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3. La scénographie de la Maison de la Nouvelle-Calédonie : un chemin de médiation

3.4 Les voies de la scénographie

3.4.1 La voie esthétique et affective

Un individu aborde d’abord un lieu, une exposition, une œuvre, de façon sensorielle. Ce qui l’amène à une première appréciation de l’objet de ses perceptions. Concernant l’exposition,

on peut rapprocher en partie ce rapport esthétique au niveau d’intervention scénographique le moins verbal évoqué par Glicenstein59. Cette dimension prend une place importante dans la scénographie de la Maison de la Nouvelle-Calédonie, dans laquelle elle a aussi une résonance culturelle. On constate à l’examen du livret thématique sur l’installation que l’approche esthétique y est nettement prise en considération, notamment par les nombreuses photographies qui illustrent et ponctuent le propos. Ces images légendées constituent une entrée à part entière dans le document et permettent une approche centrée sur le sensoriel et le ressenti. Un autre indicateur y souligne l’importance donnée par les concepteurs à cette lecture : le réseau lexical des sens physiques qui jalonne la description du parcours faite par le directeur dans le texte introductif. Il utilise l’expression « l’émotion est perceptible » lors de l’arrivée dans l’espace de la Grande case et ajoute ainsi une dimension affective à cette approche, renforcée par l’usage d’un lexique mélioratif prédisposant le lecteur à une perception positive de l’archipel.

Les auteurs semblent donc s’adresser à la sensibilité physique et affective des usagers et ce mode de réception de la scénographie paraît pleinement considéré et perçu par les interlocuteurs de la recherche. En effet, du point de vue des concepteurs l’aspect esthétique de la mise en exposition et des expôts semble essentiel. Manuel Bachet se réfère à la muséographie du Musée du Quai Branly où les œuvres sont offertes à la contemplation : « on te présente l'objet comme une belle pierre précieuse » et les explicitations sont quant à elles plus en retrait, « tu cherches l'information un peu plus loin ». Pour lui, c’est cette dimension émotionnelle qui a guidé la conception : « je pense que c'était surtout basé sur un ressenti. (...) c'est la manière dont je [l’]ai conçu (...) que tu te sentes vraiment dans un autre monde mais en même temps à la maison pour ceux qui sont de là-bas » (entretien, annexe 9). C’est la force donnée à cette voie du « sensible » qui fait l’accessibilité du discours scénographique à différents types de public. Elle ouvre la voie à l’intellect. Pour le directeur de la structure, le chemin véhicule :

De l'esthétique d'abord c'est sûr, parce que l'affectif c'est le carburant du cognitif et de la compréhension. Ce sont des symboles, ils sont beaux et c'est grâce à ces symboles qui sont beaux, qu'on les observe, qu'on les admire, qu'on les comprend, qu'on les décrypte. (J. Viratelle, entretien, annexe 8)

La portée de ce mode de réception se dégage aussi sensiblement des entretiens avec les membres du groupe Kaori et avec Emmanuel Kasarhérou. Pour ce dernier, la scénographie de la Maison de la Nouvelle-Calédonie « parle à l’émotion ». Son discours, en particulier celui porté par les poteaux sculptés, est « autre » : « Il vous parle d'une autre manière, dans une autre langue, avec une autre sensibilité ». Et cette approche sensorielle elle-même se fait progressivement : « vous ne percevez pas tout du premier coup, et je pense que c'est ce qui est intéressant justement dans un dispositif scénographique de ce type ». Selon lui, c’est aussi un facteur de réussite du dispositif dans sa volonté d’être représentative de l’archipel : « Je pense que c'est une bonne image de la Calédonie, parce qu’elle ne se laisse pas découvrir d'un premier regard » (entretien, annexe 10). Les membres du groupe Kaori témoignent aussi de la prédominance de cette approche dans leur expérience du lieu. Ils l’expliquent d’une part par la familiarité des éléments exposés pour un Calédonien, qui reçoit plus l’installation sur un mode affectif, avec un sentiment d’appartenance, qu’avec une volonté de compréhension. « On est chez nous, on était chez nous » nous dit Alexis Diawari dit Kiki, « on s'est retrouvé chez nous et on a pas jugé utile [de chercher des explications]» ajoute Thierry Folcher. D’une façon plus générale, ce mode de réception est selon ce dernier une manière très « océanienne » d’appréhender la réalité, dans laquelle on est plus axé sur un « ressenti » que sur une approche dite « intellectuelle » (entretien, annexe 11). Il ajoute :

Les gens qui connaissent bien la culture kanak, ils disent que d'abord on sent les choses. Et après on explique. (…) Alors nous on est arrivé là, on a commencé par sentir les choses. Et je pense pas que j'ai lu de notice désolé (rire), mais c'est presque volontaire. Parce qu'on a été gagné par la magie, nous on s'est dit « à la limite on en a pas besoin ». (Thierry Folcher, entretien, annexe 11)

Nous sommes donc ici sur un mode de compréhension émotionnelle. Les éléments, leurs configurations et connotations pour le visiteur, évoquent et participent à créer un ressenti, une

atmosphère particulière. Le public peut ne pas traduire intellectuellement les composantes symboliques, mais être transporté par ce qu’il voit. Les contrastes, la présence des différents éléments (eau, végétal, minéral) et les objets variés, stimulent les sens et l’imagination. Rappelons que n’étant pas a priori dans un lieu dédié à l’exposition, les usagers ne se considèrent pas comme visiteurs d’exposition et peuvent donc avoir différentes conceptions du statut de cette installation. La dimension esthétique et affective est alors fondamentale pour l’interpeller et l’amener à s’approprier le lieu et ce qu’il véhicule. De plus, selon Thierry Folcher, les visiteurs calédoniens seraient particulièrement sensibles à la dimension esthétique de leur environnement :

La beauté, la beauté c'est un élément très important chez nous. Les gens sont sensibles à la beauté. On vit dans un pays qui est tellement beau. (…) On retrouve dans la Maison de la Nouvelle-Calédonie la poésie, mais la poésie de la nature. Ce n'est pas une poésie fabriquée par les hommes mais c'est une poésie de la nature. Quand tu marches, et cet aquarium, la mer, c'est une féerie... Je dirais féerique, magique, tu en prends plein les yeux et tu es transporté.(Thierry Folcher, entretien, annexe 11)

La voie esthétique serait donc le chemin privilégié emprunté par les scénographes pour traduire une réalité de l’archipel, tout en créant un dispositif à son image.