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CHAPITRE 4: DISCUSSION

3. L’ ASPIRATION DE LA PROCEDURE COLLEGIALE : FAIRE EMERGER LES VOLONTES DU PATIENT

3.3 Les volontés du patient incapable de s’exprimer ne sont pas la priorité pour le

La procédure collégiale, telle qu’elle est définie par l’article R. 4127-37, ne prévoit qu’un seul rôle aux intervenants consultés : celui de témoigner, autant que possible, de ce qu’aurait souhaité le patient. Pourtant, dans les faits, ces avis ne sont pas simplement consultatifs. Nous l’avons vu, certaines positions de l’entourage amènent parfois le médecin généraliste à agir à l’encontre de sa propre intuition. Il met de côté parfois, et à regret, ce qu’il pense être le « mieux » pour le patient. La loi donne pourtant la possibilité aux médecins de prendre la décision finale, et d’aller à l’encontre de l’avis des aidants, pourvu que cette décision soit motivée. Est-ce la conséquence d’un manque de connaissance de leurs prérogatives ? Notre étude a montré que non : les médecins ont pleinement conscience que la décision leur appartient. Cependant, en cas de désaccord avec la famille, beaucoup de médecins ne souhaitent revendiquer ce droit, car ils n’en ressentent pas fondamentalement le besoin. Ils ne cherchent pas à faire émerger la parole du patient par le témoignage de l’entourage car leurs préoccupations sont toutes autres: le ressenti de la famille et l’inquiétude face à l’éventualité d’une « mauvaise » fin de vie perçue par l’entourage. Cette appréhension les obligent à jouer un rôle qui n’est pas accessoire, loin s’en faut : préparer, accompagner, soutenir, et s’assurer de l’acceptation par les proches de l’inéluctable…

Cette démarche se rapproche d’ailleurs de problématiques connues des professionnels de santé autour du don d’organes (43). Comment permettre l’émergence sereine de la parole des proches quant à la volonté du patient dans des moments parfois intenses de détresse humaine ou de souffrance psychique de l’entourage ? Au cours de la fin de vie,

le médecin traitant prend naturellement en considération avec acuité ce que ressent la famille et ne se focalise pas seulement sur la volonté du patient incapable de s’exprimer : il ne peut faire abstraction de l’entourage, car il doit penser aussi à ceux qui restent. Cette notion apparait en filigrane dans les réponses de certains médecins interviewés qui estiment que l’application de la procédure collégiale ne pourrait se faire au domicile qu’au détriment de l’accompagnement de l’entourage.

Le médecin a une place fondamentale pour protéger le malade, vulnérable dans la fin de sa vie. C’est d’ailleurs, entre autre, pour cette raison que la loi lui donne le rôle final de décideur. Et les besoins spécifiques induit par la relation du médecin avec l’entourage ne peuvent expliquer que ces derniers ne posent jamais cette question : « le patient vous a-t-il parlé de ce qu’il aurait souhaité s’il devait être amené à se trouver dans cette situation ? ».

En réalité, d’autres contraintes s’imposent au médecin pour appréhender ces situations, susceptibles de s’immiscer dans son jugement. Le médecin généraliste est amené à prendre en charge son patient dans la durée, dans un environnement particulier, au sein d’une structure familiale, l’obligeant à redéfinir son rôle et sa représentation de la mort au-delà d’une simple prise en charge « technique » (44). La place de la famille contribue à elle seule à changer son regard et sa prise en charge. Conscient qu’elle sera parfois encore présente à ses côtés après la mort du patient, le médecin généraliste a probablement plus que n’importe qui cette préoccupation de son ressenti. Sa partialité peut être, de fait, remise en cause.

C’est ce lien qui persiste au-delà de la mort du patient pour le médecin généraliste, en particulier avec la famille, qui conditionne en partie les décisions prise lors de la fin de vie. Le « poids » de ce type de décisions, face à la famille notamment, explique que de nombreuses situations justifiant une LAT ne soient pas discutées. En effet, la décision finale, parfois lourde de conséquences, ne doit pas peser sur les membres de la famille ou de la personne de confiance. Les médecins s’attachent, à raison, à ne pas faire porter de responsabilité à la famille dans la décision finale, comme l’a souhaité le législateur.

Si cette préoccupation est légitime, l’absence de participation de la famille à une procédure collégiale l’est moins. Les réponses ont montrés qu’une forme de « pudeur » justifie de ne pas entreprendre de discussion autour d’une LAT : le médecin, lors de la prise en charge d’une maladie grave, cherche à éviter de générer une situation conflictuelle. C’est cette crainte qui explique que la confrontation soit une option systématiquement écartée par les médecins dans les interviews. La retenue du médecin face à cette éventualité s’explique surtout par le souci d’assurer une prise en charge la plus apaisée possible.

Ainsi, tous estiment qu’une prise en charge « humaine », centrée sur le patient est l’objectif idéal et qu’il est impossible d’agir sans prendre en compte l’entourage. La place des proches est alors le plus souvent passive : le médecin cherche à faire évoluer le regard de la famille concernant le projet de soin. Plus qu’une simple consultation, il use de son influence plus ou moins consciemment pour obtenir l’adhésion de tous à son interprétation de la situation. On retrouve cette même notion lorsque l’absence de

consensus est considérée par le médecin comme le signe que la famille n’est pas prête ou n’a pas compris.

Les médecins doivent garder à l’esprit que les volontés du patient sont primordiaux pour la prise de décision. Or, les médecins généralistes cherchent avant tout à obtenir l’adhésion au projet de soin par les différents acteurs présent autour du patient. La procédure collégiale n’est pas perçue comme un élément de réponse utile aux besoins du médecin. Cet aspect est apparu très nettement à l’arrêt de l’enregistrement, lorsque des médecins commentaient le sujet de l’étude : ils estiment la loi en décalage complet avec leurs pratiques.

La finalité de la procédure étant de prendre une décision qui soit conforme à la volonté du malade par l’intermédiaire de porte-paroles multiples, on comprend que les médecins hésitent alors à qualifier leurs démarches de « procédure collégiale ».Cette procédure est un outil, et si elle ne permet pas d’obtenir la réponse à la question des volontés du patient, la consultation des différents intervenants ne suffit pas à la qualifier ainsi.

4. L’

UTILITE DE LA PROCEDURE COLLEGIALE

:

L

INTERSUBJECTIVITE AVANT LA PRISE DE

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