Décoder les nouveaux instruments de
gestion de l’enseignement supérieur
FALLON Catherine
SPIRAL – Scientific and Public Involvement in Risk Allocation Laboratory
1.
L’objet :
1.
un nouveau dispositif : AEQES
2.
Gouvernance de l’université (Ulg)
II. Inscription dans une logique de NPM
III. Les instruments comme dispositifs
1.
Les instruments de gouvernement comme
« dispositif »
Introduction : L’analyse de la politique de l’enseignement
supérieur en B:
Tradition d’autonomie surveillée des universités;
Peu de coopération inter-piliers;
1988 : Communautarisation de l’ES : marginalisation des universités
dans une CF étriquée
Différenciation Flamand / Francophone
1998 : enveloppe de financement fermée concurrence
2004 : Bologne : reprise en main (habilitation; regroupement)
2006 : début des évaluations par l’AEQES
2011 : pôles territoriaux ; coopération interuniversitaire et
coordination en RECH
L’exposé se concentre sur deux dynamiques nouvelles :
-
Dispositif nouveau en matière d’évaluation : AEQES
I. Démarche de qualité dans l’ES : Une dynamique européenne Assurance de la qualité : Ensemble des activités préétablies et
systématiques mises en oeuvre dans le cadre du système qualité et démontrées en tant que de besoin, pour donner la confiance
appropriée en ce qu'une entité satisfera aux exigences pour la
qualité.
Pratiques d’évaluation des « outputs » qui émergent en UK
Développement d’initiatives dans certaines disciplines : les écoles vétérinaires (années ’80); les écoles de gestion (« Equis »)
Echec du processus de « reconnaissance mutuelle » dans le domaine de l’ES (<> grand marché)
1992 : résultats d’un projet pilote de la Commission européenne , pour une évaluation en 4 phases : auto-évaluation, visite sur place
d’un comité d’experts (peer-review) comprenant au moins un
expert étranger, rapport d’évaluation extérieure mettant en lumière les forces et faiblesses, publication des résultats. Relais du Conseil européen; des réunions ministérielles
Comment la traduire dans le contexte historique institutionnel belge ?
« Il n’y a pas de place demain pour toutes les universités, avec 4.000 institutions et 16 millions d’étudiants. Donc chaque université doit se profiler. Nous n’avons pas cette habitude chez nous. …Nous sommes privilégiés en Belgique, sans concurrence, mais en médecine vétérinaire, nous sommes dans la dimension européenne depuis 20 ans avec une évaluation pour l’enseignement mais aussi pour la recherche qui apparaît à travers l’enseignement ! Cela nous a ouvert à une médecine vétérinaire moins
nombriliste. Il y a les mêmes problèmes partout, par exemple la question de
l’autonomie institutionnelle et du financement. Le Commissaire affirmait dans un colloque en 1996, qu’il y avait une impossibilité de continuer à subsidier
l’enseignement supérieur : il fallait une enveloppe fermée et en contrepartie, il
faudrait de l’autonomie pour que les institutions puissent trouver de l’argent ailleurs. Nous allons en chercher en recherche ou dans la propriété intellectuelle. Chez nous, on ne conçoit pas un enseignement qui rapporte de l’argent. Mais en Europe centrale, on accepte des étudiants non subventionnés, qui rapportent ; dans le monde anglosaxon, les minervals sont si élevés que les étudiants rapportent ! » (Interview d’un
(ref: participation au processus d’évaluation ScPo; rapports d’éval; rapport d’éval de l’AEQES par ENAQ)
L’installation de l’AEQES
2002 : 1er décret
2008 : obligation de transparence; indépendance % administration L'Aeqes se positionne bien dans une démarche évaluative en soutien
aux décideurs politiques : elle a pour mission de :
* procéder à l'évaluation des cursus de l'enseignement supérieur en mettant en évidence les bonnes pratiques, les insuffisances et les problèmes à résoudre
* faire des propositions adressées aux responsables politiques en vue d'améliorer la qualité de l'enseignement supérieur«
La démarche d’évaluation (4 étapes) se base sur une liste
d’ » indicateurs » qui sont plutôt des points à examiner par les experts et qui sont définis en annexe du décret.
1. Autoévaluation interne 2. Évaluation externe
3. Publication
4. Plan stratégique pour assurer le suivi des recommandations
L’inscription des pratiques dans le cadre belge
« Il est interdit de publier des données susceptibles de
mener à un classement des établissements »
(certaines informations ne peuvent PAS figurer dans
les rapports finaux)
Dans les faits, on peut dire que '’AEQES "ne procède pas à
des accréditations ; son but est plutôt de se
concentrer sur l'amélioration continue de la qualité et,
surtout aux premiers stades de son existence, d'établir
la confiance et de diffuser une culture de la
qualité dans les établissements d'enseignement
supérieur."
"Le comité d’évaluation a observé qu’il régnait une forte
culture du consensus et de la concertation entre
l’AEQES et les parties prenantes de l’enseignement
supérieur en Communauté française de Belgique."
(2011 – évaluation de l’Aeqes)
La logique d'évaluation externe ne semble pas créer de
tension entre les institutions.
Que représentent ces pratiques ?
1. Gestion stratégique (objectifs ; pilotage par des « indicateurs
de performance » ; évaluation et rétroaction; transparence) effets directs et immédiats :
coopération avec secteur professionnel; comparaison entre universités
2. Européanisation du dispositif : conformité aux consignes
européennes et aux recommandations de l’ENQA
européanisation des pratiques (Déclartion ministérielle, 2005: « Nous nous engageons à introduire le modèle proposé pour
l’évaluation par les pairs des agences chargées de la garantie de la qualité au plan national, tout en respectant les lignes
d’orientation et les critères communément acceptés".)
3. Les recommandations sont transmises aux responsables des universités et du gouvernement. Les recommandations des évaluateurs ont un contenu normatif : ex: « Par ex on retrouve parmi les recommandations des évaluateurs de la Sc Po la
proposition 6: "autoriser dans certaines filières de master une limitation du nombre de places offertes pour garantir l’excellence de la formation dispensée." principe d’accès ouvert aux
La gouvernance interne des universités
De nombreux pays transforment le mode de pilotage des universités pour mettre en place des procédures de contrôle, en vue d’une gestion qui renforce la compétition et l’autonomie
Les universités belges ont une longue tradition d’autonomie :
« On disait qu’il n’y a plus d’administration et qui a repris ce rôle ? C’est le CReF et le monde politique n’a pas réagi et se comporte comme s’il était déresponsabilisé vis - à - vis des universités (…) puisque
l’administration ne faisait rien, on a tout mis au FNRS qui ne demandait pas mieux ! Le CReF a le pouvoir ! »
Evaluation par l’Aeqes ?
Avec le suivi du plan stratégique : " Au niveau de l'établissement : les
autorités de l'établissement organisent le suivi à donner au processus d'évaluation. Dans les six mois qui suivent la publication sur le site internet de l'Agence des rapports finaux de synthèse par
établissement pour un cursus donné, chaque établissement concerné transmet à l'Agence un calendrier et un plan de suivi des
recommandations du comité d'experts.«
Ces changements affaiblissent le "managérialisme académique", à savoir le
La gouvernance interne des universités est modifiée à travers les 2 missions
L’enseignement est territorialisé – étudiants peu mobiles – logique gestionnaire renforcée – diminution des moyens unitaires La recherche est mondialisée – renforcement de la concurrence –
augmentation des moyens (y compris d’origine privée) Attirance pour les « rankings »
Réorganisation des liens entre enseignement (faculté) et recherche (institut)
Gestion stratégique des moyens de l’université
« Il faut savoir ce qui se passe dans l’institution ! Avoir une vision d’ensemble des points forts et des points faibles. (…)
" Ces informations sont importantes parce que l’université doit faire des choix stratégiques : on ne peut pas tout faire, surtout dans le
domaine de la recherche. Nous devons être bons dans ce qu’on fait et donc il faut choisir dans quels domaines s’investir"(…)
" I l y a une compétition entre les universités de la Communauté : il faut que le recteur dispose d’un tableau clair des lignes de force pour
négocier, ses points forts et ses points faibles mais tout cela n’est pas assez connu aujourd’hui. »
II. La transformation managériale : tout le monde est touché … Quels sont les principes du New Public Management ?
Gestion par les outputs / outcomes au lieu des inputs (culture de résultat) Augmentation des contrôles de performance
Critiques des contraintes administratives et de la bureaucratisation
Mise en avant de la légitimité de la société civile (créativité ; démocratie) Gestion stratégique
Principe de subsidiarité (<> centralisation)
Principe de suppléance (l’Etat intervient en dernier recours) Logique d’évaluation améliorer les « 3 E »
Postuler la supériorité de la coordination par la concurrence et es MTM
III. Les instruments d’une politique publique
(Governing by instruments, Lascoumes & LeGales, 2007)Les instruments sont
techniques
: ils doivent remplir des
fonctions en accord avec le objectifs de la politique
Les instruments sont
sociaux
: ils véhiculent une conception
concrète de la relation entre politique / société, mais
aussi des représentations et des systèmes de sens,
encourageant certains comportements et privilégiant
certains groupes d’acteurs. Un instrument organise
des relations sociales spécifiques.
Il s’agit d’analyser les “instruments à l’oeuvre” : non
seulement leurs outputs mais aussi les relations de
pouvoir et les formes de contrôle social qu’ils
organisent.
Le mode de gouvernement (M. Foucault) peut être
analysé à travers la matérialité des actions publiques
(procédures, techniques, rapports).
L’analyse de la construction des instruments comme un
processus de traduction:
Les instruments sont le fruit de plusieurs étapes de
traduction :
coordonnant des acteurs hétérogènes (scientifiques,
fonctionnaires, industriels) : ces associations sont
stabilisées par la construction de “points de passage
obligés”.
produisant des représentations qui contribuent à décrire et
à catégoriser le social (ex : en définition ce qu’est la
“bonne science”)
Les conditions d’émergence contribuent à donner à
l’instrument une certaine forme (approche hisorique)
Les outils de la sociologie de la traduction (Callon,1986)
Les instruments sont des institutions :
Les institutions sont caractérisées par des dimensions cognitives,
normatives et de régulation, qui sont considérées comme
évidentes par les acteurs et qui contribuent à donner une
certaine orientation à leur comportement, les attentes et
leurs préférences.
Non seulement ==> service functionnel
(eg: évaluer )
==> procédures internes pour assurer la catégorisation et la
hiérarchisation
(bon enseignement = tourné vers l’emploi)
==> processus d’identification définir les frontières
institutionnelles
(Sc Po = études universitaires ? Aussi pour les RI ? )
==> formes d’autorité allocations des ressources; relations de
pouvoir
==> stratégies de légitimation pour assurer l’inscription de
l’institution dans la société
(
pourquoi des fonds publics permettent former les
jeunes ?)
L’approche des instruments en tant qu’institutions
Comprendre le mode de pensée des institutions et les
catégories qu'elles mobilisent (par exemple: qu'est
ce que une «bonne organisation de l’ES»?) renvoie
aux origines de la pensée et aux dynamiques
d'agrégation ou de réforme institutionnelle.
Saisir les dynamiques à l'œuvre, dans une perspective
historique
- au sein du groupe social
- au niveau des frontières
L’approche institutionnelle cumulée aux approches de la
traduction et des instrument d’action public permet
en définitive d’attirer l’attention sur la nature sui
generis et temporaire des accords sociaux qu’ils
Pour reprendre la proposition de M. Foucault : il faut une
approche des pratiques de "micro pouvoir" pour
analyser les institutions : les pratiques de l'AEQES
permettent de parler des nouveaux modes de
gouvernement des universités
- puis de poser la question de l'institution elle même : comment se
fait il qu'une telle institution soit mise en place? quels
processus de "traduction" ont permis l'émergence de
l'institution ? quelle contingence ? quelle rationalité a été
mobilisée ? Foucault propose d'identifier la "rationalité
contingente du pouvoir constitutif de l'institution"
Ce que l’analyse de ce dispositif donne à voir :
- des effets de réseaux ==> mise en évidence de nouveaux
modes de coordination au sein des universités (gouvernance interne) et entre universités / AP / entreprises
- Renforcement d’une logique de contrôle administratif : externe (AP) et interne (managérialisation des universités)
- prise en compte du monde professionnel : lien entre formation universitaire / compétences / emploi
- discours de mise en concurrence : qui est très bien relayé par de nombreux scientifiques (h index) ; ainsi que par les
gestionnaires des universités dans le cadre d'un libération des trajectoires stratégiques individuelles (au risque de mettre à mal le dogme de l'équivalence des universités);
- effets d'inertie : le mode de régulation des universités en B reste
distribué sur le territoire, avec un a priori d'équivalence qui n'a pas été remis en question pas de classification intérieure au territoire... du moins entre universités. La question va rebondir parce que d'autres dimensions doivent être intégrées :
1. classification dans la recherche au niveau mondial ET CF : comment attribuer les ressources ?
Il est possible identifier au sein des techniques de réforme des
institutions une même rationalité libérale : conjuguant
incitation à la liberté et la mise en concurrence de tous contre
tous (dépolitisation) et extension des procédures de contrôle .
C’est une « forme » rationnelle qui émerge dans les secteurs de l’action
publique et que propose aussi Chevallier dans son analyse de la
transformation de l’Etat
Un Etat post moderne ? Transformé par hyper-modernité <>
anti-modernité !
Radicalisation du mythe de la rationalité (sciences; économie de
marché)
<> incertitudes; remises en question du mythe de « progrès »
Hyper-individualisme absolutisation du « soi »; tendances anxiogènes
<> difficultés à définir un rapport au collectif (un dénominateur
commun)
Le cadre théorique : l’approche culturaliste des
institutions
(Douglas 1986)
La construction d’un groupe social s’accompagne de la
définition de catégories de pensée et de visions du
monde spécifiques.
“Natural and social orders are being produced simultaneously”
(Jasanoff)
Values and beliefs are mobilised through the social interactions;
They contribute to the setting of the group convention
They settle the legitimate ground for an given institution.
develop a specific order, mobilizing values & belief
Subject to transformation
What frontiers of the group? What internal control?
The "grid/group" classification
Explicit rules
imposed to
individuals
Rules are interiorised: no regulatory rules are imposed. “enlightened discretion”
Grid
(regulation)
Group
(integration)
Relations within the group are not tight
Group is strong; relations in the group are stronger than relations with someone out of the group
Ref: Douglas 1986; Hood 1998
explicit rules imposed to
individuals
Randomness
Fatalist
Control through unpredictable processes
“Chancism”
Bureaucratic
Hierarchic
« Command and control » techniques
« Bossism »
Rules are interiorised: no regulatory rules are
imposed. “enlightened discretion”
Competition
Individualist
Control through rivalry and choice,
and “market mechanisms”
“Choicism”
Mutuality
Egalitarian
Control through group processes Control of the frontiers
(chasse aux sorcières) “Groupism”
Grid
(regulation)
Group
integration
Relations within the group are
not tight Group is strong; relations in the group are stronger than relations with someone out of the group
Ref: Hood 1998