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II. Lien entre la division cellulaire, l'apoptose et le cancer

2.3. Voies de l'apoptose

L’apoptose peut classiquement être divisée en trois phases : une phase d’induction ou

d’initiation, une phase d’exécution et une phase de dégradation. Il existe deux voies

principales d’induction de l’apoptose : la voie des récepteurs de mort (ou voie extrinsèque) et

la voie mitochondriale (ou voie intrinsèque) (figure 04).

2.3.1. Voie intrinsèque

Cette voie est également appelée voie mitochondriale. Elle est induite par des signaux de

stress cellulaire tels que l'exposition à des radiations, des altérations de l'ADN ou encore suite

à l'action de protéines suppresseurs de tumeurs ou de protéines virales. Enfin, elle est

également activée par la plupart des agents chimiothérapeutiques [Kroemer, 2003].

La voie intrinsèque est associée à des changements de perméabilité des membranes

mitochondriales internes et externes. Ainsi, l’activation des Caspases se produit comme

conséquence de la perméabilisation mitochondriale [Green, 2000 ; Martinou & Green, 2001].

Cette perméabilisation est contrôlée par des protéines de la famille Bcl-2 qui peuvent être

pro-apoptotiques comme Bax (Bcl-2 associated X protein) ou Bak (Bcl-2 homologous

antagonist/killer) ou anti-apoptotiques comme Bcl-2 ou Bcl-xl (longer alternatively spliced

form of Bcl-x) [Adams & Cory, 1998].

En effet, sous l’influence de différents stimuli intracellulaires, les protéines

pro-apoptotiques Bax et Bak s’oligomérisent, s’insèrent à la membrane de la mitochondrie pour

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former le pore de perméabilité transitoire (PTP). L’ouverture du PTP conduit à la libération

dans le cytoplasme de protéines mitochondriales comme le cytochrome c, SMAC/diablo

(Second Mitochondria Derived Activator of Caspase/Direct Inhibitor of Apoptosis Binding

protein with Low pI), AIF (Apoptosis Inducing Factor), et l’endonucléase G, qui vont activer

des voies apoptotiques dépendantes ou indépendantes des caspases [Kroemer & Reed, 2000].

Le cytochrome c libéré va s’associer avec la protéine Apaf-1 (apoptotic protease activating

factor 1) et la procaspase-9 pour former un grand complexe protéique appelé apoptosome au

sein duquel la procaspase-9 va être activée par clivage protéolytique. La caspase-9 va ensuite

à son tour activer par clivage les Caspases effectrices 3 et 7 qui sont à l’origine des dommages

cellulaires conduisant à la mort cellulaire (figure 04) [Rodriguez & Lazebnik, 1999 ; Riedl &

Shi, 2004].

Figure 04: Les voies d’activation de l’apoptose, la voie extrinsèque et la voie intrinsèque

[Boumela et al., 2009].

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2.3.2. Voie extrinsèque

Une deuxième voie apoptotique induite par les récepteurs membranaires DR (death

receptors) appartenant à la superfamille des TNF-R (tumor necrosis factor receptor). Les voies

de signalisation apoptotique des récepteurs de mort conduisent à l’activation des Caspases et

en sont directement dépendantes. Les récepteurs de mort sont activés par fixation de leur

ligand et vont recruter les Caspases initiatrices (Caspases 8 et 10) et induire leur activation par

auto-clivage. La transmission du signal apoptotique de Fas passe par la formation d’un

complexe multiprotéique formé par l’agrégation des récepteurs Fas, la protéine FADD (Fas-

associated death domain) et la pro-Caspase-8, le complexe DISC (Death Inducing Signaling

Complex) [Medema et al., 1997 ; Peter & Krammer, 2003]. Suite à son auto-activation, la

Caspase-8 va alors activer la Caspase-3 par clivage, déclenchant une cascade de Caspases

effectrices qui vont conduire à la mort apoptotique de la cellule (figure 04). .

La protéine Bid, membre de la famille Bcl-2, constitue un des liens entre la voie du

récepteur Fas et la voie mitochondriale. Un fragment de la protéine Bid, issu du clivage par la

Caspase-8, est transféré du cytoplasme à la mitochondrie. Bid tronsloqué (tBid) se lie à Bax

(protéine pro-apoptotique de la famille Bcl-2) et induit son oligomérisation et son intégration

dans la membrane externe mitochondriale entrainant l’ouverture de mégapores

mitochondriaux à l’origine de la chute du potentiel transmembranaire mitochondriale et la

libération du cytochrme c [Indran et al., 2011 ; Pereira & Amarante-Mendes, 2011].

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III. La résistance pléïotropique aux agents anticancéreux ou

phénomène de «Multidrug Resistance» (MDR)

1. Généralités

La chimiorésistance des cellules tumorales aux médicaments anticancéreux qui est

souvent appelée résistance pléïotropique aux médicaments ou multi-drug résistance (MDR)

représente le plus grand problème ou défi apporté à la chimiothérapie des cancers. Cette

résistance est définie comme étant une résistance croisée, étendue à des cytotoxiques de

famille et de mode d'action divers [Robert, 2011]. Les cellules tumorales de phénotype MDR

accumulent beaucoup moins de drogues cytotoxiques que les cellules sensibles, ce qui, le plus

souvent, semble dû à un efflux accru des drogues vers le milieu extracellulaire. La

concentration intracellulaire en agents anticancéreux reste ainsi en dessous d’une

concentration pharmacologiquement efficace [Genoux, 2006 ; Declèves et al., 2009].

Le phénomène MDR, a été mis en évidence par 1'observation des lignées tumorales

animales exposées de façon continue et prolongée à des doses croissantes d'un cytostatique.

La constatation que ces lignées étaient devenues d'emblée résistantes à d'autres cytostatiques,

auxquelles elles étaient exposées pour la première fois, a conduit Biedler et Riehm , dès 1970,

à envisager un mécanisme commun de résistance [Biedler & Riehm, 1970].

Les travaux pionniers de Dano et de Juliano et Ling ont permis de mettre en évidence une

altération physiologique (réduction de l’accumulation intracellulaire des drogues) corrélée à

une modification biochimique (augmentation de l’expression d’une protéine membranaire) à

partir de cellules résistantes sélectionnées en présence de colchicine [Dano, 1973 ; Juliano &

Ling, 1976].

2. Mécanismes cellulaires responsables de la résistance aux drogues

En générale, les résistances aux anticancéreux sont de deux sortes:

 Accompagnées d'une diminution de la concentration intracellulaire du médicament,

elles sont dues à la surexpression de la P-gp ou d'autres pompes membranaires.

 Non accompagnées d'une diminution de l'entrée du médicament, il s'agit au contraire

d'une tolérance de la présence de l'anticancéreux dans la cellule par augmentation des

mécanismes de détoxication, altérations de la cible, augmentation de la réparation de

l'ADN, inhibition du processus d'apoptose...etc [Nielsen, 1996].

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L’action des antinéoplasiques sur leur cible moléculaire peut être modulée à différents

niveaux (Figure 05) :

Figure 05: Principaux mécanismes cellulaires responsables de l’établissement de la

résistance des cellules tumorales [Chai et al., 2010].

2.1. Diminution de la pénétration intracellulaire des medicaments

Il s’agit d’un mécanisme de résistance très fréquent provoqué par l’altération

quantitative ou qualitative des systèmes de transporteurs. Par exemple, la résistance au

méthotréxate peut survenir en conséquence à une mutation affectant les transporteurs des

folates [Longo-Sorbello & Bertino, 2001].

2.2. Altération du métabolisme de l'agent cytotoxique

La surexpression des enzymes de détoxication permet aux cellules tumorales de

résister aux anthracyclines en agissant sur les dégâts cellulaires et les espèces

radicalaires générées au cours du stress oxydatif plutôt que de l'anthracycline elle-même.

L’augmentation de l’activité du système GST et l’augmentation intracellulaire du

glutathion ont été associées à la résistance à différents agents anticancéreux comme les

anthracyclines [Wilson et al., 2006].

2.3. Résistance par modification de la cible

L'événement critique de l'action des anthracyclines est la formation, puis la

stabilisation, du complexe de clivage topoisomérase II-ADN-anthracycline. Toute

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diminution de l'interaction des trois partenaires peut entraîner une résistance:

changement de la structure de l'ADN, diminution de la quantité d'enzyme, altération de

la localisation cellulaire ou des modifications post transcriptionnelles, mutations…

[Larsen & Skladanowski, 1998].

Le taux de topoisomérase II dans la cellule corrèle avec la sensibilité au médicament, et

la diminution de l'activité, de l'expression des ARNm ou de la protéine est souvent

observée dans les cellules résistantes à l'adriamycine [Larsen & Skladanowski, 1998 ;

Chau et al., 2008].

2.4. Entrave à la mort cellulaire

Un des principaux mécanismes d’action des drogues anticancéreuses consiste à

induire la mort cellulaire programmée ou apoptose. Les cellules tumorales peuvent

devenir résistantes à l’apoptose par l’augmentation des mécanismes de réparation de

l’ADN ou la surexpression des protéines telles que Bcl-2 impliquées dans la survie

cellulaire [Zahreddine and Borden, 2013].

2.5. Augmentation des mécanismes de réparation des anomalies de l’ADN induites par

l'agent anticancéreux

L'évaluation de la réparation des dommages de l'ADN ou d'une tolérance aux

dommages cellulaires dans la résistance cellulaire aux anthracyclines est encore très

partielle [Nielsen et al., 1996 ; Larsen & Skladanowski, 1998]. Les cellules déficientes

en MMR montrent une résistance à l'adriamycine. De façon normale, le système MMR

pourrait servir de détecteur du complexe ADN-topoisomérase II-ADN clivé, ou bien

stabiliser le complexe de clivage et augmente ainsi les lésions de l'ADN. En présence

d'un déficit en MMR, le premier modèle induirait une diminution de l'apoptose, et le

second une diminution directe des dommages de l'ADN [Lage and Dietel, 1999 ; Fedier

& Fink, 2004].

2.6. Augmentation de l’efflux des médicaments

L’efflux énergie-dépendant de la drogue hors de la cellule représente le moyen

principal permettant de diminuer la concentration en drogue en dessous d’une

concentration efficace. C’est le mécanisme de résistance aux agents anticancéreux le

plus fréquemment rencontré. La résistance aux drogues résulte généralement de la

surexpression de pompes à efflux ATP-dépendantes ayant une large spécificité d’action

[Gottesman, 2002]. Ces pompes font partie de la superfamille des transporteurs ABC

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(ATP Binding Cassette) partageant des homologies de séquence ou de structure entre

eux [Dean et al., 2001 ; Szakacs et al., 2006].

2.6.1. Le principal transporteur de résistance pléïotropique aux médicaments:

glycoprotéine-P (P-gp)

L'omniprésence de la P-glycoprotéine (P-gp) chez les espèces de mammifères suggère

fortement son rôle critique dans la survie par sa capacité à expulser les xénobiotiques, les

composés toxiques et les métabolites [Amin, 2013]. Chez l'homme, la P-gp est codée par le

gène MDR1, dont l'expression dans différents tissus indique sa fonction essentielle. La P-gp

appartient à la famille des transporteurs ATP-binding cassette (ABC), qui utilise l'hydrolyse

de l'ATP pour transporter divers substrats, agents anticancéreux et macromolécules tels que

des peptides et des lipides à travers la membrane plasmique [Khan et al., 2015 ; Yu et al.,

2015].

Parmi les transporteurs ABC impliqués dans la MDR, la P-glycoprotéine a été définie

comme étant le principal élément responsable de l’induction d’une résistance pléïotropique

aux agents anticancéreux [Ambudkar et al., 2003]. Cette pompe, encore appelée « multidrug

transporter », est effectivement surexprimée dans de nombreuses cellules tumorales et est

responsable de l’efflux des drogues hors de ces cellules, provoquant une diminution de la

quantité intracellulaire de drogues [Prachayasittikul & Prachayasittikul, 2016].

Le gène MDR1 (ou ABCB1) localisé sur le chromosome 7, code une glycoprotéine de 170

kDa composée de deux domaines membranaires de 6 boucles transmembranaires chacune, et

de deux boucles intracellulaires comportant deux sites de liaisons à l'ATP. Les extrémités

terminales sont intracellulaires. Chez l'homme, l'expression de la P-gp est restreinte à des

organes spécifiques (intestin, reins, foie, placenta, barrière hémato-encéphalique). La P-gp a

pour substrats des composés naturels très variés de structure hydrophobe, neutre ou cationique

[Marzolini et al., 2004 ; Kathawala et al., 2015].

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Figure 06: Modèle de transport d'une molécule d'anthracycline par flip-flop

[Sharom, 2014]

Le mécanisme d'action de la P-gp n'est pas complètement élucidé. Cependant elle ne

semble pas fonctionner comme une réelle pompe, mais plutôt comme une flippase dont les

substrats lui sont présentés directement à partir du feuillet interne de la bicouche lipidique. La

reconnaissance du substrat impliquerait les domaines transmembranaires, et le transport d'une

molécule nécessite l'hydrolyse de 2 ATP (figure 06). La liaison du substrat induit l'hydrolyse

d'un ATP et un changement de conformation de P-gp qui permet le rejet direct du substrat

dans le milieu extracellulaire ou bien dans le feuillet externe de la membrane d'où il peut

diffuser vers l'extérieur. L'hydrolyse du second ATP permet à la P-gp de retrouver sa

conformation initiale [Gottesman et al, 2002 ; Ambudkar et al., 2006].

La P-gp entraîne des résistances croisées aux vinca-alcaloïdes, anthracyclines,

épipodophyllotoxines, taxanes et camptothécines. L'association entre la surexpression de P-gp

et la résistance cellulaire à la doxorubicine a été observée sur des lignées tumorales d'origines

diverses, transfectées ou sélectionnées par un anticancéreux. La P-gp est exprimée chez 30%

des patients au moment du diagnostic, et dans plus de 50% de cellules leucémiques au

moment de la rechute. Dans les tumeurs solides, l'expression de P-gp est très variable, mais

pourrait être impliquée dans la résistance des cancers du sein, des ovaires, des poumons, et les

sarcomes [Goldstein, 1996 ; Kantharidis et al., 2000 ; Gottesman et al., 2002 ; Ambudkar et

al., 2006].

3. La réversion de la multi-drug resistanceDès

Les agents « réversants » exercent leurs effets par différents modes d’action, notamment

en entrant en compétition avec la drogue au niveau du site de fixation de la P-gp. D’autres

modèles suggèrent la présence de sites distincts au niveau de la P-gp. Les modulateurs

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pourraient ainsi agir par un mécanisme autre que l’inhibition compétitive. Certains

modulateurs, notamment ceux qui sont transportés par la P-gp et qui agissent de manière

compétitive vis-à-vis du substrat, stimulent l’activité ATPase de la P-gp alors que d’autres

vont agir en interférant avec l’hydrolyse de l’ATP nécessaire au transport du substrat [Modok

et al, 2006 ; Declèves & Legrand 2009].

Les composés dits «de première génération», dont le vérapamil, potentialisent

effectivement l’action des drogues et restaurent la sensibilité des cellules tumorales. Le

vérapamil est un substrat de la P-gp qui inhibe le transport d’agents anticancéreux d’une

manière compétitive sans interférer avec le cycle catalytique de la P-gp [Kathawala et al.,

2015]. Des modulateurs de seconde génération présentant une toxicité réduite ont été

synthétisés. Ainsi, des composés tels que le dexvérapamil présentent une efficacité accrue en

combinaison avec la doxorubicine, la vincristine ou le taxol par rapport à leurs analogues

d’origine naturelle [Demeule et al., 1999 ; Robert & Jarry, 2003]. Ces composés peuvent

cependant perturber la pharmacocinétique des drogues en agissant sur les P-gp et les autres

transporteurs ABC présents au niveau des tissus sains. Puis, plusieurs inhibiteurs de la P-gp

dits de troisième génération ont été développés récemment grâce à des études basées sur des

études de relations structure/activité de la P-gp [Sandler et al., 2004 ; Pusztai et al., 2005 ;

Szakàcs et al. 2006] .

Bien que de nombreuses substances pharmacologiques ont été testées, aucune ne s’est

avérée être utilisable en clinique en raison de leur toxicité inhérente à leur fonction première.

Ainsi, en parallèle au développement d’inhibiteurs synthétiques de la P-gp, d’autres stratégies

ont été imaginées. En effet, en peut citer l’exemple de plusieurs flavonoïdes qui se sont

montrés capables d’inhiber l’efflux de drogues médié par la P-gp, avec une efficacité plus ou

moins importante [Di Pietro et al., 2002 ; Morris & Zhang, 2006].

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IV. La doxorubicine: Entre effet anticancéreux et effet

cardiotoxique

1. Historique

La doxorubicine (ou adriamycine) est un médicament antibiotique anticancéreux

appartenant à la famille des anthracyclines. L’histoire de la doxorubicine peut être rapportée

aux années 1950, lorsqu’un laboratoire italien "Farmitalia Research Laboratories" était à la

recherche d’un composé anticancéreux. Dans ce cadre, une nouvelle souche de bactérie

Streptomyces peucetius a été découverte, produisant un pigment rouge brillant qui a été isolé

[Wen et al., 2015]. L'antibiotique produit par cette bactérie a présenté une activité

anticancéreuse très remarquable contre certains modèles de tumeurs murines. Ainsi, la

première anthracycline découverte et utilisée fut la daunorubicine [Kufe et al., 2003 ; Minotti

et al., 2004 ; Takemura et al., 2007].

Vue la cardiotoxicité fatale de la daunorubicine, des modifications ont été introduites sur

la machinerie génétique des Streptomyces pour produire un antibiotique différent. Ils

nommèrent le nouveau composé adriamycine, puis a été changé en doxorubicine pour devenir

conforme avec la convention pharmaceutique et approuvée par la Food and Drug

Administration (FDA) en 1974 [Kufe et al., 2003 ; Minotti et al., 2004]. Aujourd'hui, la

doxorubicine est la molécule de référence la plus employée en chimiothérapie malgré sa

cardiotoxicité élevée. Elle possède un large spectre anticancéreux y compris les leucémies, les

lymphomes (maladie de Hodgkin) et les tumeurs solides (cancer du sein et de l’ovaire,

sarcomes osseux et tissulaires, neuroblastomes) [Tacar et al., 2013].

2. Pharmacocinétique de la doxorubicine

L'hydrophobicité de la doxorubicine associée à sa nature de base faible non chargée lui

permet de diffuser passivement à travers la membrane plasmique par un mouvement de

flip-flop du feuillet externe au feuillet interne [Ferte, 2000]. Elle atteint le noyau toujours par

diffusion pour enfin se lier à l'ADN. Au pH physiologique intracellulaire (7.2-7.4), le

groupement sucre se charge positivement, ce qui permet de stabiliser la drogue intercalée via

des liaisons électrostatiques. Le transport transmembranaire de la doxorubicine associe ainsi

une diffusion passive et un efflux actif par la P-glycoprotéine (P-gP) dont le mécanisme

d'action n'est pas encore complètement élucidé. Son accumulation intracellulaire est fonction

de la cinétique d'incorporation qui dépend des mécanismes d'influx et d'efflux [Gallois et al.,

1996]. Afin d'atteindre rapidement la tumeur sans être trop dégradée, les anthracyclines sont

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administrées par voie intraveineuse. Ces substances possèdent une importante diffusion

tissulaire et sont rapidement captées par différents organes : cœur, reins, poumons, foie et

rate, mais ne traversent pas la barrière hémato-encéphalique [Hande, 1998].

Les études pharmacocinétiques montrent que la doxorubicine a un profil multiphasique, la

phase initiale de distribution est rapide avec un temps de demi-vie entre 5 et 30 min et la

phase finale d'élimination est lente avec un temps de demi-vie de 30 à 40 h. Elle est liée à 75

% aux protéines plasmatiques, surtout l'albumine [Campos et al., 2012]. La DOX est

métabolisée, au niveau du foie, en doxorubicinol, son métabolite actif principal [Lal et al.,

2010]. Elle est éliminée principalement par voie biliaire, mais également par voie rénale. En

effet, 10 à 15 % de la dose administrée sont retrouvées dans les urines, ce qui explique la

coloration rouge de l'urine, quelques jours après le traitement [Gammela et al., 2014].

3. Principaux mécanismes d’action

Les anthracyclines agissent sur les cellules tumorales selon plusieurs modes d’action:

3.1. Inhibition de l'enzyme topoisomérase II

Les topoisomérases sont des enzymes chargées de réguler les conversions topologiques de

l'ADN. Leur fonction est essentielle durant de nombreuses étapes du métabolisme de l'ADN et

permettent le bon fonctionnement nucléaire. Les topoisomérases II induisent des cassures

doubles brins transitoires de l'ADN afin de permettre à un segment de l'ADN de passer à

travers un autre et ensuite ressouder les segments coupés. Les anthracyclines en s'intercalant à

l'ADN stabilisent le complexe transitoire de clivage [ADN-enzyme] et empêchent la

religation des brins par les topoisomérases II.

Ainsi, la formation du complexe ternaire stable [anthracycline-ADN-topoisomérase II]

stabilise les coupures double brins et prévient la topoisomérase II de relier les extrémités

libres des segments coupés pour la restitution de la structure tridimensionnelle de l'ADN.

L'inhibition de cette enzyme provoque un arrêt du cycle cellulaire en G2/M et la mort

cellulaire. Les cellules en phase G0 ne possédant que peu de topoisomérases II sont peu

sensibles à ces agents [Isaacs et al., 1995 ; Sterba et al., 2013].

3.2. Intercalation dans la molécule d’ADN

De façon covalente, les anthracyclines se lient aux doubles-brins de l'ADN pour former un

complexe [ADN-anthracycline]. Ces liaisons se font principalement sur les résidus guanine de

l'ADN du coté 5’ (5’-GCN) et sont réversibles. Leur structure multicyclique, (cycle B, C et

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D), plane leur permet de former des adduits ou ponts (crosslink) en s’insérant entre deux

paires de bases adjacentes dans la double hélice et d’y contracter des liaisons hydrophobes et

électrostatiques. En s’intercalant dans l’ADN, les anthracyclines inhibent la réplication, la

transcription et donc la synthèse protéique [Szuławska & Czyz, 2006].

3.3. Inhibition de la synthèse d’ADN

L’action pro-apoptotique des anthracyclines est en partie initiée par une voie de

signalisation impliquant la protéine P53. En effet, la doxorubicine peut induire l'expression de

cette protéine de manière dose dépendante. La p53 se fixe sur l’ADN, y active la transcription

du gène Bax (médiateur pro-apoptotique), qui induit la libération du cytochrome c par

ouverture des pores mitochondriaux, et inhibe celle du gène Bcl-xL (médiateur

anti-apoptotique). La synthèse d’ADN est donc inhibée [Minotti et al., 2004].

3.4. Interaction avec les membranes plasmiques

La doxorubicine et les anthracyclines en général possèdent une très forte affinité pour les

lipides membranaires à travers lesquels elles diffusent passivement. Elles s'associent

directement avec les phospholipides par interactions ionique. La présence d'anthracyclines au

sein de la bicouche lipidique peut altérer la structure et la fonction membranaire en modifiant

les interactions lipides-lipides et lipides-protéines, notamment les protéines membranaires

impliquées dans les voies de signalisation cellulaires. Par modification des propriétés de

fluidité membranaire, la doxorubicine peut exercer son action cytotoxique directe [Lubgan et

al., 2006].

4. Mécanismes moléculaires de la toxicité cardiaque des anthracyclines

Malgré l’utilisation de la doxorubicine, comme référence dans le traitement de plusieurs

types de cancer, il est important de comprendre les mécanismes qui induisent le

développement d’effets cardiotoxiques. Les anthracyclines possèdent différents mécanismes

antinéoplasiques, mais ceux-ci ne semblent pas impliqués dans l’induction des dommages

cardiaques. Les mécanismes par lesquels la doxorubicine induit une cardiotoxicité ne sont pas

complètement élucidés, mais plusieurs hypothèses ont été énoncées.

4.1. Production des radicaux libres par les anthracyclines

Le métabolisme de la doxorubicine entraîne l’apparition des radicaux libres,

principalement l’anion superoxyde O2

•-

et le radical hydroxyle OH

. Ces molécules chargées

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