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La fortune critique de Paul Morin, 1908-1958 /

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(1)

1908-1958

par Lucie DAVID

Mémoire de maîtrise soumis

à

la

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature francaises Université McGill

Montréal, Québec

Octobre .1992

(2)

LA FORTUNE CRITIQUE DE -PAUL MORIN

(3)

RESUME

L'oeuvre poétique de Paul Morin est peu connue et surtout rarement lue aujourd' hui. Pourtant, il es t le successeur dt~mile Nelllgan et d'Albert Lozeau. Paul Morin est l'un des premiers poètes canadiens-francais à publier en France et l'on a dit de son recueil Le Paon d'émail qu'il a été

à

l'origine de la très célèbre querelle des régionalistes et des "exotiques" au Canada francais. Malheureusement, son oeuvre, figée par les réactions négatives de son premier public critique, souffre toujours de discrédit.

Ce mémoire passe en revue la réception critique qui a accueilli les deux premiers livres de Paul Morin Le Paon dt émail (1911) et Poèmes de cendre et d'or (1922), et tente de comprendre le sort fait à l'oeuvre jusqu'à l'aube des années 1960.

(4)

ABSTRACT

The poetical works of Paul Morin are not very weIl known, and are rarely ever read today. And yet, he was the successor of Emile Nelligan and Albert Lozeau. Paul Morin is one o[ the first French Canadians to publish his works in France and it

was said of his collection of poems Le Paon d 1 éma~l that ~t was the spark that igni ted the famous "Querelle des régionalistes et des exotiques" ln French Canada. Unfortunately, the negative reactions of sorne of his first cri tics, were ta determine for a long time thoses of future generations.

This thesis focuses on the critical reception of Paul Morin 1 s first twa published bocks : Le Paon d' émail (1911) and Poèmes de cendre et d' or (1922), and attemps as weIl to retrace their critical fortunes up until the beginning of the sixties .

(5)

Je tiens tout d'abord

à

remercier mon directeur de memOlre, le Professeur Francois Ricard, pour sa patience et la minutie avec laquelle i l a lu mon mémoire. Je dois

à

ses judicieuses remarques, les améliorations que j ' a i apportées

à

mon texte.

Toute ma reconnaissance va aussi à Louise-Marie Bouchard, pour son encouragement et ses conseils dans la poursui te de mes recherches.

Enfin, je remercie Mme Lise Longpré et M. Stéphane Longpré, ainsi que mes parents pour leur obligeance et leur patience.

(6)

...

TABLE DES MATIERES

(7)

1. Problématl.que... 2

2. Approche . . . 3

3. Corpus . . . 4

t-lotes. . . . . . . . . . . . . . . . .. 7

CHAPITRE PREMIER "IDOLE OU TÊTE DE TURC"? (1908-1912) 1. Avant la parution du Paon d'émail . . . 9

2. Le Paon d'émail (1911-1912) . • . . • . • • • . . • • . • • • • . • • • • 13 a) L'effet de bombe . . . 13 b) La forme magnifique . . . • . . . 20 c) L'inspiration suspecte . . . • . . • . . . • . . . 23 3. Conclusion . . . _ . . . j2 Notes ... 33 , ~ CHAPI'I'RE DEUXIEME : LA CONSECRATION (1913-1925) 1. Paul Morin et le développement de "l'école exolique" . . . 38

2. Le Nigog et l'apogée de la Querelle des régionalistes et des "exotiques" . . . 42

3. Po~mes de cendre et d'or: le respect (1922) . . • • . • 46

4. La consécration . . . 50

5. Conclusion . . . 54

Notes . . . 55

, CHAPI'I'RE TROISIEME : VERS L'OUBLI (1925-1958) 1. Paul Morin se "manuélise" . . . 59

2. La critique canadienne-anglaise - une critique unanime . . . 65 3. L' cub 1 i (1 940 -1 958 ) . . . • . . . • . . . 67 Notes ... 72 CONCLUS ION. . . • • . . . • • • • • • • • • • • • . . • • • • • • • • • • • • ••••••• 75 Notes ... e . . . 78 BIBLIOGRAPHIE Plan ... 80 ~vertissement . . . • . . . 81

1. Ecrits de Paul Morin . . . • . . . 82

2. Études sur l'oeuvre de Paul Morin . . . 92

3. Ouvrages de référence . . . 120

(8)

"Pays de l'érable, Pays misérable,

Qu'as-tu fait de moi?"

PAYS DE L'ÉRABLE ...

XIIIe (et dernier) Nocturne. PAUL MORIN

(9)
(10)

2 1. problématique

Paul Morin est un poète presque incunnu aujourd' hui. Pourtant i l est le successeur immédiat d'Émile Nelligan et d'Albert Lozeau et l'un des premiers poètes canadiens- francais

à publier en France. Son nom figure dans la pluparl des an1:hologies PC des manuels d' histoire l i ttéraire du Canada frar.cai c-: son oeuvre a fait l'objet d'un grand nombre

d'articles critiques, ainsi que l'illustre notre bIbllogrclphle de quelque trois cents titres. Cependant, il est élonnanl de constater que très peu de recherches lmportantes onl été

entreprises sur Ini,

à

l ' eXCE'ptlon de deux étude!.~ délà anciennes: la thèse de doctorat de Jean-Paul Morel de la Durantaye, Paul f>1orin, l ' homme et l ' ot;uvr~, et le mérnoJ re de

Paul Morin. Issue d'une période souvent méconnue par la critique et l'histoire littéraires québécoIses, la poésIe de Paul Morin souffre encore aujourd'hui de dlscrédit.

Dans ce mémoire, nous avons vouJu étudier le rôle de la critique dans ce discrédit, ainsi que la fortune critique qu'a connue l'oeuvre du poète. Pour cela, nous avons entr~prlS

d'analyser la réception de l'oeuvre poétique de Paul Morin à

travers les nombreux commentaires qu'elle a susci tés et de reconstruire les rapports de l'oeuvre a ses destina lal res successifs, en tenant compte des modifications de l'"horlzon

(11)

d'attente" dans lequel cette oeuvre a été lue dep'Jis sa parution au début du siècle jusqu'à l'aube des années soixante environ.

2. Approche

Notre étude, puisqu'elle porte sur la réception critique, s'inspire tout naturellement des thèses de Hans-Robert Jauss, selon qui il est essentiel pour décrire la réception critique d'un auteur de reconstituer,

à

l'aide de textes critiques de l'époque, l'horizon d'attente de son premier public ainsi que celui de ses publics successifs. La notion d'horizon d'attente telle que définie par Jauss et

à

laquelle nous nous référons dans ce mémoire se formule comme suit :

[ ... ] le système de ~éférences objectivement formulable qui, pour chaque oeuvre au moment de l'histoire où elle apparaît, résulte de trois facteurs principaux: l'expérience préalable que le public a du genre dont elle relève, la forme et la thématique d'oeuvres antérieures dont elle présuppose la connaissance, et l ' opposi tion entre langage poétique et langage pratique, monde imaginaire et réalité quotidienne.'

L'horizon d'attente est évidemment différent pour chaque période étudiée. Nous avons donc cherché pour chacune de ces périodes ]a mesure dans laquelle l'oeuvre de Morin se conformait

à

la norme esthétique et/ou idéologique régissant son public on s' en écarta~t au cOlltraire de manière significative.

(12)

4 3. Corpus

La réception critique de l'~euvre de Paul Morin commence dès les premières années du vingtième siècle - avant même, comme on le verra, la publication du Paon d'émail en 1911 - et elle se prolonge jusqu'à aujourd' hui. Nous avons choisi toutefois de limiter notre étude diachronique

à

1958, année de parution du seul ouvrage entièrement consacré à Morin, le petit "Classique canadien" de Jean-Paul Plante. Cette décision se justifie par le fait que la Révolution tranquille, étant donné l ' ébulli tion et les ruptures qui la caractérisent, inaugure une époque tout à fait nouvelle dans la littérature et la critique québécoises, epoque qui, sur le plan idéologique aussi bien qu'institutionnel, n'aura plus grand-chose à voir avec les années antérieures. Il nous a donc semblé préférable, pour préserver l'unité et les dimensions raisonnables de notre étude, de nous en tenir aux années 1908-1958, quitte

à

poursuivre plus tard notre analyse pour la prolonger jusqu'à l'époque actuelle.

Cela dit, les cinq décennies étudiées ici offren t, n

propos de la poésie de Morin, une telle abondance et une telle variété de commentaires qu'il a été nécessaire de les diviser en trois grandes périodes, dont chacune correspond à la fois

à

une phase particulière dans l'élaboration de l'oeuvre de

(13)

Morin et à une étape caractéristique dans l'évolution de la critique et du goût littéraires au Canada fzancais2.

La première période va de 1908

à

1912. Elle correspond

à l'accueil réservé

à

quelques poèmes de Paul Morin publiés

dans les journaux et les revues mais surtout

à

la sortie du Paon d'émail en 1911 et

à

sa réédition en 1912. La deuxième période, allant de 1913

à

1925, est celle de la publication de Poèmes de cendre et d'or et de la consécration de Morin par l' obtenti.on du prix de l'Action intellectuelle et du prix David en 1923. De 1925

à

1958, la troisième période se caractérise par l'oubli grandissant qui recouvre peu à peu le nom et l'oeuvre de Morin. Celui-ci publie quelques poèmes mais disparaît de la vie littérai.re canadienne-francaise. Néanmoins, durant cette période, plusieurs essais de la cri tique "académique" voient le jour et la poésie de Morin prend place dans les manuels d' histoire ) i ttéraire et les antholog~p.s de poésie canadienne-francaise, canadienne-anglaise et même francaise.

Il convient de rappeler que notre corpus se compose d'articles cri tiques appartenant

à

plusieurs genres, dont l'essai littéraire, le livre de critique littéraire, le compte rendu, etc. Les articles retenus proviennent aussi de sources

.

très di verses comme les revues et les journaux mais aussi d'anthologies de poésie, de dictionnaires de la littérature,

(14)

6 de recueils de textes critiques, de manuels d'histoire li ttéraire. Quoiqu'il existe des différences importantes entre ce qu'Albert Thibaudet 3 appelait la cri tique "spuntanée" ou journalistique, d'une part, et la critique "professionnelle" ou universitaire, d'autre part, nous n'avons pas tenu compte de cette distinction ici, puisque c'est un des trai ts de la cri tique canadienne- francaise que de n'avoir guère connu une telle opposition avant l'époque de la Révolution tranquille, sinon avant les années soixante-dix et quatre-vingt 4 .

Devant la quantité d'articles parus durant la période 1910-1958, il a fallu mettre de côté certains textes, souvent trop brefs, ou tout simplement descriptifs voire merne publicitaires. Ces articles, toutefois, se retrouvent dans notre bibliographie, que nous considérons comme un des résultats les plus utiles de notre travail .

(15)

NOTES ~ 1 . 2. 3. 4 .

H.-R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Éditions Gallimard, 1978, p. 49.

Voir Jacques Allard, "Brève histoire de la critique littéraire au Québec", dans Traverses, Montréal, Boréal, 1991, p. 15-74.

Voir Albert Thibaudet, Physiologie de la critique (1930), Paris, Nizet, 1962, 215 p.

(16)

Chapitre premier "IDOLE OU TÊTE DE TURC"?

(17)

1. Avant la parution du "Paon d'émail"

Avant la parution du Paun d'émail en novembre 1911

à

Paris, quelqu~s poèmes et une nouvelle, Le chef d'orchestre, de Paul Morin paraissent dans des revues et des journaux du Québec. Ces pièces passent inapercues. Seul un certain Zoile, que la poésie de Paul Morin inquiète, critique immédiatement "Sonnets Agrestes: Aurore - Crépuscule", dans Le Canadien du 25 mai 1907.

Zoile remarque que "les vers sont bien tournés la facture en est originale et le tout sonne bien. "' "L'auteur a du souffle et cisèle assez gentiment son alexandrin [ ... ] i l a d'excellentes qualités, i l a de l'envol".2 Mais aussitôt vient la réserve : cette poésie n'est pas canadienne.

"e'

est même flamand, belge, breton, picard, champenois et normand beaucoup plus que province de Québec [ ... ]. ,,3

Seulement, il faut qu'on se donne la peine personnelle d'aller aux renseignements pour savoir que M. Paul Morin est un jeune compatriote : rien dans ses deux sonnets ne le révèle et tout, au contraire, y laisserai t croire qu'on est en face d'une importation. 4

Zoile termine son article en suggérant au jeune Morin de

Il [lâcher] une fois pour toutes les poètes francais"S et de "se

[familiariser] avec les moeurs, les coutumes, les traditions du pays canadien. Qu'il voyage un peu; qu'il fasse des tours d'étude dans nos bois et nos montagnes. 116

(18)

10 Paul Morin réplique "Du Tac au Tac" dans Le Nationaliste du 2 juin 1907. Je ne suis pas précisément "casanier", di t-il, et je refuse de "lâcher" les poètes francais. Quant

à

sa source d'inspiration, il précise "Je r. 1 avais nullement l'intention de parler du Canada. J'al passé de récentes et délicieuses vacances en Bretagne et dans cet é'utre paradis qui s'appelle la Brie. ,,7 Il ajoute, narquois

Enfin si j'ai bonne souvenance de l'histoire de la 1:':. ttérature grecque qui me fut inculquée .. , il n' y a pas bien longtemps, Zoile étai t un monSle·..lr peu à irr.i ter. Le dictionnaire, petit livre fort utile ... m~me aux critiques, vous dira : "Zoile critlgue envieux et méchant." Je n'ai, moi, nul droit de critiquer sur des suppositions hypothétiques, mais avouez que, devant votre p:eudoné'me, on a le droi t de rester ... reveur.

c'est la seule fois que Paul Morin répond, par le biais des journaux,

à

la critique de ses écrits.

Autre fait intéressant

à

souligner : le 25 octobre 1908 paraît dans Le Nationaliste une parodie d'un sonnet de Paul Morin. Le poème est signé Pauline Morinette. 9 René Chopin, un ami personnel de Paul Morin, prend alors la défense du poète et réplique

à

ce mauvais plaisant in dans "Lettre Pauline" dont voici un extrait :

Non, Pauline, il sied mal

à

une jeune fille de manier l'arme acérée de la critique, et surtout, après l'éreintement d'éclater d'un rire vulgaire afin d'encourager les autres à

faire de même. [ . . . ] Ne sais-tu pas, méchante,

, a

(19)

que tu fis là chose vilaine! [ ... ] Le poète ne méritait pas cette rancune injustifiable ; i l voulait, dans "Nocturne", nous faire entendre la rare harmonie des cloches et des lointaines rumeurs qui bercent le sommeil d'une ville, au Moyen-Age. Il Y a réussi. 10

Pauline Morinette répond à René Chopin :

[ ... ] j'ai poussé l'audace jusqu'à insulter au divin génie de notre illustre poète national, Paul Morin. [ ... ] Eprise d'une admiration aveugle pour le Grand Maître, j'ai essayé de l'imiter: dans tous les chefs-d'oeuvre qu'il mettait au jour, je remarquais chaque fois des inversions à l'envers du bon sens, des enjambements qui dépassaient tout ce qui s'étai t encore vu dans le genre, des contractions, des élisions, ~nfin je n'y pouvais plus et j'essayai de faire la même chose, mais c'est là que je me suis rendu compte du prestige qu'exerce sur le siècle l'illust~issime poète, Paul Morin, ce qui chez moi n'était que vulgaire faute d'orthographe ou de prosodie étai t chez ce grand homme licence poétique admirée et goûtée de tous les connaisseurs. Tl

Un autre lecteur répond à René Chopin. Il signe Renée C.

Peu

Mademoiselle Pauline pense, comme beaucoup de monde, que la poésie n'est pas seulement dans la forme. Que M. Morin mette son égoïsme de côté et, s ' i l écrit pour une prétendue élite, qu' i l tâche de penser aux nombreux humbles d' espri t comme moi quand nous lisons des vers, nous n'aimons pas à courir après le sens.12

,

apres, Paul Morin décide de publier sous le pseudonyme de Claude Hélian. Quatre de ses poèmes paraissent écrits sous ce nom d'emprunt, dans Le Nationaliste de 1910 : "Douceur de la maison pénible", "Le soir clair", "Stamboul" et

(20)

12

"Galata". Puis, dans Le National iste toujours, Persarl [Marcel Dugas] annonce la sortie prochaine du Paon d'émail. Il écrit:

Notre Robert de Montesquiou-Fezensac, al ias Claude Hélian, imprime. Son livre portern le titre de: "Le Paon d'émail" et sera enluminé par des aquarelles de l'auteur. Pas très convaincu de cet te nouvelle théorie de la modestie du livre qu'~n grand homme de plume canadien tente d'édifier, il a jeté les yeux sur l'imprimeur du "Mercure de France". Son livre,

à

n'en pas douter, sera attendu avec une fébrile impatience par tous les gourmets dl art. 13

Enfin, le 16 décembre 1911, Le Nationaliste publie "Album dl Italie : Absence et Le Coquillage,,14, deux poèmes signés Jean-Louis Vaudoyer. Trop de simili tudes nous font penser qu'il s'agit, une fois de plus, de l'oeuvre d'un détracteur. Il faut relire ces pièces et les comparer a , "Adieux a , Venise" 15 et à "Lagune" 16 de Morin pour n'en plus douter.

En somme, dès avant la parution du Paon d'émail à Paris, les pièces du jeune poète causent des remous au Canada francais. Il est critiqué et même parodié. L'interprétation de son premier cri tique 1 Zoile 1 est s igni fica t i ve, car en

célébrant la forme et en déplorant l'inspiration, il trace la voie aux tenants de la critique conservatrice et nationaliste qui reprendront et développeront avec ampleur A

ces memes arguments. En un sens, on peut dire que le décor est déjà fixé pour la réception du Paon d'émail, en 1911-1912, et pour la vaste polémique qu'il va susciter.

(21)

2. Le Paon d'émail (1911-1912) a. L'effet de bombe

Le Paon d'émail sort donc

à

~aris aux Éditions Lemerre en novembre 1 911 . Paul Morin est parmi les premiers poètes canadiens à publier en France. Avant lui, i l y a eu, de Louis Fréchette, Les Fleurs boréales

poésies canadiennes 17 en 1881

Les Oiseaux de neige d'Albert Lozeau, L'Âme solitaire: poésle18 en 1907; peu après lui viendront, de Jean Charbonneau, Les Blessures 19 en 1912, de René Chopin, Le Coeur en exi121 en 1913, de Charles Guérin, Le Coeur solitaire 21 en 1921 et, de Simone Routier, Les Tentations 22 en 1934.

Le Paon d'émail regroupe une centaine de pièces, où la recherche de l'image neuve, de -la rime rare et des rythmes imprévus est à l ' honneur. Le recueil se di vise en cinq

;

parties : Marbres et Feuillages, Hellas, Epigrammes, Silves Francoises et Le Reflet du Temps.

Selon H.-R. Jauss, l'écart esthétique se mesure à l'échelle des réactions du public et des jugements de la critique. Ainsi, on peut évaluer l'importance de cet écart par l'intensité de son effet sur la critique de l'époque. Il est donc pertinent de se demander quel effet a produit la parution du Paon d'émail au Canada francais et en France et quel a été le discours de la critique sur Paul Morin.

(22)

14

La réaction au Canada francais est immédiate et abondante. Jules Fournier est le premier à reconnaî tre officiellement le jeune poète,

à

qui il consacre un long article élogieux dans L'Action. 23 Cet article sera d'ailleurs repris plus tard dans son Anthologie des poètes canadiens de

1920. 24 Dans les semaines qui sui vent, tous les journaux d'importance La Patrie, La Presse, Le Devoi r, Nationaliste - consacrent des articles au recueil de Paul Morin, ce que font aussi des revues comme la Revue Canadienne, La Nouvelle-France, le Bulletin des recherches historiques et Le Propagateur.

D'abord, il Y a un mouvement journalistique chaleureux, amorcé par le clan des amis du poète. Le premier, Jules Fournier, dans L'Action du 30 décembre 1911, s'exclame: "Un grand poète nous serait-il né?"25 Ensuite, Marcel Dugas fait parvenir de Paris un article élogieux, qui parait dans L'Action du 6 janvier 1912 :

[ ... ] c'est en tremblant d'émotion que nous avons ouvert le livre de M. Paul Morin. Au-dessus des syllabes chantan tes, nous percevions le cri de notre jeunesse dévorée par le rêve et l'ardeur de vivre. Même, un moment, sous l'oppression accablante des souvenirs, nous restâmes la joue collée aux feuillets tremblants. 26

Dans Le Nationaliste, Léon Lorrain commente lui aussi Le Paon d'émail en termes particul~èrement flatteurs:

(23)

Nous, Canadiens-Francais soucieux du bon renom de nos lettres, devons aussi

à

M. Paul Morin de la gra ti tude, parce qu'il a affiché sa nationalité dès le début de son volume. Il a paru déjà des bouquins qui ne nous font pas honneur: celui-ci en rachètera plusieurs. Il est une consolation ; c'est, en même temps qu'un beau livre, une bonne action. On y

trouve les qualités qui nous manquent généralement et l'on y remarque l'absence de nos défauts coutumiers. 27

15

Le ton est donné. Le Paon d'émail est accueilli avec enthousiasme par un certain milieu littéraire montréalais. "On a Colette, dans La Presse du 27 janvier 1912, écrit

déversé l'éloge avec tant d'abondance [ ... ]".28 Dans La Patrie du même jour, Madeleine note

l'oeuvre de M. Paul Morin.,,29

"On a beaucoup exalté

Bientôt, toutefois, une première voix discordante se fai t entendre, celle de Edmond Léo. Dans Le Devoir du 10 janvier

1912, celui-ci constate l'accueil louangeur fait au Paon d'émail mais le trouve démesuré

On a fait bon accueil

à

ce livre qui contient de belles promesses et en tient déjà de remarquables. Pour le louer, on a été jusqu'aux notes les plus élevés de la gamme laudative. On a versé dans l'exagération. Nous devons encouragement et sympathie sincère au jeune talent, mais aussi la vérité.30

A ceux de Léo viendront s'ajouter des commentaires désapprobateurs de certains critiques académiques qui publient. surtout dans les revues littéraires importantes. Adjutor

(24)

16 Rivard, le premier, tente de renverser la vapeur. Il écrit dans Le Bulletin du parler francais au Canada: "On a fai t du recueil de M. Paul Morin des éloges considérables et mérités; on en a fait aussi d'excessifs et d'exagérés. ,,31 Puis, en mars 1912, Émile Chartier, le critique le plus virulent de Paul MorIn, s'attaque avec mordant aussi bien

à

l'idéologie qu'à l'esthétique du recueil.

Peu après, Camille Roy, dont l'influence atteint alors son zénith 32 et de qui Émile Chartier dira qu'il semble être, au Canada, "l'unique représentant de la Crl. tique"33, publie

dans La Nouvelle-France un article désapprobateur où il écrit notamment: "[ . . .

l

la qualité même de l'inspjration poétique nous semble appeler les plus fortes réserves."34

Finalement, le Père Louis Lalande, dans le Bulletin des recherche~ historiques, rappelle l'effet de surprise provoqué par Le Paon d'émail et ajoute

Ce qui distingue le Paon d'Emall, comme d'ailleurs la plupart des recueils de ce genre, ce ne sont pas les idées qui s'y trouvent on ne les cherche pas là d'ordinaire - mais la forme donnée aux idées que [sic] ne s'y trouvent guère. 35

Le recueil a donc l'effet d'une bombe. Il suscite de vives réactions et divise la critique, qui se partage globalement en deux positions typiques et ~

opposees . Un premier groupe de critiques, appartenant a , l'élite

(25)

intellectuelle avant-gardiste et dont les critères sont aVçnt tout esthétiques, accueille par un concert de louanges les qualités formelles du Paon d'émail (M. Dugas, J. Fournier, L. Lorrain, Colette, Maùeleine). L'autre groupe, celui de l'élite conservatrice qui publie dans les plus importantes revues de l'époque et dont l ' espri t est assez ouvert pour s'intéresser

à

la nouveauté, condamne néanmoins l'ouvrage et son auteur qui lui semblent aller

à

l'encontre des valeurs morales et nationales

~

(C. Roy, E. Chartier, E. Léo, L. Lalande, A. Rivard).

Certes, Paul Morin est le premier conscient de l'écart esthétique qui le sépare de la production littéraire du Canada fra~cais.

rI

l'écrit alors

à

son ami, George Vanier :

[ ... ] - on,me reprochera le manque de poèmes relatifs a ce que les poètes canadiens appellent de l'abominable nom de "terroir" -. On me reprochera bien d'autres choses! tant pis je niai voulu faire qu'une chose donner au Canada littéraire une impulsion vers une littérature non exotique, non "extranea", mais exotisée dans ce sens que le poète peut traiter de Damas ou de Nuremberg sans faillir à son devoir national, et que le monsieur qui dit harmonieusement une bucolique de Virgile est aUSSl louable que celui qui célèbre des

Ormeaux. 36 .

Scandaliser la critique était quelque chose de risqué et Paul Morin semble avoir pressenti les difficultés qui l'attendaient quand il écrivit, dans Le Paon d'émail, le

(26)

18 dernier poème : "A ceux de mon pays". A son premier public, Paul Morin promettait de chanter, un jour, la terre natale:

Et si je n'ai pas dit la terre maternelle, Si je n'ai pas chanté

Les faits d'armes qui sont la couronne éternelle De sa grave beauté,

Ce n'est pas 9ue mon coeur ait négligé de rendre Hommage a son pays,

Ou que, muet aux voix qu'un autre sait entendre, I l ne l ' a i t pas compris; [ ... ]

J'attends d'être mûri par la bonne souffrance Pour, un jour, marier

Les mots canadiens aux rythmes de la France Et l'érable au laurier. 37

Promesse qu'il ne tint que beaucoup plus tard, en particulier dans "Anniversaire", publié en 1949 dans La Patrie. 38 Mais sur le moment, "A ceux de mon pays" ne passe pas du tout inapercu. La plupart des critiques cltent cette pièce dans leur analyse, y voyant l'espoir d'une réorientation possible du poète vers les choses canadiennes.

On fait aussi grand cas au Canada de l'accueil recu en France par Le Paon d'émail. A vrai dire, il est difflcile d'évaluer exactement cet accueil. Selon Jules Fournier, le recueil est porté à l'attention du public francais grâce à la critique des grands journaux.

Il vient de paraître

à

Paris, chez Lemerre, un livre dont la critique des grands journaux -le Figaro - -le Gaulois - -le Temps - s'accorde

à

reconnaî tre qu'il ne s'est rien vu de plus remarquable, en France, depuis nombre d'années. 39

(27)

Mais comme nous n'avons pu recueillir que peu dt articles francais mentionnant la sortie du Paon d'émail en librairie, il nous est difficile,

à

la seule lecture de quelques brefs commentaires, de connaitre l'accueil viritable recu par l t ouvrage en France. Chose certaine, les articles susci tés par le livre dans la presse francaise, et que reprend la presse montréalaise, ont beaucoup d'effet au Canada. Ainsi, L'Action publie le 25 mai 1912 deux lettres de félicitations envoyees à Paul Morin, l'une par Maurice Barrès et l t autre par Fernand Gregh, auteurs jouissant l'un et l'autre dt une très grande autori té

à

1 t époque. Sachant que les cri tiques et les écr1 vains décernent avec beaucoup de complaisance des paroles aimables aux écrivains canadiens, il faut comprendre que ces lettres sont reprodui tes surtout dans le but de donner du poids à l'appréciation de Jules Fournier sur Le Paon d'émail, parue dans L'Action.

L'Action reproduit également pour ses lecteurs deux autres articles de critiques francais. L'un es t d'André Thérive, et avait paru d'abord dans le Revue de France et des pays francais sous le titre de "La jeune poésie canadienne". L'auteur s'étonne de l'influence francaise et surtout parnassienne du recueil

Récemment paru chez Lemerre - à Paris, et Cl est assez curieuse chose - un volume de M. Paul Morin qui révèle une facilité extrême

à

pincer de toutes les guitares auxquelles nous sommes habitués, des ressources techniques sans nombre, de beaux dons dl assimilation.

(28)

- - - -

---•

Et un peu plus loin :

Heureux Canada qui possède l'élève le plus heureux de l'admirable femme qui écrivit le "Coeur Innombrable" , et dont les poèmes, pourvus déjà de tous les procédés à la mode, s'élèveront quelque jour à une perfection plus celée: [ ... ] Ainsi, selon les rythmes prévus, mais purs, ce poète nous arrache notre confiance. '40

20

L'autre article est de Pierre Courtois. Il a paru dans La Revue francaise avant d'être repris par Marcel Henry [pseudonyme de Marcel Dugas] dans son "P:r.JpOS l i ttéraire" du 28 septembre 191 2

Mais ce qui m'a particulièrement séduit dans son livre, c'est la marque d'attachement confiant et fidèle qu'il prodigue, en bon Canadien, fils de la Franc~, à notre pays. C'est un honneur pour nous et une Jo~e de constater une pareille fidélité, et nous nous enorgueillissons à la pensée que de tels artistes confient à notre langage l'expression de leurs sentiments et de leurs impressions.41

b. La forme magnifique

..

A lire les commentaires que Le Paon d'émail soulève dans les journaux et les revues de 1911 et 1912, on constate que la critique reconnaît unanimement à l'ouvrage des qualités de forme inégalées au Canada francais et un talent exceptionnel au poète .

(29)

Jules Fournier, Marcel Dugas, Madeleine, Colette et Léon Lorrain accueillent avec beaucoup d'enthousiasme le rythme ren0uvelé de la poésie morinienne, l'emploi du vers libre, l'utilisation de nombreuses épithètes, la restauration et la créa tion de mots et d'expressions. Ils se réjouissent aussi de l'assouplissement des contraintes poétiques et du souffle de renouveau apportés par la poésie de Paul Morin.

Jules Fournier est le premier

à

s'en ouvrir

[ . . . ] il n'existe pas

à

l'heure qu'il est, -même en France, même parmi les Fernand Gregh, les Henri de Régnier, les Edmond Rostand un poète qui possède mieux son métier, qui sache mieux faire le vers, et qui, avec un sentiment très vif, encore peut-être qu'un peu livresque, des choses de la nature et de l'art, ait plus d'habileté technique, de ressources et de sûreté de main, que ce jeune Canadien-francais de vingt-trois ans. 42

Pour sa part, Marcel Dugas écrit :

M. Paul Morin aime les mots, il les caresse, i l s'enthousiasme devant eux. Il pousse cet amour jusqu'à une sorte de passion frénétique. Partout dans ses vers le mot rare est cherché et trouvé. M. Morin triomphe et sa patience rit, s'amuse, semble

à

la veille de chanter. Pour exprimer son rêve et ses désirs d'horizons étrangers, de villes dont les pieds de marbre trempent dans la moite opaline des eaux frissonnantes, pour d1re la gloire du Paon, si beau, si lumineux dans sa robe, i l veut des mots nobles~ i l lui faut des syllabes pleines de musique.4~

De meme Madeleine, dans La Patrie, commente en ces termes la qualité de l'ouvrage:

(30)

[ ••• 1 oeuvre jolie et fine comme un bijou artistique, oeuvre ciselée el précieuse que l'on pourrait s'étonner de cueillir en notre terre encore fruste, si le brillant poète n'avait eu des précurseurs. Un peu de l'âme de Nelligan, l'enfant prodigieux de notre poésie, de la mélancolique philosophie de Lozeau, planent [sic] en l'oeuvre de Paul Morin, et ce peu léger, diaphane, subtil, marque que ces poètes sont de la même race. [ ... l Le succès de M. Paul Morin est absolu et charmant, et je me plais à le proclamer; son oeuvre est, disons-le, d'une essence différente, et ici se vérifie le vieil axiome que "toute comparaison est odieuse". M. Morin a un incontestable talent, mais i l ne porte nullement ombrage

à

tous ceux que j'ai cités là-haut, et qui méritent notre justice et notre admiration. 44

22

La forme du Paon d'émail est aussi ce qui suscite l'admiration de Colette, qui s'interroge sur l'importance de l'idéologie dans la poésie.

Avec plus de raison peut-être, reprocherait-on à monsieur Paul Morin-d'avoir sacrifié l'idée au verbe? Mais, la poésie doit-elle présenter des idées précises, concrètes ou si elle ne doit être qu'évocatrice comme la musique?45

Enfin, Edmond Léo note

M. Paul Morin est un ciseleur minutieux, féru de couleurs, de nuances et de sonorités. Oreille délicate, il fai t de ses vers un entrelacement de sons harmonieux et de coupes savantes. Sa science des rythmes et des strophes est remarquable. 46

Que les amis de Morin entonnent tous le couplet de l'éloge et partagent avec lui une certaine conception musicale ou formaliste de la poésie, nul ~e s'en étonnera. Par contre,

(31)

meme les adeptes d'une vision plus traditionnelle de la poésie sont contraints de reconnaître la beauté des vers du Paon d'émail.

rendu :

Camille Roy, par exemple, écrit dans son compte

Il faut louer, d'abord, dans l'auteur du Paon d.Email le sens de la beauté physique, le don de voir et de peindre, et ce besoin d'eurhythmie [sic] , qui sont les qualités essentielles de son talent. Et il faut louer en me me temps la précision du trait, et la sobriété du dessin, et l'intensité de la couleur, qui montrent aux yeux du lecteur le paysage, le spectacle, l'objet. 47

Il écrit plus loin dans le même article :

[ ... ] nous déclarons très volontiers que son livre de poésie est une belle oeuvre d'art, unique encore dans notre littérature au point de vue de la sonorité verbale, plus finie peut-être en ses formes chatoyantes qu'aucune autre, et que le Paon dl Email , depuis l'aigrette fine, depuis

Son petit front étroit de beau serpent huppé, jusqu'à la queue splendide, jusqu'à la traîne impériale

4

est un oiseau rare sur le Parnasse

canadien. 8

c. L'inspiration suspecte

Mais si, jusque dans les milieux conservateurs, l'on admire le jeune poète pour son talent de versificateur et son habileté technique, ces qualités ne suffisent pas

à

emporter

(32)

24

le jugement, qui reposera surtout sur des critères moraux et nationalistes.

En effet, parmi les reproches les plus severes adressé

à

l'auteur du Paon d'émail, le "paganisme" ou les "affini tés païennes" sont les plus fréquents. Ces reproches sont pour la plupart le fait de cri tiques prêtres, dont Cami Ile Roy, Émile Chartier et Edmond Léo. Pour Camille Roy, "e' est le délire du paganisme qui s'empare de l'imagination du poète [ ... ]".49

, "Que l'inspiration du livre soi t pal.enne, constate Emile Chartier, l'auteur s'en vante assez pour qu'on l'en croie". 50 Tandis que Edmond Léa suggère :

De

Laissez ces vieilles civilisations mortes et surtout ces vieilles moeurs païennes, les aèdes que le Christ a envoyés par le monde, ont changé tout cela, et nous ont fait une âme saine, grande; nous ne pouvons plus admirer les nymphes et les satyres, ils sont trop polissons, et il vaut mieux les enterrer une bonne fois. 51

A

meme qu'ils s'en prennent a , son paganisme, les critiques prêtres reprochent

à

Paul Morin d'écrire une poésie trop empreinte de sensualisme.

Le paganisme a toujours abouti

à

la sensualité, et M. Morin est bien près de nous donner une oeuvre sensuelle. L'amour de la nature divinisée et adorée n'est guère prudent au coeur de l'homme. L'on commence peut-être par s'éprendre innocemment des souffles ardents de la brise qui caresse - et cela paraît assez inoffensif - et aussi des lys purs:

(33)

Je hume toute en moi 1.' haleine de mes dieux ! mais l'on fini t presque inévitablement par des désirs plus coupables, et un matin "où l'aube bleue a promis un jour ensoleillé" l ' 011 s'en va aux champs vers la rustique glaneuse, ... et on laisse battre son sang fiévreux "sur un rythme de Verhaeren" ... 52

Ces mises en garde sont de Camille Roy qui s'inquiète particulièrement des répercussions morales du Paon d'émail. Il rappelle à Paul Morin la responsabilité w ~ale et sociale du poète. "Le poète a charge d'âmes comme tous ceux qui écrivent ; et i l ne peut, même en esquissant une élégante reverence, se soustraire

à

son devoir social. ,,53 Camille Roy conclut son article en disant que "la quali té meme de A l'inspiration poétique nous semble appeler les plus fortes réserves. ,,54

Pour Émile Chartier, Paul Morin est un "épicurien de pensée,,55, voué au seul plaisir de l'art pour l'art. "En somme, aspirer des parfums et expirer des vers dans la poésie et le baume des soirs étoilés, voilà quel serait tout l'idéal du poète ! .. 56 Il juge le Paon d'émail

à

la lumière du catholicisme et conseille au poète de retourner a

..

une inspiration plus chrétienne, en composant des poèmes qui dépassent le simple achèvement de la forme.

Ceci nous laisse entendre que le jour où M. Morin voudra se consacrer

à

des descriptions d'intérieur, i l saura en extraire le cha_me subtil qui caractérise le Sanctus de Huot. Il aura ce jour-là sa véritable voie. Peut-être

(34)

y puisera-t-il cette dose de philosophie chrétiennement résignée dont son oeuvre actuelle est trop absolument dépourvue, l'horreur aussi pour la boh~me m~me

aristocratique. 57

26

Comme Camille Roy et Emile Chartier, Edmond Léo pense que [ ... ] pour en faire un chef-d'oeuvre, il

faudrai t que la lecture de ce livre nous laissât quelque impression morale élevante, que nous y entendions moins, suivant l'expression du po~te : La voix d'un coeur pa1en gui se meurt d'être tendre. 58

On blâme aussi Paul Morin d'être trop fortement influencé par des po~tes francais contemporains, dont i l se sent proche par la sensibilité et l'esp~it. L'influence poétique de la Comtesse de Noailles,

à

cet égard, est sans doute la plus profonde et la plus remarquée i

à

elle est dédié le recueil. Mais on cite également les noms de José-Maria de Hérédia, de Sully Prudhomme, de Henri de Régnier et de Leconte de Lisle, jugeant d'un mauvais oeil cette influence de la France contemporaine. Comme le fait remarquer Edmond Léo

Paris exerce évidemment une sorte de fascination sur ce jeune Canadien et il n'y a pas su résister

à

certains engouements dangereux et il a décipément emboîté le pas au néo-paganisme de la comtesse de Noailles et de Henri de Régnier. 59

Camille Roy attire aussi l'attention sur ce grave défaut: L'imitation est chez lui évidente de certaines oeuvres cotées aujourd' hui dans une certain

(35)

monde élégant; et non seulement Lecomte [sic] de Lisle, Hérédia, les maîtres de l'école parnassienne, ont appris à M. Morin, avec le goût de la nature et de l'antique, l' impassibili té froide et splendide du vers impeccable, mais aussi madame la comtesse de Noailles et M. Henri de Régnier, pour ne parler que de ceux-là, les plus notoires, parmi ceux qui vivent, lui ont enseigné la hardiesse de la vie, et le libre épanouissement des forces de la nature. 60

Émile Chartier, de même, juge l'inspiration du Paon d'émail trop livresque:

Tous ces voyages qu'on a faits dans les livres ont gravé, dans son âme sensible, des impressions vives [ . . . ] La meilleure preuve que ces peintures n'ont pas été dessinées de visu, c'est l'absence totale de choses vues dans Quatre villes d'Occident et Quatre villes d'Orient. 61

Mais en fait, reprocher a Paul Morin son inspiration

..

"païenne" et moderne n'est qu'un détour pour dénoncer l'absence d'esprit canadien dans sa poésie.

[ .•. 1 il faut que la dédicace de ce livre nous avertisse que l'auteur est de chez nous, car autrement nous aurions pu croire que le recueil est l'oeuvre d'un Parisien appliqué à rimer somptueus ement [ ...

1 .

Car, il n' y a rien, dans les vers de M. Paul Morin, qui révèle son origine canadienne-francaise, une inspiration locale, une influence du milieu familial, social et régional [, .. ].62

Adjutor Rivard va meme plus loin que Camille Royen affirmant:

[ ••• J

nous avons le

l'auteur une oeuvre

droit tout

de demander à autre et bien

(36)

supérieure

à

celle-là. Celui qui a pu écrire Le Paon d.Email se doit à lui-même, il doit à son pays de ne plus dénaturer - pour employer une de ses expressions (p. 126) ses souvenirs par la littérature. Qu'il laisse aux néo-païen de notre siècle le bruyant et lourd appareil de la mythologie [ . . . ].03

28

La critique bien pen'3ante, surprise tout d'abord de constater que le poète préfère chanter l'Orient, comprend qu • i l s'agit d'une déclarati'on de guerre au courant régionaliste. Aussi ne peut-elle que désapprouver cette poésie qui ose - ce qui ne s'éta1t jamais vu au Québec avec une telle ampleur - se définir par l'exotisme.

Il faut donc écrire, et faire des vers, pour mettre en belle tenue des pensées utiles; il faut chanter pour appeler au vrai temple, au Dieu de son baptême, les âmes distraites; il faut mettre à ses lèvres la buccine ou la conque d'émail pour célébrer les choses, grandes et familières, héroïques ou tendres de sa maternelle patrie [ ... ]64

Si l'on reproche à Paul Morin de ne pas enraciner sa poésie dans la réalité canadienne-francaise, si l'on dénonce son goût pour l'exotisme grec, latin, oriental ou autre, c'est qu'on le soupconne surtout de mépriser sa patrie. On déplore que le poète n'utilise pas son talent pour développer une littérature nationale et ainsi contribuer a , l'effort littoraire du Canada francais.

C'est là d'ailleurs ce qui amène le discours critique

à

s'éloigner volontairement et très rapidement de son objet

(37)

d'étude pour entrer dans des considérations extra-littéraires: non pertinentes à une véri table compréhension de l'oeuvre. Ainsi, la vie de bohème aristocratique et la personnalité du "paon de nos jardins littéraires" semblent agacer plus d'un cri tique. Émile Chartier voit en Paul Morin

[ ... ] un névrosé qui volontiers vi t en marge du monde et des affaires, esprit sans autre philosophie que celle du désappointement, être de sensibili té aiguë qui raffole de l'arome [s ic] des fleurs et du rythme des vers, amant de la nature, de la mer et des lacs, du soleil et de la lune, de la solitude et de la paix des cimetières, inconstant comme Verlaine et mobile comme Loti, enfin l'exemplaire le Qlus parfai t d'une aristocratique bohème. 65

Ayant taxé Le Paon d'émail de paganisme, de sensualisme, de modernisme et surtout de non-canadianisme, ces mêmes cri tiques, tout en reconnaissant les qualités formelles de la poésie de Morin, ne peuvent pas ne pas y trouver également des défauts. Aussi s'entendent-ils pour "dégonfler" l'idée admise voulant que l'auteur soit un. parfait ciseleur de vers francais. Se montrant férus de prosodie classique, ils s' at taquent aux procédés verbaux et rythmiques des poèmes, notant tous avec plus ou moins d'insistance les libertés formelles, les "écarts" au bon goût et commentant de facon acerbe les "tournures modernes" du poète : vers de onze et neuf syllabes, ordonnance bizarre des rimes, emploi abusif des épi thètes, usage de verbes et d'adjectifs intransi tifs ou

(38)

30 personnels dans un sens actif et impersonnel, etc. Surtout, on blâme l'utilisation de trop de mots rdres.

Edmond Léo écrit :

Quel plaisir son ouïe percoit-elle en ce bancal vers de onze syllabes? Jusqu'ici les oreilles francaises seraient-elles restées rébarbatives

à

des eurythmies 19norées? J'avoue qu'il choque mon oreille amoureuse de symétrie. Mon impression est la même pour le vers de neuf syllabes

à

moins qu 1 il ne soi t coupé par deux césures, ce qui en fait une mesure fort sautillante. 66

Camille Roy, quant

à

lui, souligne que:

Les versificateurs classiques lui pourraient bien reprocher quelques libertés grandes, quelques enjambements un peu lestes

Et quand le croissant plane sur Constantinople ...

des imaginations très réglées lui tiendront ~ompte de certaines métaphores 1mpropres

Fant8mes des soldats et du fier capitan dont l'écolier s'enivre

o

violent jardin, guerrier cruel et tendre . . . 67

Il reproche

à

Morin ses délicatesses styl1stiques : Des lecteurs virils souriront de certains raffinements d' émotion et de vocabulaire, et des grâces trop fluides de quelques strophes

o

moite embrasement . . .

(39)

Émile Chartier n'apprécie guère l'emploi abusif des épithètes:

Il Y a d'abord, de ces quintessenciés, quelques-uns des pires défauts: l'abus de l'épithète sonore et parfois inutile (Nonnes, Le soir clair, C'est vers toi, Quand, poussés par le soir), le goût du développement produi t par l'accumulation de mots rares et exotiques

(Galata, surtout Le Joaillier philosophe).69

Les ve..rs précieux et l' "idolâtrie" du mot rare' agacent également Adjutor Rivard, qui dit

à

ce sujet :

Et qu'il prenne garde aussi

à

ne pas alourdir son vers par une recherche trop raffinée de termes bizarres; c'est peut-être en sacrifiant l'enluminure facile et la somptuosité verbale, qu'un poète peut atteindre

à

la précision et

à

la netteté du dessin [ ... ] 70

Edmond Léo, enfin, déplore lui aussi ce vocabulaire recherché: "Descriptif

à

outrance, M. Paul Morin a besoin de mots rares, épatants, d'un dictionnaire richissime. 1171 Mais

c'est

à

Camille Roy qu'il revient d'énoncer le principe d'où découle la condamnation du Paon 'd'émail:

L'art es t,

à

mes yeux, la parure des idées; s ' i l n'est pas cela, s'il se borne au seul souci de la forme, au culte de la beauté pour elle-même, et quels que soient les actes ou les pensées qu'elle recouvre, i l me paraît plus que le vain effort d'une stérile habileté. 72

(40)

32 3. Conclusion

Le Paon d'émail, on l'a dit, est l'un des déclencheurs de la célèbre querelle des régionalistes et des "exotiques" ou des indigénistes et des universalistes qui divisera la cri tique canadienne-francaise pendant une quinzaine d' an_.ées. En effet, dès la fin de 1912, les enjeux sont déjà fixés entre les partisans de "1 'heure aux vaches" et ceux de "la rose d'Ispahan". Dès lors, le domaine critique devient un vaste champ de bataille où tous sont ir~vités à prendre parti. C'est le déclencheœent de la querelle. D'un côté s'acharnent les propagandistes de la littérature essentiellement canadienne ; de l'autre, ceux qui revendiquent la liberté de l'inspiration. Paul Morin, avec son Paon d'émail, devient le représentant attitré de l'exotisme, c'est-à-dire à la fois un symbole pour ceux qui s'en réclament et un bouc émissaire pour ceux qui en déplorent les méfaits .

(41)

NOTES

1 . Zoile "Poête à compléter" , Le Canadien, 1 OOe annee,

..

nO 22, Samedi 25 mai 1907, p. 1. 2. Zoile (mai 1907) , p. 1 . 3. Zoile (mai 1907), p. 1 • 4. Zoile (mai 1907) , p. 1 . 5. Zoile (mai 1907), p. 1 . 6. Zoile (mai 1907) , p. 1 .

Morin, "Du Tac au Tac", Le Nationaliste, 4e

..

nO

7 . P. annee,

15, 2 juin 1907, p. 2. 8. P. Morin (juin 1907), p. 2.

9. P. Morinette, "Un sonnet sur un sonnet", Le 'lationaliste, Se année, nO 35, 25 octobre 1908, p. 3.

10. R. Chopin, "Lettre

à

Pauline", Le Nationaliste, 5e année, nO 36, 1er novembre 1908, p. 3.

11. P. Morinette, "Tribune libre: ces poètes: Pauline répond", Le Nationaliste, 5e année, nO 37/ 8 novembre 1908, p. 3.

12. Renée C., "Lettre

à

René", Le Nationaliste, Se année, nO 37, 8 novembre 1908, p. 3.

13. Persan [Marcel Dugas], "Estudiantina", Le Nationaliste, 7e année, nO 12, 15 mai 1910, p. 3.

14. J. -L. Vaudoyer, "Album d'Italie: Absence et Le Coquillage", Le Nationaliste, 8 e année, nO 42, 16 décembre 1911, p. 5.

15. P; Morin, "Adieux

à

V~nise", Le Paon d'émail, Paris, Eàitions Lemerre, 2e édition, 1912, p. 14-15.

16. P. Morin, "Lagune", Le Paon d'émail, Paris, Éditions Lemerre, 2e édition, 1912, p. 12-13.

17. L. H. Fréchette, Les Fleurs boréales; Les Oiseaux de neige: poésies canadiennes, Paris, E. Rouveyre, 1881, 264 p.

(42)

18. A. Lozeau, L'Âme solitaire Rudeval, 1907, 223 p.

poésie, Paris, F.R. de 34

19. J. Charbonneau, Les Blessures, Paris, A. Lemerre, 1912, 228 p.

20. R. Chopin, Le Coeur en exil, Paris, Georges Crès et cie, 1913, 179 p.

21. C. Guérin, Le Coeur solitaire, Paris, s.n., 1921, 181 p.

~

22. S. Routhier, Les Tentations, Paris, Editions de la Caravelle, 1934, 195 p. (préface de M. Fernand Gregh) 23. J. Fournier, "Le Paon d'Émail", L'Action, 1 ère année,

nO 38, 30 décembre 1911, p. 1,4.

24. J. Fournier, "Paul Morin", Anthologie des poètes canadiens, Montréal, Éditions Gr.anger Frères, 2e édition, 1920, p. 271-281.

25. J. Fournier (décembre 1911), p. 1.

26. M. Dugas, "Sur un liyre nouveau. Le Paon d'émail par Paul Morin, L'Action, 1ere année, nO 39, 6 janvier 1912, p.2. 27. L. Lorrain, "Le Paon d'émail", 8 e année, nO 46, 7 janvier

1912, p. 1.

28. Colette, "Le Paon d'émail", La Presse, 28 e année, nO 71, 27 janvier 1912, p. 2.

29. Madeleine, "Le Paon d'émail", La Patrie, 27 janvier 1912, p. 5.

30. E. Léo, "Causerie littéraire. Le Paon d'émail par Paul Morin", Le Devoir, 2e année, 10 janvie ... · 1912, p. 1. 31. A. Rivard, "Paul Morin. Le Paon d'émail", Bulletin du

parler francais au Canada, vol. 10, nO 5 janvier 1912, p. 198.

32. J. Everett, Camille Roy, formation et ascension a'un critique 1870-1912, thèse de doctorat, Université McGill, 1987, 425 p.

33. É. Chartier, "La critique littéraire au Canada", Bulletin du parler francais au Canada, vol. 11, nO 8, avril 1913, p. 312 .

34. C. Roy, "Causerie littéraire, Le Paon d'émail ", La Nouvelle-France, XI, nO 5, mai 1912, p. 213.

(43)

35. L. Lalande, "Glanures canadiennes", Bulletin des

recherches historigues, vol. 18, nO 4, 1912, p. 110. 35

36. P. Morin, Lettre

à

George Vanier, de Paris, le 12 mai 1911. [lettre reproduite dans la thèse de doctorat de Jean-Paul Morel de la Durantaye, Paul Morin, l'homme et l'oeuvr~, vol. 2, Université d'Ottawa, 1978, p. 22.] 37. P; Morin, "A ceux de mon pays", Le Paon d'émail, Paris,

Editions Lemerre, 2e édition, 1912, p. 158-159.

38. P. Morin, "Anniversaire", La Patrie, 3 juillet 1949, p. 74.

39. J. Fournier (décembre 1911), p. 1.

40. A. Thérive, "La jeune poésie canadienne", L'Action, 2e année, nO 68, 27 juillet 1912, p. 4.

41. M. Henri [Marcel Dugas], "Propos littéraire", L'Action, 2e année, nO 77, 28 septembre 1912, p. 1,4. 42. J. Fournier (décembre 1911), p. 1. 43. M. Dugas (janvier 1912), p. 2. 44. Madeleine (janvier 1912), p. 5. 45. Colette (janvier 1912), p. 2. 46. E. Léo (janvier 1912), p. 1. 47. C. Roy (mai 1912), p. 207.' 48. C. Roy (mai 1912), p. 205. 49 . C. Roy ( ma i 1 91 2 ), p. 21 0 . , 50. E. Chartier (mars 1912), p. 338. 51. E. Léa (janvier), p. 1. 52. C. Roy (mai 1912), p. 214-215. 53. C. Roy (mai 191 2), p. 215. 54. C. Roy (mai 1912), p. 2 Î 3 . , 55. E. Chartier (mars 1912), p. 340 • 56. E. Chartier (mars 1912), p. 340.

(44)

36

..

57. E. Chartier (mars 1912), p. 343. 58. E. Léa (janvier 1912), p. 1 . 59. E. Léa (janvier 1912), p. 1 . 60. C. Roy (mai 1912), p . 214.

..

61 . E. Chartier (mars 1912), p. 337. 62. C. Roy (mai 1912), p. 204-205.

63. A. R. , "Morin (Paul) , Le Paon d'Email", dans Le Propaga teur , bulletin 21, 1912, p. 4.

64. C. Roy (mai 1912), p . 216.

..

.

65. E. Chartier (mars 1912), p. 336. 66. E. Léa ( janvier 1912) , p. 1 . 67. C. Roy (mai 1912), p. 213. 68. C. Roy (mai 19~2), p . 213.

..

69. E. Chartier (mars 1912), p. 340-341. 70. A. Rivard ( janvier 1912), p. 198. 71 . E. Léa ( janvier 1912), p. 1 . 72. C. Roy (mai 1912), p . 215-216.

(45)

..

(46)

38 1. Paul Morin et le développement de "l'école exotique"

En avril 1912, Paul Morin quitte Montréal pour Paris où

il soutient, le 17 juillet suivant, une thèse de doctorat en littérature comparée. Sa thèse principale s'inti tule "Les Sources de l'oeuvre de Henry Wadsworth Longfellow" et sa thèse secondaire, "Les Influences musulmanes dans les let tres francaises" . La thèse principale sera publiée

à

Paris, aux édi tions

~

Emile Larose, en 1913. Le poète revient donc

à

Montréal avec le titre de Docteur de l'Université de Paris, ti tre

à

ne pas confondre avec celui de Docteur ès lettres, comme certains journaux l'ont fait.

À Montréal, le 16 décembre 1912, il présente

à

l'Alliance francais~ une conférence dont le thème est significatif ilL' exotisme dans la poésie contemporaine". L' E..xotisme devient son cheval de bataille. Dans cette causerie "essentiellement didactique", reprodui te intégralement dans L' ActioIl du 11

janvier 1913, Morin propose une définition de l'exotisme L'exotisme (en littérature, bien entendu) consiste

à

décrire un pays, des moeurs, un mode de vie étrangers

à

la patrie de l'écrivain, et

à

exprimer des états d'âme qui, pour être sincères, ne sont pas ceux qui découleraient naturellement de sa nationalité . . . [ . . . J Le lieu de la naissance exerce peut-être quelqu'influence sur l'oeuvre future, mais il est permis d'en douter.'

(47)

Puis, sans distinction entre l'ouvrage en prose et l'oeuvre poétique, Morin étudie les nombreuses manifestations de l'exotisme dans la littérature de France, et plus particulièrement dans la poésie moderne. Il termine sa conférence par une énumération de poètes qu'il qualifie d'exotiques et ajoute de nombreuses preuves à l'appui. Les

journaux font cependant peu de cas de cette causerie.

Si l'on en croit A. Hayward qui a étudié la querelle des régionalistes et des exotiques, le terme "exotique", "revêt une signification beaucoup plus idéologique que proprement ':"i ttéraire. ,,2 Elle constate égalerr;ent que l'appellation prend un sens assez différent d'un auteur "exotique"

à

l'autre. Inévitablement ces divergence~ se reflètent dans une production littéraire variées, les "exotiques" se définissant plus en opposi tion

à

l'école régionaliste que par appartenance

~

a un mouvement ou ~

a une théorie l i ttéraire précise. Le recueil de Guy Delahaye par exemple, Mignonne alors voir si la rose . . . est sans épines, ou encore celui de René Chopin, Le Coeur en exil, sont loin d'être d'inspiration exotique au sens

où l'entend Paul Morin. En ce qui concerne l'école rivale,

A. Hayward précise :

Pour la plupart des régionalistes, le terme "exotique" avait une signification plutôt vague, presque toujours péjora ti ve, et qui désignai t ce qui est étranger et "non canadien" . Par extension, ce mot servait à stigmatlser toute personne ou toute oeuvre qui présentait une conception divergente de la

(48)

société canadienne et de ce que devait être la littérature canadienne. 3

40

,

Entre temps, Emile Chartier relance la polémique. Dans le Bulletin du parler francais au Canada d'avril 1913, sans toutefois nommer Paul Morin, il écrit : "Un homme né chrétien et qui aime son pays trouve autour de lui une source suffisante d'inspiration. 114 Il va même plus loin en insistant sur le fai t que "l'un des meilleurs moyens d'apprendre

à

quelqu'un comment corriger ses maladresses, c'est de lui expliquer pourquoi il les a commises ; lui faire reconnaître la cause de ses péchés littéraires"S, en l'occurrence l'exotisme.

Peu après, répondant a

..

une enquête sur la jeunesse réalisée par L'Action, Paul Morin, que l'on soupconne de mépriser sa patrie, continue d'alimenter la pOlémique:

Or dès qu'il s'agit de ce qui pourrait contribuer au développement,

à

l'élévation de notre race,

à

la culture de son énergie, à l'appropriation raisonnée d~s qualités des autres nations,

à

la correction de nos défauts,

à

la floraison d~ tout ce beau sang de France qui coule en nous, existe-t-11 hélas, peuple plus mou, plus apathique et plus nonchalant?6

En 1911, Morin devient professeur au Département de langue et littérature francaises de l'Université MeGill.

Il fallut revenir au pays, enseigner

les tropes de Regnard et les trucs de Régnier à mille dindes étourdies

(49)

en quête d'un M.A., voire d'un Ph.D . . . . Dégringoladel7

Puis il quitte

à

nouveau Montréal en 1915 et enseigne au Smith College de Northampton,

"-pres de Boston, puis a ...

l'Uni versi té du Minnesota. Ses années

à

l'étranger expliquent sans doute en partie le silence qu'il garde, dans les revues et journaux canadiens-francais de l'époque. Désabusé par le ~rofessorat, il revient s'installer définitivement

à

Montréal en 1917.

Le professorat l'ensorceleur et sinistre professorat L'angoisse de jeter du bon grain

à

des petits messieurs crâneurs et

à

des poulettes désordonnées, qui ne voient dans le maitre que le pion, dans le livre que l'ennemi. S

Même absent du Québec, et me me s ' i l ne fait rien parai tre, l'auteur du Paon d'émail est identifié pendant toutes ces annees au camp des exotiques, comme l' écri t en 1916 Jeun Charbonneau :

Visiblement, l'exotisme est son lot. M. Paul Morin en donne une définition devenue pour lui une profession de foi. Son livre nous en convainct [sic] : i l s ' é l o i g n e intentionnellement de l'inspiration du terroir et s'applique, avec une satisfaction raffinée,

à

chercher ses sensations aux pays fantastiques du rêve et

à

orner sa pensée de "toutes les gemmes .orientales," ou

à

la revêtir "des plus lourdes soieries persanes ... 9

Paul Morin devient la figure de proue du nouveau mouvement opposé

à

la "canadianisation" de la littérature qui

(50)

42 se développe

à

la fin de la Première Guerre mondiale. I l le proclamera lui-même, un peu plus tard, dans le poeme "Le , triple hommage" "Je suis celui qui saigne sur la proue . . . ,,10, poème dédié

à

Marcel Dugas, Guy Delahaye et René Chopin.

2. Le Nigog et l'apogée de la Querelle des régionalistes et des "exotiques"

À ces amis écrivains de la première vague que sont Morin, Chopin, Dugas et Delahaye, viennent se joindre bientôt certains collaborateurs de la revue Le Nigog comme Robert de Roquebrune et Fernand Préfontaine. Cette revue littéraire et artistique d'avant-garde

à

laquelle collabore Paul Morin en y publiant notamment deux poèmes, "Scriabine" 11 et "Stéphanie" 12,

soulève, comme on le sait, de nombreuses protestations par ses attaques contre le régionalisme, l'apathie du public canadien-francais ou la pauvreté des arts plastiques locaux.

Dès le premier numéro, les rédacteurs énoncent clairement les objectifs de la revue qui sont "de tenter une réunion des esprits cultivés et de diffuser des idées artistiques dégagées de l'ignorance et de la niaiserie,,13, ainsi que de faire connaître la production francaise contemporaine. Leur p01nt de vue sur la critique est clair "I l es t temps que la critique soit un sérieux enseignement général et non plus un

(51)

complaisant bénissage d'oeuvres puériles et inhabiles." 14 Cette revue "subversive" exprime la dissidence de nombreux écrivains et artistes montréalais face au credo conservateur de la "canadianisation" de la littérature. Ainsi, Jean Préfontaine écrit en novembre 1918 :

Ils veulent

à

tout prix que les artistes canadiens-francais ne s'occupent que de sujets canadiens-francais. [ . . . ] Il me semble que, pour le moment, le plus important, au point de vue national, est de posséder des artistes. 15

Un autre collaborateur de la revue, Edouard Chauvin, abonde dans le même sens :

Que ceux donc qui brament vers nos sapins, qui s'agenouillent sur la terrasse Dufferin en suppliant nos muses dl enfanter une poésie exclusivement régionale comprennent, une fois pour toutes, qu'il n'est pas donné

à

chacun de chanter dignement son pays, et qu'on peut parfai tement, alors, chanter l'amour, esquisser des gestes

f

parodier des mentalités

et des travers [ . . . ] 6

Le Nigog a un impact considérable dans le milieu li t téraire . Mais la revue disparaît rapidement, les rédacteurs préférant s'embarquer pour la France. Il n'en reste pas moins, comme l'explique K. Landry, qu'

cause de la férocité des éChanges entre les combattants, la querelle entre les régionalistes et "exotiques" en 1918 constitue un moment significatif dans l'évolution de la littérature et, surtout, de la critique au Québec"17, opinion que partagent

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