• Aucun résultat trouvé

Nathalie SAVARD

III.7 Q UE VIT L ’ ENFANT ?

Une autre recherche qualitative a été menée récemment aux Etats-Unis (Van Den Bosse & McGinn, 2009). Les auteurs se sont intéressés à l’expérience de violence conjugale vécue durant l’enfance de 12 professionnels de la protection de l’enfance. Les éléments qualitatifs issus de cette recherche sont particulièrement significatifs au regard de la théorie de l’attachement.

Les professionnels évoquent les conditions difficiles dans lesquelles ils ont grandi avec notamment la difficulté à gérer le secret maintenu comme règle de famille, la présence quotidienne de craintes et de peurs. Ils expliquent que la violence est un phénomène imprévisible, qui les obligeait à maintenir une vigilance constante les empêchant de vivre leur vie d’enfant. L’un d’entre eux indique d’ailleurs « on nous vole notre enfance ». De plus, comme nous l’avons vu précédemment, bien souvent la violence conjugale est associée à d’autres difficultés comme l’alcoolisme, les pathologies mentales non repérées et le contexte de pauvreté général dans lequel évoluent les familles, qui accroissent les tensions au sein du couple et les conséquences sur le développement de l’enfant. Beaucoup de répondants indiquent d’ailleurs que leur mère ne pouvait pas quitter le père car elles étaient dépendantes financièrement de lui. D’autres regrettent que les soins ne soient pas plus accessibles, soulignant que la reconnaissance des pathologies mentales de leurs parents et leur prise en charge, auraient selon eux pu arranger les choses ou tout au moins les atténuer. En ce qui concerne la concomitance entre violence conjugale et maltraitance, 6 des 12 membres interrogés ont révélé avoir aussi subi des maltraitances physiques. Un évoque plus particulièrement les difficultés rencontrées par rapport à sa culture d’origine (indienne). Il explique comment les moqueries de ces camarades vis-à-vis de son appartenance ethnique ont renforcé son isolement et fragilisé son sentiment de sécurité. Il explique également que l’isolement, les problèmes culturels et le racisme ont contribué à la fureur de son père le rendant encore plus violent. Les professionnels indiquent aussi que l’impact de la violence conjugale se poursuit à l’âge adulte. 8 d’entre eux déclarent avoir

78

reçu des soins psychologiques à l’âge adulte consécutifs à ce qu’ils avaient vécu durant leur enfance : faible estime d’eux même, dépression, anxiété constante. D’autres parlent de leur grande difficulté à avoir confiance aux autres, certaines évoquent la peur des hommes et les grandes difficultés rencontrées dans leurs relations intimes avec leurs conjoints.

Plusieurs répondants expliquent que cette enfance difficile les a amenés à vouloir travailler pour défendre les droits des enfants et que cette expérience les a aidés dans le choix de leur carrière professionnelle. Ils expliquent aussi que ce qu’ils ont vécu les aident à comprendre ce que les enfants vivent et de ce fait parviennent plus facilement à identifier leurs besoins. L’un d’eux indique « j'ai spécifiquement voulu travailler avec des enfants parce que j'ai détesté la manière dont j'ai été traité. » Il se rappelle plus spécifiquement d’un travailleur social qui a eu un impact positif sur sa vie alors qu’il se trouvait dans un centre: « Et il y avait cette femme au refuge… qui m'a traité comme un enfant… elle a joué avec nous. Elle était la première à nous traiter réellement comme des enfants de 10 ans ». D'autres ont exprimé leur choix de se diriger vers une profession d’aide et de soutien en lien avec le « rôle » qu'ils ont assumé dans leur famille étant enfant. L’un a commenté, « mon choix de profession est la position de caregiver. C'était le rôle que j'occupais à la maison, et je me suis senti à l’aise dans cette position. C'était une manière pour moi d’obtenir de la reconnaissance et de me sentir utile. »

Un autre, réfléchissant sur ses difficultés rencontrées en tant qu’enfant, exprime son sentiment d’impuissance face à un système basé principalement sur la sécurité physique et fait une réflexion particulièrement intéressante : « Je ne pense pas qu’un système soit capable en lui-même de fabriquer sur commande les réponses aux besoins de l'enfant. L’accent a été mis sur ma sécurité physique, mais ma sécurité affective a vraiment été un massacre. »

L’étude se centre ensuite sur les interventions que les enfants ont pu avoir. Si 75% ont reçu la visite d’un travailleur social, seulement 25% ont bénéficié d’une intervention formelle. Une des professionnelles s'est rappelée la tristesse qu'elle a éprouvée à ce moment là. Son père l’avait placé avec sa sœur chez une tante pour les cacher des services sociaux. Cependant, cette tante a par la suite appelé des services sociaux pour qu’ils les récupèrent. « Je me rappelle un jour où nous sommes rentrées à la maison, et elle [la tante] mettait nos vêtements dans une boîte. Nous avons commencé à pleurer et elle a dit « les filles je ne peux plus prendre soin de vous » et elle avait appelé les services sociaux. Ils sont donc venus nous chercher et ils nous ont placées dans une famille d’accueil. » Elle indique ensuite que son placement était pire que ce qu’elle vivait au domicile : « J’ai quitté un lieu où j’étais négligé pour me retrouver dans un lieu où régnait une totale indifférence. Je pense que je préférais la négligence parce qu’au moins une certaine émotion existait ». Elle indique que le travailleur social référent ne s’est jamais intéressé à l’expérience qu’elle vivait et, en conséquence, ne s'est jamais rendu compte à quel point elle était malheureuse. « Je pense que vous devez poser aux enfants beaucoup de questions, parce qu'ils n'offrent rien… on vous apprend à garder le secret. » Un autre placé brièvement dans une famille d’accueil explique avoir éprouvé une grande solitude et pense que son placement a été inutile. Il a plus tard rencontré un thérapeute mais n’a pas réussi à développer un rapport de confiance et n'a donc pas trouvé la thérapie utile.

79

Un dernier indique que la police a arrêté son père suite à une dispute particulièrement violente entre ses parents. Sa mère est restée dans le coma pendant trois jours. Bien qu'extrêmement effrayé par l'expérience, il se rappelle du sentiment de sécurité qu’il a éprouvé lorsque la police est arrivée. Ils se sont ensuite réfugiés dans un centre pour femmes victimes de violences où il explique que sa mère a suivi une thérapie, mais il regrette ne pas avoir reçu une intervention spécifique lui aussi.

Les auteurs constatent dans cette étude, que lorsque les professionnels ont tenté d’intervenir, ils n’ont pas forcément pris en considération la violence qui régnait dans la famille comme en témoigne le fait d’interroger les enfants devant leurs parents. Bien souvent, aucune relation de sécurité et de confiance n’a été développée entre l’enfant et le professionnel. Pour ceux qui n’avaient pas reçu d’intervention formelle durant leur enfance, il leur a été demandé quel genre d’intervention aurait pu les aider. La plupart ont indiqué que le placement ou l’éviction du père du domicile n’aurait pas été une bonne solution pour leur sécurité affective. Ils auraient cependant souhaité obtenir des soins comme le traitement alcoolique de leur père ou des thérapies individuelles, de l’aide pour leur parent. Certains indiquent qu’une intervention centrée sur le changement de comportement du père aurait aussi été plus utile.

Parmi ces éléments beaucoup sont en lien avec la théorie de l’attachement, c’est ce que nous développons dans la partie suivante. Nous allons donc maintenant articuler les différents résultats obtenus sur l’attachement avec ceux obtenus en protection de l’enfance dans ce contexte, pour essayer d’évoquer des repères pour la pratique.

III.8

Q

UELS REPERES POUR LA PRATIQUE AU REGARD DE LA THEORIE DE