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9. Famille et handicap

9.3. La vie sociale recomposée, à construire ou à reconstruire

Dans cette partie, je souhaiterais relater à la fois les besoins d’affiliation de l’enfant dont les parents font part (9.3.1) et ceux des parents qui les amènent parfois à une réorganisation de leurs relations sociales (9.3.2)

9.3.1. Le besoin d’affiliation de l’enfant : la tension entre besoins et vœux parentaux

Les recherches en psychologie sociale sont nombreuses à avoir démontrées l’importance de la satisfaction des trois besoins psychologiques fondamentaux pour le bien-être et le sentiment d’efficacité personnelle. Si les premiers liens d’attachement et les premières phases du développement de l’enfant sont fortement influencés par les soins apportés par leur parent, des études ont montré que le milieu scolaire, et l’ambiance de classe, lorsqu’ils favorisent l’affiliation interpersonnelle, développent également un sentiment de confiance et de sécurité, une estime de soi positive (Laguardia & Ryan, 2000).

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A la satisfaction de ce besoin s’ajoute la nécessité pour le bien-être psychique de l’enfant d’une identification. A quel modèle l’enfant peut-il s’identifier. Dans son ouvrage, Korff-Sauss relate l’histoire d’une petite fille qui pour se présenter, lui dit : « je suis trisomique, et toi ? ». En réduisant l’enfant à son handicap, l’enfant devient unidimensionnel, mais, à l’inverse, celui-ci a besoin pour la construction de son narcissisme d’un miroir permettant de se construire soi-même (Korff-Sausse, 2011).

Dans les entretiens des parents, je retrouve les deux aspects susvisés. Les parents évoquent aussi bien le besoin d’affiliation interpersonnelle de leur enfant que celui d’un miroir identificatoire. Ce qui est intéressant, c’est que se créé une tension entre ces besoins avérés, constatés, et dont ils souhaitent prendre compte et, d’un autre côté, leur volonté affirmée, fondamentale, essentielle, de maintenir leur enfant dans un milieu ordinaire de vie, où les enfants en situation de handicap sont donc moins nombreux.

Ainsi dans un des entretiens, « j’ai avancé, je sais qu’il a besoin d’être avec des enfants comme lui

(…)il a pas d’attente puisqu’il connaît pas mais je suis plus dans le sentir qu’il est vraiment temps pour lui qu’il soit avec des jeunes enfants comme lui »

Ou dans un autre, « non vraiment, je pense vraiment que le maintenir dans un cadre normal le tire

vers le haut. Après je pense qu’il est bon pour lui de rencontrer des enfants qui ont les mêmes difficultés aussi un peu pour lui renvoyer son image, et se sentie en confiance, pas être tout le temps le plus nul, le dernier, celui qui a du mal et tout ».

Pour autant les occasions de rencontres sont relativement faibles, soit par manque d’offres de types loisir adapté (en tout cas pour les plus petits), soit parce que des amis qui ont des enfants trisomiques

« il se trouve que dans notre vie quotidienne, on n’en a pas non plus dix mille »…

9.3.2. La réorganisation de l’inscription sociale autour du handicap : expériences vicariantes des uns et soutien collectif

Dans son ouvrage, Ebersold souligne à la fois comment l’inscription sociale de l’individu dans les différents domaines qui font la vie en société constitue un vecteur d’appartenance fort offrant bien-être psychologique et social. Dès lors elle constitue une grille de lecture possible permettant d’apprécier le degré de reconnaissance des parents. Selon lui la présence ou l’absence de possibles sociaux constitue une symbolisation du handicap en tant que stigmate social. De là, il propose d’envisager les relations sociales et amicales de la famille et le temps personnel des parents comme mesures possibles du poids du handicap pris dans la famille (Ebersold, 2005).

Là encore l’analyse des entretiens confirment les constats d’une recomposition partielle des relations sociales familiales autour du handicap de l’enfant d’une part, et, pour certains d’un temps personnel réduit à peau de chagrin.

Ainsi, dans tous les entretiens, les relations sociales sont abordées. Les constats sont les suivants : - La constitution et l’évolution progressive d’un réseau de parents d’enfant trisomique qui se connaissent et se côtoient. Ce qui caractérise ce réseau est à la fois son côté informel et évolutif,

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l’évocation d’un « bouche à oreille », de « connaissances », de « rencontres ». Pour certains, ce réseau présente une importance majeure, « une grande liberté de parole », avec des parents « qui

vivent la même chose ». Pour d’autres il s’agit là d’une source abondante d’échanges d’expériences

dont ils se saisissent volontiers soit pour reproduire ou utiliser (la prof de ski « qui est vraiment

géniale, qu’on se refile et qui a tous les petits enfants trisomiques d’annecy » !) soit au contraire pour

éviter « moi il est hors de question que ça se passe comme pour (lui) qui a passer (tant de temps) (là)

pour rien faire ».

- Le soutien amical et familial variable, corrélé à une positivité de l’échange ou, au contraire à un relatif isolement des personnes.

Comme dans l’enquête d’Ebersold, je constate dans l’échantillon, des familles qui apprécient particulièrement la présence d’un réseau familial et amical ancien, stable qui les soutient et dont ils apprécient le regard. Ici c’est la sœur « qui m’apporte beaucoup de douceur, de respiration », là ce sont les amis « très proches avec qui on échange en profondeur » ou encore les parents qui constituent « un bon appui », la belle-mère « qui est de bon conseil ».

Et à l’inverse, des familles dans lesquelles le réseau s’est délité, où une certaine distanciation s’est installée. C’est alors que la solitude s’installe et que le besoin d’aides extérieures se fait sentir.

J’ai rencontré des familles qui, conscientes d’un « risque d’asymétrie » ou de « dissymétrie » (Ebersold, 2005, p148 et 151) dans les relations entretenues du fait d’une centration du cercle relationnelle sur la déficience et la difficulté de l’enfant du couple, adoptent un comportement « préventif » en quelque sorte. Ainsi, l’un des interviewé pense « que cette situation du handicap use

les amis », qui évoque des amis très proches avec qui ils se sont fâchés et que de ce fait elle prend

garde à ne pas faire de ses amis « des soutiens quotidiens ».

Le temps personnel est peu évoqué dans les entretiens des parents, davantage dans celui des professionnels figurant dans les points d’attention ou d’alerte. Cette question est souvent posée en termes de disponibilités personnelles pour les mamans, « ne serait-ce que pour aller faire une course,

seule ».

Dans les entretiens de parents, il peut apparaître en filigrane d’une réflexion ironique « c’est pour ça,

c’est quand même bien l’école », ou, alors constituer une problématique à part entière, liée à la

thématique de réseau d’aide, de temps de répit, parfois extrêmement réduits « j’ai mes deux semaines

de vacances par an, c’est quand ils sont au centre… ».

Au sein de sa modélisation théorique de la société et des individus qui la composent, Bronfenbrenner (cité par Boulanger et al., 2011) identifient quatre systèmes qui interagissent : l’ontosystème (l’individu lui-même), le microsystème (où l’individu agit directement, la famille par exemple), le mésosystème (les relations entre deux microsystème comme par exemple celles entre l’école et la famille), l’exosystème (là où l’individu n’a pas de prise mais dont il subit néanmoins l’influence, la MDPH par exemple) et le macrosystème (les normes, idéologies, valeurs, représentations dominantes).

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En référence à cette schématisation, les deux premières parties éclairaient à la fois le macrosystème (société), deux microsystèmes (l’école et la famille), et un mésosystème (la relation parent/professionnel). A travers le prisme du double regard des acteurs, on observe que la singularité de l’enfant cristallise sur elle davantage de tensions que de sérénité.

Il s’agit à présent de s’interroger sur le point de savoir en quoi ces trois éléments influencent les projections parentales, et l’élaboration du projet de vie en particulier.