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PARTIE 3 : DEUX CONFIGURATIONS DES RELATIONS INTRA-REGIONALES

II. 2) Une volonté politique commune dans le bassin du Mékong inférieur

Dans le sous-bassin du Mékong inférieur, c’est l’inverse. Les intérêts politiques des riverains ne sont pas incompatibles, la négociation est ouverte et le sous-bassin bénéficie même d’une volonté politique de progresser vers une gestion intégrée.

Pour commencer, même si les Etats ont chacun leurs perspectives d’usage du Mékong dans leurs propres intérêts nationaux, ces intérêts peuvent se compléter entre les pays et conforter une perspective d’usage coopératif du cours d’eau. Par exemple, alors que le Laos et le Cambodge cherchent à diversifier leurs revenus en investissant dans la rente hydroélectrique, la Thaïlande, dont l’opinion publique nationale est réticente à construire davantage de barrages, et le Vietnam, manquant d’électricité dans la partie centrale de son pays, cherchent quant à eux à diversifier leur approvisionnement électrique. Ces deux situations sont donc compatibles, chacun pouvant trouver une réponse à ses besoins dans les besoins des autres. Ainsi, la Thaïlande investit dans les projets de barrages au Laos, et lui achète près de 10 000 MW par an. Elle en achète d’ailleurs aussi à la Chine et à la Birmanie. Le Vietnam quant à lui importe une grande part de son électricité depuis la Chine, à hauteur de 4000 MW par an. Il cherche par ailleurs à diversifier l’origine de ses importations en achetant également au Cambodge et au Laos192.

En outre, le Laos, de par sa position de carrefour et d’Etat tampon, s’organise stratégiquement dans ses relations régionales afin de maintenir un équilibre entre ses voisins, de ne pas laisser l’un prendre trop de poids, et défend donc ses intérêts en mettant en compétition ses investisseurs, en particulier la Chine et la Thaïlande, deux Etats qui n’ont pas connu la présence coloniale française et sont aujourd’hui en position de puissance. La Chine

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joue en effet de sa position de puissance économique mondiale, et la Thaïlande de sa position de porte d’entrée dans la région. Au niveau du bassin, elle est la première puissance économique, représentant 55% du PIB du bassin, le Yunnan en représentant 23%193. Le Laos

s’attache aussi à équilibrer la concurrence économique entre le Vietnam et la Thaïlande dans la péninsule, en jouant sur sa politique d’exportation de l’hydroélectricité. D’une façon générale, en devenant la batterie hydroélectrique de la péninsule, le Laos compte aussi s’offrir une influence, un levier de pression sur ses voisins et en outre une longueur d’avance face à sa position d’Etat tampon. Par ailleurs, il est dans l’intérêt politique du Vietnam de s’asseoir à une table pour discuter de la gestion du bassin : de par le fait que le delta représente son approvisionnement alimentaire, et de par sa position d’aval, le Vietnam dépend des autres riverains. Une gestion concertée représente donc une sécurité politique pour lui.

Ainsi, les intérêts politiques des riverains se rejoignant, cela permet de faire germer une volonté politique de s’associer et de se rassembler pour une gestion commune du Mékong. Avec le contexte politique des années quatre-vingt-dix, les pays se rapprochent progressivement, jusqu’à signer le traité donnant naissance à la MRC en 1995. On parle même alors d’un « Mekong Spirit »194, d’un esprit du Mékong, qui évoque la coopération et

semble prometteur pour les relations dans le bassin.

Cette fois, la différence entre le bassin du Jourdain et le bassin du Mékong réside dans la volonté politique des riverains à coopérer : alors que les riverains du Mékong parviennent à trouver des intérêts communs à la gestion commune, à concilier intérêts nationaux et processus de coopération, les riverains du bassin du Jourdain restent bloqués par le conflit israélo-arabe qui empêche tout consensus politique, au niveau bilatéral comme au niveau multilatéral.

III – Des processus d’intégration régionale à des stades différents

Enfin, dernier élément de structuration des relations intra-régionales que cette recherche étudiera, l’avancée du processus d’intégration économique régionale tient une place

193 TAILLARD C., op. cit., p. 4

194 NAKAYAMA, Mikiyasu, 2000, « Mekong spirit as an applicable concept for international river systems »,

Proceedings, SIWI Seminar, Water security for multinational water systems – Opportunity for development, Stockholm, 2000, p. 62-73

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importante dans le climat régional et en conséquence dans le processus de gestion des bassins – le modèle est lui-même appelé « gestion intégrée par bassin versant ». La notion d’intégration d’un territoire est donc importante : en tant qu’espace physique, les territoires des bassins constituent eux même des cadres spatiaux de l’intégration régionale, d’autant plus qu’ils sont orientés vers la même ressource, qu’ils regardent vers le même point géographique. L’intégration régionale se fait par ailleurs à partir de deux dynamiques. D’une part, la dynamique de régionalisme correspond à un processus du haut vers le bas, à partir du niveau de la prise de décision, souvent étatique. Elle est donc davantage politique. D’autre part, la dynamique de régionalisation, processus du bas vers le haut, consiste en une structuration économique et sociale des interactions régionales, via des acteurs non-étatiques tels que les individus, les sociétés, les ONG, les acteurs privés195. Néanmoins, au-delà du

bassin, à l’échelle régionale, les deux régions ne bénéficient pas du même stade d’intégration, ce qui se répercute sur la gestion du bassin.