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Chapitre 1 – Introduction

1.6. Les capacités d’inhibition au sein du syndrome de Gilles de la Tourette

Le développement des capacités d’inhibition, qui peuvent être définies en tant qu’habiletés à supprimer ou à neutraliser des distracteurs interférant avec l’allocation des ressources attentionnelles, constitue un aspect important du développement cognitif (Diamond, 2002). Étant donné le caractère

automatique et difficilement contrôlable des tics, un important pan de la recherche sur le SGT s’est intéressé aux capacités d’inhibitions des patients.

Au sein de la population générale, la recherche par rapport aux capacités d’inhibition a souligné le rôle des cortex préfrontal et dorsolatéral quant à l’inhibition des stimuli, des réponses, et des impulsions (Berlin et al., 2004; Braver et al., 2001; Konishi et al., 1999; Metzler et Parkin, 2000). La pré-aire motrice supplémentaire, qui est impliquée dans le processus de sélection des réponses, joue aussi un rôle quant à l’inhibition des réponses (Mostofsky et Simmonds, 2008). Différentes structures sont additionnellement recrutées en fonction du type de tâche expérimentale utilisée. La manipulation et le maintien des associations stimulus-réponse impliquent respectivement le cortex préfrontal dorsolatéral et le cortex frontal inférieur. De plus, le cortex préfrontal inférieur droit et le cortex pariétal inférieur sont activés lorsque l’attention doit être orientée vers tel stimuli pour bien réussir à l’inhiber. Finalement, le cortex orbitofrontal et le cortex cingulaire antérieur serait respectivement activés lorsque l’inhibition implique des indices émotionnels ou un monitorage des erreurs (Mostofsky et Simmonds, 2008). Parmi les tâches les plus fréquemment utilisées pour évaluer les capacités d’inhibition, on retrouve la tâche de type Go/No-Go et la tâche de type Stop-signal. Durant ces deux tâches, on peut remarquer une activation de la pré-aire motrice supplémentaire ainsi que de l’insula. Toutefois, la tâche de type Go/No-Go activerait davantage le réseau fronto-pariétal, alors que la tâche de type Stop-signal activerait davantage le réseau cingulo-operculaire (Swick et al., 2011).

Au sein du SGT, les études évaluant les capacités d’inhibition ont révélé certaines anomalies dans l’activation de différentes régions cérébrales. Une revue de littérature suggère que la plupart des régions qui sont suractivées durant l’inhibition de stimuli No-Go sont situées dans le cortex préfrontal (Zapparoli et al., 2015). Ces régions seraient notamment les gyri frontaux inférieur, médian, et supérieur, ainsi que le cingulum antérieur. Cette revue de littérature rapporte aussi des régions sous-corticales, comme le thalamus et le noyau caudé, serait également suractivées lors de l’inhibition volontaire de réponses motrices. De plus, certaines de ces régions seraient également associées au contrôle ou à l’inhibition des tics. Ce processus implique certaines connexions entre les noyaux gris centraux et des structures frontales (aire motrice supplémentaire, gyrus frontal inférieur), ainsi que des changements neurochimiques et microstructurels au sein de ces connexions (Worbe et al., 2015a).

Tel que rapporté par des précédentes recensions des écrits, l’inhibition verbale est déficitaire au sein du SGT (Cavanna et al., 2009; Eddy et al., 2009). Une moins bonne performance à la tâche de complétion de phrase de Hayling a été fréquemment trouvée chez les patients atteints du SGT (Channon et al., 2003b; Eddy et Cavanna, 2014b; Eddy et al., 2010a) et même chez ceux ne présentant aucun trouble comorbide (Channon et al., 2003a; Channon et al., 2006; Channon et al., 2004; Crawford et al., 2005). Ces déficits chez des patients sans comorbidité pourraient indiquer des déficits d’inhibition qui sont indépendants des symptômes de TDAH (Eddy et al., 2009). Toutefois, une étude récente a fait état

d’une performance normale à la tâche de complétion de phrase de Hayling chez des adultes atteints du SGT (Eddy et Cavanna, 2015). Cette étude comportait cependant un petit échantillon (n = 20) et 75% des patients étaient sous médication. Ces limites pourraient expliquer la divergence entre cette étude et le reste de la littérature qui suggère la présence de déficits d’inhibition verbale.

Le portrait est toutefois moins clair en ce qui a trait à d’autres tâches, comme la tâche de Stroop. D’un côté, plusieurs études ont trouvé une performance normale lors de cette tâche chez des enfants (Brand et al., 2002; Church et al., 2009a; Church et al., 2009b; Debes et al., 2011a; Drury et al., 2012; Hovik et al., 2015; Ozonoff et Jensen, 1999; Roessner et al., 2008b; Sukhodolsky et al., 2010) et des adultes (Channon et al., 1992; Drury et al., 2012; Eddy et Cavanna, 2014b; Lavoie et al., 2007; Matsuda et al., 2012; Silverstein et al., 1995; Thibault et al., 2009) atteints du SGT. De l’autre côté, une performance diminuée à la tâche de Stroop a également été rapportée, à la fois chez les enfants (Chang et al., 2007; Ji et al., 2010) et les adultes (Eddy et al., 2012; Eddy et al., 2014; Goudriaan et al., 2006; Muller et al., 2003; Schoenberg et al., 2015). Dans certaines occurrences, ces déficits ne concernaient que les patients comorbides (Channon et al., 2003b; Roessner et al., 2007), mais des déficits ont également été trouvés chez des patients sans comorbidité (Eddy et al., 2012; Eddy et al., 2014). Dans une étude ayant trouvé de tels déficits, les résultats sont demeurés significatifs même en utilisant les symptômes de TDAH comme covariable (Chang et al., 2007).

Dans la même veine, les paradigmes de compatibilité stimulus-réponse, comme les tâches de type Flanker ou la Simon task, peuvent également être utilisés pour étudier les capacités d’inhibitions (Ridderinkhof et al., 2004; Salthouse, 2010). Comme c’est le cas pour la tâche de Stroop, ces paradigmes induisent des réponses conflictuelles, alors que les participants doivent inhiber une réponse automatique mais inappropriée dans le but de produire la réponse demandée en fonction du type de stimulus présenté (Ridderinkhof et al., 2004). Toutefois, la performance des patients atteints du SGT dans ce type de tâche n’est pas claire, étant donné que des performances normales (Eichele et al., 2016) et déficitaires (Crawford et al., 2005) ont été rapportées dans les tâches de type Flanker chez des enfants atteints du SGT. Chez les adultes, la plupart des études ont fait état de performance normale (Channon et al., 2009; Channon et al., 2006). En ce qui a trait aux tâches de type Simon task, une performance normale est souvent rapportée, à la fois chez les enfants (Baym et al., 2008; Jung et al., 2013; Ozonoff et al., 1994) et les adultes (Morand-Beaulieu et al., 2015; Thibault et al., 2009). Toutefois, des déficits ont également été occasionnellement rapportés chez les enfants (Tharp et al., 2015) et les adultes (Georgiou et al., 1995) atteints du SGT. Dans leur étude, Tharp et al. (2015) ont rapporté que la sévérité des tics était négativement corrélée avec la précision et positivement avec les temps de réaction. Une telle corrélation entre la sévérité des tics et les temps de réaction a aussi été rapportée dans l’étude de Baym et al. (2008), suggérant ainsi que la sévérité des symptômes du SGT pourrait influencer la performance durant ce genre de tâche.

Au sein du SGT, l’inhibition motrice a souvent été étudiée avec de tâche de type Go/No-Go. Toutefois, seulement certaines études ont trouvé une performance déficitaire durant cette tâche chez les patients atteints du SGT. Goudriaan et al. (2005) ont trouvé davantage d’erreur de commission chez des adultes atteints du SGT, et Greimel et al. (2008) ont rapporté une tendance vers davantage d’erreurs de commissions chez des enfants et d’adolescents atteints à la fois du SGT et du TDAH. Toutefois, plusieurs études n’ont trouvé aucun déficit chez des patients non médicamentés et non comorbides (Biermann-Ruben et al., 2012; Debes et al., 2011a; Greimel et al., 2011; Ozonoff et al., 1994; Roessner et al., 2008a). Même dans les études incluant des patients comorbides, la performance des patients ne diffèrent généralement pas de celle des participants contrôles (Draper et al., 2015; Hershey et al., 2004; Muller et al., 2003; Serrien et al., 2005; Watkins et al., 2005). Aussi, certaines études ont fait état d’une précision intacte accompagnée de temps de réaction plus lents, suggérant la présence d’un mécanisme de compensation entraînant un ralentissement des réponses motrices en vue de faciliter le contrôle des tics (Eichele et al., 2010; Shephard et al., 2016a; Thomalla et al., 2014).

Les erreurs de commissions dans une tâche de type Continuous Performance Test (CPT) peuvent également être utiles pour étudier les capacités d’inhibition (Moeller et al., 2005). En utilisant cette tâche en particulier, certaines études ont trouvé des déficits d’inhibition chez les enfants (Carter et al., 2000; Lin et al., 2012; Rasmussen et al., 2009; Schultz et al., 1998; Shucard et al., 1997) et les adultes (Schoenberg et al., 2015) atteints du SGT. De plus, les erreurs de commission semblent fréquentes chez les patients atteints d’un TDAH comorbide (Harris et al., 1995; Sallee et al., 1994; Schuerholz et al., 1996; Sherman et al., 1998). Toutefois, une performance normale au CPT a été rapportée à quelques occasions chez les enfants (Mahone et al., 2002) et les adultes (Matsuda et al., 2012). La médication pourrait être un facteur expliquant certaines de ces divergences, étant donné que la guanfacine (Chappell et al., 1995) et le pimozide (Sallee et al., 1994) ont pour effet une diminution des erreurs de commissions chez les patients atteints du SGT.

Les résultats présentés ici suggèrent certains déficits relatifs aux capacités d’inhibition, mais plusieurs divergences entre les études demeurent. L’âge des patients, la présence de troubles comorbides, et la prise de médication sont tous des facteurs pouvant expliquer une partie de ces divergences. Davantage de recherche sera nécessaire pour bien comprendre les capacités d’inhibition des patients atteints du SGT.

1.7. Dimensions cognitives du syndrome de Gilles de la Tourette :