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Une volonté de s’établir et de se développer en tant que communauté

Chapitre 1 – Les Acadiens de la rive nord de la Baie-des-Chaleurs entre 1763 et 1867 : la

2.1 Les représentations entretenues par le clergé catholique

2.1.1 Une volonté de s’établir et de se développer en tant que communauté

L’historien Gregory M. W. Kennedy soutient que l’appartenance des Acadiens transite d’abord par la famille et la paroisse180. Il n’est pas surprenant alors de constater que

les Acadiens cherchent à ancrer et développer leurs unités familiales et leurs paroisses en s’établissant dans une nouvelle région comme la Baie-des-Chaleurs sous le Régime britannique. La correspondance religieuse de l’époque insiste sur cette représentation de l’Acadien cherchant à s’établir sur le territoire, à en repousser les limites et à développer sa communauté qu’il cherche à reconstruire au lendemain de la Déportation. Dès les premières années suivant la Conquête, les Acadiens communiquent avec l’évêque Jean-Olivier Briand en 1768 pour demander l’envoi d’un missionnaire dans la Baie-des-Chaleurs. Ils entendent s’établir de manière permanente sur le territoire et leurs familles ont besoin de l’encadrement spirituel d’un missionnaire181. Il s’agit là de la première d’une longue série de requêtes du

genre dans la correspondance religieuse. Dans celle-ci, les prêtres présentent les Acadiens de la région comme des pionniers de plusieurs localités qui se déploient avec la colonisation. La correspondance cerne souvent leurs caractéristiques : en colonisant le sol, les Acadiens manifestent une forte volonté de se développer en tant que communauté ; ils cherchent à s’étendre sur le territoire en dépit de l’âpreté de la colonisation ; ils désirent établir la foi catholique, qu’ils souhaitent voir se répandre182. Les propos reflètent la réalité sur le terrain

179 Adeline Vasquez-Parra, Aider les Acadiens ? Bienfaisance et déportation 1755-1776, op. cit., p. 135. 180 Gregory M. W. Kennedy, op. cit., p. 210.

181 ADEG, III, 7, 3, paroisse de Bonaventure, tiroir(s) 9, 1766-1870, Lettre des habitants de la Baie-des-Chaleurs

à Mgr Jean-Olivier Briand, Bonaventure, 6 août 1768.

182 ADEG, III, 7, 3, paroisse de Nouvelle, tiroir(s) 71-72, 1789-1870, Lettre de Joseph Mathurin Bourg à Mgr

Jean-François Hubert, Nouvelle, 12 mai 1789 ; ADEG, III, 7, 3, paroisse de Caplan, tiroir(s) 23, 1835- 1870, Lettre des habitants de Caplan à Antoine Gosselin, Caplan, octobre 1835 ; ADEG, III, 7, 3, paroisse de Maria, tiroir(s) 55, 1836-1870, Lettre des habitants de Maria à Mgr Pierre-Flavien Turgeon, Maria, 20 août 1850.

jusqu’à la fin du Régime britannique, l’excédent de population d’anciennes localités essaimant vers de nouvelles terres à défricher et coloniser183.

Une figure prédomine parmi les représentations ultérieures à la période : celle de l’Acadien opiniâtre qui doit faire face aux innombrables épreuves de la colonisation et, notamment pour ceux de la Baie-des-Chaleurs, à la misère qui caractérise leur destin. Cette prédominance n’est pas sans raison184. À plusieurs reprises, la correspondance religieuse fait

référence aux nombreuses difficultés auxquelles les colons acadiens de la Baie-des-Chaleurs sont confrontés. Elle les juge persévérants dans l’adversité, déterminés à établir et développer leur communauté malgré les obstacles qui se dressent devant eux. L’une des premières difficultés auxquelles ils doivent faire face est la pauvreté qui règne parmi les habitants. Bien réelle, la pauvreté des habitants de la région se reflète dans leurs représentations. Bien que les Acadiens aient une volonté de développer leurs communautés, entre autres en y construisant des églises pour accueillir des missionnaires, les écrits soulignent souvent que les habitants n’en ont pas les moyens. Connu surtout sous le nom de « père Bonaventure », le prêtre Étienne Carpentier correspond d’ailleurs à ce sujet avec l’évêque Jean-Olivier Briand en 1766. Il écrit : « Je crois etre obligé devous prévenir que La mission de Bonaventure n’est pas capable de soutenir un missionnaire Le revenû de Laditte mission peu monter a 15000 il faut un suplement assez considerable pour y entretenir un prêtre amoins quil ne veuille faire le metié de Recolet185 ». Les épisodes de famines et de misère prévalent au chapitre des difficultés des Acadiens de la Baie-des-Chaleurs. Le climat rigoureux et l’infertilité de certaines des terres colonisées par les Acadiens provoquent parfois de mauvaises récoltes qui engendrent famines et misère. Malgré cette réalité, les Acadiens s’entêtent à demeurer dans la région, et la correspondance religieuse relate cet entêtement. Le prêtre de Carleton, Joseph-Marie Bellanger, en fait état à Mgr J.-O. Plessis : « Nos pauvres paroisses sont réduites a une misère a peine imaginable : depuis trois ans les gelées detruisent tous; mais principalement cette année dernière non seulement les patates ont manqué; mais

183 ADEG, III, 7, 3, paroisse de New Richmond, tiroir(s) 68-69, 1853-1870, Lettre de François-Xavier Bossé à

Mgr Charles-François Baillargeon, New Richmond, 9 octobre 1867.

184 Antoine Bernard, « Vue plongeante : Baie-des-Chaleurs, 1800 », Revue d'histoire de la Gaspésie, vol. 4,

no 4, 1966, p. 180.

185 ADEG, III, 7, 3, paroisse de Bonaventure, tiroir(s) 9, 1766-1870, Lettre du Père Bonaventure à Mgr Jean-

le peu qu’on a recolté n’a point plutot été renfermé dans les caves qu’elles ont aussitôt commencé a pourrir. Les habitans obligés de les ceuillir à la main n’avoient pas plutot fini cette penible tâche qu’ils etoient obligé de recommencer186. » Ce passage est d’ailleurs assez

éloquent quant à la situation des colons acadiens dans la Baie-des-Chaleurs en ces temps difficiles.

La correspondance des membres du clergé catholique signale la principale représentation véhiculée sur les Acadiens : celle de leur foi inébranlable. Dotés de celle-ci, ces colons ont besoin alors de la bienveillance et des bonnes grâces du clergé pour développer leur communauté. Les Acadiens sont présentés comme des artisans de l’établissement du culte catholique dans la Baie-des-Chaleurs. Ils construisent des chapelles et des églises pour attirer des prêtres résidents au sein de leurs communautés, qui s’épanouissent dans la foi catholique187. Dans une lettre à l’évêque Bernard-Claude Panet en 1827, les habitants de la

région, notamment ceux de Bonaventure, s’affirment comme des fervents catholiques et cherchent à faire envoyer plus de prêtres dans la Baie-des-Chaleurs. Longtemps, ces prêtres missionnaires se voient confier de vastes étendues de territoire sur lesquels ils doivent desservir l’ensemble des fidèles. Cependant, avec la croissance constante de la population, les habitants ne croient plus au maintien d’un tel service, bien qu’ils aient accepté cette solution jugée nécessaire auparavant. Ils soulignent en 1827 que la population a doublé en peu de temps et que les enfants à instruire sont quatre fois plus nombreux. Ils requièrent la nomination d’un prêtre pour desservir les fidèles de Bonaventure à Port-Daniel, plutôt que ceux résidant entre Bonaventure et Rivière-au-Renard. Les fidèles insistent alors sur la force de leur foi et leur désir d’un encadrement spirituel188. Leur foi est également présentée

comme une barrière à l’expansion protestante dans la Baie-des-Chaleurs. Ces fervents défenseurs du catholicisme deviennent dès lors des outils de la colonisation du territoire. La présence et l’influence de cette communauté de fidèles sont d’ailleurs renforcées par les établissements acadiens dans différents secteurs de la région, établissements se déployant au

186 ADEG, III, 7, 3, paroisse de Carleton, tiroir(s) 26-27, 1784-1870, Lettre de Joseph-Marie Bellanger à Mgr

Joseph-Octave Plessis, Carleton, 8 janvier 1817.

187 ADEG, III, 7, 3, paroisse de Bonaventure, tiroir(s) 9, 1766-1870, Lettre des habitants de Bonaventure à Mgr

Jean-François Hubert, Bonaventure, 7 mai 1795 ; ADEG, III, 7, 3, paroisse de Bonaventure, tiroir(s) 9, 1766- 1870, Lettre de Louis-Joseph Desjardins à Mgr Jean-François Hubert, Bonaventure, 30 septembre 1795.

188 ADEG, III, 7, 3, paroisse de Bonaventure, tiroir(s) 9, 1766-1870, Lettre des habitants de Bonaventure à Mgr

fur et à mesure de l’occupation de nouvelles terres, de la construction des églises et de l’arrivée de prêtres résidents. Datant de 1864, une lettre du prêtre Alexis Mailloux en fait d’ailleurs état. Selon lui, la colonisation de l’arrière-pays de Caplan s’impose comme une belle occasion de freiner l’expansion du protestantisme qui croît de manière importante dans la région. Le prêtre suggère ainsi à l’évêque Pierre-Flavien Turgeon d’ériger une chapelle à desserte de manière à favoriser la colonisation du territoire par les catholiques, ce à quoi les Acadiens tiennent résolument189.