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Chapitre 5 – Discussion générale

5.1. Volet #1 – Capacités d’inhibition

Le volet #1 visait à investiguer les capacités d’inhibition des patients atteints du SGT. Ce volet a d’abord été abordé d’ans l’étude #1, puis dans l’étude #2. L’étude #1 a démontré que les patients atteints du SGT présentaient bel et bien des capacités d’inhibition diminuées, en comparaison avec les participants contrôles. Sans surprise, les patients présentant un TDAH concomitant au SGT avaient des déficits d’inhibition plus sévères que les patients présentant uniquement des tics. Cependant, des déficits d’inhibition sont tout de même présents chez ces derniers, mais sont moins sévères. Nous n’avons pas été en mesure d’évaluer le rôle du TOC quant aux capacités d’inhibition, puisque peu d’études neuropsychologiques ont inclus un groupe de patients SGT+TOC. Étant donné l’implication du TOC dans certains comportements de nature impulsive parmi les patients atteints du SGT, comme les épisodes explosifs (Budman et al., 2003), il serait très pertinent d’examiner la contribution du TOC aux déficits d’inhibition propres au SGT. La sévérité des tics était aussi négativement corrélée aux capacités d’inhibition des patients. Finalement, autant parmi les enfants que les adultes, les déficits ont tendance à diminuer avec l’âge.

Puisque les capacités d’inhibition durant des tâches neuropsychologiques ont souvent été associées aux capacités de contrôler les tics, plusieurs études ont évalué les corrélats neuronaux de ces fonctions. Une étude d’imagerie fonctionnelle a rapporté que l’activité des circuits fronto-striataux était négativement associée à la performance durant la tâche de Stroop (Marsh et al., 2007). Selon les auteurs, cette plus grande activation représenterait la compensation d’une certaine inefficacité relative au traitement neuronal de la part des patients atteints du SGT, pour tenter de maintenir une bonne performance durant la tâche de Stroop. Cette réponse compensatoire serait aussi associée à la régulation des tics. Une telle suractivation des circuits fronto-striataux a aussi été observées durant l’inhibition de clignements d’yeux chez des patients atteints du SGT, suggérant également que ce mécanisme serait adaptatif (Mazzone et al., 2010).

Dans une tâche Go/No-Go, les patients qui faisaient plus d’erreurs de commissions avaient une plus grande connectivité entre le putamen et le cortex moteur (Delorme et al., 2016). Une connectivité accrue entre ces régions a aussi été associée à des tics plus sévères (Worbe et al., 2015b). Une autre étude ayant utilisé ce genre de tâche a rapporté qu’il existerait une réorganisation compensatrice au niveau des circuits fronto-pariétaux, qui résulterait d’une suractivité des circuits CSTC (Thomalla et al., 2014). Cette réorganisation permettrait aux patients d’avoir un meilleur contrôle sur leurs tics, mais engendrerait un certain ralentissement dans une tâche expérimentale.

Ganos et al. (2014) ont découvert un patron d’activité cérébrale particulier chez des patients atteints du SGT durant la tâche de type stop-signal. Ces derniers présentaient une plus forte activation du cortex prémoteur dorsal durant la présentation des stimuli Go que durant la présentation des stimuli Stop. Les auteurs ont toutefois observé l’opposé chez les participants contrôles. Il semble que chez les patients atteints du SGT, ce soit plutôt l’aire motrice supplémentaire qui agisse comme mécanisme global d’inhibition. Cette activation de l’aire motrice supplémentaire durant les essais Stop était corrélée à la fréquence des tics. Ainsi, plus une personne a tendance à avoir des tics, plus de ressources sont nécessaires pour correctement les inhiber. Ce mécanisme est donc impliqué à la fois dans l’inhibition des tics et des mouvements volontaires.

Quelques études de neuroimagerie ont aussi utilisé des tâches de type compatibilité stimulus- réponse pour évaluer les capacités d’inhibitions des patients atteints du SGT. Baym et al. (2008) ont rapporté que les enfants atteints du SGT, surtout ceux avec des tics plus sévères, présentaient une activation plus importante du cortex préfrontal lors de la tâche. Cette découverte est cohérente avec les résultats de Marsh et al. (2007), qui ont trouvé une association positive entre la sévérité des tics l’activation du cortex préfrontal durant une tâche de Stroop. Une autre étude ayant utilisé une tâche de type compatibilité stimulus-réponse a révélé que chez les patients atteints du SGT, une plus grande activation de l’aire motrice supplémentaire, du cortex sensorimoteur, et du cortex préfrontal était associée à une moins bonne performance durant la tâche (Jung et al., 2013). Cette association se trouvait uniquement au sein du groupe SGT et n’était pas présente parmi les participants contrôles. De plus, une telle suractivation était aussi associée à des tics plus sévères. Ces résultats s’opposent donc à ceux qui proposent que la suractivation du cortex préfrontal permettrait un meilleur contrôle des mouvements et des tics. Selon Jung et al. (2013), la suractivation du cortex préfrontal chez les patients atteints du SGT pourrait contribuer à l’hyperexcitabilité des aires motrices du cerveau, et ainsi mener à la génération des tics. Ils proposent donc que le mécanisme compensatoire permettant des meilleures capacités d’inhibition serait davantage relié à certains changements spécifiques relatifs à l’excitabilité corticale.

Il semble donc exister certaines contradictions quant aux corrélats neuronaux des capacités d’inhibition des patients atteints du SGT. Le cortex préfrontal semble être constamment impliqué dans cette fonction, mais son rôle quant au contrôle des mouvements et des tics demeure nébuleux. Ainsi,

dans l’étude #2, nous avons voulu investiguer les corrélats électrophysiologiques de l’inhibition et tenter de comprendre leur relation avec les tics. Les déficits que nous avons décelés dans l’étude #1 étaient présents dans quatre tâches, soit les tests de complétion de phrases, le test de tracement de cercles, la tâche de Stroop, et le CPT. Nous avons également décelé une tendance vers un déficit dans la tâche de type Stop-signal. Ainsi, nous n’avons pas trouvé de différence entre les patients atteints du SGT et les participants contrôles durant les tâches de compatibilité stimulus-réponse et Go/No-Go. Nous avons donc voulu comprendre les mécanismes qui permettaient aux patients de bien réussir ces taches. Dans l’étude #2, nous avons utilisé une tâche expérimentale qui combinait des éléments de ces deux types de tâches. Tout comme dans l’étude #1, nous n’avons pas noté de différence inter-groupe relative à la performance durant la tâche. Par contre, nous avons décelé une différence relative à l’activité corticale associée au traitement des stimuli No-Go. Chez les patients atteints du SGT, la P300 No-Go était proéminente au niveau du cortex frontal, alors que cette composante était principalement localisée au niveau des électrodes centrales chez les participants contrôles. Plusieurs études précédentes en électrophysiologie cognitive ayant fait état d’une inhibition tout à fait normale de stimuli No/Go chez des patients atteints du SGT ont trouvé une plus grande activité préfrontale (Johannes et al., 2001a; Morand- Beaulieu et al., 2015; Serrien et al., 2005; Thibault et al., 2009). Toutefois, dans l’étude de Shephard et al. (2016a), on ne retrouve pas cette antériorisation de l’activité cérébrale en réponse aux stimuli No-Go, ni chez les patients atteints du SGT, ni chez les participants contrôles. Cette différence est peut-être due au fait que cette étude n’incluait que des enfants et des adolescents, alors que les études ayant observées cette antériorisation de la P300 No-Go au sein du SGT ont été effectuées chez les adultes. Les patients ayant participé à l’étude #2 sont des adultes pour qui les tics sont suffisamment sévères pour qu’un traitement soit requis. Typiquement, les symptômes du SGT diminuent grandement vers la fin de l’adolescence, ce qui fait que plusieurs adultes n’ont plus besoin de traitement pour gérer leurs tics. Ainsi, il est possible que ce phénomène d’antériorisation de la P300 No-Go soit spécifique aux patients dont les symptômes persistent de manière modérée ou sévère à l’âge adulte. Il a été proposé que la diminution de la sévérité des tics au début de l’âge adulte coïncide en fait avec la maturation des mécanismes impliqués dans l’inhibition (Wylie et al., 2016). Chez les patients qui présentent toujours des tics importants à l’âge adulte, cette suractivation préfrontale pourrait représenter un effort accru pour tenter d’inhiber certaines actions. Ce mécanisme pourrait toutefois causer un préjudice aux patients, puisqu’il a été proposé que la suractivation des régions préfrontales pourrait entraîner une hyperexcitabilité du cortex moteur et ainsi augmenter la sévérité des tics (Jung et al., 2013).

Parmi les patients atteints du SGT inclus dans notre étude, 85% d’entre eux ont obtenu une performance parfaite durant la condition No-Go avant la thérapie. Lors de l’évaluation post-traitement, ce pourcentage était de 88%. À cause de cet effet plafond, il nous est impossible d’établir une quelconque relation entre la performance durant cette condition et la P300 No-Go. En ce qui a trait à la symptomatologie du SGT, nous n’avons pas trouvé de corrélation entre cette composante et la sévérité

des tics lors de l’évaluation pré-traitement. À ce point-ci, il n’est pas possible de préciser si cette suractivation frontale est adaptative ou non. Toutefois, nous avons observé certains liens entre la P300 No-Go et la TCC, qui seront discutés dans la section 5.3.