• Aucun résultat trouvé

La version d’Antonio Saura

Dans le document Relire Pinocchio (Page 44-47)

1 Critères littéraires

2.2 Les différentes techniques plastiques utilisées

2.2.3 La version d’Antonio Saura

La couverture du Nouveau Pinocchio est beaucoup plus sobre. Sur un fond blanc, se détachent les noms de l’auteur, en rouge, ainsi que celui de l’illustrateur, en lettres noires. Le contraste entre les couleurs est très prononcé. L’alliance de ces trois couleurs apporte sans conteste un aspect « art contemporain » à l’ouvrage. Dès cette couverture on ressent le désir de l’illustrateur de tendre vers la création d'une œuvre d’art. L’influence de l’art pictural contemporain est sensible dans une stylisation qui privilégie les formes géométriques, les gros plans. Le fond blanc marque la volonté d’ouvrir l’espace et de donner plus de relief aux personnages. Ce fond blanc, sans aucun cadre pour le limiter, offre un espace très large à l’action. Cet espace abstrait, sans profondeur, valorise le sujet et invite le lecteur au cœur de l’histoire. La juxtaposition d’aplats de couleurs saturées alliée à l’utilisation d’un cerne très épais accentue encore la clarté de chaque composition.

Contrairement aux deux autres œuvres de notre corpus qui étaient des commandes de la part d'éditeurs, c'est Antonio Saura qui a souhaité illustrer ce conte, le premier d'une série de classique de la littérature pour la jeunesse qu'il envisageait d'illustrer mais qui n'aura pas vu

121 Nathalie Novi, http://www.jeannerobillard.com/nathalie-novi

le jour en raison du décès de l'artiste.

C'est lui qui avait choisi la version de Christine Nöstlinger car elle lui semblait la plus conforme à son idée de Pinocchio. Il appréciait la version écrite par l'auteure autrichienne

« pour la beauté et la simplicité du récit122 ». L'artiste, dans sa note, relate la difficulté qu'il a éprouvée à fusionner « la nécessité de caractériser le personnage de façon graphique et, en même temps, l'obligation de préserver [s]a graphie personnelle sans faire de concessions regrettables123 ».

Notre deuxième partie nous a montré qu'à la lumière des différentes définitions données au cours de cette analyse, on peut rattacher nos trois œuvres à la catégorie du livre illustré. Même si chacune de ces œuvres présente la première page de texte en belle page et que l'illustration lui fait face en fausse page, toutes trois font une large place à l’iconographie.

Malgré un texte largement préexistant, le traitement iconocentré de l’œuvre transforme ces trois productions en album illustré. De plus, à la lecture des deux traductions et de la réécriture, et malgré leurs dissonances, on ne peut s'empêcher de ressentir le plaisir que ces auteurs ont eu à relire ce classique et à tenter de nous le faire partager en nous dévoilant toutes ses qualités littéraires. Claude Sartirano le confirme :

Elle (sa traduction) a essentiellement pour but de faire partager le plaisir qu’a éprouvé le traducteur à la lecture des péripéties de l’illustre Pinocchio, une histoire dont les nombreux et savoureux rebondissements sont cependant moins connus qu’on ne le croit124.

Cette citation renforce notre sentiment que ce classique, qu'on croit connaître, mérite d'être exploré plus avant. C'est l'objectif que nous souhaitons atteindre dans la partie suivante.

Troisième partie : Réécritures, réinterprétation, et réception

En 1943, Les aventures de Pinocchio furent publiées par la maison d’édition Einaudi en tant que texte classique. D’après Paolo Carta, cette édition « invitait les lecteurs à reconsidérer les aventures de la marionnette la plus célèbre au monde comme un texte classique » et l’auteur italien précise : « un classique est ce qu’il y a de plus utile pour continuer à exercer sa pensée à chaque époque125 ». « Il serait donc réducteur de définir Les Aventures de Pinocchio comme ‘ un classique de la littérature de jeunesse.’ Il s’agit, au

122 Christine Nöstlinger, Le nouveau Pinocchio, op. cit., p. 293.

123 Antonio Saura, « Note de l'illustrateur » in Le nouveau Pinocchio, op. cit., p. 294.

124 http://claude.sartirano.pagesperso-orange.fr/

125 Paolo Carta, « Carlo Collodi, Les aventures de Pinocchio », Laboratoire italien [En ligne], 2 | 2001, mis en ligne le 07 juillet 2011, p. 2. URL : http://laboratoireitalien.revues.org/308

contraire, comme l’ont écrit Carlo Fruttero et Franco Lucentini, ‘d’un classique de la littérature tout court’126 »poursuit-il plus loin. Selon la définition bien connue d’Italo Calvino,

« un classique est un livre qui n'a jamais fini de dire ce qu'il a à dire127 ». Cette définition sous-entend que toute lecture ou relecture est unique et personnelle. Elle dépend de la personnalité du lecteur, de son passé, de son âge, de son quotidien et évoluera en fonction de sa maturation et des événements qui viendront jalonner sa vie. Mais cette notion existe-t-elle en littérature pour la jeunesse ?

Pour Marie Saint-Dizier, qui a analysé quelques unes des œuvres de Lewis Carroll, de James Matthew Barrie, de Roald Dahl, entre autres, les « classiques de la littérature enfantine » sont « des livres qu’on lit et relit à tout âge ». Selon cette auteure, ce sont des livres

qui occupent une place à part, dans notre bibliothèque, sur notre table de chevet, sous notre lit, à portée de main. À toute période de notre vie, nous avons besoin de les relire. Parmi eux, ceux qui ont accompagné notre enfance, notre adolescence, ont toujours des choses à dire128.

Ces livres sont l’œuvre d’auteurs qui ont « écrit à partir de leur enfant intime, de ses secrets, de ses blessures, même s’ils étaient inspirés par un enfant réel. Ils ont créé des mondes dans lesquels il serait plus doux, plus excitant, plus terrible, plus intense de vivre129 ». La théorie de Ferdinando Tempesti, reprise par Brigitte Poitrenaud-Lamesi dans sa thèse de doctorat international est que Pinocchio a constitué pour Collodi « un formidable espace de liberté130 ».

Là encore, il semblerait que l’auteur « se [soit] emparé de cette opportunité pour créer un personnage qui lui tenait à cœur, qu’il portait en lui131 ».

Dans cette partie, nous allons tenter de définir quelle(s) lecture(s) on peut faire de ce classique. Jean-Claude Zancarini, citant et traduisant Carlo Fruttero et Franco Lucentini, le rappelle avec justesse :

La seule clé de lecture adulte pour un classique de la littérature a toujours été et demeure la clé littéraire, faite d’attention aux effets de l’art, poétiques au sens large, et des moyens que l’auteur a employés pour les atteindre132.

126 Ibid.

127 Italo Calvino, Pourquoi lire les classiques, Le chapitre « Pourquoi lire les classiques » a été traduit par Michel Ocel et François Wahl, Éditions du Seuil, janvier 1984, p. 7.

128 Marie Saint-Dizier, Le pouvoir fascinant des histoires : Ce que disent les livres pour enfants, Paris, Éditions Autrement, 2009, p. 154.

129 Ibid., p. 155.

130 Brigitte Poitrenaud-Lamesi, « Pinocchio, un enfant parallèle ». Position de thèse de doctorat international, Université Paris IV, 2009, p. 2.

131 Ibid.

132 Carlo Fruttero e Franco Lucentini, « Sette note a Pinocchio », in C. Collodi, Le Avventure di Pinocchio, Milan, Mondadori, 1995 : « […] la sola chiave di lettura adulta per un classico della letterature è sempre stata e rimane quella letteraria, che è fatta di attenzione aqli effetti d'arte, poetici in senso ampio, e dei mezzi che

Nous chercherons donc tout d'abord à cerner, à définir quels effets de langue les deux écrivains, Collodi et Nöstlinger, ont utilisés et dans quels buts. Puis nous nous pencherons sur la morale de cette histoire. Enfin, nous analyserons la réception de ces trois œuvres, et, notamment, nous chercherons à définir quels regards sur ce classique nous offrent les trois adaptations sélectionnées.

1 Les langues de Collodi et de Nöstlinger

Dans le document Relire Pinocchio (Page 44-47)