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Appel en faveur d’une Charte des devoirs des Etats

M. WOLFGANG THIERSE (Allemagne) déclare

« Mesdames et Messieurs,

C’est avec grand plaisir que je réponds à l’invitation de M. Tomčić d’introduire le deuxième thème de notre conférence d’aujourd’hui.

Notre présence ici même, en Croatie, pour examiner la Charte des devoirs des Etats, est un signe d’espoir, à la fois pour ce pays, pour l’ensemble de la région et pour toute l’Europe. Avec la fin de la confrontation Est-Ouest, nous espérions l’avènement d’un âge d’or pacifique. Les quatre guerres qui ont déchiré les Balkans ont cruellement anéanti cet espoir. Au cœur de l’Europe, les droits de l’homme ont été foulés aux pieds et les principes que nous pensions inviolables ne pouvaient, dès lors, plus être tenus pour une évidence. Fort heureusement, les solutions politiques ont, une fois de plus, repris le dessus.

Voilà plus de cinquante ans que la Déclaration universelle des Droits de l’homme a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies et trente-cinq ans que les Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels ont vu le jour. Pourtant, les rapports des Nations Unies nous révèlent qu’il n’est pas rare, hélas, que les Etats violent les droits fondamentaux de leurs propres citoyens et les droits de l’homme internationalement reconnus. C’est pourquoi notre ancien collègue Luciano Violante, de la Chambre des députés italienne, déclarait, lors de la Conférence du millénaire des présidents des parlements nationaux, organisée par l’Union interparlementaire durant l’été 2000, que le temps était venu d’élaborer une Charte des devoirs des Etats. Ce fut un plaisir pour moi de reprendre le flambeau et de travailler à l’élaboration de cette Charte, qui sera, sinon juridiquement, du moins moralement contraignante. Je l’ai fait car il s’agit là de l’une des deux missions essentielles de tout parlement véritable. Notre rôle consiste en premier lieu à exercer un contrôle sur les actes de nos gouvernements respectifs et, ensuite, à garantir que les conventions internationales négociées par nos gouvernements sont non seulement respectées mais aussi transposées en droit interne. Avec Luciano Violante et notre collègue français, Raymond Forni, actuellement occupé par la campagne électorale en France, j’ai donc préparé le document que nous examinons aujourd’hui pour la première fois au sein d’une vaste assemblée.

J’estime, et les discussions que nous avons eues depuis le 11 septembre renforcent cette conviction, que les devoirs de l’Etat devraient figurer au premier rang de nos priorités. En effet, les violations des droits de l’homme perpétrées par les Etats sont souvent un terreau favorable au fanatisme et à l’extrémisme. On ne peut débattre des moyens d’éradiquer le terrorisme sans s’accorder en premier lieu sur la nécessité pour l’Etat de respecter inconditionnellement ses devoirs vis-à-vis de tous ceux sur lesquels s’exerce sa souveraineté. Deuxièmement, même dans le cadre de la campagne internationale contre le terrorisme, et aussi monstrueux que celui-ci puisse être, nous ne devons à aucun moment perdre de vue nos propres devoirs. L’une des prémisses sur lesquelles nous nous sommes fondés pour élaborer la Charte est que les droits de l’homme sont un patrimoine commun à toutes les cultures et civilisations du monde. C’est ce caractère universel qui devrait garantir la reconnaissance absolue de l’égalité et de l’inaliénabilité des droits de chaque être humain. La légitimité des Etats vis-à-vis de leurs propres citoyens et de la communauté internationale passe donc par le respect des droits de l’homme et l’observation scrupuleuse de certaines obligations, telles que celles que nous avons répertoriées dans la Charte.

En conséquence, nous appelons tous les Etats, quelles que soient leurs traditions culturelles et juridiques, à accepter les dix « obligations » énoncées dans la Charte et sans le respect desquelles nous ne pouvons concevoir d’action légitime de la part de l’Etat.

Que recouvrent ces obligations ? Elles constituent en quelque sorte un patrimoine que nous pourrions considérer comme acquis, mais qui ne l’est hélas pas partout. En souscrivant à cette Charte, ceux qui tiennent les rênes du gouvernement s’engagent à ne jamais soumettre qui que ce soit à la torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. La force publique doit s’exercer de manière équitable et proportionnée. L’esclavage, la traite d’êtres humains et toutes les formes de discrimination doivent être combattues. Pour nous, membres du Conseil de l’Europe, les appels à l’indépendance de la justice, au droit à un procès équitable, et donc à

l’existence de voies de recours et aux droits de la défense, de même que les appels à la protection des minorités ne sont pas nouveaux. Ces principes sont déjà consacrés par plusieurs conventions européennes, au premier rang desquelles la Convention européenne des droits de l’homme et ses protocoles et la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. Aujourd’hui, la signature et la ratification rapide de ces instruments font, à même titre que la tenue d’élections libres à scrutin secret, partie des conditions d’adhésion au Conseil de l’Europe et je m’en réjouis. Bien sûr, c’est à l’aune de notre pratique quotidienne du gouvernement que nous devons, nous aussi, être jugés, pour voir si nous appliquons toujours pleinement et intégralement nos propres règles.

Le droit fondamental de la personne humaine est le droit à la vie. En conséquence, le devoir primordial de tout Etat démocratique est d’assurer par la loi la protection de ce droit. Fondement de tous les autres droits et préalable à leur exercice, le droit à la vie ne saurait être confisqué. C’est pourquoi aucun système juridique ne peut plus, dès à présent, inclure la peine de mort et que les personnes déjà condamnées à mort ne peuvent être exécutées. La plus grande réussite du Conseil de l’Europe est d’avoir affranchi 800 millions d’Européens de la peine de mort. Depuis l’an 2000, cette peine n’a plus droit de cité en Europe. Le Protocole n° 6 concernant l’abolition de la peine de mort en temps de paix, qui découle d’une initiative de membres de nos parlements nationaux au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, est maintenant en vigueur dans 39 Etats membres de cette organisation, les quatre pays restants – dont trois ont déjà signé le protocole – appliquent un moratoire sur les exécutions. Sur cette base, la plupart d’entre nous ont également signé l’Appel de Strasbourg pour l’abolition de la peine de mort dans le monde entier. Cet appel a été lancé l’an dernier et reste plus que jamais d’actualité.

Une nouvelle étape se présente maintenant avec le projet de Protocole n° 13 à la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoit l’abolition de la peine de mort dans les pays membres du Conseil de l’Europe dans toutes les circonstances.

Ce projet répond aussi à un appel de parlementaires de l’Assemblée du Conseil de l’Europe. Il reconnaît au droit à la vie une valeur tellement fondamentale que l’Etat ne doit plus pouvoir porter atteinte à ce droit, même en temps de guerre et dans d’autres situations d’urgence. M. Schieder, en janvier, vous avez examiné ce projet à Strasbourg et adopté un avis. Je me félicite au plus haut point que le protocole n° 13 ait pu être ouvert à la signature lors de la réunion de nos ministres des Affaires étrangères, la semaine dernière, à Vilnius, et que mon pays ait été l’un des premiers à le signer.

Soit dit en passant, je trouve tout à fait remarquable que les représentants des gouvernements auprès du Conseil de l’Europe aient transmis pour avis ce projet de protocole à nos collègues trois mois juste après les événements du 11 septembre.

Depuis ces lâches attentats, des appels en faveur de la peine de mort se sont de nouveau fait entendre ici et là, sur fond de poursuite et d’arrestation de terroristes internationaux. Le rejet clair et sans équivoque de la peine de mort, quelles que soient les circonstances, et sans exception aucune, exprimé dans ce protocole envoie donc un signal fort à la communauté mondiale.

Comme je l’ai déjà dit tout à l’heure en évoquant nos discussions d’hier, les opérations visant à demander des comptes aux terroristes ne sauraient justifier le moindre

n’est jamais dénué de tensions, parfois extrêmes. En tant que législateurs, nous avons cependant une responsabilité particulière envers les citoyens que nous représentons. Au nom de cette responsabilité, nous devons veiller, en intervenant résolument pour lutter contre ces crimes, à ne pas perdre notre calme et à ne pas sacrifier notre sens de la mesure à une vengeance aveugle et à informer les citoyens de notre position. Dans mon pays, le parlement a recommandé au gouvernement fédéral d’aligner sa conduite sur cette position pour la 58e session de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies.

Mais nous ne devons pas nous contenter d’assurances et d’engagements sur le papier. Nous devons chercher à établir un dialogue actif avec les organisations non gouvernementales et les acteurs de la société civile, même si les critiques qu’ils expriment parfois à l’encontre de l’action gouvernementale ne sont pas toujours les bienvenues. Ils ne bénéficient pas, après tout, de la légitimité, et donc de la responsabilité, que nous confère notre position d’élus et ils sont bien sûr souvent très subjectifs dans leur manière de présenter certains problèmes. Mais ces reproches et mises en garde sont la garantie que nous passerons sans cesse en revue nos actions. C’est pour cette raison que le droit à la liberté d’opinion et d’expression, le droit à la liberté de pensée et de conscience et le droit à la liberté de réunion et d’association sont essentiels. Sans eux, il ne peut y avoir de société civile douée d’un véritable sens de l’engagement et de structures dynamiques.

Une prise de position claire et irréprochable de la part des gouvernements sur ces sujets contribue, dans le même temps, à réduire le soutien dont jouissent les extrémistes. Si, de plus, l’Etat affecte une part convenable de ses ressources à la lutte contre la pauvreté, à la santé et à l’éducation, il contribue non seulement à améliorer les conditions générales de vie de la population, mais il applique aussi, en respectant et protégeant dans le même mouvement les droits civils, politiques, sociaux et culturels, la meilleure forme de prévention des crises. C’est pourquoi il est de l’intérêt fondamental de tous les Etats de prendre acte de leurs engagements envers les citoyens et de s’acquitter pleinement de leurs devoirs.

Parallèlement au droit national, nous devons aussi améliorer l’application du droit international. Tel est l’objectif du dernier article de notre Charte, dans lequel nous appelons tous les Etats, en particulier dans la perspective du droit international humanitaire, à ratifier dans leur intégralité les accords relatifs à la protection des droits de l’homme et à adhérer au Statut de la Cour pénale internationale.

Il y a, à n’en pas douter, largement matière à développer le texte de la Charte. Nous ne pourrions que nous féliciter si notre projet pouvait être examiné lors de l’une des prochaines conférences interparlementaires, à Genève, en septembre, ou à Santiago du Chili au début de l’an prochain, et si nous pouvions nous unir pour faire pression sur les parlements des Etats qui ne remplissent pas encore pleinement leurs devoirs.

La Charte nous offre l’occasion de débattre, à l’échelle mondiale, de ce qui doit être considéré comme relevant des devoirs fondamentaux des Etats et de convaincre les autres de leur importance.

Saisissons cette occasion ! Je vous remercie. »

V. Discussion générale

M. WIM VAN EEKELEN (Pays-Bas) félicite M. Thierse du travail accompli concernant la Charte. Il se pose trois questions : la Charte est-elle nécessaire ? Ses principes sont-ils énoncés ailleurs ? Son contenu est-il acceptable ?

Premièrement, les principes fondamentaux sont généralement acceptés, mais il serait préférable de débattre des devoirs des parlements plutôt que des Etats. Ces principes devraient être appliqués comme bonne pratique au sein des parlements nationaux et la Charte reformulée en conséquence. Deuxièmement, de nombreuses déclarations de principe ont été adoptées, la question étant de savoir comment elles sont mises en pratique. Il ne faut pas vouloir systématiquement tout relier. Troisièmement, le texte de la Charte pourrait être amélioré dans certains domaines : la notion de force publique au paragraphe 5 est peu claire ; l’allusion à tout autre statut au paragraphe 8 n’ajoute rien ; la référence à des accords au paragraphe 10 doit être clarifiée. En conclusion, M. Van Eekelen accepte les principes comme des lignes directrices, mais estime que l’accent devrait être mis plus sur les parlements que sur les gouvernements. La Charte pourrait toutefois devenir un document utile.

M. JOÃO BOSCO MOTA AMARAL (Portugal) salue le projet de Charte sur les

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