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Inscrits dans le cadre de la rationalité communicationnelle, nos travaux prennent part au programme initié par GOMEZ (1996118) et définissant l‟entreprise comme une « convention

d‟effort », pouvant devenir, dans certains cas, un espace public au sens de HABERMAS

(1981119), c‟est-à-dire un lieu au sein duquel sont discutées collectivement les règles et les solutions organisant la vie collective. Comme le souligne implicitement GOMEZ (1996), un individu particulier, l‟entrepreneur, joue un rôle central dans l‟élaboration de ce construit. Par la conviction, il rassemble une équipe autour de lui et crée la « convention d‟effort » qu‟initialement nous caractérisions pour notre part comme l‟issue du « jeu interne » de l‟entreprise (T3).

La conséquence de ces perspectives est double. Plusieurs « conventions d‟effort » ou équilibres internes sont envisageables sur un même secteur. Ces derniers résultent des choix et des singularités des entrepreneurs autant que de l‟environnement. Dans nos modélisations les plus abouties de la production de la qualité des biens (L2-A6, p. 266), nous considérions, en nous démarquant de GOMEZ (1994), que le modèle adopté par une entreprise résultait, en premier lieu, de la convention de qualification qui lui était imposée (selon que les clients sont plutôt sensibles au prix et aux standards techniques ou à la réputation) et, en second lieu, du choix de gestion selon que la direction privilégiait une approche individualisée ou plus communautaire de rétribution de ses collaborateurs. Nous retrouvions les quatre modèles proposés par GOMEZ (1994) correspondant à quatre types d‟entreprises fort différentes.

116 François EYMARD-DUVERNAY, 2001, L‟Economie des conventions a-t-elle une théorie politique ?, in Philippe BATIFOULIER, 2001, Théorie des conventions, Economica

117 F.R. MAHIEU (Les fondements de la crise économique en Afrique, L‟Harmattan, 1990) souligne ainsi qu‟en milieu africain, la rationalité des acteurs se matérialise par le poids du groupe sur l‟individu. La responsabilité sociale dont ce dernier est porteur interfère avec ses calculs de maximisation. De même, dans son étude de la Finance Islamique, Isabelle CHAPELLIERE (Islam et rationalité économique : De l‟éthique musulmane à la

Finance Islamique, Thèse de Doctorat en sciences Economiques, Université de la Méditerranée, 2004) conclut

que « si l‟individu musulman est sous l‟emprise d‟une rationalité individuelle qui le conduit à effectuer comme

tout homo-oeconomicus, des calculs coûts-avantages strictement économiques, il est également guidé par une rationalité sociétale, de l‟ordre du collectif, qui lui propose de renforcer le lien social au sein de la Umma par ses actes économiques et d‟aller dans le sens de l‟intérêt économique de tous » (p. 322).

118

Pierre-Yves GOMEZ, 1996, Le gouvernement d‟entreprise, Les éditions d‟Organisation, Paris.

Convention d’effort adoptée par l’entreprise dans le cadre du « jeu interne »

Conventions de

qualifications régissant le

marché sur lequel

l’entreprise est située

Compromis des cités marchande et industrielle

Compromis des cités domestique et civiques

Compromis des cités marchande et industrielle

Modèle de la qualité standard

Modèle de la Qualité Maison Compromis des cités

domestique et du renom

Modèle de la qualité libérale Modèle de la qualité Service public

Tableau 3. La pluralité des modèles de production de la qualité

La théorie de l‟entreprise qui en découle n‟est plus universelle et laisse place à la singularité et au libre-arbitre des entrepreneurs pour expliquer la pluralité des trajectoires possibles. Nous concluions d‟ailleurs notre essai de 2002 (L2-A6, p. 269) en soulignant que l‟entrepreneur souffrait pour la théorie économique traditionnelle, du même paradoxe que le concept de qualité. Dans les deux cas et a fortiori dans celui de l‟entrepreneur, il s‟agit de notions présentées comme centrales. On parle même de comportement de l‟entrepreneur dans les manuels de microéconomie. Pour autant, dans la théorie néo-classique de référence, l‟entrepreneur en tant que tel est finalement considéré comme exogène à la firme, au même titre que la qualité. Son rôle d‟optimisateur dans l‟allocation des ressources le met en scène une fois que l‟entreprise est établie et en dehors des périodes de crises stratégiques. Les problématiques de la création, de la transmission ou de la restructuration de l‟entreprise ne sont effectivement pas au cœur de l‟approche économiste de l‟entreprise, même dans le cadre des théories de l‟organisation (théorie des coûts de transaction par exemple). Au contraire, en plaçant l‟entrepreneur comme arbitre simultané du jeu interne et du jeu externe même dans une perspective ludale (R3-A3), nous refaisons de lui, un individu capable d‟engager durablement l‟entreprise sur une trajectoire correspondant à son propre projet qu‟il est ou non parvenu à faire partager aux parties prenantes et nous nous inscrivons dans le prolongement des travaux de W.P. BOEKER (1998120) ou de Teresa NELSON (2003121)qui s‟efforcent de montrer que le créateur placent l‟entreprise sur un sentier dépendant. Les transmissions et rachats d‟entreprise sont un moment privilégié d‟émergence des tensions entre conventions. Lors du rachat du pâtissier LENOTRE par le groupe ACCOR, Henri TALZSKA, appelé pour présider le directoire de LENOTRE, raconte comment il a eu à gérer une tension entre la logique « domestique » d‟une société artisanale et très hiérarchisée et la logique « industrielle » du groupe acheteur dont les experts financiers et comptables dépêchés dans la nouvelle filiale devaient « rationaliser » l‟activité, notamment par la mise en place d‟une importante panoplie de ratios. Cette crainte des tensions entre conventions d‟effort dicte même leurs choix stratégiques à certaines équipes dirigeantes. La direction du groupe Manpower nous confiait ainsi lors de notre premier travail doctoral qu‟à la différence de son rival (Adecco) qui recourait fortement à la croissance externe pour se développer, elle s‟y refusait et ne misait que sur la croissance interne pour ne pas avoir à gérer par la suite des conflits dans les modes de travail entre des salariés issus de cultures différentes.

120

W.P. BOEKER, 1998, Organizational origins: Entrepreneurial and Environmental Imprinting at the Time of Founding, in Glenn R. Caroll (ed), Ecological models of organizations, Ballinger Publishers Company, Cambridge Ma., pp 33-51.

121

Teresa NELSON, 2003, The persistence of founder influence : management, ownership, and performance effects at initial public offering, Strategic Management Journal, 24, 707-724.

La contribution de la perspective intersubjectiviste à l‟édification d‟une nouvelle théorie économique de l‟entreprise conduit à fonder celle-ci sur l‟entrepreneuriat et sur la dynamique

individu(s)-projet qui en résulte davantage qu‟à chercher à discuter de la firme comme objet.

Nos travaux conduits depuis 2002 sur le phénomène entrepreneurial s‟inscrivent dans cette perspective.

2. UNE FOCALISATION PRAGMATIQUE SUR