique », R.W. Jones reprend une allocution tenue à Brazzaville, le 10 juillet 1965, dans laquelle il détaille les liens entre sport et développement : « La pratique du sport améliorera la santé de la nation.

L’exercice physique intense augmentera l’endurance et la capacité de résistance aux maladies et au stress. L’acquisition de compétences à travers la pratique du sport sera un atout pour la vie et le travail. Seul le sport est capable de créer et de protéger l’équilibre physique et psychologique de l’homme, menacé par les conséquences de l’industrialisation de l’urbanisation et de la mécanisation (…) Ce rôle encouragera efficacement le développement de la communauté tout entière. ».

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D’autre rapports, issus des recherches du CIEPS en Amérique Latine et en Asie, viendront confirmer les contours et l’utilité du développement par le sport. On en retrouve les conclusions dans le rapport final du MINEPS I : « Considérant qu’il y a

lieu d’accroître la qualité et la valeur de l’Éducation physique en tant que facteur de développement économique et social des pays, Recommande : que la coopération en matière d’éducation physique et sportive ait surtout pour but de promouvoir un développement endogène et se fasse à la fois entre pays industrialisés et pays en développement, et entre pays ayant atteint un même niveau de développement ; que l’Unesco étant le cadre le plus approprié pour mener à bien cette coopération multilatérale, les moyens de son activité dans le domaine de l’éducation physique et des sports soient renforcés en conséquence ». Repris dans la Charte internationale

pour l’éducation physique et le sport, le concept de développement par le sport est dès lors intégré à l’agenda de l’UNESCO.

A. Les fonctions du développement par le sport : prolongements actuels

Nous venons de le montrer, une vision fonctionnaliste du sport centre son regard sur ses vertus sociales. Deux rapports officiels, se démarquant par le volume de leur travail de justification de l’intérêt du SDP et l’autorité de leur rédacteurs, reprennent à leur compte cette conception du sport : le rapport « Le sport au service du développement et de la paix : Vers la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement », réalisé par l'Équipe de travail interinstitutions des Nations Unies sur le sport au service du développement et de la paix, rendu public en 2003 ; et son prolongement, le rapport « Canaliser l’énergie du sport pour le développement et la paix : recommandations aux gouvernements », préparé par le Groupe de travail international sur le sport au service du développement et de la paix (« SDP IWG » pour l’acronyme anglais), publié en 2008 à l’occasion des JO de Pékin. Selon leurs auteurs, le sport agirait positivement sur la santé, l’éducation, l’inclusion des femmes et des personnes en situation de handicap, le développement durable et la paix. Il serait donc un formidable outil pour l’aide au développement. Cette vision fonctionnaliste et idéaliste du sport constitue le socle idéologique sur lequel s’appuie aujourd’hui les concepteurs du développement par le sport. On peut donc en

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conclure à une vision volontairement biaisée du sport, et partant, à son instrumentalisation politique.

D’autre part, la relation entre sport et développement s’est imposée à la faveur des échecs des politiques guidées par une vision économique du développement (Lervermore et Beacom, 2009). En effet, les années 1970-1980 constituent un tournant dans l’aide au développement. Le constat d’échec des politiques menées jusqu’à cette période avalise la nécessité de renouveler l’aide au développement en centrant l’aide sur les droits humains plus que sur le système économique (Nay, 2010). En cela, le sport peut être un adjuvant utile.

Troisièmement, les études de cas sur les programmes de développement par le sport s’accordent sur le fait que ces dispositifs s’adressent à des publics traditionnellement exclus de l’aide au développement, notamment les jeunes (Crabbe, 2009) et les femmes (Nicholls, 2009 ; Saavedra, 2009).

Enfin, les dispositifs d’aide au développement utilisant le sport trouvent leur légitimité dans la reconnaissance du sport comme droit fondamental par les organisations internationales (Coalter, 2010 ; Darnell, 2012), à travers la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948) et la Charte internationale sur l’éducation physique et le sport de l’UNESCO (1978). Le nouveau cadre de l’aide au développement à parti des années 1980 facilite alors l’utilisation du sport comme outil de développement (Hasselgard, 2015).

B. Les limites du développement par le sport

Nombre d’auteurs en ont déjà identifié les limites de ce phénomène. La première tient à l’ambiguïté des finalités de certains programmes. S’agit-il de concevoir le sport comme un moyen ou comme une fin ? Coalter (2009) distingue deux catégories de dispositifs sous les catégories « sport plus » - la finalité est le sport - et « plus sport » - la finalité est le développement. Pour illustrer la première catégorie, Coalter prend l’exemple de Mathare Youth Sport Association (MYSA), créée en 1987 à Mathare, au nord-est de Nairobi, au Kenya. MYSA développe des

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programmes d’inclusion sociale à travers le football. L’auteur montre comment l’association lutte effectivement contre l’exclusion sociale et promeut la mixité sexuelle, mais dans un même temps permet aussi à l’équipe nationale de football de piocher dans un vivier de jeunes talents. C’est ici qu’il dégage une confusion des objectifs.

Dans une vision plus critique, Hartmann et Kwauk (2011, 286) estiment que

« l’un des défis les plus importants pour le secteur du SDP est lié à la vision du

développement lui-même »6. Les programmes d’aide au développement basés sur le

sport n’échappent pas à la critique du néo-colonialisme ou de l’ethnocentrisme qui est faite à la conception du développement en général et non au SDP en particulier. Trop souvent encore, les programmes de développement sont vecteurs des valeurs occidentales et reproduisent les stéréotypes de genre et d’origine ethnique entre les organisateurs et les bénéficiaires (Black, 2010 ; Darnell, 2009, 2010 ; Hartmann et Kwauk, 2011). Les auteurs appellent à une réflexion sur la vision du développement et demandent de privilégier une organisation non plus « top-down » mais «

bottom-up » : le bénéficiaire participe pleinement à la mise en place des programmes afin

de prendre en compte son point de vue et d’encourager son émancipation.

Enfin, Webb et Richelieu (2016) dénoncent une « construction des faits » pour légitimer l’efficacité du développement par le sport. Selon ces auteurs, l’impact du néo-libéralisme sur le fonctionnement des ONG aurait pour effet de conditionner les projets de celles-ci aux volontés de leurs bailleurs de fonds plutôt qu’aux besoins réels du terrain d’intervention. Dans cette perspective, les ONG du secteur du SDP doivent persuader les agences de financement de l’efficacité du SDP. Pour parvenir à cet objectif, les ONG ont donc recours à plusieurs éléments : une littérature conséquente, des experts et des « alliés locaux influents ». Cet ensemble d’adjuvants a pour rôle de prétendre que le SDP est efficace, sans pour autant le démontrer.

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La critique de Webb et Richelieu s’inscrit dans une limite plus large souvent relevée par plusieurs auteurs : le manque d’évaluation de l’efficacité des programmes de SDP (Coalter, 2006 ; Hasselgard, 2015 ; Levermore et Beacom, 2009).

« Il y a un besoin d’assembler les preuves, d’aller au-delà des évidences anecdotiques pour contrôler et évaluer l’impact des programmes de développement

par le sport »7 énonce, en 2006, un rapport de l’UNICEF consacré à l’évaluation des

dispositifs utilisant le SDP (Coalter, 2009). La récente apparition de ce type d’aide au développement explique que le terrain de l’évaluation soit encore à défricher.

Nous venons de montrer dans cette partie sur quelles justifications idéologiques reposent le développement par le sport. Nous allons maintenant observer l’influence du contexte international sur l’émergence de la question du développement par le sport à l’UNESCO.

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II. Le développement par le sport à l’UNESCO : entre influence de

l’ONU et stratégie d’adaptation

En tant qu’institution spécialisée des Nations Unies, l’UNESCO est l’élément d’un système plus large. Dans cette partie, nous tenterons de mesurer la part d’influence de ce système dans l’émergence de la question du développement par le sport à l’UNESCO. Il s’agit donc d’étudier les facteurs exogènes à l’organisation qui ont contribué au processus de mise à l’agenda du développement par le sport. Quelle est la nature des relations entre l’UNESCO et le système des Nations Unies ? Quelle influence le système onusien exerce-t-il sur les orientations de l’UNESCO ? Quels changements sur la scène internationale ont contribué à ce cette mise à l’agenda ?

1. Les relations de l’UNESCO avec le système onusien

L’UNESCO est une organisation intergouvernementale (OIG) appartenant au

système des Nations Unies. Quels sont les liens entre les deux entités ? Quelle est la marge d’autonomie dont dispose l’UNESCO vis-à-vis de l’ONU ?

A. Les missions variées du système onusien

L’ONU est une organisation internationale instituée par la Charte de San Francisco adoptée le 26 juin 1945 et entrée en vigueur le 24 octobre de la même année. Ses objectifs sont le maintien de la paix et de la sécurité internationales, la promotion des relations amicales entre les États et le développement de la coopération internationale en vue de résoudre les problèmes économiques, sociaux et culturels auxquels est confrontée la communauté internationale. L’enjeu de la réussite de l’ONU, dès sa création, est de faire oublier les « échecs de la Société des

nations (SDN), dans l'incapacité de faire face dans les années 1930 aux agressions bellicistes des puissances fascistes » (Châtaignier, 2008, 163). Les représentations

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d’une « communauté internationale » et l’ONU agit pour le maintien de la paix (Bertrand, 2009).

On oublie aisément sa mission consacrée aux problèmes économiques, sociaux et culturels. En effet, l’ONU est l’institution centrale d’un vaste réseau, appelé « système des Nations Unies ». Ce système est composé de programmes, fonds et institutions spécialisées aux missions diverses. Ces entités ont leur propre direction, leur propre budget et leurs propres États Membres. Les institutions spécialisées dépendent du Conseil économique et social de l’ONU (Ecosoc). On y trouve par exemple le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’OMS, etc. Parmi celles-ci se trouve l’UNESCO.

B. L’UNESCO, rouage du système onusien

Créée à Londres le 16 novembre 1945, l’UNESCO a trois ancêtres : l’Organisation de coopération intellectuelle (OCI), la Commission internationale de coopération intellectuelle (CICI) et l’Institut international de coopération intellectuelle (IICI). Leur objectif était, comme leur nom l’indique, de « favoriser la

compréhension internationale par le rapprochement entre intellectuels de différents pays » (Maurel, 2006, 32). On retrouve cette volonté d’agir sur les

« esprits » dans la devise de l’UNESCO : « Construire la paix dans l’esprit des hommes et des femmes ». La genèse de l’UNESCO préexiste donc à la création de l’ONU.

Pourtant, la relation entre les deux institutions montre une forte influence de l’ONU sur l’UNESCO : « L'UNESCO est une pièce, un rouage d'un système beaucoup

plus englobant : le système des Nations Unies. À ce titre, elle subit des influences non négligeables d'instances plus importantes, dont la fonction est de définir les grands axes d'une stratégie globale pour l'ensemble du système et de voir à son application » (Holly, 1981, 769). Théoriquement indépendante de l’ONU, il n’en sera

rien. L’UNESCO va suivre les orientations des Nations Unies, comme nous le verrons notamment pour la question du développement.

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C. Les OIG, des institutions dynamiques

Pour appréhender l’étude d’une organisation internationale, Nay et Petiteville (2011, 9-20) rappellent que cette forme d’organisation est avant tout une

« institution internationale », au même titre que « la diplomatie, le droit international, les régimes internationaux, voire l’équilibre des puissances et même la guerre ». Cette définition nous invite donc à considérer le terme « institution ».

Il faut d’emblée préciser le mésusage de ce terme, qui tend à le définir comme quelque chose de statique, quand son étymologie (du latin instituo, qui signifie « placer dans », « installer », établir ») reflète au contraire un processus de construction précédant une situation d’équilibre : « La prise en compte de la

dynamique de ce processus dans l’analyse évite de restituer le seul résultat figé de cette partition et de montrer que l’on est toujours en présence d’une dualité renégociable plutôt que d’une coupure formalisée entre l’instituant et l’institué »

(Tournay, 2011, 2). L’institution doit donc être comprise dans sa dynamique. L’étude des organisations internationales, dont nous appliquerons les méthodes d’analyse dans cette recherche, nous conduira donc à étudier la relation de l’UNESCO à son environnement pour en comprendre les variations d’orientation.

2. La question du développement à l’UNESCO : entre alignement sur la politique onusienne, intérêt stratégique et néocolonialisme

La vague de décolonisation qui s’opère à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’émergence du Tiers-Monde qui en découle vont bouleverser le contexte mondial. Ces changements ne sont pas sans conséquence sur les évolutions prises par l’UNESCO. Nous allons ici tenter de mesurer l’impact de ces conséquences dans l’émergence de la question du développement par le sport à l’UNESCO.

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A. L’alignement de l’UNESCO sur l’ONU

En 1949, le président des Etats-Unis évoque la question de l’aide au développement des pays du Tiers-Monde. Afin de concurrencer l’action isolée et l’hégémonie nord-américaine, l’ONU s’empare de ce mouvement la même année (Maurel, 2009). Ainsi est créé le « Programme élargi d’assistance technique » des Nations unies (PEAT) qui finance les projets de développement des agences onusiennes. Au milieu des années 1950, l’ONU promeut le concept de « développement communautaire » : un « ensemble de principes et de méthodes

destinés à susciter, parmi les membres d’une communauté, un intérêt pour le progrès matériel et social de celle-ci et la volonté d’en assumer la responsabilité »

(Maurel, 2009, 145-170). En 1956, Dag Hammarskjöld, le Secrétaire général de l’ONU, impose ce nouveau concept aux agences spécialisées : « l’Unesco se met alors

au diapason de cette évolution conceptuelle » (Maurel, 2009, 145-170).

Le véritable tournant s’opère à partir de 1960. En 1961, l’ONU lance la Décennie du Développement (19691-1970). En 1966, le PEAT fusionne avec le Fonds spécialisé des Nations Unies (FNSU) pour devenir le PNUD. Au sein de l’UNESCO, le Département des sciences sociales créé en 1961 un « Bureau d’analyse sur le rôle de l’éducation, des sciences, de la technologie et des communications de masse dans le développement économique ». L’intensification de l’aide au développement menée par l’UNESCO va notamment se traduire par la mise en place de programmes de lutte contre l’analphabétisme (Maurel, 2009). Loin d’être initié par l’institution elle-même, « ce tournant dans l’action de l’Unesco s’inscrit en fait dans le cadre

d’une évolution en ce sens que connaît l’ensemble du système des Nations unies, sous l’influence de l’évolution du contexte international, en particulier l’émergence progressive du tiers-monde et le phénomène des décolonisations » (Maurel, 2009,

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B. L’influence des agences de financement

Non seulement l’émergence de la question du développement à l’UNESCO est largement influencée par l’évolution de l’ONU, en outre la mise en œuvre de ses programmes de développement est étroitement liée au système de financement des organisation internationales du système des Nations Unies, Banque mondiale et FMI en tête. En témoigne le changement de vision appliqué au programme d’alphabétisation de l’UNESCO. Au sein de la Banque mondiale et du FMI, l’idée de « rentabilité économique » des programmes de développement va prédominer. L’alphabétisation de masse voulue par l’UNESCO va donc se transformer en « alphabétisation fonctionnelle » : lutter contre l’analphabétisation là où elle représente un frein au développement économique (Maurel, 2009, 145-170).

D’autre part, si les financements orientent la conception des programmes, ils représentent aussi une manne financière pour les institutions spécialisées de l’ONU. En effet, la mise en place de programmes de développement conduit à « une nette

augmentation du budget : alors que le budget annuel total de l’Unesco était en 1950 de 8 millions de dollars, il passe en 1960 à 13,7 millions de dollars auxquels s’ajoutent 4,5 millions de dollars au titre des fonds extra-budgétaires. Au cours de la décennie 1960 il connaît à nouveau une augmentation spectaculaire, puisqu’il passe en 1970 à 39,4 millions de dollars auxquels s’ajoutent 37 millions de fonds extra-budgétaires » (Maurel, 2009, 145-170). C’est dans ce cadre que l’UNESCO tente

de diversifier ses actions en matière de développement, « comme les arts et le sport,

conçus comme facteur de consolidation d’une culture commune pacifique » (Maurel,

2006, 656).

C. La question du néocolonialisme

Nous l’avons déjà évoqué, le concept de développement est sujet à critiques. Il en est une, tenace, qui lui reproche un fondement néocolonialiste : dans le contexte des décolonisations, le développement serait le moyen de garder un leadership et de promouvoir les intérêts occidentaux dans les anciennes colonies. En outre, les politiques d’aide au développement seraient biaisées par une vision

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ethnocentriste et, inconsciemment ou non, reproduiraient des préjugés racisants. Les programmes de développement de l’UNESCO, surtout dès l’origine de leur mise en place, n’échappent pas à ces critiques.

Par le prisme économique, Holly (1981) reproche par exemple aux programmes de développement de l’UNESCO une reproduction du mode capitaliste dans les pays du Tiers-Monde. Sous un autre angle, l’ethnocentrisme est aussi rapidement décelé. « L’éducation de base », premier concept de développement mis en place par l’UNESCO, « n’est pas exempte de paternalisme et d’une vision

condescendante à l’égard des populations auxquelles elle se destine ». Mis en place

en Haïti, le programme recèle « un sentiment inconscient de supériorité

occidentale » (Maurel, 2009, 145-170). Le sport véhicule aussi une telle approche.

Lorsque l’UNESCO s’en empare, elle multiplie les études et publications sur le sujet :

« le sport y est considéré comme un moyen de « développement de l’être humain », comme « un élément déterminant de la compréhension internationale », comme « un puissant facteur de civilisation » » (Maurel, 2006, 656).

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III. Le développement par le sport à l’UNESCO : le rôle et l’influence

des réseaux

S’intéresser à la construction d’un problème public, c’est porter « une grande

attention empirique aux acteurs, aux institutions, aux contextes historiques »

(Neveu, 2015, 8-9). C’est « être attentif à la construction de réseaux, de coalitions

» (Neveu, 2015, 17-18). Analyser avec précision la mise à l’agenda d’un problème

public c’est donc réaliser une analyse structurale.

En effet, une organisation possède ses logiques propres qui découlent des acteurs qui la composent. Elle est faite de différents organes, eux-mêmes composés d’individus, qui exercent une influence sur les orientations prises par l’organisation. Dans cette dernière partie, nous analyserons le rôle joué par les réseaux infra-organisationnels dans la mise à l’agenda du développement par le sport à l’UNESCO. Nous nous centrerons donc sur les facteurs de changement endogènes de l’UNESCO. Comment dialoguent les différents organes au sein de l’organisation et quels sont les jeux de pouvoir qui s’y opèrent ? Quels sont les individus qui ont joué un rôle remarquable dans l’émergence de l’intérêt pour la question du développement par le sport ? Quels ont été les processus internes qui ont contribué à sa mise à l’agenda ?

1. L’UNESCO, une « somme de personnes »

« Il faut évoquer un problème qui se pose sans doute dans l’étude de toutes

les grandes administrations : l’emploi, dans le cadre d’un tel travail, du terme « Unesco » apparaît ambigu et souvent insatisfaisant. En effet, l’Unesco, ce terme singulier, est inapte à désigner la multiplicité des acteurs qui la composent. L’Unesco est une somme de personnes qui ont des idées souvent divergentes. Lorsque l’on écrit « l’Unesco décide... », « l’Unesco fait... », cela peut désigner les délégués à la conférence générale, ou bien le directeur général, ou encore le conseil exécutif, ou enfin tel ou tel fonctionnaire du siège ou agent sur le terrain. Il y a là une ambiguïté, car il n’est pas rare que ces différents protagonistes n’aient pas les mêmes idées » (Maurel, 2006, 13). C’est donc ces « différents protagonistes » que

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A. Le recours à la méthode dite « organisationnelle » ou « structurale »

Pour comprendre les changements intervenus dans les orientations de l’UNESCO, il faut analyser ses « espaces bureaucratiques » et ses « échanges

interinstitutionnels » (Nay et Petitveille, 2011, 9-20). Pour ce faire, nous nous

appuyons sur la « méthode organisationnelle » : « L'analyse organisationnelle en

général cherche à savoir comment un champ d'action est structuré dans le temps par des stratégies d'acteurs et comment ces structures évoluent. Analyse stratégique et analyse de réseaux ont aussi le projet commun d'une connaissance du changement organisationnel et d'une dynamique des structures » (Lazega, 1994,

307).

Cette méthode s’appuie sur « l’analyse des réseaux », afin de passer « d'un

niveau d'analyse à un autre, en particulier du niveau intra-organisationnel au niveau interorganisationnel » (Lazega, 1994, 308). L’analyse organisationnelle étudie donc

le comportement des acteurs, leurs relations et leur interdépendance à l’intérieur d’une structure. Cette méthode prend en compte la « rationalité » des acteurs et s’intéresse à leurs « ressources », comme par exemple le « pouvoir » - « une relation

d'autorité, et non pas un attribut des acteurs, mais (…) aussi un effet de système, un avantage structural, un effet de la position des acteurs dans un ensemble où ressources et opportunités se distribuent inégalement » (Lazega, 1994, 304).

Cette « représentation simplifiée », « délibérément réductrice » (Lazega, 2004, 3), permet une meilleure explication et compréhension des changements organisationnels. Avant de pouvoir étudier une structure, il faut d’abord en définir les frontières : « justifier à la fois la délimitation de l'ensemble observé et les

relations auxquelles on s'intéresse » (Marsden, 1990, cité dans Lazega, 1994, 313).

Le comportement d’un acteur peut être étudié par le prisme de son intégration dans plusieurs réseaux (Lazega, 1994). En outre, des réseaux extérieurs à l’UNESCO influent sur le comportement des acteurs à l’intérieur de l’organisation.

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Aussi nécessaire soit-elle pour comprendre la mise à l’agenda du développement par le sport à l’UNESCO, l’ambition de représenter les réseaux de pouvoir au sein de l’organisation comporte des limites. En effet, il est impossible « de concevoir une étude de réseau social ou d’interpréter ses résultats sans une

connaisse ethnographique approfondie du milieu social étudié et ses dilemmes spécifiques d’action collective, connaissance acquise au moyen d’approches qualitatives classiques en sociologie, voire d’une phénoménologie des relations et de leur sens pour les acteurs » (Lazega, 2004, 14). Nous n’avons eu ni le temps, ni

les moyens de conduire une analyse aussi approfondie. Toutefois, à l’aide d’une étude des archives, nous pensons pouvoir identifier des acteurs et dégager des types de relations qui nous permettront d’interpréter des changements organisationnels.

B. « Bureaucrates » épistémocrates ?

Un acteur en particulier est essentiel : la bureaucratie - « Les « bureaucraties

» (…) sont souvent des lieux de réflexion et d’anticipation sur les problèmes publics. » (Neveu, 2015, 77). En effet, la bureaucratie d’une institution détient « une position stratégique pour saisir les mutations de leur secteur d’intervention », « des services de recherches très organisés » et les « hauts fonctionnaires y apparaissent bien comme le foyer de réflexions, de (re)définitions d’un problème ». La position

privilégiée d’une bureaucratie vient du fait qu’elle possède « un répertoire «

épistémocratique ». Il consiste à mobiliser expertise et autorité institutionnelle pour poser et imposer l’identification et les modes de définition d’un type de problème public » (Neveu, 2015, 77-80).

La bureaucratie de l’UNESCO paraît se conformer à ce constat. C’est en tout cas ce que démontre un article fouillé et documenté de Holly (1985), dans lequel il étudie le rôle de la bureaucratie dans l’orientation prise par l’organisation. Par « bureaucratie », il entend « l'ensemble des fonctionnaires d'une organisation et du

pouvoir qu'ils exercent. Dans le cas de l’UNESCO cela inclut, par exemple, le Directeur général, les membres de son cabinet, le directeur général adjoint, les sous-directeurs généraux, leurs adjoints et tous ceux qui à un titre ou à un autre exercent un contrôle ou une influence sur un aspect du programme. » (Holly, 1985,

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