Wang Zhi fuit définitivement l’archipel de Zhoushan pour le Japon en 155332, lorsque l’armée Ming s’apprête à attaquer l’île et à en prendre le contrôle. C’est à cette
même date qu’il installera définitivement ses activités au Japon à Hirado 平戸 situé au nord de l’actuel département de Nagasaki 長崎県33. Il y est reçu par le seigneur de Hirado Matsuura Takanobu 松浦隆信 (1529-1599), qui voit dans ces « pirates » chinois de
simples marchands fuyant un régime ne leur autorisant le commerce et les profits avec
30 S
O Kwan Wai, Japanese piracy in Ming China during the 16th century, Michigan State University
Press, 1975, p.20.
31 S
HAPINSKY Peter D., Lords of the Sea: Pirates, Violence, and Commerce in Late Medieval Japan, Center for Japanese Studies The University of Michigan, 2014, p.179.
32 N
AKAJIMA Gakushô, Kishû shônin to Minsei chûgoku Sekaishi Riburetto 108 (Les marchands de Huizhou et la Chine des Ming et des Qing : Livret sur l’histoire du Monde 108), Yamakawa Shuppansha, 2010, p.45.
l’étranger34. Matsuura Takanobu fait partie de ces petits seigneurs (tel les Ôtomo) qui, dans le contexte de déliquescence de la puisssance du clan Ôuchi et de ses prérogatives
sur les ambassades et le commerce international, veulent tirer profit de ces nouveaux
marchands apportant denrées et marchandises rares dans leurs domaines qui attireront des marchands venus des grands centres urbains de l’intérieur du pays, tels les marchands de
Sakai, dont nous savons que certains membre de la famille Hibiya faisaient régulièrement l’aller-retour entre Hirado et leur ville d’origine35. Outre les Chinois, Matsuura Takanobu accueille également des marchands et missionnaires portugais, dont il tolère la présence.
Nous pouvons émettre l’hypothèse que ces marchands portugais se soient installés à
Hirado en utilisant une fois de plus le réseau crée par Wang Zhi dans leurs négociations
avec les seigneurs de Hirado, renforçant une fois de plus le rôle du marchand comme
intermédiaire entre Japonais et Portugais. Les missionnaires seront également tolérés par
Matsuura Takanobu, si bien que même certains membres de la famille Hibiya se
convertiront au christiannisme après leur passage à Hirado.36
34 P
TAK Roderich, « Sino-Japanese Maritime Trade, circa 1550 : Merchants, Ports and Networks », dans PTAK Roderich dir., China and the Asians Seas, Ashgate Variorum, p.281-311, 1998, p.288.
35 O
KAMOTO Makoto, “Sakai shônin hibiya to jyûroku seiki nakaba no taigai bôeki” (Les marchands de Sakai Hibiya et le commerce international au milieu du XVIème siècle) dans, NAKAJIMA Gakusho dir.,
Nanban, Koumo, Tojin : jûroku, jûnana seiki no higashi ajia kaiiki (Nanban, Kômo, Tôjin, les mers
d’Asie de l’est au XVI et XVIIème siècle), Shibunkaku, 2013, p.183.
36 O
KAMOTO Makoto, “Sakai shônin hibiya to jyûroku seiki nakaba no taigai bôeki” (Les marchands de Sakai Hibiya et le commerce international au milieu du XVIème siècle) dans, NAKAJIMA Gakusho dir.,
Nanban, Koumo, Tojin : jûroku, jûnana seiki no higashi ajia kaiiki (Nanban, Kômo, Tôjin, les mers
A Kyûshû, à l’abri des représailles des autorités Ming, l’empire maritime de
Wang Zhi aura alors sous son contrôle trente-six îles37 dont l’archipel des îles Gotô 五
島38 d’où lui viendra le nom sous lequel on le retient dans les sources japonaises, Gotô
五峯. Il comptera sous ses ordres environ deux milles Japonais et Chinois installés à
Hirado39, qui seront les acteurs d’un commerce maritime florissant naissant en Asie de l’est ayant ses propres règles. Son empire s’étend sur les mers et prend racine sur terre,
soutenu par les marchands des pays locaux. Tels les nouveaux seigneurs influents de Kyûshû, il tire parti de l’affaiblissement du clan Ôuchi pour accaparer leurs réseaux
commerciaux et s’approprier les marchands (ceux de Sakai par exemple qui ont participé
aux deux ambassades envoyées par les Ôuchi en 1541 et 1549) qui travaillaient avant
pour ces derniers pour ainsi prendre le contrôle des exportations et importations des
produits40. Wang Zhi arrive même à attirer dans sa sphère d’influence des pirates qui sévissaient à cette période sur la mer intérieure de Seto 瀬戸内海41. Il serait difficile de considérer la venue de Wang Zhi au Japon telle une émigration vers un pays étranger.
Hirado ne devait pas présenter de différences fondamentales avec Liuhengshan, deux
37 M
URAI Shôsuke, Ajia no naka no chûsei nihon (Le Japon médiéval en Asie), Azekura Shobô, 1988, p.131.
38 Voir annexe 10
39 VON VERSCHUER Charlotte, Le commerce entre le Japon, la Chine et la Corée à l’époque médiévale,
VIIème-XVième siècle, Publications de la Sorbonne, 2014, p.168.
40 PTAK Roderich, « Sino-Japanese Maritime Trade, circa 1550 : Merchants, Ports and
Networks », dans PTAK Roderich dir., China and the Asians Seas, Ashgate Variorum, p.281-311, 1998, p.288.
41 S
HAPINSKY Peter D., Lords of the Sea: Pirates, Violence, and Commerce in Late Medieval Japan, Center for Japanese Studies, The University of Michigan, 2014, p.193.
ports d’Asie de l’est tenus par des marchands contrebandiers venus de différentes régions
du continent asiatique. Du point de vue de ces commerçants, ces deux espaces bien qu’officiellement soumis à deux administrations et gouvernements distincts
appartiennent au même espace maritime et à la même aire culturelle, disposant d’une
large voire totale indépendance au vu de la faiblesse des gouvernements des pays de la
région. Pour Wang Zhi, sa venue à Hirado n’est que le déplacement de sa base d’activité
vers un endroit moins accessible aux autorités Ming, où son commerce sera protégé et
encouragé par les barons locaux (le clan Matsuura). Depuis Hirado, Wang Zhi se livrera
à des raids et à des actes de pirateries le long des côtes chinoises notamment à Dinghai
定海 près de Ningbo42 et menace plusieurs fois la ville d’Hangzhou, méritant alors de ce fait l’appelation de pirate wakô. Wang Zhi n’a pas recours à ces méthodes violentes par
plaisir, son but principal étant le commerce, commerce privé qu’il essaie de faire
reconnaitre comme légal par le gouvernement Ming. Ces attaques et raids ciblés sur les
villes de la côte sont un moyen pour Wang Zhi de faire pression sur le gouvernement
Ming et ainsi de se faire reconnaître comme interlocuteur légal pour le Japon par ce
dernier43, situation à laquelle il ne parviendra jamais.
42 Voir annexe 9, et S
O Kwan Wai, Japanese piracy in Ming China during the 16th century, Michigan
State University Press, 1975, p.20.
43
PTAK Roderich, « Sino-Japanese Maritime Trade, circa 1550 : Merchants, Ports and Networks », dans PTAK Roderich dir., China and the Asians Seas, Ashgate Variorum, p.281-311, 1998, p.288.