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VU DU SAVOIR-DIRE AU SAVOIR-ÊTRE

Dans le document Systèmes sauvages (Page 38-42)

Eœuvre est née du jeu, par un bricolage qui consistait essentiellement à assembler des lignes de codes récupérés ici et là sur le Web. En ce sens, le programme informatique qui constitue l'axe central de l'œuvre a été créé dans l'errance et l'incertitude. Comme pour tous mes projets, les choses sont rarement déterminées à l'avance. Je procède sans hypothèse ni plan de travail. Je laisse les événements survenir.

Cultiver l'incertitude dans un réseau standardisé entraîne évidemment son lot de problèmes techniques, logiques, idéologiques. Dans le cas de Ce qu'il reste, la difficulté première concernait le processus auto-régulateur du programme qui devait permettre au système de maintenir son fonctionnement de telle sorte que lorsque les traces sont cumulées et qu'un certain seuil est atteint, les couches plus anciennes disparaissent pour laisser place aux nouvelles. Cet équilibre me semblait crucial mais, sans le savoir-dire40, il m'était difficile de poursuivre dans cette voie. Une première 40 Le savoir-dire désigne la capacité à dialoguer au moyen d'un langage abstrait: en l'occurence, un langage informa- tique.

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question s'est alors posée : « comment résoudre l'impasse ? ». Jusqu'au jour où ce « comment » est devenu un « pourquoi ». J'ai dès lors pris conscience que ce qui semblait essentiel à mon œuvre ne l'était pas du tout. Pourquoi ce principe d'auto- régulation serait-il indispensable ?

En effet, la qualité première de la donnée numérique est sa capacité à se restaurer perpétuellement. Elle ne se dégrade pas naturellement. Dès lors, on la pense plus en termes de virtuel, c'est-à-dire de croissance, qu'en termes de périssabilité.41 En

ce sens, la logique de la technique nous amène à la percevoir comme un objet de pérennité. Dans ce mode de pensée, son auto-destruction n'est plus envisageable. Eidée apparaît désuète, archaïque, insensée. Ainsi, cette possibilité se trouve systématiquement évacuée du processus créateur.

VU. LA DÉRIVE

Eœuvre contourne la logique du système et dévie de la voie dans laquelle l'affordance technologique l'avait naturellement amenée à s'engager. Ici, le programme intègre les images captées par la caméra et les cumule de manière à créer un mouvement travaillant contre lui-même et qui ultimement finira par détruire tout ce qu'il aura produit. Il n'y a aucune mise en mémoire. On assiste alors à l'extinction d'une structure visuelle ou encore à son uniformisation entropique. Le système atteint un seuil, non pas parce qu'il à été programmé pour le faire, mais parce qu'à un certain moment, il se trouve limité par la surface écranique concrète. Le virtuel se frotte à l'actuel, tel un algorithme qui s'use au contact de la vie. Ce sont là des formes qui se résistent et se tiraillent. Mais cette poésie suppose aussi la mise en péril de l'équilibre à la fois fonctionnel et esthétique du système.

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Le système n'évolue donc pas en fonction de principes téléologiques, car l'œuvre n'a pas de finalité technologique. Lœuvre agit sur la technique qui la propulse de telle sorte qu'elle lui fait perdre son potentiel instrumental. Paradoxalement, elle dépend toujours du réseau technique et de la logique qui en découle.

Figure 12 : Documentation de l'installation audiovidéographique Ce qu'il reste (2011).

Ici, alors que le visuel atteint sa limite dans l'actuel, sa logique, cette forme virtuelle, persiste. Les traces se superposent continuellement malgré qu'il ne soit plus possible de les percevoir. La machine fonctionne sans résistances pour la retenir, elle calcule, elle s'égare. Et pourtant, elle ne fait que ce qu'elle sensé faire: calculer. D'ailleurs, pourrait-on y trouver là les traces d'un discours critique sur les systèmes auto-créatifs:

«It is clear that generative art is a contemporary form of auto-creative work, but it leaves the question; why has auto-creative art consumed the software realm and not the physical realm, and why has auto-destructive art consumed the physical realm but not the software realm? I believe the most obvious reason why auto-destructive art exists in the physical realm is because destruction of physical objects is inherently more valuable an experience than the destruction of a simulated object. Within the physical realm, it probably took a while to create whatever the object was in the first place, and re-creating it after it has been destroyed is probably too difficult or too pointless (or a balanced combination of both) to attempt. This is not the case in software, where after creating something once it can be destroyed, recreated, and destroyed again. The ease in which elements are restored makes their destruction much less meaningful.»42

42 Aaron Siegel, Generative Art as a Response to Auto-Destructive Art and a Result ofTechnological Determinism, Uni- versity of California, Los Angeles, 2006

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La question de Siegel soulève une problématique importante propre à l'oeuvre informatique, à savoir, pourquoi l'autodestruction serait une affaire strictement physique alors que l'auto création serait chose commune en art informatique? Bien sûr, la possibilité de faire renaître perpétuellement l'objet numérique provoque un vertige. Le désir de revenir en arrière, sans qu'il y aie de résistances pour retenir l'action, voir l'esprit. Cela apparaît avantageux, surtout pour l'artiste qui s'est toujours plié de gré ou de force aux limites de la matérialité.Mais d'exprimer, dans ce contexte, ces idées de détérioration et de précarité, n'est pas insensé, bien au contraire, car elles permettent de ne pas perdre vue, l'incertitude à laquelle on ne peut échapper et ce même au moyen du plus sophistiqué des outils.

Dans le document Systèmes sauvages (Page 38-42)

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