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CHAPITRE III L’INQUIÉTANT ÉTRANGER

3.12 Les Vierges : Lambert, Newt et Vasquez

l’alien dresse sa queue entre ses jambes et se dirige fatalement vers Lambert. Sa mort évoque ainsi ce que la caméra cache : un viol que le cinéma ne montrera jamais explicitement à l’écran239. Opposé à Ripley qui est placide et raisonnable tout au long du film, le personnage de Lambert ne semble exister que pour soulever tout ce que Ripley n’est pas : émotive, féminine et peu héroïque240. Ainsi, la Vierge ne peut rien contre le monstre, tout comme elle ne peut rien contre la pénétration.

Aliens de James Cameron présente plusieurs personnages féminins assez différents.

D’abord, le film nous expose Ripley et le traumatisme qu’elle porte. Éveillée par le cauchemar de l’alien qui défonce son ventre, Ripley est marquée, dans ce second film, par la peur de donner naissance à un monstre et donc par son propre potentiel à devenir une mère monstrueuse241. La femme forte et confiante qui a détruit l’alien dans le film précédent et qui a sauvé sa peau est alors montrée comme la victime de ses propres choix. Sa punition, car les femmes sont toujours punies pour leur héroïsme, est ce qui la hante et la guette chaque nuit : ses cauchemars de viol, de grossesse et de mort242. Dévastée par la perte de son enfant243, elle n’est plus qu’une victime tourmentée par les souvenirs d’une attaque violente. Peut-être l’ignore-t-elle à ce moment-là, mais ce Nouveau Monde dans lequel elle s’est réveillée ne la voit pas autrement qu’en alien.

La découverte de Newt, la seule survivante de LV-426, permet à l’héroïne de résister à la part monstrueuse qui la guette. En prenant la fillette sous son aile, Ripley choisit véritablement une maternité humaine, car Newt et Ripley sont reliées par le fait qu’elles sont toutes les deux des survivantes de l’alien, des vierges donc comme le suggère Robin Robert, un miroir l’une de l’autre244. La virginité de Newt rassure ainsi Ripley dans ses propres peurs de pénétration et de viol. Cependant, bien que sauvée des griffes de la reine, Newt est

239 Roger Luckhurst, op.cit., p. 73.

240 Sherrie A. Inness, Tough Girls. Women Warriors and Wonder Women in Popular Culture, Philadelphie, PENN, 1999, p. 106.

241 Ximena Gallardo-C. et Jason Smith, op.cit., p. 98.

242Ibid., p. 76.

243 Burke annonce à Ripley que son errance dans l’espace a duré 57 ans et qu’elle n’a plus de famille sur Terre. Sa fille est décédée.

244 Robin Roberts, « Adoptive versus Biological Mothering in Aliens », Extrapolation, vol. 30, n°4, hiver 1989, p. 360.

destinée à un triste sort, comme il sera possible de le découvrir au début d’Alien3. En outre, la peur qui hante Ripley s’avère plus concrète dans ce troisième film et le miroir se défait entre elle et Newt : l’autopsie faite du corps de la petite révèle à Ripley que son corps est vierge et que l’alien s’est infiltré dans l’autre vierge à bord du vaisseau, c’est-à-dire elle. C’est devant le corps virginal et immaculé de la fillette que Ripley constate la souillure de son propre corps, alors déjà aux prises avec un embryon maudit.

Aliens dresse également le personnage de Vasquez (Jenette Goldstein), une latina virile et courageuse. Sa première apparition nous la montre en train de faire des chin-ups et tout comme c’est le cas pour Sarah Connor dans Terminator 2, les chin-ups marquent Vasquez comme étant une dure à cuire parce qu’ils requièrent une force particulièrement élevée du haut du corps et que ce genre de force est normalement attribuée aux hommes245. Vasquez se démarque du groupe de marines parce qu’elle porte les armes les plus longues et les plus lourdes et ne recule pas devant le danger. Ses prouesses musculaires montrent effectivement qu’elle est capable de faire tout ce qu’un homme peut faire… et même plus.

Ses intentions sont claires, elle veut simplement savoir où se trouvent les aliens : « to blow them away. » Vasquez se situe complètement dans l’action et sa force est traditionnellement associée à celle de l’armée : elle est physique et combative246. Lorsque Hudson lui demande ironiquement : « Have you ever been mistaken for a man ? », Vasquez lui répond rapidement : « No. Have you? » Cette réplique sanglante soulève exactement ce qui ne fonctionne pas dans la dynamique des militaires : si une femme peut être prise pour un homme, alors un homme peut être pris pour une femme. Cette subversion implique également que si le meilleur des soldats est une femme, alors le reste d’entre eux doivent être des

« pussies »247. Vasquez n’appartient ni au monde des hommes ni au monde des femmes. Son travestissement marque d’une part la performance qu’elle joue pour se subvertir au monde des hommes et d’autre part, un refus de reconnaître la part féminine qui réside en elle. À la vue de Ripley, Vasquez est la première à reconnaître la part féminine de l’héroïne en l’appelant « Snow White » et elle n’hésite pas à souligner l’intrus que Ripley incarne dans ce

245 Sherrie A. Inness, op.cit., p. 108.

246 Ibid., p. 108.

247 Ximena Gallardo-C. et Jason Smith, op.cit., p. 86.

monde d’hommes auquel elle-même adhère depuis longtemps déjà. La virilisation de Vasquez montre qu’aucun modèle de féminité n’est viable à bord du corps armé et que si elle veut être prise au sérieux, elle doit se désexualiser jusqu’à se convertir complètement en homme. C’est d’ailleurs parce qu’elle redéfinit sa propre identité par des termes complètement virils que Vasquez doit mourir. C’est même elle qui se donne la mort et qui choisit courageusement de ne pas se laisser sexualiser par l’alien. Vasquez incarne ainsi la vierge masculine et intouchable. Le personnage de Vasquez fonctionne aussi de manière à refléter l’envers de Ripley : la masculinité stéréotypée et exacerbée du soldat Vasquez, tout comme les débordements hystériques de Lambert, met de l’avant la duplicité de Ripley qui, dans Aliens, se dévoile comme à la fois vierge, maternelle et bienveillante.