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Le zen = centre d’information sur la Chine au Japon

F. Un ambassadeur Ming rencontre un moine et un shugo

1. Le zen = centre d’information sur la Chine au Japon

La première pénétration du zen au Japon se situe au XIème siècle, lorsque le

moine Kakua 覚阿 transmet les enseignements qu’il a suivis lors de son voyage dans la

Chine des Song.44 Ce moine est le premier d’une longue série de moines japonais qui se rendit en Chine durant les périodes de Heian et de Kamakura. Citons par exemple Dôgen

道元 (1200-1253) qui se rendra en Chine dans les années 1220 et importera au Japon les

enseignements de l’école Caodong sous le nom de Sôtô 曹洞宗. Par ailleurs, les moines zen chinois de la même période, loin de se contenter d’attendre passivement dans leurs

monastères l’arrivée de moines étrangers, sont particulièrement actifs dans la diffusion

du zen dans toute l’Asie de l’est.45 Dans ce but, plusieurs moines chinois zen se rendront au Japon à la même période ; ils seront appelés toraisô 渡来僧.

Ainsi se forme à partir du XIème siècle un lien humain et culturel ténu entre les

deux pays, inédit depuis la fin des ambassades japonaises envoyées vers les Tang au

IXème siècle, et entretenu par ce nouveau désir partagé par les moines des deux pays de

compréhension et de diffusion du zen. Loin de simplement relier de façon unilatérale la

Chine et le Japon, c’est tout un réseau régional de transfert de connaissance et

44 S

HIMAO Arata dir., Higashi ajia no naka no gozan bunka (La culture des monastères gozan à travers l’Asie de l’est), Tokyo daigaku shuppankai, 2014, p53.

45 S

HIMAO Arata dir., Higashi ajia no naka no gozan bunka (La culture des monastères gozan à travers l’Asie de l’est), Tokyo daigaku shuppankai, 2014, p54.

d’informations dont les monastères zen ont le contrôle qui voit le jour en Asie de l’est.

On ne dénombre pas moins de 220 moines zen japonais s’étant rendus en Chine seulement

sur la période de la dynastie Yuan (1279-1368), la plupart s’y étant rendus dans la

première moitié du XIVème siècle46. Pour résumer l’influence du zen dans les relations diplomatiques médiévales est-asiatiques, Murai Shôsuke aura ces mots : 「中世禅林は東

アジアの国際社会」 « Les monastères zen du Moyen-Age sont le centre des relations

internationales est-asiatiques » 47 . Les monastères zen japonais sont à l’époque d’importants centres de collecte d’informations concernant la Chine. Le Kenchôji 建長 寺 de Kamakura fondé par le moine chinois Lanxi Daolong 蘭溪道隆 (jp : Rankei

Dôryû), un toraisô du XIème siècle, a la réputation d’être un grand centre de savoir sur

la Chine. C’est en partie grâce aux moines du Kenchôji que les régents Hojô auraient pour

la première fois eu connaissance des invasions mongoles ayant cours dans la Chine des

Song et pris conscience d’une éventuelle invasion à laquelle ils devraient faire face48. C’est également un moine zen du Kenchôji disciple de Rankei Dôryû nommé Nanpô

46

FOGEL Joshua, Articulating the Sinosphere: Sino-Japanese relations in space and time, Harvard University Press, 2009, p.25.

47MURAI Shôsuke, « Kokusai shakai toshite no chûsei zenrin » (Le zen médiéval en tant que société

internationale), dans YOSHIDA Mitsuo dir., Nikkanchû no kôryû : hito, mono, bunka (Les échanges nippo-

coréen : Hommes, choses et cultures), Yamakawa, 2004, p.83.

48 S

HIMAO Arata dir., Higashi ajia no naka no gozan bunka (La culture des monastères gozan à travers l’Asie de l’est), Tokyo daigaku shuppankai, 2014, p64.

Shômyô 南浦紹明 (1235-1309) qui rencontrera l’ambassadeur mongol Zhao Liangbi

dont nous avons parlé précédemment49.

Les relations privilégiées qu’entretiennent les moines zen avec la Chine et les

toraisô font d’eux les plus érudits en langue chinoise parmi leurs contemporains. Certains toraisô apprennent le japonais auprès de leurs disciples tandis que les moines zen japonais

étudient le chinois auprès de leurs maîtres venus du continent50. Leurs connaissances linguistiques ainsi que leurs connexions avec le continent leur feront obtenir le soutien

des shogunats de Kamakura et de Muromachi, le premier voyant en eux un moyen de s’informer sur l’ennemi mongol, le deuxième, un moyen de renouer des relations

officielles avec la Chine. Ils seront le relais du shogunat avec les pays voisins à qui on

confie régulièrement la rédaction des courriers diplomatiques à destination de la Chine et de la Corée. C’est entre autres Shun.oku Myôha qui rédige le courrier envoyé par

Ashikaga Yoshimitsu à la Corée demandant l’envoi du Daizôkyô 大蔵経, le Canon

bouddhique chinois au Japon51. Ajoutons par ailleurs que la promotion du zen pour le nouveau shogunat de Muromachi s’inscrit totalement dans le « plan d’usurpation de la

royauté » ôken sandatsu keikaku 王権簒奪計画 d’Ashikaga Yoshimitsu que nous décrit

49 S

HIMAO Arata dir., Higashi ajia no naka no gozan bunka (La culture des monastères gozan à travers l’Asie de l’est), Tokyo daigaku shuppankai, 2014, p66.

50S

AITO Natsuki, Gozansô ga tsunagu rettôshi : Ashikaga seikenki no shûkyô to seiji (L’histoire de l’archipel a partir des moines zen : La religion et la politique sous la gouverne des Ashikaga), Nagoya University, 2018, p.259.

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Imatani Akira. Ashikaga Yoshimitsu, outre son intérêt pour la Chine et le zen, se sert en

effet des récents monastères zen pour créer une nouvelle hiérarchie religieuse basée sur

une seule et même secte, plus facilement contrôlable et malléable que les sectes

bouddhistes « traditionnelles » telles Shingon ou Tendai solidement établies52 et ainsi, bâtir un nouvel appareil d’Etat.

Après ce court résumé sur le rôle du zen aux époques de Kamakura et Muromachi, l’intérêt que peut éprouver Shun.oku Myôha, moine zen le plus éminent de

son temps, proche du shogunat et d’Ashikaga Yoshimitsu, pour deux ambassadeurs venus

de Chine parait naturel. Il est fort possible que Myôha voit en Zhao Zhi un moyen de s’inscrire dans cette tradition d’échanges culturels et religieux avec la Chine. Sa

nomination au poste de sôrokushi en 1379 par Yoshimitsu est de six ans postérieurs à sa

correspondance avec les envoyés Ming. Correspondre avec ces derniers pouvait

également être un moyen de gagner les faveurs du shôgun. Afin de prouver sa

correspondance et bien que Zhao Zhi ne soit pas moine, Myôha lui envoie certains de ses

écrits que Zhao Zhi est à même de commenter en sa qualité de lettré. Si Myôha se sert de

Zhao Zhi à des fins politiques, Zhao Zhi se sert de Myôha et de ses disciples pour se

rendre à Kyôto. Outre les raisons culturelles qui peuvent amener un lettré chinois à vouloir se rendre à la Capitale, Zhao Zhi a certainement appris l’existence de la rivalité entre la

52

ADOLPHSON Mickaël, The Gates of Power: Monks, Courtiers, and Warriors in Premodern Japan, University of Hawaiʻi Press, 2000, p.307.

cour du Nord et la cour du Sud. Il est envisageable qu’il voulut se rendre à Kyôto dans le but de rencontrer le shôgun afin d’établir un dialogue avec ce dernier pour lui demander

l’arrêt de la piraterie japonaise le long des côtes chinoises, dialogue finalement établi par

les deux ambassadeurs Ming qui lui succèderont53.