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3.3 Un siècle d’errance, d’agonie et de résignation

3.3.1 Influence et oppression britanniques

Les Acadiens qui s’établissent dans la Baie-des-Chaleurs après la Déportation ne tardent pas à être rejoints par des colons d’origine britannique. L’historiographie met l’accent sur l’oppression dont les Acadiens sont victimes dans leurs rapports avec les Britanniques. En fait, le thème de l’oppression est récurrent dans les représentations des Acadiens : il semble être au cœur de leur existence au cours du siècle suivant la Déportation. Déjà, dans

Évangéline, l’extrait « Et leurs cœurs, trop émus des menaces du sort, / Se sentaient oppressés

comme devant la mort » ne manque pas de frapper l’imaginaire. Pour les Acadiens de la Baie-des-Chaleurs, les années 1760 sont marquées par l’influence et l’oppression britanniques dans la mesure où la reconnaissance de leurs droits de propriété s’annonce difficile. Les années 1770 le sont toutefois davantage, tel que l’historien Antoine Bernard le relate. Ce dernier souligne que, lorsque les deux goélettes de Charles Robin arrivent en Gaspésie avec 81 Acadiens à leur bord en 1774, l’accueil que reçoivent ces derniers est on ne peut plus froid. Les autorités locales demandent une caution pour leur permettre de quitter les navires. A. Bernard interprète ce geste comme un refus d’accueillir les Acadiens sur le territoire puisque ces derniers n’en avaient pas les moyens. Pour A. Bernard, beaucoup ressentent ce sentiment d’oppression que les Britanniques font vivre aux Acadiens dès leur arrivée dans la région292.

Esquissé entre autres dans les écrits d’Antoine Bernard, l’historiographie du début du XXe siècle reprend le thème de l’oppression des Acadiens de la Baie-des-Chaleurs, en insistant sur leurs craintes au sujet du maintien de leur statut dans la région. Puisqu’ils ne détiennent aucun titre, ils redouteraient l’éventualité de se faire déposséder au profit des Britanniques qui semblent lorgner leurs terres. Antoine Bernard en fait état dans l’extrait suivant :

Leurs craintes s’accrurent lorsqu’en cette même année 1795, un plan se dessina pour tailler des seigneuries anglaises en pleines terres occupées et défrichées par des Acadiens. Huit lots furent réclamés par Hugh Finlay, surintendant des Postes du Bas- Canada, huit autres par le major Samuel Holland, arpenteur en chef de la province, cinq par John Collins, adjoint du major Holland. Du côté de Carleton, même menace avec

le fait, en 1788, à John Shoolbred, commerçant de Londres, d’une belle lisière de rivage entre la Pointe-à-la-Garde et la pointe de Meguasha293.

En effet, plusieurs hauts fonctionnaires britanniques se voient attribuer des sections de territoire sur lesquelles des Acadiens sont établis. Cela ne manque pas de montrer toute leur influence contre laquelle les Acadiens semblent démunis. De plus, l’arrivée des Loyalistes américains est assimilée à une expression supplémentaire de la toute-puissance britannique. Bien qu’il en profite également pour mettre de l’avant la résistance et la résilience acadiennes, A. Bernard ne manque pas de le souligner :

De plus, un comité permanent, présidé par le lieutenant-gouverneur de Gaspé, Nicolas Cox, fut chargé de distribuer des billets de location aux loyalistes qu’attiraient les belles terres rouges de la baie des Chaleurs. Les choses marchèrent si rondement qu’à partir de 1784, et pendant vingt-cinq ou trente ans, l’élément anglo-saxon (Anglais, Écossais, Irlandais, Jersiais) fut en majorité dans la Gaspésie. Mais les nouveaux venus, qui se flattaient de dominer, d’exploiter, puis d’absorber sans effort l’élément français pauvre et humilié, comptaient sans la ténacité, la volonté de vivre de la petite race acadienne guidée, soutenue par ses prêtres294.

L’historien note que « l’élément anglo-saxon » devient majoritaire en Gaspésie au tournant du XIXe siècle, ce qui alimente davantage la représentation de l’Acadien opprimé. Les Britanniques dominant non seulement en pouvoir, mais également en nombre, ils sont représentés dès lors comme l’oppresseur, dont l’influence néfaste ne semble connaître aucune limite.

Dans les récits d’Antoine Bernard, l’oppression caractérise « l’atmosphère » qui règne en Gaspésie sous le Régime britannique. D’une certaine manière, les communautés acadiennes sont prises au piège face aux Britanniques qui capitalisent sur leur exploitation : « l’atmosphère proprement politique des deux comtés gaspésiens à cette époque [le milieu du XIXe siècle] : atmosphère anglaise, protestante, qui néglige l’élément français et acadien ou ne s’en sert que pour accroître sa fortune matérielle et son influence à l’extérieur295. »

Cette atmosphère anglaise et protestante que cerne A. Bernard est relevée dans les écrits d’observateurs intervenus avant lui. Jean-Baptiste-Antoine Ferland l’aborde également en plaçant notamment le cœur de cette influence anglaise à New Carlisle, qu’il qualifie de

293 Ibid., p. 397.

294 Antoine Bernard, La Gaspésie au soleil, op. cit., p. 167. 295 Ibid., p. 206.

principale ville du district de Gaspé. Peuplée surtout par des Loyalistes et leurs descendants, la ville possède entre autres un tribunal, une prison, des avocats et des notables. Sans surprise, elle est présentée comme le siège de l’influence anglaise296. La fameuse famille Hamilton s’y

installe d’ailleurs, et son ascendance croissante ne manque pas d’être critiquée et dénoncée par les franco-catholiques, notamment les Acadiens297. Bref, les thèmes de l’influence et de l’oppression britanniques à l’encontre des Acadiens sont omniprésents dans les récits des historiens au tournant du XXe siècle. Ils font partie intégrante du portrait misérabiliste du peuple acadien et nourrissent la représentation de ce siècle d’errance, d’agonie et de résignation pour les communautés acadiennes.