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L‟identification des images commence par la recherche des mots. Il ne s‟agit

cependant pas ici d‟une étude linguistique à proprement parlé mais plutôt d‟un

questionnement autour de la verbalisation. C‟est-à-dire, comment les mots ont-ils encodé un

certain type de perception ? Comment ont-ils évolué et qu‟ont-ils transmis ? Aussi est-il ici

postulé que pour comprendre la nature d‟une image visuelle et mentale, il faut dans un

premier temps appréhender son mode d‟apparaître.

Pour se faire, cette première partie s‟appuie grandement sur les travaux linguistiques

approfondis d‟E. Ridel (2009) concernant le rapport entre la langue scandinave et la langue

française avec une large partie consacrée au domaine maritime (sources documentaires

latines et narratives latines et ancien français

4

), ainsi que sur ceux de J. Jesch (2001) étudiant

le vocabulaire des bateaux et des hommes vikings à partir des corpus scaldiques

5

et runiques

6

.

Le tout est complété par l‟apport de la toponymie notamment en Ecosse (MC BAIN A., 1982

et RIXSON D., 1998), sur les îles Shetland (STEWART J., 1987 et JAKOBSEN J., 1928), les

Orcades (MARWICK H., 1952) ou encore les chroniques irlandaises et gaéliques (MAC

GIOLLA EASPAIG D., 2002 et BUGGE A., 1912). Enfin, il est fait appel aux sources

archéologiques dans le but de différencier ce qui relève du filtre perceptif matériel de ce qui

appartient à l‟interprétation imaginale.

4

Ces sources chrétiennes latines, franques et normandes, sont des annales : celles de Bertin, de

Saint-Vaast, de Jumièges, de Fontenelle-Saint-Wandrille. A ces textes, il faut ajouter les récits : Gesta Normannorum

ducum de Guillaume de Jumièges, avec les interpolations d‟Orderic Vital (vers 1109) ; le De moribus et actis

primorum Normanniae ducum de Dudon de Saint-Quentin. La littérature a également exploité les faits vikings :

Abbon de Saint-Germain et son poème épique de 1280 vers, Bella Parisiacae Verbis, consacré aux exploits des

Parisiens lors du siège par les Danois (885-888) ; Etienne de Rouen et son poème de 1400 vers, Draco

Normannicum, avec quelques références aux invasions et installations des Vikings en Neustrie. Enfin, les

ouvrages hagiographiques, uitae, translationes, miracula [Cf. Inventio et miraculae sancti Vulfrani par

exemple].

5

Les références aux poèmes scaldiques sont tirées de JESCH J. (2001). Les textes originaux avec références

ainsi que leurs traductions (en anglais) sont disponibles sur la base de données en ligne consacrée aux scaldes

(recherche possible par nom d‟auteur, titre du poème et manuscrits) : http://skaldic.arts.usyd.edu.au

6

Les citations runiques sont également tirées de JESCH J. (2001). Les références rattachées renvoient à la base

de données consacrées aux inscriptions runiques établie par l‟Université d‟Uppsala :

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CHAPITRE 1er : Le bateau, objet naviguant

Le développement des technologies navales et des routes maritimes permet de poser

des terminus post et ante quem. Le cadre de la recherche se pose entre le VIII

ème

et le XIII

ème

siècle pour ces deux raisons : le VIII

ème

témoigne de l‟introduction de la voile dans les

espaces navigables nordiques, et le XIII

ème

se caractérise par l‟instauration de la Hanse,

entraînant un essor considérable du commerce par voies maritimes. Ces deux évènements

participent de l‟évolution des perceptions humaines à l‟égard des bateaux en tant qu‟objet,

ainsi qu‟à l‟égard de la navigation en tant que contexte de vie.

Dominée par la technologie navale nordique, largement documentée par l‟archéologie, la mer

du Nord et ses espaces adjacents possèdent leur propre chronologie. A la fin de l‟aire glacière

– peuplée de chasseurs-nomades – la péninsule scandinave se sépare de l‟Angleterre, la mer

Baltique s‟ouvre, tandis que les premières pirogues monoxyles à pagaies font leur apparition,

à partir de 6500 avant J.C. Le niveau de la mer augmente de 30 mètres et les terres se parent

d‟une forêt dense. Ces pirogues perdurent pendant l‟âge du bronze (à partir de 2000 avant

J.C.), tandis qu‟apparaissent les premiers canoës, représentés sur les peintures rupestres

suédoises (LEMEE C., 2002, p. 177). L‟offrande de Hjortspring

7

(325 avant J.C.) permet

d‟établir une évolution, caractéristique de l‟Age du Fer. Elle présente en effet « une

embarcation à cinq bordés de tilleul assemblés par des coutures faites de la corde de l‟écorce,

dont l‟architecture s‟apparente aux peintures » (LEMEE C., 2002, p. 178-9). En 310 après

J.C., l‟épave de Nydam – embarcation de 24 mètres de long pour 4 mètres de large – présente

une coque en chêne et marque l‟arrivée de la construction à clin avec rivets de fer, laquelle se

généralise en Scandinavie à partir de l‟an 300 après J.C. (BILL J., 1997a, p. 41.), ainsi que la

propulsion à rame (trente hommes) et le système du gouvernail. Ces nouveaux apports

permettent d‟établir une probable influence de la technologie romaine en service sur le Rhin

et le Danube à la même époque (CRUMLIN-PEDERSEN O., 1997a). L‟introduction de la

voile carrée en Europe du Nord, au VIII

ème

siècle, n‟appartient pas non plus aux Scandinaves

puisqu‟il s‟agit d‟une tradition venue de Méditerranée dont les gallées – nom donné aux

7

13

galères jusqu‟au XV

ème

siècle – utilisaient déjà ce type de voilure

8

. En Mer du Nord, malgré

quelques variations locales dans la conception et l‟utilisation, les navires se définissent selon

un schéma général caractéristique : « ce sont des constructions à clin non pontées, aux coques

plus ou moins souples, avec un mât et une voile carrée. Le navire était gouverné à l‟aide d‟un

aviron-gouvernail à tribord » (DAMÅRD-SØRENSEN T., 2002, p. 199).

Dans la période chronologique définie par la problématique, les éléments matériels,

technologiques et contextuels, ne cessent d‟évoluer. Les données archéologiques permettent

de définir le bateau en tant qu‟objet naviguant, c'est-à-dire en tant que stimulus. Il s‟agit alors,

dans ce chapitre, d‟en présenter les différentes facettes et d‟analyser, à partir des données

textuelles/verbales, la manière dont les populations les identifiaient.

I / Définition du bateau à partir des noms communs

A / Le bateau comme objet signifié

1 / Les termes génériques

Le terme le plus commun pour désigner un bateau dans les groupes de langues

germaniques trouve sa racine dans le substantif skip (n., pl., skip). Une pierre runique du

corpus en fait mention dans une inscription (SE 31)

9

louant le défunt pour son héroïsme :

‘stuþ frikil(a) i stafn skibi’ « il s‟est tenu comme un drengr à la proue du navire » (JESCH

J., 2001, p. 121). Le corpus scaldique apporte de plus amples références : J. Jesch dénombre

trente-cinq vers porteurs de ce radical. Sigvatr þórðarson (scalde du XI

ème

siècle)

10

, dans sa

description de la bataille de Nesjar entre Óláfr Haraldsson et Sveinn Hákonarson, use de ce

mot en contexte militaire. Cependant, son utilisation ne se borne pas qu‟à ce seul domaine.

Vingt-et-une de ces références l‟inclut, comme particule, au sein de contextes variés. Le mot

8

« Suivant un texte du XIII

ème

siècle, les plus grandes galères de cette époque avaient quarante mètres de

longueur pour cinq mètres cinquante de large » (VILLAIN-GANDOSSI C., 1983, p. 11).

9

Ces références, toujours indiquées en gras, renvoient au corpus (volume 2). Les lettres sont indicatrices du pays

de découverte et le chiffre de localisation chronologique relative au sein du corpus.

La pierre en question, unique élément du catalogue scandinave à la fois porteur d‟une image textuelle et visuelle

du bateau, fait l‟objet d‟une analyse iconographique en partie II.

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14

composé le plus commun est herskip „navire de guerre‟, avec dix références (dont la moitié

provient de Arnórr þórðarson, XI

ème

siècle). Apparaissent également : langskip „navire long‟et

kaupskip „navire marchand‟ ainsi que le terme péjoratif hloegiskip „bateau ridicule‟ (JESCH

J., 2001, p. 121).

Langskip trouve un pendant latin dans l‟expression navis longa, indicateur d‟une particularité

architecturale effilée et légère. Cette terminologie, également adaptée en ancien irlandais sous

la forme longship, traduit un contexte militaire plutôt qu‟une longueur, par opposition au

substantif kaupskip – aussi appelé byrðingr „navire de charge‟ – signifiant littéralement une

fonction marchande, que la tradition latine qualifie de navis rotunda „navire rond‟. Certains

bateaux peuvent également être désignés en fonction de leur nombre de bancs de nage : une

tvítugsessa (un « vingt-bancs »), une tritugsessa (un « trente-bancs ») (RENAUD J., 2002, p.

230).

Les textes chrétiens en latin médiéval utilisent pour terminologie généraliste le substantif

navis (nave et nau dans les langues d‟oc). Il en dérive le terme nef, nom féminin, qui apparaît

en ancien français dès 1050 et conserve le sens générique de „bateau‟, qu‟il partage avec nave,

dans les textes poétiques et historiques, à partir du XIII

ème

siècle. Substantif qui est peu à peu

remplacé par le mot „navire‟. D‟autres dérivés du latin navis sont utilisés dans les langues

indo-européennes, tels que le grec nau, le celtique et l‟irlandais nau, et le vieil islandais nor

(REY A., 2006, t. II, p. 2357). Par analogie archétypale, nef a par la suite également désigné

un grand vase à boire (1130), un réceptacle en forme de navire destiné à ranger les épices

(1372), enfin, issu d‟un latin tardif, le terme nef désigne aussi la partie de l‟église située entre

le portail et le transept.

Le substantif masculin „navire‟ (1140) est quant à lui une forme simplifiée de l‟ancien

français navirie (1080), dérivé de navilie, emprunté au latin populaire navilium de navigium

„flotte‟ (REY A., 2006, t. II, p. 2352).

Le terme „bateau‟, substantif masculin apparaît en 1138 sous la forme batel, sa forme actuelle

apparaissant vers 1220. Il s‟agit d‟un dérivé en –ellus de l‟anglo-normand bat „bateau‟ (vers

1121-1122). Il apparaît en latin médiéval sous sa forme battus. Etymologiquement parlant,

l‟anglo-normand ainsi que l‟ancien norrois bátr sont des emprunts au vieil et moyen anglais

bat (qui a donné boat). La racine de ce terme se rapproche du germanique baito- (REY Alain,

2006, t. I, p. 350). De la forme batel sont dérivés des mots tels que batelée (n. f., XIII

ème

siècle) qui désigne la charge d‟un bateau, ou encore batelier (n., 1275) qui dénomme la

personne chargée de la conduite d‟un bateau.

15

Le terme vaissel (1155, Wace), qui a donné „vaisseau‟, désigne quant à lui la coque d‟un

grand navire. Par extension, il concurrence le substantif nef pour signifier un navire de mer de

grande taille. Issu du latin classique vasculum „petit vase‟ et du bas latin vascellum „petit

vase‟, „vaisselle‟, „urne funéraire‟, le vaisseau est porteur d‟un large champ imaginal, dont

toutes les acceptations sont liées à l‟archétype du contenant. En ancien français, le terme est

utilisé pour désigner une cuve (d‟où vaisselet „petit tonneau‟ en moyen français), une tonne ou

encore une futaille. Jusqu‟au XVIII

ème

siècle, il peut signifier „cercueil‟. Par une métaphore

issue du latin vas electionis, le vaisseau pouvait également désigner une personne choisie par

Dieu. Dans ce sens, le corps de la vierge Marie était appelé vaisseau virginal (REY Alain,

2006, vol. III, p. 3989).

Plus modeste, l‟ancien scandinave bátr, par opposition à skip, signifie „barque‟ ou „canot‟

eptirbátr. La róðraraferaja désigne une sorte de petite barge à fond plat et à rames et la skúta

indique un petit navire à tout faire dans le cadre du cabotage (JESCH J., 2001, p. 121). En

français, c‟est le mot bac (1160) qui désigne ce type d‟embarcation légère, à fond plat,

destinée à la navigation en rivière ou estuaire. Issu du latin populaire baccu, bacco qui signifie

„récipient‟, il s‟agit d‟un mot abondamment attesté dans les parlers gallo-romains, au sens

„auge‟ (REY Alain, 2006, vol. I, p. 285).

A partir de ces termes génériques, une première distinction peut être établie entre les

traditions linguistiques scandinave et latine. En effet, si les premiers utilisent des mots liés

aux fonctions (marchand/guerre) et fonctionnement (nombre de rames), les seconds ont

recours à un vocabulaire archétypal du contenant (vaisseau, nef).

2 / Les navires de guerre

Une armée navale est désignée en latin médiéval par le terme flotta („une flotte‟ en

français moderne). Il s‟agit d‟un substantif féminin issu de l‟ancien scandinave floti (nom

masculin) désignant un „radeau‟ et se trouve aujourd‟hui sous la forme flote en norvégien,

flotta en suédois et flåde en danois (REY A., 2006, vol. II, p. 1446). Bien que se rapportant

par extension à toute réunion de navires, le sens premier était rattaché à la notion d‟expédition

16

… ; denique, dam egrediens ad predictam Normannorum gentem, illis tantummodo primitus

adhesit, qui, assiduo raptui servientes, victum ceterit ministrabant, quo etiam illi communiter

flottam vocant

11

.

L‟auteur décrit un contexte de vie voué au pillage et connote le mot d‟un sens péjoratif par sa

tournure de phrase : « est ce qu‟ils appellent entre eux la flotte » (RIDEL E., 2009, p. 211).

Dans la tradition nordique, le mot le plus utilisé dans les textes scaldiques pour désigner un

bateau est skeið (f., pl. skeiðr ou skeiðar). Toujours invoqué dans des scènes de batailles, la

skeið comporte une connotation résolument militaire. Malgré une étymologie incertaine, deux

hypothèses récurrentes s‟imposent : « celui qui fend les eaux » et/ou « un long objet en bois à

la forme d‟une arme » (FOOTE et WILSON, 1974, p. 236-7). Cette incertitude pose la

difficulté à déterminer si ce substantif féminin désigne une silhouette ou une fonction. Plus

commun que le mot skib/skip, skeið apparait dans au moins quarante-neuf vers scaldiques qui

le décrivent comme langra „long‟

12

et súðlangar „au long bord‟

13

. Ils peuvent être mœvar

„fin‟

14

ainsi que ()brynjaðar „armés (au niveau des plats-bords)‟

15

et lourdement chargés

hlaðnar avec un certain nombre d‟hommes armés à bord (JESCH J., 2001, p. 123). Le terme

apparaît également dans deux inscriptions runiques : celle de Tryggevælde (D 230) qui réfère

à l‟élévation monumentale naviforme dont elle fait partie et sur Sö 171 où le défunt s‟avère

être un skeiðar vísi „capitaine d‟un skeið‟.

Le mot est importé en ancien anglais durant la période anglo-saxonne sous la forme scegð

16

,

lorsque le roi Æthelred commande la fabrication de bateaux dans toute l‟Angleterre. Le mot

apparaît également dans l‟expression scegðmann dans un certain nombre de sources de la fin

du X

ème

siècle (HARMER, 1989, p. 266). « Il est intéressant de noter qu‟en Angleterre le mot

pirata était glosé par wicing ou scegðman, c'est-à-dire « l‟homme de l‟eschei » ; ce qui

indique que la skeið était le vaisseau ordinairement utilisé par les Vikings qui ont conquis

l‟Angleterre »

17

(RIDEL E., 2002, p. 293). Peu utilisé par les auteurs anglo-normands, Geffrei

Gaimar (XII

ème

siècle) indique cependant que les Danois ont débarqué au cours du XI

ème

11

Raoul Glaber, 1031, Hist., chap. V, § 19.

12

« leiðar langra skeiðar » Tindr Hallkelsson (X

ème

siècle), Hákonardrápa, 4.

13

þórð Kolbeinsson, Eiriksdrápa, 1.

14

þórð Kolbeinsson, Eiriksdrápa, 4.

15

« skeiðr brynjaðar reiði » Bolverk Arnorsson (XI

ème

siècle), Drápa (Haraldr harðraði), 2. L‟interprétation

traditionnelle de ce mot envisage le renforcement de la proue à l‟aide de plaques de fer (JESCH J, 2001, p. 124,

note 15).

16

Anglo-Saxon Chronicle, 1008 E.

17

17

siècle avec des escheiz

18

. De même Wace précise-t-il que Guillaume, pour sa traversée de

1066, fait construire des navires de type skeið (transcrit esquei)

19

. Cette terminologie

s‟accorde éventuellement avec la mention faite sur la Tapisserie de Bayeux selon laquelle

l‟embarcation de Guillaume était un magno navigio „une grande embarcation‟.

Enfin, la toponymie des îles Orcades en possède des traces avec notamment : Skennist et

Skentoft (MARWICK H., 1952, p. 45-6).

Matériellement, la skeið trouve une concordance archéologique dans l‟épave Skuldelev 2

20

,

issue des fouilles du fjord de Roskilde (Danemark). Construit en chêne en 1042 à Dublin, puis

coulé dans le barrage dans les années 1070, il s‟agit d‟un longship de trente mètres pouvant

accueillir de soixante à quatre-vingt guerriers et soixante rameurs à son bord

21

. La forme

étroite et longue de sa coque permet d‟estimer sa vitesse maximale à vingt nœuds

(DAMÅRD-SØRENSEN T., 2002, p. 204).

Enumérant les types de navires des flottes militaires, les scaldes différencient le terme skeið

du mot snekkja. Plus rare, snekkja (f., pl. snekkjur) n‟apparaît que dans huit vers scaldiques,

dont sept d‟entre eux datés de la moitié du XI

ème

siècle (JESCH J., 2001, p. 126). Egalement

incertaine, l‟étymologie de ce mot fait débat. La thèse de Katrin Thier, de l‟université de

Münster, suggère cependant un emprunt à la langue germanique de l‟ouest, avec une racine de

type snak- qui signifie « nez » ou « protubérance ». Son étymologie est également liée à celle

de l‟ancien anglais snacc

22

: 1052, la Chronique anglo-saxonne indique que quarante navires

snacc sont basés à Sandwich et mentionne encore en 1300 deux navires de ce type dont l‟un

était dans le port de Rye (Snack)

23

. Plus petit que la skeið, il s‟agit cependant d‟un navire de

taille importante : þjóðólfr Arnórsson (XI

ème

siècle) indique que la snekkja sur lequel voyage

Magnús à son retour de Russie était un þrítøgt skip „bateau de trente bancs‟ (Magnússflokkr,

2).

Le terme apparait sous la forme esneque (ou isnechia), pour la première fois en Normandie

dans un texte de 1053

24

. Dans Les Miracles de Saint Vulfran (moine de Saint-Wandrille), le

récit met en scène un sauvetage miracle dans l‟estuaire de la Seine :

18

Geffrei Gaimar, L’Estoire des Engleis, vers 2510-2511, p. 86.

19

Rou, t. II, 3

ème

partie, vers 6337 et 6427, cité par (RIDEL E., 2002, p. 293).

20

Lien vers la fiche qui lui ait consacré dans la base de données Navis I.

21

BILL J., 1997b, p. 192-193. Pour une restitution, voir : BILL J., 2000, n°15, p. 31-36.

22

Anglo-Saxon Chronicle, 1052 C, D et 1066 D, E.

23

Two of the Saxon Chronicles Parallel, Ch. Plumer et J. Earle (éd), Oxford, Clarendon Press, 1892, t. I, p.

178-9 (ms. C et D) et p. 1178-97 (ms. D).

24

Miracula sancti Vulfranni episcopi, in Acta Sanctorum, mars III, Société des Bollandistes (éd.), 3

e

éd. Paris 6

Rome, V.Palmé, 1865, vol. IX, p.152. (Cité par RIDEL E., 2002, p. 290).

18

[…] ecce repente ingens paro, qui barbara lingua Isnechia dicitur, apparuit […]

« […] voici qu‟apparut tout à coup un immense navire qui se dit, en langue barbare Isnechia »

La formulation de la phrase indique que l‟auteur désigne un type particulier de navire, et

utilise le mot scandinave, puisqu‟il le décrit et l‟y oppose le mot latin équivalent paro, et non

pas naves, terme utilisé par défaut pour désigner le bateau dans les textes latins. « Paro

désigne un petit navire de guerre particulièrement employé par les pirates ». L‟auteur ajoute,

de plus, le qualificatif ingens „immense‟ et non magnus „grand‟ (RIDEL E., 2002, p. 291).

Au XII

ème

siècle, le terme apparaît sous plusieurs types graphiques : pour Wace, l‟esnege était

le navire de Guillaume le Roux, fils de Guillaume le Conquérant et pour Benoît dans sa

Chronique des Ducs de Normandie, ce mot s‟applique aux navires des Anglais qui ont

débarqué dans le Cotentin vers l‟an 1000

25

. L’Estoire de la guerre sainte

26

, texte rédigé vers

1196 et consacré à la troisième croisade (1189-1192) de Richard Cœur de Lion, rapporte que

sa flotte était essentiellement composée d‟esneques. Qualifiés d‟isneles, „rapides‟, et de

movanz, „maniables‟, ces bateaux admettaient à leur bord de petites barques ainsi que des

chevaux :

Li reis la nuit sanz targer/Fist tant de chevalz descharger/Cum enz es eneques avoit.

« A la nuit, sans plus attendre, le roi fit mettre à terre tous les chevaux qui étaient dans les

énèques »

27

.

De la même manière, les Grands Rôles de l’Echiquier d‟Angleterre, concernant les règnes

d‟Henri I

er

, d‟Henri II et de Richard I

er

, indiquent que la traversée entre la Normandie et

l‟Angleterre (entre Barfleur et Portsmouth notamment) se faisait à bord d‟une esnecca. Ce

service ministerium de esnecca aurait été mis en place par Guillaume le Conquérant (RIDEL

E., 2002, p. 292).

Enfin, la toponymie des îles Shetland et Orcades atteste de l‟utilisation d‟un dérivé :

Sneckerem (Shetland) qui provient de snekkju-höfn „port de la snekkja‟ (STEWART J., 1987,

p. 177) ; Snaky Noust (Orcades) qui provient de snekkju-naust „abri de la snekkja

(MARWICK H., 1952, p. 58).

Archéologiquement parlant, la snekkja concorde avec une épave telle que celle de Skuldelev

5

28

, navire coulé en 1060 dans le barrage du fjord de Roskilde. Construit dans cette même

25

Wace, Rou, t.II, 3

e

partie, vers 9849 ; Benoît de Sainte-Maure, Chronique des ducs de Normandie, vers 29335.

26

Ambroise, L’Estoire de la guerre sainte, G. Paris (trad. et éd.), Paris Imprimerie nationale, 1897. Ambroise a

participé aux côtés de Richard Cœur de Lion à la troisième croisade.

27

Ambroise emploie le mot esneque (sous la forme récurrente eneke) quatorze fois. Référence des vers : movanz,

isneles, vers 1182 ; annexes de esneques, vers 1475, transport des chevaux, vers 1565-1567 (trad. p. 352) dans

RIDEL E., 2002, p. 292.

28

19

région, dans les années 1040, en chêne, frêne et pin (indicateurs de réparations), c‟était un

leidangr de dix-sept mètres de long et d‟un équipage de trente guerriers qui fut construit pour

obligation militaire par des paysans locaux (DAMÅRD-SØRENSEN T., 2002, p. 203).

Dans la continuité des navires de guerre, il faut également mentionner le dromon, du grec

dromos „action de courir‟ (REY A., 2006, vol. I, p. 1144). De tradition méditerranéenne, il

s‟agit d‟un large vaisseau militaire sarrasin : Une autre maniere de granz nes i envoia que l’en

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