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Vivre une grossesse en pays étranger : le parcours des femmes immigrantes de la ville de Québec

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Vivre une grossesse en pays étranger

Le parcours des femmes immigrantes de la ville de Québec

Mémoire

Cynthia Chevalier-Cliche

Maîtrise en anthropologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Résumé

Ce mémoire propose une analyse anthropologique de type exploratoire de l’expérience de la grossesse des femmes immigrantes de la ville de Québec. L’objectif était de mieux comprendre la façon dont ces femmes ont vécu la mise au monde de leur enfant dans le contexte du système de santé public québécois, alors qu’il existe des alternatives qu’elles n’ont pas explorées. La démarche qualitative s’appuie sur des entrevues semi-dirigées avec onze femmes immigrantes ainsi que trois accompagnantes à la naissance travaillant avec des femmes venues d’ailleurs. L’ancrage conceptuel est largement inspiré de l’anthropologie de la naissance et du féminisme. Les conclusions montrent que les femmes immigrantes ont apprécié les soins reçu tout au long de la grossesse, mais qu’en l’absence de leurs proches elles se sont senties seules et démunies suite à l’accouchement. Les ressources alternatives auraient pu les aider à mieux vivre l’ensemble du processus, ce qui est d’ailleurs démontré pour celles qui y ont eu accès.

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Table des matières

RÉSUMÉ ... III TABLE DES MATIÈRES ... V LISTE DES ABRÉVIATIONS ... IX LISTE DES ANNEXES ... XI REMERCIEMENTS ... XIII

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1. CONTEXTUALISATION ... 3

1.1. Vivre une grossesse au Québec ... 3

1.2 Humaniser la naissance ... 5

1.2.1 L’éclosion du mouvement ... 5

1.2.2 Les caractéristiques du mouvement ... 7

1.3 La population immigrante dans la ville de Québec ... 12

CHAPITRE 2 . ASSISE THÉORIQUE DE LA RECHERCHE ... 15

2.1 le corps-machine ... 16

2.2 médicalisation du corps ... 18

2.3 Médicalisation de la naissance ... 20

2.4 vers une bio-médicalisation de la naissance ... 25

CHAPITRE 3 . DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE ... 29

3.1 Problématique ... 29

3.2 Objectif de recherche ... 30

3.3 Type de recherche ... 30

3.4 Le choix des participantes ... 31

3.4.1 Les femmes immigrantes ... 31

3.4.2 Les accompagnantes ... 32

3.5 Le recrutement des participantes ... 32

3.6 Cueillette de données ... 34

3.7 Grille d’analyse ... 36

3.8 Considérations éthiques ... 37

CHAPITRE 4. PARCOURS DANS LE SYSTÈME MÉDICAL ... 39

4.1 Le suivi médical de grossesse ... 40

4.1.1 Annonce de la grossesse ... 40

4.1.2 Recherche d’un médecin ... 41

4.1.3 Suivi gynécologique ... 44

4.1.4 Suivi complémentaire : l’infirmière du programme OLO ... 46

4.1.5 Un suivi humain ... 48

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4.2 Accouchement ... 54

4.2.1 Perception des interventions ... 54

4.2.2 Un encadrement apprécié ... 57

4.3 Après la naissance ... 59

CHAPITRE 5 . RÉCITS D’UNE GROSSESSE À L’ÉTRANGER ... 65

5.1 La gratuité des soins ... 66

5.2 Absence de la famille ... 67

5.3 Le réseau s’élargit ... 71

5.4 Le collectif Les Accompagnantes de Québec : un exemple de réseau alternatif ... 72

CONCLUSION ... 85

BIBLIOGRAPHIE ... 89

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Liste des abréviations

AOGQ Association des obstétriciens gynécologues du Québec ASPQ Association pour la santé publique du Québec

CÉRUL Comité d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université Laval

CLSC Centre local de santé communautaire

ÉDIQ Équipe de recherche en partenariat sur la diversité culturelle et l'immigration dans la région de Québec

EMB Evidence based medecine

GARE Grossesse à risque élevé

IMPAC The integrated management of pregnancy and childbirth

INESSS Institut national d’excellence en santé et service sociaux INSPQ Institut national de santé publique du Québec

MICC Ministère de l’immigration et des communautés culturels MSSS Ministère de la santé et des services sociaux

OLO Programme Oeuf-Lait-Orange OMS Organisation mondiale de la santé

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Liste des annexes

Annexe 1 Canevas d’entrevue avec les femmes immigrantes

Annexe 2 Canevas d’entrevue avec les accompagnantes à la naissance Annexe 3 Formulaire de consentement

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Remerciements

Ce processus de recherche à été plus long que ce qui avait été prévu au départ, suite à mes grossesses pendant le projet. Malgré tout, ma directrice de recherche m’a toujours épaulé, soutenu et écouté. Je suis extrêmement reconnaissante envers la patience dont vous avez fait preuve tout au long du processus ainsi que de l’aide apportée. Merci Marie-Andrée Couillard.

Je ne peux évidemment pas passer sous silence l’écoute, les conseils et les commentaires que j’ai reçus pendant ces quatre années de la part de ma famille; mon père Claude, ma cousine Naömi et ma très chère mère, Lucy, entre autres.

Plusieurs collègues ont commenté mon texte en plus de me donner leurs précieux avis pendant la recherche. Merci Andrée-Ann, Clémence, Mathieu, Delphine et Andréanne. Un merci spécial à toutes mes répondantes. Malgré mon enthousiasme face au projet de recherche, rien de tout cela n’aurait été possible sans vos témoignages.

Merci à toutes les mères pour avoir alimenté (et ça continue !) mes réflexions et ma passion pour le domaine de la naissance.

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À mes enfants; Léa, Maélie Et Milan

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Introduction

Les questionnements qui sous-tendent ce projet de recherche découlent d’une expérience très personnelle. Lors de ma première grossesse il y a 7 ans dans la ville de Québec, j’ai choisi un suivi médical avec un spécialiste, mon gynécologue-obstétricien : rencontre mensuelle avec le médecin, visites fréquentes et obligatoires (dans le cadre du programme Oeuf-Lait-Orange1) avec l’infirmière et une nutritionniste, deux échographies, prises de

sang obligatoires, accouchement à l’hôpital, etc. Dans le cadre de ce suivi, les propos tenus par les intervenants en périnatalité et les rensignements présents dans la documentation qu’ils nous remettent ont grandement influencé la façon dont je percevais mon corps de femme enceinte. J’ai commencé à m’interroger sur ces pratiques, et sur la façon dont les autres femmes les reçoivent, puis à me questionner sur la façon dont les femmes qui viennent d’ailleurs reçoivent ces discours pendant la grossesse et l’accouchement.

La naissance d’un enfant est probablement un des évènements les plus marquants de la vie d’une femme. La façon dont elle vit sa grossesse, l’accouchement et les premières semaines après la naissance restent significatives à jamais et ont une influence sur toute sa vie de femme et sur celle de son enfant également. Pour les femmes immigrantes qui vivent une grossesse à l’étranger, en l’occurrence à Québec, cela signifie vivre cette expérience extraordinaire selon d’une approche qu’elles ne connaissent pas forcément. L’approche dont il est question ici est médicalisée dans la majorité des cas; plus de 95% des accouchements se déroulent sous contrôle médical au Québec. Si les propos des intervenants, s’inscrivant dans une telle approche avaient marqué mon expérience tout au long de la grossesse alors que j’étais déjà confrontée à ces discours depuis toujours, il me semblait très intéressant d’explorer s’il en avait été de même pour ces femmes venues d’ailleurs.

1 Le programme Oeuf-Lait-Orange, ou OLO, “Depuis 1991, la Fondation OLO contribue à la santé des bébés à naître en offrant gratuitement et quotidiennement : 1 Œuf, 1 litre de Lait, 1 verre de jus d’Orange et un supplément de vitamines et minéraux aux femmes enceintes vivant une situation socio-économique précaire” (www.fondationolo.ca), consulté le 14 juillet 2014.

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De plus, dans un contexte où la population immigrante de la ville de Québec augmente sans arrêt depuis plusieurs années, il est tout à fait pertinent de mieux comprendre la façon dont ces familles, ces femmes, vivent cet événement marquant de leur vie, et ce, dans un pays étranger. Alex Battaglini (2002 : 65), chercheur en sciences sociales auprès des familles immigrantes du Québec, affirme lui aussi que « [...] dans toute société où l'apport de l'immigration est important, surtout sur le plan de la natalité, il convient de s'intéresser aux expériences des femmes immigrantes dès le début de la maternité ». Il importe de mentionner que cette recherche ne prétend pas formuler des recommandations aux professionnels de la santé œuvrant en périnatalité, mais vise plutôt à explorer, décrire et analyser l’expérience de grossesse des femmes immigrantes dans un contexte où différents discours et une variété de pratiques circulent entourant la mise au monde d’un enfant au Québec. C’est dans le cadre de ce projet de recherche que mon expérience personnelle et les interrogations qu’elle a suscitées prennent une allure formelle.

Le premier chapitre est une mise en contexte des pratiques dans le domaine de la naissance au Québec. C’est dans ce chapitre que l’on peut mieux comprendre les différents discours sur la grossesse et l’accouchement; autant ceux présents dans l’approche dominante qu’alternative. Après avoir bien ancré mes interrogations dans le contexte québécois, je présente, dans le deuxième chapitre, les concepts qui sont utilisés tout au long de cette recherche pour construire mon analyse. Le troisième chapitre correspond à la démarche méthodologique; la problématique, les objectifs et la question de recherche ainsi que les détails sur le recrutement des participantes y sont explicités. Dans les chapitres quatre et cinq, je présente les données recueillies en parallèle avec mon analyse. La conclusion de ce mémoire mettra en lumière l’expérience de grossesse et d’accouchement des mères immigrantes qui ont accepté de collaborer.

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Chapitre 1

Contextualisation

Ce chapitre vise d’abord à présenter le contexte entourant la mise au monde d’un enfant au Québec, et ce, en deux volets : le parcours de la majorité des femmes enceintes et les options alternatives qui sont également disponibles. Un portrait de la population immigrante de la ville de Québec sera esquissé afin de situer les femmes au cœur de cette étude.

1.1.VIVRE UNE GROSSESSE AU QUÉBEC

Au Québec, être enceinte signifie pour la plupart des femmes de s’inscrire dans une routine préétablie par les instances médicales. Dès le moment où une femme sait qu’elle porte la vie, on s’attend à ce qu’elle respecte un parcours type qui comprend un suivi de grossesse mensuel – théoriquement obligatoire – par un médecin de famille ou un spécialiste. Ce parcours comprend un certain nombre d’examens et de tests (échographies, prises de sang, etc.) menant éventuellement à un accouchement en milieu hospitalier. Les chiffres montrent en effet que la très grande majorité des femmes au Québec, dans une proportion de 94% en 2006-20072, accouchent à l’hôpital.

Il existe cependant une autre avenue, celle qui propose un suivi effectué par une sage-femme professionnelle apte à pratiquer en vertu de la Loi sur les sages-sage-femmes3. Les

femmes qui font ce choix peuvent décider d’accoucher avec « leur » sage-femme dans une Maison de naissance4, à l’hôpital ou à domicile. Il existe deux maisons de naissance dans la

2 Politique de périnatalité 2008-2018. Consulté sur Internet

(http://publications.msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/2008/08-918-01.pdf), janvier 2010. 3 Loi sur les sages-femmes. Consulté sur Internet

(http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/S_0_1/S0_1.html), décembre 2012.

4 Une maison de naissance est un espace d’accueil pour les femmes enceintes et leur famille (http://www.rsfq.qc.ca/maison_naissance.html), consulté le 21 janvier 2013.

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région de Québec : une dans le quartier Limoilou5 et l’autre sur la rive-sud du fleuve, à

St-Romuald6. Néanmoins, pour différentes raisons qui ne sont pas l’objet de cette recherche,

l’accessibilité au suivi et à l’accouchement en Maison de naissance reste très difficile. Si l’accouchement en Maison de naissance reste minoritaire, l’accouchement à domicile l’est encore plus. Céline Lemay (1997 : 3), anthropologue et sage-femme, rapporte qu’en 1983 au Québec c’est entre 1,5 et 2% de femmes qui décidaient de mettre au monde leur enfant à leur domicile. Selon les statistiques7 du Ministère de la santé et des services sociaux

(MSSS), en 1999 il n’y avait plus que 0.2% des naissances qui avaient lieu à domicile. Une sage-femme me confiait8 que ces chiffres sont à peu près les mêmes aujourd’hui, et encore

moins élevés dans la ville de Québec qu’ailleurs.

À la lumière de ces informations, on constate que la majorité des grossesses sont menées dans un milieu presqu’exclusivement médical où la femme enceinte est prise en charge par le système médical. Les femmes immigrantes qui s’installent au Québec, et dans la ville de Québec, seront guidées par divers intervenants vers cette filière, comme la grande majorité des Québécoises.

Par ailleurs, ce type de système de santé basé sur la biomédecine occidentale est en voie de s’étendre à l’ensemble des pays du monde (Clarke et al. 2000) notamment à travers les politiques et les interventions des organismes supranationaux comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La « mondialisation » de ces programmes de santé permet à la biomédecine de s’enraciner localement dans un nombre grandissant de pays. C’est le cas par exemple en Afrique où les taux de mortalité maternelle et infantile sont parmi les plus élevés au monde; on introduit maintenant en matière de santé publique, les approches jugées sécuritaires de la biomédecine. Dans la Constitution de l’OMS, on peut d’ailleurs

5 1280, 1re Avenue, Québec (Québec), G1L 3K9

6 182, rue de l'Église, Saint-Romuald (Québec), G6W 3G9 7 Statistiques. Accouchements et naissances. Consulté sur Internet

(http://msssa4.msss.gouv.qc.ca/fr/statisti/accounais.nsf/c20871131892d96085256769004af571/33dbe375c995aa058525 67b00049882e?OpenDocument), le 6 février 2013.

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lire que « l’admission de tous les peuples au bénéfice des connaissances acquises par les sciences médicales, psychologiques et apparentées est essentielle pour atteindre le plus haut degré de santé »9. Toujours d’après les données compilées par l’OMS, de plus en plus de

pays appliquent ces recommandations sanitaires, et développent un suivi de grossesse standardisé comprenant divers protocoles spécifiques. Nous verrons dans le cadre de ce mémoire, que les politiques québécoises de santé publique suivent de près le cadre prescrit par l’OMS. Peu importe leur pays d’origine, il est donc possible que les femmes immigrantes qui ont collaboré à ma recherche aient déjà été exposées à ce type de procédures.

Si le système de santé québécois promulgue et applique ces recommandations mondiales de la grossesse et de l’accouchement dont la majorité est clinique, cette approche n’est pas sans soulever des critiques. Cette façon de faire ne fait pas l’unanimité dans le contexte nord-américain et au Québec en particulier. C’est notamment à travers l’histoire et les revendications des sages-femmes que l’approche alternative, désignée par le terme humanisation des naissances, peut être appréhendée.

1.2HUMANISER LA NAISSANCE

1.2.1L’ÉCLOSION DU MOUVEMENT

Des études historiques (Laforce, 1985; Rivard; 2010) montrent que les sages-femmes et les parturientes ont peu à peu été exclues de la mise au monde par l’introduction combinée de savoirs médicaux et de technologies de surveillance. Entre le 15ème et le 19ème siècle, le

domaine de la grossesse et de l’accouchement relevait de la sphère féminine note Hélène Laforce (1985) dans un ouvrage phare sur l’histoire des sages-femmes au Québec. C’est dans cet environnement que les femmes faisaient l’apprentissage des connaissances nécessaires à la reproduction, au contrôle des naissances, à l’accouchement et aux soins des enfants. Plusieurs auteures (Laforce, 1985; Lemay, 1997; Boilard, 1998; Gagnon, 2009) ont amplement décrit la manière dont les femmes enceintes vivaient leur grossesse, et plus

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particulièrement encore l’accouchement, entourée de leurs proches (souvent des femmes de la famille) et d’une sage-femme. Cette dernière avait comme principal rôle de « soutenir la mère et d'éloigner les dangers » (Gagnon, 2009 : 10).

C’est entre la fin du 18ème siècle et le début du 19ème siècle qu’un changement important

s’installe dans le rapport à la grossesse et l’accouchement. Le savoir médical se développe rapidement et c’est ainsi que le médecin-accoucheur fait son entrée dans un domaine presque exclusivement féminin. Cette présence soutenue déplace peu à peu les sages-femmes jusqu’au point où elles vont perdre toute crédibilité pendant plusieurs décennies.

Différents facteurs expliquent que leur pratique, du moins en tant que métier reconnu, soit graduellement marginalisée. L’implantation graduelle d’une rationalité particulière (qui sera développée explicitement dans le chapitre 2) mènent les femmes aisées d’abord à adopter les façons « modernes et sécuritaires » d’accoucher. C’est une époque où les femmes valorisent les progrès de la science, ce que le médecin-accoucheur semble incarner. Ainsi, l’image du médecin-savant déplace celle de la sage-femme-campagnarde. La législation favorisant les médecins viendra consolider une mouvance qui déborde du contexte québécois.

La transformation des mentalités et des pratiques a été rapide au Québec; déjà vers 1950, la grande majorité des femmes accouchaient à l’hôpital (Lemay, 1997 : 3; Gagnon, 2009 :11; Rivard, 2010 : 10). À cette époque, « la mère et le bébé étaient alors entièrement pris en charge par le personnel médical [...] et les rites entourant la naissance ont subi des transformations majeures » (Gagnon, 2009 : 11). L’adoption de la loi sur l’assurance hospitalisation, en 1960, a facilité l’accès au système de santé; dès lors la presque totalité des femmes se tourne vers l’hôpital pour le suivi de grossesse et l’accouchement. Dix ans plus tard, c’est 99% des accouchements qui se passent à l’hôpital (Lemay, 1997 : 4). Force est de constater que les femmes privilégient l’approche médicale jugée plus sécuritaire et

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c’est précisément cette notion de sécurité ainsi que la manière dont on construit le risque qui sont fondamentales dans la constitution de la biomédecine.

Alors que la science médicale consolide son ascendant, le Québec des années 1960-70 est profondément marqué « par des changements majeurs dans l’activité économique des femmes, tant dans la sphère de la production que dans celle de la reproduction, des transformations tout aussi fondamentales ont remodelé le cadre de vie des femmes [...] » (Collectif Clio, 1992 : 527). On remet ainsi en question le discours de la religion catholique qui relègue les femmes à des rôles secondaires et qui interdit le contrôle des naissances. Au Québec comme dans d’autres sociétés industrialisées, c’est l’époque de la « libération des corps; de sujet tabou, sinon honteux qu’elle était, la vie sexuelle de toutes, tous et chacun s’étale au grand jour. Finies les cachettes, envolés les chaperons, le corps se libère et on prononce les anciens mots interdits [...] » (Collectif Clio, 1992 : 536).

Ce mouvement d’exaltation des corps est accompagné de transformations en profondeur des pratiques familiales. Il se consolide avec la montée du féminisme qualifié de deuxième génération10. Ce féminisme introduit une critique du pouvoir patriarcal, mais aussi du

pouvoir médical qui s’imposent aux femmes. C’est dans ce contexte que la critique de la médicalisation des pratiques entourant la naissance se répand à travers une multitude de groupes aux visées différentes, mais unis dans leur volonté de redonner aux femmes le pouvoir sur leur corps et sur leur vie. Ces groupes « ont revendiqué l'humanisation des naissances, l'autonomie des femmes et la réappropriation de la maternité ainsi que les gestes et savoirs qui y sont rattachés » (Gagnon, 2009 : 11).

1.2.2LES CARACTÉRISTIQUES DU MOUVEMENT

Le contexte du Québec des années 1970-80 était donc particulièrement propice aux revendications en faveur d’un changement dans la manière d’appréhender la mise au

10 Deuxième génération par rapport au premier mouvement féministe associé aux revendications des suffragettes pour le droit de vote.

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monde. La publication et la médiatisation de l’ouvrage de Frédéric Leboyer en 1975, Pour

une naissance sans violence, contribuèrent également à la volonté de démédicaliser la

naissance (Boilard, 1998 : 42; Rivard, 2010 : 246). Au début des années 1980, certaines femmes :

demandaient à vivre leur accouchement autrement ! Ces femmes souhaitaient pouvoir exprimer leurs attentes et espéraient les voir respectées par le corps médical et le milieu hospitalier. Elles voulaient vivre en pleine conscience ce moment qu’elles qualifiaient de merveilleux alors que les médecins déployaient toute leur science pour l’aseptiser, en extraire la douleur et les émotions fortes (Boilard, 1998 : 43).

Aussi, cette revendication s’accompagne, pour certains couples, d’une volonté de vivre leur accouchement à la maison. Le renouveau de cette pratique délaissée ne sera jamais très répandu dans la population, mais « le phénomène de l’accouchement à la maison a été connu publiquement dans les médias dès 1975, puis a pris une ampleur non négligeable dans la société québécoise à partir de cette date » (Lemay, 1997).

Le mouvement prend de l’ampleur; c’est dans les années 1980 qu’on parle alors ouvertement de l’idée d’humaniser la naissance. Onze colloques sont organisés par l’Association pour la Santé Publique du Québec en 1981 sous le thème Accoucher ou se

faire accoucher. On y mettait en évidence deux problèmes majeurs : l’absence d’autonomie

des parents et la déshumanisation des soins. Tirée du texte de Boilard (1998 : 46), la problématique était présentée comme suit :

C’est la différence entre la grossesse, l’accouchement et la naissance vécus comme un phénomène normal sous le contrôle de la femme plutôt que comme une maladie, ce qui conduit à la médicalisation systématique de tout le processus. Pour bien vivre la grossesse, l’accouchement et la naissance, vous avez des droits et vous pouvez choisir votre façon de vivre pleinement cet évènement (ASPQ, 1980: annexe 1).

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Ces onze colloques ont marqué un point tournant et permis de systématiser la réflexion sur l’humanisation de la grossesse et l’accouchement. Boilard (1998 : 47) en résume les principales recommandations :

La démédicalisation de l’accouchement, mais aussi les attitudes du monde médical, attitudes qui devraient être modifiées profondément afin de respecter les choix de chacun. Les pratiques devraient elles aussi changer : le droit à l’accompagnement par une ou des personnes de son choix en était un élément central, de même que le respect d’autres demandes allant à l’encontre de la procédure routinière (rasage, installation d’un soluté, etc.) (Éléments soulignés par moi-même).

L’humanisation devient rapidement un terme central qui prend véritablement son sens lorsqu’opposé au processus de médicalisation, incluant la prise en charge et le type de surveillance qu’il implique. Ce terme sera au cœur du discours des « nouvelles » sages-femmes qui revendiquent le droit de pratiquer librement, mais aussi dans celui des parents qui souhaitent conserver un certain contrôle sur la grossesse et l’accouchement et opter pour une avenue alternative au système de santé. Pour Lemay, les « nouvelles sages-femmes sont au cœur même de la critique de tout ce qui entourait la naissance au Québec. Elles sont devenues sages-femmes pour répondre à un besoin exprimé par les femmes, besoin qu’elles ont ressenti elles-mêmes dans leur expérience de maternité » (Lemay, 1997 : 4). C’est ainsi qu’une législation voit le jour en 1990 visant l’implantation de projets-pilotes pour rendre compte de la pratique des sages-femmes. Cette loi « visait principalement à évaluer les effets de la pratique des sages-femmes sur l'humanisation et la continuité des soins, la prévention des naissances de bébés prématurés et de faible poids, l'utilisation des technologies obstétricales et l'adaptation des services aux clientèles cibles » (Gagnon, 2009 : 12).

Sur le site Internet officiel de l’Ordre des sages-femmes du Québec11, on comprend que la

pratique des sages-femmes et leur philosophie concordent avec le projet d’humanisation

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des naissances. Pour en résumer l’essentiel, la notion d’humanisation des soins qui sous-tend le mouvement pour le retour des sages-femmes met l’accent sur le droit des couples de faire des choix éclairés, ce qui implique l’accès à des informations justes sur les interventions et les différents lieux de naissance, entre autres. Cela suppose aussi le respect des choix du couple contrairement à l’imposition de protocoles. L’humanisation prône également le droit d’être accompagné par la personne de son choix lors de l’accouchement, mais surtout ce mouvement remet en question la médicalisation jugée abusive et la transformation des processus physiologiques normaux (la grossesse et l’accouchement) en événement à risque qu’il faut absolument contrôler et surveiller.

L’affirmation selon laquelle la naissance est un processus qui n’implique pas nécessairement des interventions médicales se bute à la conception biomédicale du corps, et du corps de la femme enceinte en particulier. Si le Gouvernement du Québec admet le caractère humain de la grossesse et de l’accouchement (Politique de périnatalité 2008-201812), dans les faits les choses sont plus complexes puisque cela implique d’accepter que

le corps de la femme soit conçu de manière à accomplir de façon autonome la mise au monde d’un enfant. Cette conception du corps se retrouve dans les courants de médecines alternatives qualifiés de « holistes »; les corps sont considérés non pas comme des objets sur lesquels il faut intervenir, mais comme faisant partie d’un ensemble social et culturel. Les gens présents au moment de l’accouchement, le milieu dans lequel il se déroule, l’atmosphère générale qui domine sont tous des éléments qui affectent positivement ou négativement un processus par ailleurs considéré comme « naturel ».

Ces revendications gagnent les esprits petit à petit, et l’humanisation de la naissance qui était une idée obscure et marginale devient une notion largement débattue. C’est en se faisant connaître qu’un projet comme l’humanisation de la naissance a pu s’inscrire dans l’agenda des décideurs. On note, par exemple, une augmentation importante des chambres de naissances dans les hôpitaux qui passent de 43 à 81 entre 1983 et 1986 (Boilard, 1998 :

12 Politique de périnatalité 2008-2018, p1,

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48). Le mouvement s’est aussi manifesté dans d’autres réseaux; « de nombreux articles furent publiés sur les revendications des femmes et on assista à une prolifération de livres, d’articles, de reportages et de films sur l’expérience de la naissance et sur de nouvelles approches de cet évènement » (Boilard, 1998 : 47). Il aboutit en juin 1999 avec la légalisation officielle13 de la pratique des sages-femmes. Parallèlement, la formation des

sages-femmes est systématisée dans un programme de baccalauréat reconnu14. Par ailleurs,

l’ordre des sages-femmes du Québec a été créé le 24 septembre 199915.

Dans la foulée de la lutte des sages-femmes, on voit réapparaître une autre pratique marginalisée avec la médicalisation de la naissance, celle de l’accompagnement. Boilard (1998 : 48) souligne qu’en 1980, l’Association des sages-femmes praticiennes du Québec regroupait des accompagnantes qui désiraient conserver leur rôle spécifique, c’est-à-dire un accompagnement qui n’est pas d’ordre médical. Deux ans plus tard, le collectif Les

Accompagnantes de Québec voit le jour dans la ville de Québec. Si les sages-femmes

prennent en charge tous les aspects de la grossesse et de l’accouchement, l’accompagnante offre un service « non-médical16 » aux couples attendant la venue d’un enfant. Le guide des

accompagnantes de 1987 (cité dans Boilard, 1998 : 49) montre que leur but

est d’aider les futurs parents à s’accueillir tels qu’ils sont, à assumer pleinement leurs besoins, leurs attentes et leur choix. Nous les aidons à clarifier ce qui est essentiel pour eux, à reconnaître leurs forces, leurs faiblesses, leurs droits et ceux de leurs bébés. Il est primordial pour (eux) que la dimension humaine soit reconnue dans tout le processus de la mise au monde afin que les hommes et les femmes vivent une expérience positive et enrichissante.

13 Loi sur les sages-femmes. Consulté sur Internet

(http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/S_0_1/S0_1.html), décembre 2012.

14 Site Internet (https://oraprdnt.uqtr.uquebec.ca/pls/public/gscw031?owa_no_site=374), consulté le 15 mars 2013. 15 Site Internet (http://www.osfq.org), consulté le 20 novembre 2010.

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Si au départ le bien-fondé de l’accompagnante dans les chambres d’hôpital a été systématiquement remis en question (Boilard, 1998), elles deviennent graduellement les bienvenues.

En résumé, qu’il s’agisse des sages-femmes ou des accompagnantes, leurs luttes s’inscrivent dans le mouvement alternatif qui prône l’humanisation de la grossesse et une conception holiste du corps de la femme. Ce mémoire propose donc un aperçu du rapport entre les femmes immigrantes et ce mouvement, particulièrement dans le chapitre cinq. La question se pose de savoir si ces femmes connaissent ce mouvement, si elles sont sensibilisées au suivi offert par les sages-femmes ou par les accompagnantes et, sinon, comment elles vivent la naissance de leur enfant à travers le suivi normalisé qui leur est proposé par défaut.

1.3LA POPULATION IMMIGRANTE DANS LA VILLE DE QUÉBEC

Cette recherche propose donc de mieux cerner le vécu de grossesse des femmes immigrantes à Québec. Bien que les critères de sélection des participantes à cette étude seront présentés en détail dans le chapitre trois, précisons dès maintenant qu’aucun groupe ethnoculturel n’a été explicitement déterminé en début de recherche, sinon que les participantes ne soient pas nées dans un pays industrialisé. Ceci étant dit, le portrait de la population immigrante de Québec se présente comme suit.

Entre 2006 et 2011 c’est 1 162 900 immigrants qui sont arrivés au Canada, ce qui représente 17,2% de la population immigrante totale17. Pour ce qui est du Québec, le

Ministère de l’Immigration, Diversité et Inclusion18 indique qu’en 2013 la province

accueille tout près de 51 959 personnes immigrantes pour un peu plus de 8 millions

17 Statistiques Canada, http://www.statcan.gc.ca/daily-quotidien/130508/dq130508b-fra.htm, consulté sur Internet le 12 octobre 2014.

18 Immigration, Diversité et Inclusion Québec,http://www.micc.gouv.qc.ca/fr/ministere/vision-mission.html, consulté sur Internet le 12 octobre 2014.

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d’habitants. La grande majorité de ces immigrants, les trois quarts, vont choisir de s’installer dans la grande région de Montréal. Toutefois, en 2013 toujours, les villes de Gatineau, de Sherbrooke et de Québec comptent un nombre grandissant d’immigrants; 3,4% de ses immigrants résident sur le territoire de la ville de Québec, ce qui est une augmentation par rapport aux données de 200619.

Le profil des immigrants de la ville de Québec coïncide avec celui de la province en général. C’est une population jeune, fortement scolarisée (taux plus élevé que le reste de la population), qui est capable de s’exprimer en français et qui se partage à peu près également entre hommes et femmes. De fait, plus de 94 % des immigrants résidant dans la ville sont âgés de moins de 45 ans; la proportion d’immigrants âgés de plus de 25 ans possédant un diplôme postsecondaire est de 65,3 % et 95 % d’entre eux ont déclaré être en mesure de soutenir une conversation en français.

En 200620, une centaine de communautés ethnoculturelles sont présentes sur le territoire de

la ville de Québec. L’Europe, la France en particulier, est le principal continent de provenance des immigrants, avec la moitié d’entre eux. Viennent ensuite les Amériques avec 21,7% (Colombie et États-Unis, surtout), l’Afrique avec 20,7 % ainsi que l’Asie et le Moyen-Orient avec 14,2%. Dans la ville, les immigrants sont fortement regroupés dans la région de Ste-Foy-Sillery (5800 personnes) et plus précisément dans le quartier de la Cité universitaire. Pas étonnant puisqu’au moins 15 % du nombre total d’immigrants sont inscrits à l’Université Laval21, ce qui n’est pas négligeable.

À la lumière de ces informations, on constate qu’une grande part de la population immigrante qui est originaire d’un pays non-occidental provient de l’Amérique Latine ou

19 Fiche synthèse sur l’immigration et la diversité ethnoculturelle au Québec,

http://www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/FICHE_syn_an2013.pdf, consulté sur Internet le 12 octobre 2014.

20 Sur le site officiel de la Ville de Québec, seules les données de 2006 sont disponibles. 21 Profil de la population étudiante, Tous les cycles. Consulté sur Internet

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encore de l’Afrique. Les critères de sélection ont alors été resserrés pour représenter le plus fidèlement possible les tendances de la région et l’étude visera principalement les femmes d’Amérique Latine et d’Afrique (Ouest et Centre).

Au terme de ce premier chapitre, il est plus facile d’avoir une idée assez complète du déroulement d’un suivi de grossesse au Québec. Il existe l’option du suivi ancrée dans un système de santé biomédicale, option préférée par la majorité des femmes québécoises. Une alternative existe avec la vision holistique de la naissance proposée par les sages-femmes et les accompagnantes. Si cette avenue est peu utilisée par les femmes québécoises, il convient de se demander si c’est le cas des femmes immigrantes.

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Chapitre 2

Assise théorique de la recherche

Nous venons d’explorer le contexte québécois de la mise au monde où une approche domine et fait office de savoir officiel dans tout le processus de l’enfantement. Il a aussi montré en quoi le mouvement pour l’humanisation des naissances s’est constitué en réaction à cette approche médicalisée de la naissance. Dans ce chapitre nous verrons d’abord quelques critiques que les anthropologues de la naissance ont adressées à la vision du corps-machine. Cette conception particulière du corps laisse place à une médicalisation du corps, et aussi une médicalisation de la naissance; c’est ce dont il sera question dans la deuxième et troisième partie. Finalement, nous aborderons le concept de biomédicalisation comme étant une transformation de la prise en charge médicale en une gestion standardisée par le recours aux statistiques.

Certains chercheurs ont été amenés à problématiser la question du corps en lien avec la maternité au sein des sociétés occidentales. Par exemple, avec son étude Birth in Four

Cultures, Brigitte Jordan (1993) aide grandement à former le domaine à part entière qu’est

l’anthropologie de la naissance (anthropology of birth) au sein de l’anthropologie médicale critique (Singer et Baer, 2007 : 48). Par ailleurs, dans l’ouvrage Anthropologie médicale,

Ancrages locaux, défis globaux, Saillant et Genest (2005) affirment que l’étude du rapport

au corps et de ses différentes représentations est centrale à toute l’anthropologie médicale. Selon ces derniers, l’anthropologie médicale cherche depuis les 30 dernières années, une façon autre que celle proposée par l’autorité médicale de parler des réalités du corps. Forte de ces apports empiriques, la discipline intégrera l’idée que la biomédecine n’est plus le seul terrain théorique pour parler du corps. Ceci aura des implications certaines sur les études critiques portant sur la naissance en anthropologie. La vision du corps comme une machine sera justement une de ces critiques.

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2.1 LE CORPS-MACHINE

Plusieurs auteurs et auteures affirment que la conception du corps en Occident est directement liée à la vision dualiste développée en partie par René Descartes au 17ème siècle

et c’est cette conception qui sous-tend, encore de nos jours, le savoir médical (Davis-Floyd, 1987; Scheper-Hugues et Lock, 1987; Martin, 1992; Baer et al., 1997; Le Breton, 2005; Lock et Nguyen, 2010). De pair avec l’émergence de la pratique des dissections s’est opérée une transformation de l’épistémè occidentale entre le 16e et le 18e siècle. Selon Le

Breton (2005), c’est en arrimant le savoir anatomique aux idées mécanistes de Descartes que la vision moderne du corps prend son envol. Le corps est dès lors un objet que l’on peut disséquer, posséder, collectionner, etc. La médecine moderne germe dans cet univers de sens où le corps est complètement vidé de son essence; le corps disséqué, objet de la science, est en effet sans vie.

Par ailleurs, – et ce petit détour historique est crucial pour bien comprendre ce tournant important dans la vision du corps – c’est dans ce contexte, et avec cette vision morcelée du corps, que naît la santé publique au 19ème siècle. En effet, « les enquêtes sanitaires menées

au XIXe par les médecins hygiénistes se systématiseront et animeront le développement subséquent de l’épidémiologie » (Martin, 2010 : 68). Michel Foucault (1963;1978-79) analyse de façon révélatrice la naissance de la santé publique. Selon lui, les données statistiques démontrent que les activités et les déplacements de la population ont des effets économiques que l’on peut et que l’on veut réguler. Ainsi cette régulation des populations est au centre des préoccupations : la bonne santé des populations passe par le contrôle des naissances, de la mortalité, de la maladie, etc. Inévitablement donc, l’avènement de l’hygiène publique va de pair avec celle de la santé publique. La population apparaît désormais comme une donnée, comme un champ d’interventions, comme la finalité des techniques du gouvernement (Foucault; 652-653). On peut dire que la population en termes de statistiques, devient un ensemble de corps à gérer. La science médicale va donc fragmenter cet ensemble et s’approprier l’objet-corps pour en comprendre le fonctionnement et le garder fonctionnel. C’est ainsi que se déploie l’approche anatomo-physiologique du corps, c’est-à-dire celle du corps-machine.

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Dans le domaine de l’anthropologie médicale et de l’anthropologie de la naissance, ce sera au cours des années 1980-90 qu’une critique de cette approche appliquée au corps de la femme commence à émerger. En effet, dans deux articles incontournables Robbie Davis-Floyd montre comment la formation des obstétriciens reprend cette vision du corps-machine (body-as-corps-machine) et le présente comme un « technological model of birth » (1987 :291). Dans cette optique, l’accouchement en milieu hospitalier est vu comme une ligne de montage : le produit fini étant le bébé, en bonne santé de surcroît, la mère n’étant qu’un réceptacle. Le caractère fragmenté de la naissance en milieu hospitalier et la conviction de la supériorité de la technologie sur les rapports humains incitent Davis-Floyd à développer une réflexion critique sur cette techocratisation de la maternité.

Nous présentant plusieurs conséquences d’une telle approche, Emily Martin soutient entre autres, que le médecin-accoucheur tend à évacuer le rôle de l’environnement et de l’ambiance dans le processus d’accouchement pour le voir essentiellement de façon mécanique. À cet effet, le chapitre 5 de son ouvrage The woman in the body (1992) est éloquent sur ce point : si le corps – et l’utérus par extension – est une machine, on peut supposer que celle-ci peut connaître des défaillances. Ces défaillances peuvent alors impliquer un certain nombre d’interventions (rupture des membranes amniotiques, injection de Pitocin22 ou encore la césarienne). Selon l’auteure, cette métaphore est bien intégrée

dans la formation des obstétriciens et pourrait permettre, voire justifier, certaines interventions médicales lors de l’accouchement.

Même dans le discours populaire, il n’est pas rare d’entendre les gens décrire leur état à l’aide de termes qui font référence à une machine comme par exemple : « worn out, wound

up, run down or that our batteries need recharching » (Scheper-Hugues et Lock, 1987 :

22 Le Pitocin est le nom d’un médicament qui peut être donné à la parturiente dont les contractions ne se déclenchent pas d’elles-mêmes. C’est un médicament synthétique qui reproduit l’effet de l’ocytocine, l’hormone sécrétée naturellement lors de l’accouchement, et qui déclenche les contractions.

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23). Le fait que les gens vivant dans les sociétés occidentales et industrialisées reprennent à leur compte cette conception du corps-machine est soulevé par Scheper-Hugues et Lock. La métaphore n’est plus réservée aux spécialistes ou aux experts médicaux; elle se diffuse de plus en plus dans la société en général. L’image a été absorbée dans le sens commun, elle semble aller de soi, et ceux qui la colportent n’entrevoient pas toujours les conséquences de cette conception du corps humain. D’ailleurs, l’« incorporation » de cette métaphore laisse place, et cela en est une conséquence majeure, à une médicalisation de plus en plus accrue du corps humain.

2.2 MÉDICALISATION DU CORPS

Le concept de médicalisation existe depuis longtemps mais il a suscité l’intérêt des chercheurs en sciences sociales à partir des années 1950 (Collin et Suissa, 2007 :26), en s’intensifiant pendant les années 1970 (Conrad, 1992 : 210). En effet, l’anthropologie médicale s’interroge sur la conception de la santé, de la maladie, du système médical, de la biomédecine, et le concept de médicalisation en fait également partie (Baer et al., 1997). Certains auteurs n’hésitent pas à présenter le concept comme l’un des plus puissants de la sociologie moderne (Clarke et al., 2000). Ces derniers montrent que l’utilisation du concept de médicalisation est apparue dans le cadre d’études critiques et non pour désigner un processus neutre qui décrit simplement un processus qui « devient » médical, ce que Moreau et Vinit (2007 : 36) explicitent clairement :

Classiquement définie comme le processus par lequel des problèmes non médicaux sont traités par le filtre de la maladie ou du trouble, la médicalisation prend la forme d’un investissement toujours plus poussé du « corps objet » et d’un élargissement de la catégorie du pathologique: l’acquisition d’un savoir biologique et la possibilité technique d’intervenir (chirurgicalement, chimiquement, voire génétiquement) instaurent en retour une norme justifiant l’intervention médicale.

Par ailleurs, Collin et Suissa (2007 : 26) évoquent que ce savoir biologique est acquis en parallèle avec la professionnalisation et l’institutionnalisation des médecins « dans le cadre d’une politique publique au moment où se posait l’exigence d’un appareil technique de

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gestion du social ». Dès lors, la médicalisation de tout le corps social est liée à cette entreprise de gestion et d’administration de la vie. Il devient plus facile de prendre en charge des corps, lorsqu’on les conçoit comme une somme de leurs parties, comme une machine à plusieurs pièces.

Finalement, la médicalisation correspond à un processus autant médical et scientifique que socioculturel. C’est une prise en charge, par la santé publique, des phénomènes sociaux tout en les reconsidérant sous le regard uniquement biologique (Sylvie, 2010 : 68). En outre, on pourrait parler en termes de « pathologisation de l’existence », formulation que n’hésitent pas à utiliser Gori et Volgo (2005). De nouvelles pathologies sont, de ce fait, créées : la ménopause, le syndrome prémenstruel, l’hyperactivité, les grossesses à risque, etc. En ne tenant compte que des corps biologiques le processus de médicalisation engendre l’évacuation du sujet, de l’être humain en tant que personne. En effet, « la pratique médicale moderne [et le processus de médicalisation] est celle qui disjoint le sujet de lui-même, qui le met dans une position duelle face à soi » (Martin, 2010 : 63). La subjectivité est vite écartée au profit des preuves concrètes, tangibles et médicales.

Il est important de retenir les points suivants. D’abord, le processus de médicalisation implique une prise en charge et un contrôle par la santé publique. Ainsi, des processus autrefois considérés comme « normaux » ou « naturels » sont scrutés sous l’angle de la pathologie. Selon cette approche, le corps est telle une machine qui doit se prêter à diverses interventions pour le soigner ou encore optimiser son fonctionnement. Par conséquent, on évacue graduellement le vécu du patient de la pratique médicale.

Si la médicalisation du corps est chose courante dans la pratique médicale alors la grossesse, période charnière dans la vie d’une femme, est elle aussi soumise à un modèle médical. Effectivement, la médicalisation s’applique encore plus intensément dans « les bornes de l’existence » (Moreau et Vinit, 2007 : 39) que sont la naissance et la mort.

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2.3MÉDICALISATION DE LA NAISSANCE

Dans la section précédente, trois caractéristiques qui décrivent bien le processus de médicalisation ont été retenues et elles sont reprises ici pour illustrer de quelles façons ce processus s’applique à la naissance. Nous avions d’abord 1) une prise en charge et un contrôle par la santé publique des processus physiologiques « devenus » pathologiques, 2) ce contrôle s’effectue sur un corps morcelé, essentiellement mécanique se prêtant bien, de ce fait, à diverses interventions médicales, 3) et exclut la dimension vécue du processus de la naissance.

Le premier point renvoie à une prise en charge des pathologies par la santé publique, ce qui entraîne leur multiplication. S’opère parallèlement un contrôle, voire une domination professionnelle sur la production et la distribution du savoir médical par les médecins. C’est ainsi que le paradigme opératoire du processus de médicalisation s’organise autour de la définition et de la classification des maladies, de leur étiologie et des indicateurs diagnostics (Clarke et al., 2000 : 15). Bien que depuis plusieurs décennies la grossesse et l’accouchement aient été considérés comme des phénomènes physiologiques normaux, ceux-ci sont de plus en plus compris en termes biologiques et mécaniques. Désormais, la grossesse est traitée comme une maladie, ou à tout le moins, un état qu’on doit suivre médicalement de près (Renaud et al., 1987 : 209) : il y a des symptômes, on suit leur évolution et elle a des prescriptions thérapeutiques qui lui sont propres.

Par conséquent, un nombre de plus en plus élevé de grossesses sont rangées dans une catégorie « à risque » (Quéniart, 1988; Browner et Press, 1996 : 142). Une très jeune mère, une femme de plus de 40 ans, une grossesse gémellaire, etc. sont autant de catégories que l’on peut associer à une grossesse à risque élevé (GARE). Selon l’Association des

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obstétriciens et gynécologues du Québec23, « en réalité, lorsqu'il y a des conditions de

santé maternelle ou fœtale qui peuvent avoir un effet néfaste sur l'évolution de la grossesse, on parle alors d'une grossesse à risque ». C’est dire combien le champ est large et laisse place à l’interprétation !

Dans sa thèse portant sur le vécu de la maternité, la sociologue Anne Quéniart, suite à des entrevues en profondeur réalisées avec une cinquantaine de femmes primipares, propose une lecture intéressante de la prégnance de la notion du risque. Citant, pour ce faire, Castel (1987), elle affirme que l’idéologie du risque est « un ensemble de discours, […]qui prétendent construire les conditions objectives du danger pour en déduire de nouvelles modalités d'intervention ». Ces stratégies préventives contribuent à autonomiser la notion de risque; ainsi ce n’est plus seulement la grossesse qui est visée mais bien le bagage génétique, les habitudes et les comportements de la mère. D’ailleurs, l’attention de l’obstétrique est centrée de plus en plus sur le bébé et les dangers qu’il encourt, beaucoup plus que sur la mère (Renaud et al., 1987 : 228).

Ainsi, c’est le bébé qui est à risque, mais de quoi ? Quéniart présente la « normalité de l’enfant » comme une obsession chez ses répondantes. Cette obsession pousse les femmes vers la médecine qui offre des réponses sécurisantes. Pendant plusieurs semaines, les discours tenus aux femmes sur leur grossesse, et ses dangers potentiels, concourent à établir un doute sur l’efficacité de leur propre jugement. Elles en arrivent à « la conviction profonde que la médecine est le meilleur instrument pour atteindre l’objectif de l’enfant normal et en santé » (De Koninck, 1990 : 30). La situation est telle qu’un paradoxe troublant apparaît : la grossesse est traitée comme un phénomène plus risqué que jamais dans un contexte où les taux de mortalité maternelle et infantile sont au plus bas (Renaud et

al., 1987 : 228) ! Cette idéologie du risque permet la prise en charge et le contrôle des corps

par la santé publique.

23 Site Internet (http://www.gynecoquebec.com/gynecologie/santedelafemme/sujets-6-grossesse-a-risque.php), consulté le 10 octobre 2012.

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Le deuxième point rappelle que le corps mécanique pris en charge est défini comme étant un objet parfait pour des interventions. Les propos qui sont tenus sur le corps des femmes enceintes pendant la grossesse influencent le degré de confiance que les femmes ont en leur capacité d’accoucher par elles-mêmes. Martin (1992) souligne que la conception du corps-machine et de l’utérus de la femme comme s’engageant dans une action involontaire (les contractions) pendant l’accouchement, influence concrètement le traitement, comme la prise de médicament pour réduire la douleur par exemple. Le rôle de la femme elle-même n’est pas valorisé; elle est considérée de la même façon qu’une femme paraplégique. Martin (1992 : 77) reprend les mots d’une de ses répondantes et montre comment certaines femmes parlent de l’accouchement comme d’un phénomène qui échappe aux femmes : « that happens to you, not actions you do ». On fait référence à un événement qu’on subit simplement.

Ce modèle a sa propre logique : l’initiative médicale est nécessaire si on pose que le corps des femmes est potentiellement défectueux et que la technologie permet de pallier ses manques. Lorsque je regarde les photos de mon premier accouchement, les images que je vois sont celles d’une femme qui semble malade, en chemise traditionnelle d’hôpital, avec des sangles pour le monitorage, couchée sur le dos (donnant donc une impression de vulnérabilité et d’impuissance) avec une foule d’appareils médicaux autour de moi. Difficile d’y voir un autre message que celui résumé dans cet extrait : « technology is

supreme, and you are utterly dependent on it and on the institutions and individuals who control and dispense it » (Davis-Floyd, 1987 : 485).

Le type de suivi médical qui domine actuellement en Occident et au Québec découle en partie de cette conception médicalisée du corps de la femme enceinte. On parle alors d’un suivi de type interventionniste qui peut être illustré, entre autres, par le recours à la césarienne. Alors que pour Martin (1992) la césarienne est vue comme le signe ultime de

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la faiblesse de la mère en plus de permettre une augmentation des manipulations du médecin, d’autres comme De Koninck (1990) remettent en cause la passivité de la mère dans cette intervention chirurgicale. En effet, la réalité révélée dans les entrevues menées par cette dernière était tout autre : « la recherche a mis en évidence une dynamique femmes-experts qui, tout en reposant sur des rapports inégaux, est créative de tendance dans les pratiques médicales, impliquant donc la contribution des femmes » (De Koninck, 1990 : 27). Peu importe que les femmes soient complètement dépossédées ou qu’elles en soient partie prenante, il n’en reste pas moins qu’au moins un bébé sur cinq (23%) naît par césarienne en 2011-2012 (INESSS, 2012) au Québec alors qu’on parlait à peine de 5% il y a 40 ans (MSSS, 2002). Aux États-Unis, on note une augmentation de 500% du nombre de césariennes depuis les 30 dernières années et la sociologue Margaret Ann Murphy affirme que la césarienne incarne en elle-même la médicalisation de l’accouchement (2010 : 4). À cet égard, l’augmentation et la normalisation de ces interventions chirurgicales démontrent à quel point la médicalisation de l’accouchement est devenue pratique courante.

Une autre illustration de la médicalisation de l’accouchement est la position recommandée pendant le travail. Les propos de Marie-France Morel24 sont très instructifs sur ce point.

Elle a montré comment la position optimale pour accoucher depuis des siècles était la position assise ou accroupie (on pouvait le constater sur des gravures, peintures, dans des écrits, etc.). Au début des années 1900, le lit ou la chaise de la parturiente commence alors à être abaissé. La position privilégiée à ce jour dans les hôpitaux est la position semi-assise ou carrément sur le dos les jambes surélevées et les pieds dans les étriers du lit obstétrical. Ici la médicalisation renvoie aux gestes techniques que posent le médecin accoucheur et à la position la plus confortable pour éviter les erreurs. Ce changement de position est aussi une valorisation du travail du médecin et de l’intervention médicale et a pour effet de rendre la femme qui accouche plus dépendante et impuissante face au processus vécu.

24 Mme Morel est présidente de la Société d’histoire de la naissance (France) et historienne. J’ai assisté à une conférence, le 8 septembre 2010 au Musée national des beaux-arts de Québec, intitulée Quelques éléments pour une histoire de la naissance.

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Le troisième et dernier aspect retenu, qui est aussi une conséquence inquiétante du processus de médicalisation est la banalisation du vécu de la personne. Dans une recherche traitant de la normalisation de la césarienne, De Koninck (1990 : 28) montre comment ses répondantes lui ont fait part de leur impression d’être l’enveloppe, le contenant dans lequel l’objet principal de l’attention était niché. Cette recherche faite en 1990 fait état d’une situation qui est encore vraie en 2014. On arrive à cette conclusion en lisant le guide publié par l’Institut national de santé publique du Québec, Mieux vivre avec notre enfant de la

grossesse à deux ans, guide remis à la majorité des parents. Dans l’édition de 2012 on peut

lire, des pages 95 à 105, en quoi consiste le suivi de grossesse. On y apprend qu’à chaque visite « le professionnel vérifiera votre poids, votre pression artérielle, la hauteur de votre utérus (...) et les battements du cœur du bébé » (p. 97). On mentionne également que ce type de suivi permet au professionnel de voir au bon déroulement de la grossesse ainsi que de dépister certains problèmes. Une toute petite phrase incite la femme à poser des questions au besoin. Les pages suivantes expliquent tous les tests auxquels la femme enceinte peut être soumise. Ce sont donc les résultats d’examens qui informent le praticien; le vécu et l’expérience de la mère sont rangés au second plan.

Une illustration très révélatrice de la banalisation du vécu de la personne dans le processus de médicalisation est la façon qu’ont les médecins (et autres professionnels de la santé présents à l’accouchement, par exemple) de se fier à la technologie plutôt qu’à la patiente. Ainsi, « alors que la méfiance à l’égard du corps maternel pathogène s’exacerbe, l’intérêt envers le fœtus prend le dessus des priorités d’interventions. Pour être plus juste, ce sont les représentations électroniques du fœtus – soit la machine – qui sont mises à l’avant-plan » (Sylvie, 2010). Le recours routinier et quasi obligatoire à l’échographie et au monitorage fœtal, entre autres, rend cette observation d’autant plus pertinente.

Si les écrits critiques des féministes ont démontré en quoi la mère est évacuée du processus de la naissance, Quéniart (1988) ajoute qu’on assiste à un effacement complet des êtres humains, c’est-à-dire autant des professionnels de la santé que de la mère. Lors de

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l’échographie par exemple, « malgré son rôle essentiel, il [le technicien] est effacé, dans le discours des femmes, au profit de son instrument et de ce que montre celui-ci » (1988: 187). L’auteure donne également en exemple le monitorage fœtal pendant l’accouchement qui permet au personnel d’être plus ou moins présent et de laisser le soin au moniteur de « surveiller » le déroulement du processus. Ainsi, la technologie n’implique plus nécessairement la présence d’individus, quel qu’il soit autour de parturiente.

En résumé, ces trois caractéristiques permettent d’illustrer que le processus de médicalisation est applicable au domaine de l’enfantement. Il semblerait toutefois que depuis quelques décennies, ce phénomène ait pris un tournant notable. Certains chercheurs affirment que le processus s’est transformé avec l’avènement des technologies de l’information et de la biologie moléculaire; on parle alors de biomédicalisation.

2.4 VERS UNE BIO-MÉDICALISATION DE LA NAISSANCE

Il se produit, en Occident d’après-guerre, un glissement important dans la pratique médicale (Martin, 2010). En effet, Sylvie Martin soutient que la bio-médicalisation est, en quelque sorte, la médicalisation poussée à son extrême. Elle nous présente très bien la façon dont l’avènement de la biologie moléculaire, dès les années 1950, vient complètement remodeler les paradigmes de la médecine. Les nouvelles technologies de l’information qui apparaissent alors sont intimement liées à cette évolution.

Ce dont il est question ici, c’est un processus qui conserve les mêmes fondements que la médicalisation, mais qui va bien au-delà en transformant « les infrastructures organisationnelles et institutionnelles des sciences de la vie et de la biomédecine, du fait de l’incorporation de technologies informatiques et informationnelles » (Clarke et al., 2000 : 13). La biomédicalisation est présentée comme un glissement mais on pourrait également parler du processus comme d’une transformation. Si la médicalisation s’impose en termes de contrôle, la biomédicalisation implique une transformation des processus humains. C’est

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dans la gestion du risque par la surveillance et le dépistage que le paradigme opératoire de la biomédicalisation se démarque (Clarke et al., 2000 : 15). Nous l’avons vu, ces éléments existent depuis longtemps en ce qui concerne la prise en charge médicale, mais il faut comprendre que depuis quatre ou cinq décennies, on parle plutôt d’une gestion organisée et dominée par un « managed care system » ou encore d’un dispositif de standardisation inspiré du « New Public Management » (Azria, 2012). Cette incertitude a pu être modélisée scientifiquement grâce a un raisonnement probabiliste que l’on reconnaît à travers la méthode de l’evidence based medecine (EMB) (Carricaburu, 2007; Azria, 2012). L’EMB, constitué au début des années 1990 par un groupe d’épidémiologistes ontariens, passe par

une approche analytique et critique de la connaissance via les publications scientifiques et permet d’attribuer aux résultats des travaux – et aux recommandations pour la pratique du soin qui en découlent – des niveaux de preuve sur lesquels les cliniciens pourront s’appuyer pour prendre des décisions (Azria, 2012).

Cette approche qui se présente comme objective a de graves conséquences au niveau de la conception du soin à apporter. On s’intéresse plus à la potentielle défaillance de la « machine » humaine qu’à la personne impliquée; celle-ci devient un ensemble de paramètres épidémiologiques.

Cette méthode se diffuse peu à peu à toutes les branches de la médecine et l’obstétrique n’y échappe pas. Claire Wendland, anthropologue américaine, analyse la prise de décision de type evidence based lorsqu’il est question des césariennes aux États-Unis. Elle présente plusieurs conséquences d’une telle approche: l’absence de subjectivité de la mère, une marginalisation de la relation mère-enfant et une tendance à ne considérer que les complications à court terme. Au terme de son analyse, l’auteure arrive à la conclusion que « the philosophical and economic exigencies of obstetrics construct the doctor’s (cultural)

body as the site of safety, the mother’s (natural) body becomes the site of risk: risk to herself, and risk to her fetus » (Wendland, 2007 : 225). Ce qui doit être retenu ici c’est cette

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raisonnement probabiliste. Ce risque est vu comme omniprésent, latent; il faut donc le dépister. Dans cette optique, la surveillance accrue est de mise. En effet, les chercheurs critiques cités plus haut viennent à une conclusion commune; dans l’évolution biomédicale, tout le processus de la mise au monde est perçu comme devant être surveillé et médicalisé.

Le processus de médicalisation n’est pas disqualifié par la biomédicalisation, ce sont deux processus qui coexistent et s’alimentent l’un l’autre. Ces deux entités coexistent et s’alimentent entre elles; il n’est pas question d’y voir une coupure. Clarke et al., (2000 : 31) n’hésitent pas à présenter le processus comme un « consortium qui mondialise avec agressivité et apporte la biomédecine occidentale, avec ses produits et ses services technoscientifiques, à de nouvelles régions géographiques pour développer de nouveaux marchés [...] ».

Pour illustrer ces propos et revenir plus particulièrement sur la naissance, on peut regarder les programmes et projets de l’OMS25 touchant la santé des mères et des nouveau-nés. Un

de ses programmes, The integrated management of pregnancy and childbirth (IMPAC), affirme être fondé sur des preuves scientifiques et sur des stratégies à faibles coûts. Les auteurs présentent le programme en trois volets : le système de santé (accessibilité, gestion des infrastructures, surveillance des performances), les soignants (formation, compétences) et finalement les familles et la communauté (éducation sanitaire). Encore une fois, c’est une vision gestionnaire qui ressort et le vécu des personnes n’est mentionné que pour optimiser leur recours aux soins de santé professionnels. Le but de cette approche gestionnaire est d’améliorer les indicateurs de santé pour les mères et les bébés, bref on focalise plus sur l’aspect épidémiologique de la naissance que sur les autres facteurs humains, comme les liens sociaux, entre autres.

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Pour conclure ce chapitre, la (bio)médicalisation du corps est un processus qui sous-tend une vision morcelée et déshumanisée du corps humain. Appliquée au corps de la femme pendant la grossesse et l’accouchement, cette approche peut avoir de lourdes conséquences comme la « pathologisation » de la naissance, la justification des interventions médicales ainsi que l’évacuation du vécu de la personne concernée. La standardisation de ce processus mène à une vision gestionnaire du risque qui passe par une surveillance accrue du corps féminin du début de la grossesse jusqu’à l’accouchement, et même de plus en plus avant la conception (méthode contraceptive, procréation assistée, etc.) et longtemps après la naissance de l’enfant (allaitement, suivi du nouveau-né, etc.).

Dans un contexte de soutien à l’immigration, d’avenues alternatives favorisant l’humanisation de la naissance qui restent marginales et d’une médicalisation sans cesse accrue de l’accouchement, on peut se demander comment des femmes immmigrantes installées dans la ville de Québec vivent leur grossesse. Dans le prochain chapitre je présente les démarches de recherche et d’analyse.

Références

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