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L‟étude iconographique permet de distinguer plusieurs systèmes imaginaux rattachés au

motif du bateau. Chez les païens, il est une image effective permettant le passage du monde matériel

au monde du double (modalité funéraire ou prophylactique), tandis que chez les chrétiens, il est

symbole espace-temps de lien à Dieu. Les premiers ont bâti une culture à transmission orale et

rituelle, basée sur l‟expérimentation de l‟environnement et du corps, tandis que les deuxièmes ont

diffusé un savoir intellectuel, symbolique et méditatif, via l‟écriture. Au-delà de systèmes de

croyances divergents, est ici posée l‟hypothèse d‟un rôle fondamental du passage d‟une

transmission orale à une transmission écrite. Cette différence (oralité/écriture) semble également

avoir un impact sur le contenu imaginal : le mythe révèle une vérité ancienne, tandis qu‟un texte

chrétien transmet un savoir culturel intellectuel. Le premier participe, en effet, « d‟un ensemble de

dispositifs mentaux par lesquels se manifeste une Vérité, dont les formes transcendantales et

l‟imagination constituent les conditions d‟actualisation. (…) Le mythe sert à mieux comprendre les

choses, les êtres, et mon propre être, mais il apparaît aussi comme un instrument pour penser

l‟absolu, qui se donne alors dans un tiers monde, commensurable ni à la pensée pure, ni à la

conscience empirique » (WUNENBURGER J.J., 1987, p. 48-9). Appréhender l‟image du bateau

sous son aspect mythologique, c‟est non seulement identifier sa matérialisation et son usage

psychique mais c‟est, également, être amené à saisir l‟entité qui préfigure cette représentation. Cette

entité n‟est « ni purement abstraite ni vraiment concrète », elle relève de « l‟ontophanie ».

Un problème se profile à l‟ouverture de cette partie consacrée à la mythicité : les textes

mythologiques scandinaves ont été rédigés par des chrétiens. Ils ont été extraits de leurs

mouvements créatifs oraux et intellectualisés par le processus d‟écriture. Bien que certains textes,

comme les poèmes scaldiques, semblent largement tributaires des traditions orales, il faudra

cependant départager ce qui relève d‟une conception païenne d‟une interprétation chrétienne.

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CHAPITRE 1er : Définition de l’image archétype de la barque

L‟héritage imaginal chrétien est encore d‟actualité, aussi semble-t-il pertinent de procéder à

une archéologie de l‟imaginaire, descendant strate par strate vers les niveaux les plus anciens. Dans

le cadre médiéval de développement de l‟image du bateau, la Bible reste la source la plus diffusée :

les Psaumes et les éléments de la vie de Jésus, au sein du pouvoir impérial germanique ; les

éléments de l‟Ancien Testament pour ce qui est des pouvoirs insulaires, éléments auxquels doivent

être ajoutés les textes hagiographiques. Ce cadre culturel se pose sur des acquis antiques : grecs –

comme il a pu être montré avec l‟analyse des Phénomènes d‟Aratos – ou encore celtes et

scandinaves – dans le développement de l‟imagerie d‟Irlande, d‟Ecosse et de la péninsule nordique.

Les productions proprement médiévales sont donc inscrites au sein d‟une convergence d‟influences.

Parmi ces productions, la Navigatio et le Voyage consacrés au périple en mer de saint Brendan

demeurent les ouvrages les plus populaires, et surtout les plus riches en matière de navigation et

mise en scène de l‟image du bateau. Dans la même thématique, cependant moins répandues, ils

existent les Immrama irlandais, textes rédigés à l‟époque chrétienne mais fortement imprégnés d‟un

substrat celte. L‟analyse aura également recours au Beowulf et aux romans de Wace qui reportent

quelques traversées, ainsi que dans une moindre mesure aux diverses chroniques, déjà exploitées

dans l‟analyse du vocabulaire en première partie.

I / La barque comme moyen de transport

Le développement des textes hagiographiques en Europe du Nord-Ouest a transmis une

image de la barque comme attribut d‟hommes saints. Il s‟agit de la barque, comme objet modeste

mais susceptible d‟être espace sacré. La Légende Dorée a popularisé saint Nicolas (mort en 343)

comme patron des marins pour en avoir sauvés plusieurs du péril de la tempête. Au cours d‟une

famine dans sa province, il est également à l‟origine du miracle du bateau entrant au port avec une

cargaison de blé qui se multiplia au point de nourrir la population pendant deux ans. Certains saints

sont eux-mêmes bateliers, comme saint Goar sur le Rhin à l‟époque de Charlemagne. Ses traversées

du fleuve à bord de sa barque sont l‟occasion pour lui d‟accomplir des missions de conversion au

nom de Dieu. Lorsqu‟il se trouve en compagnie d‟un hérétique, il cesse de ramer, se jette sur lui, le

baptise puis l‟expédie dans le fleuve qui l‟emmène tout droit au paradis.

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L‟histoire de saint Aré, évêque de Nevers de 548 à 558, le met en relation avec une embarcation à

sa mort. En effet, l‟homme avait demandé à ce que son corps soit déposé dans une barque et qu‟il

soit enterré là où elle s‟arrêterait. Celle-ci se serait échouée à Decize dans la Nièvre. La barque est

utilisée comme véhicule du mort, vers le Paradis.

L‟Eglise irlandaise connaît saint Colomba ou Colum(b) Cille en gaélique (7 décembre 521 - 9 juin

597) dont la légende rapporte que le missionnaire est arrivé sur Iona (petite île des Hébrides,

Ecosse) avec douze compagnons. La Vie de Colomba par Adomnan (mort en 704) raconte

également qu‟il a dompté le monstre des rives du Loch Ness. La diffusion du nouvel ordre

monastique et la conversion des peuples commencent ici par un voyage en bateau.

Egalement rencontré dans la partie iconographie, saint Cuthbert (évêque anglo-saxon de

Lindisfarne). A partir de 676, il opte pour une vie d‟ascète, isolé dans une grotte des îles des Farnes

où il écrivit les premières lois de protection des oiseaux de mer. Il mourut en 686 sur son île après

avoir été ordonné évêque à York. Il fut enterré à Lindisfarne puis son corps a été transféré à

Durham suite au raid de 793. Dans ce contexte, le bateau est le lien entre la vie dans le monde et

celle de l‟ascète sur l‟île.

Une autre histoire, celle de saint Adjutor de Vernon (1070 – 1131), patron des mariniers au culte

local, fait intervenir une barque. De retour de croisade où il avait été fait prisonnier, le saint

accomplit des miracles sur la Seine en calmant un tourbillon. Après une messe et en compagnie de

l‟archevêque, l‟homme met le cap vers le gouffre, y jette les chaînes de sa captivité, les eaux

reprennent alors leur calme.

Dans ces exemples, le bateau comme moyen de transport est extrait de sa matérialité par l‟écrit et la

mise en légende pour devenir un symbole d‟espace sacré, un lien vers le royaume de Dieu. Il

devient un lieu de conversion (saint Goar), une matrice de multiplication (saint Nicolas), un espace

aux miracles (saint Adjutor), ou encore l‟espace du passage vers un autre monde (saint Cuthbert et

ses îles, saint Colomba et la conversion d‟un peuple). Dans tous les cas, il est objet dirigé par Dieu,

comme l‟indique la légende de saint Aré, ou comme le suggère le récit de saint Goar qui, lors du

baptême de son passager, laisse tomber ses rames.

La présence de l‟eau dans ces récits ne sert cependant pas uniquement la symbolique chrétienne de

la conversion, du baptême ou de la recherche du royaume divin. La mer dans la mentalité médiévale

est synonyme d‟audace :

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Cil ki fist nef premierement

E en mer se mist aval vent,

Terre querant qu'il ne veeit

E rivage qu'il ne saveit.

(Wace, Brut, II, 11234-11238)

Cette audace du premier marin est issue d'une longue tradition littéraire que Sénèque (4 avant J.C. -

65 après J.C.) transcrivait déjà :

Audax nimium qui freta primus

rate tam fragili perfida rupit

terrasque suas post terga videns

animan levibus creditus auris,

dubioque secans aequora cursu

potuit tenui fidere ligno (SENEQUE, seneca, p. 254-255, II, 301-305).

Le marin qui en premier brise les vagues perfides avec son frêle radeau et, regardant sa terre

derrière lui, voue son âme aux vents capricieux; fendant l'océan d'une course incertaine, sa

confiance repose sur une mince pièce de bois. Les vents changeants, la mer instable, le bateau

fragile et surtout l'inconnu de ce qu'il y a au-delà éveille la peur (partemque metus fieri nostri). Le

marin est donc perçu comme un être de courage, qui transcende sa nature. La peur étant source de

mise en doute de la foi, l‟esprit chrétien ne peut qu‟apprécier ces hommes qui les affrontent dans un

tel espace. Plus le bateau est petit, plus l‟audace et la valeur du marin est mise en valeur.

Aussi, prendre la mer en guise de pèlerinage n‟est-il pas seulement réservé aux personnages de

légende. En effet, l‟Anglo-Saxon Chronicle rapporte, pour l'année 891, deux évènements dont l'un

politique est résumé en deux lignes, et l‟autre, consacré à l'arrivée de deux pèlerins irlandais, se

trouve plus détaillé :

7 Þrie Scottas comon to Ælfrede cyninge on anum bate butan ælcum gereþrum of Hibernia, þonon

hi hi bestælon, forþon þe hi woldon for Godes lufan on elþiodignesse beon, hi ne rohtn hwær. Se

bat wæs gewohrt of þriddan healfre hyde, þe hi on foron, 7 hi namon mid him þæt hi hæfdun to

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seofon nihtum mete, 7 þa comon hie ymb .vii. niht to londe on Cornwalum 7 foron þa sona Ælfrede

cyninge.

« Et trois irlandais se rendirent auprès du roi Alfred à bord d'un bateau sans gouvernail depuis

l'Irlande, où ils l'avaient volé parce qu'ils souhaitaient faire un pèlerinage pour l'amour de Dieu, peu

importe la direction. Le bateau dans lequel ils embarquèrent était fait de deux peaux et demi, et ils

avaient pris avec eux de la nourriture pour sept nuits. Et après une semaine ils accostèrent à

Cornwall, et ils se rendirent immédiatement auprès du roi Alfred ».

Une peregrinatio pro amore Dei semble être un plus grand événement qu'une campagne militaire,

et le texte insiste bien sur les conditions de la traversée : absence de gouvernail donc de moyen de

direction et fragilité de l‟embarcation qui n‟est faite que de deux peaux et demi.

Ce dernier détail de la construction est un élément important. Dans la Navigation de Mael-Duin,

Mael reçoit les conseils de construction d‟un druide nommé Nuca :

« Mael-Duin construisit donc un navire à trois peaux, et [ses compagnons] furent prêts à y entrer

avec lui. » (Mael-Duin, p. 459).

La Vita Brendani rapporte que Brendan et ses moines ont embarqué dans trois coracles recouvertes

de peaux, avec trois rangées de rames pour chaque embarcation et trente hommes dedans. De retour,

bredouille, sa mère nourricière Ita lui indique alors qu'il aurait dû la consulter avant de partir

puisque pour trouver ce lieu sacré, il doit naviguer à bord d‟un bateau en bois, et non comme un

passager dans des peaux d‟animaux morts. Brendan va alors à Connaught où il construit un grand

bateau en bois.

Ce type d‟embarcation simple à peaux de bêtes s‟appelle curach ou corale :

« Le curach ou bateau de cuir et d‟osier peut sembler aujourd‟hui un véhicule très peu sûr, auquel

faire confiance sur les mers tempétueuses, pourtant nos pères se livraient sans peur dans ces faibles

véhicules à la merci du temps le plus violent. On en faisait autrefois grand usage dans les îles

occidentales de l‟Écosse, et on en trouve toujours au Pays de Galles. La structure est nommée [en

gaëlique] crannghail, un mot utilisé à Uist (UK) pour désigner un bateau précaire » (DWELLY E.,

1911, entrée : „curach‟).

Si la Vita s‟inscrit en rupture avec la tradition à la fois littéraire et matériel de la culture maritime

irlandaise, ce n‟est pas le cas de la Navigatio ni du Voyage qui rapportent cette même pérégrination

de saint Brendan. Inspiré par Dieu et poussé par son désir de voir le royaume divin, Brendan, dans

la Navigatio, construit en effet une embarcation avec armature en sapin recouverte de cuir de bœuf

en guise de paroi extérieure. Alors que dans ces deux récits, le saint parvient, non sans aventure, à

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l‟île paradisiaque, Brendan, tel que le rapporte la Vita, doit s‟embarquer une deuxième fois afin

d‟atteindre son objectif. La deuxième, il s‟agit d‟un bateau en bois.

Cette construction en bois semble volontairement faire écho à la tradition biblique qui, dans la

Genèse (6, 14), propose ce même schéma de construction de bateau suivant les conseils d‟un

personnage sacré. Il s‟agit en l‟occurrence de Dieu expliquant à Noé comment se protéger du déluge

en construisant une arche en planches de bois recouvertes à l‟intérieur et l‟extérieur d‟une couche

de poix.

Fac tibi arcam de lignis levigatis mansiunculas in arca facies et bitumine linies intrinsecus et

extrinsecus

L‟auteur de la Vita semble s‟inscrire dans la tradition textuelle tandis que Benedeit, l‟auteur du

Voyage, diffuse un récit volontairement inscrit dans un rapport avec la population locale, puisque

son texte est destiné au divertissement de la cour et de la reine Mathilde, en particulier, à qui est

dédié le récit.

De la même manière, le bateau est-il présent comme véhicule dans le Beowulf. D‟une part dans le

cadre des funérailles de Scyld, le vaisseau est la dernière demeure du défunt suivant la tradition

scandinave dont le navire à « proue à volute, glaciale, impatiente » (chap. 1, v. 32-33), chargé du

corps et des nombreuses offrandes est abandonné à l‟océan. D‟autre part, le « solide guerrier d‟entre

les Gauts », Beowulf, s‟embarque sur un « solide vaisseau de mer » à la « proue cambrée » (chap. 4,

220) et « la coque de bois » (chap. 4, 226).

« Navire au large flanc », il s‟agit probablement d‟un longship, le vaisseau militaire de tradition

nordique. Si le thème et les référents restent païens, le contenu latent de la forme actuelle

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du

poème est constitué de références chrétiennes. Aussi les guerriers, après avoir amarré, rendent-ils

« grâce à Dieu de ce qu‟ils eurent facile traversée » (chap. 4, 227-8). Bien que matériellement païen,

le poème possède une structure (traversée maritime sous la bénédiction de Dieu + combats avec des

monstres) qui s‟inscrit dans le style de récits produits et diffusés par les chrétiens.

La barque, sur un premier niveau d‟interprétation, est un moyen de transport, un espace d‟état

transitoire liant une rive et une autre, un monde et un autre : de la mondanité à la retraite spirituelle

(Cuthbert), du paganisme à la conversion (Goar, Colomba), de la vie à la mort (Aré, Scyld). Cet

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L‟hypothèse d‟une origine païenne, issue de l‟oralité, du poème par la suite augmenté de la spiritualité chrétienne est

probable. Beowulf, à l‟image des Immrama, témoigne d‟une matrice culturelle aux influences contradictoires mais au

sein de laquelle se manifeste la volonté chrétienne de promouvoir une nouvelle force spirituelle.

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espace transitoire est accompagné d‟un sentiment d‟insécurité, de peur et de mouvance, qu‟il

convient de combattre pour se rapprocher de Dieu.

II / La traversée comme espace transitoire mouvant

Cette peur de « soussoubrer », c‟est-à-dire de se renverser à la suite d‟un coup de vent

(Dictionnaire nautique de JAL A., 1848), et de sombrer, de s‟enfoncer dans l‟eau, en d‟autres

termes de disparaître, a motivé un champ imaginal de la navigation très chahuté.

Le Voyage de Benedeit regorge de termes liés à ces „coups de vent‟ : turment/turmente et tempestes

y sont plus récurrents que dans la Navigatio, ce qui fait dire à certains chercheurs que l‟auteur était

un fin observateur de la mer (SOBECKI S., 2003). D‟autres penchent pour une volonté d‟engager

les émotions de son audience (BURGESS G.N., 2002, p. 71). L‟un n‟empêche pas l‟autre, aussi

Benedeit insiste-t-il sur l‟angoisse des moines dès que le vent se lève :

Vunt s'en mult tost en mer siglant,

De tant bon vent Deu gracïant.

Crut lur li venz, e mult suvent

Crement peril e grant turment.

(II. 623-626)

Si Dieu est à l‟origine du „bon vent‟ propice à une navigation sans encombre, il est aussi l‟auteur

des tempestes, d‟où la crainte des moines. Sa parole lui suffit à les déclencher : dixit et surrexit

ventus tempestatis et elevavit gurgites eius (Psaumes 106, 25). « C‟est que la parole, comme la

lumière, est hypostase symbolique de la Toute-Puissance » (DURAND G., 1992, p. 173), aussi les

navigateurs sont-ils entièrement soumis à la volonté divine.

La manifestation du vent et du soulèvement des flots sont d‟ailleurs matérialisés dans Révélations

(18, 21) par le geste de l‟ange qui jette une lourde pierre dans la grande mer :

et sustulit unus angelus fortis lapidem quasi molarem magnum et misit in mare dicens hoc impetu

mittetur Babylon magna illa civitas et ultra iam non invenietur

Ce geste apocalyptique et destructeur est projeté sur les marins qui exploitent la mer :

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Il ne s‟agit pas de la seule forme de manifestation de la puissance divine puisqu‟un autre danger

réside dans la présence de monstres susceptibles (voir les bestiaires, chapitre 3

ème

, partie II) de faire

surface pour emporter par le fond le navigateur. S‟enfoncer dans l‟immensité de l‟eau est l‟autre

angoisse qui fait vaciller l‟audace du marin.

Sul les undes que il muveit,

Pur grant turment plus ne stuveit

(Voyage, II. 919-920)

Un premier monstre s‟attaque à l‟embarcation de Brendan et ses moines (Voyage, cap. 924). Il

s‟agit d‟un serpent marin, ou dragon, qui les poursuit plus rapidement que le vent. L‟animal crache

des flammes, son large corps cause de grands remous et ses dents constituent la plus sérieuse

menace. Son irruption déclenche des vagues pareilles à une grosse tempête. Le texte du Voyage,

loin d‟être avare de descriptions, insiste sur chaque détail de la manifestation de l‟animal. La

réaction du saint est alors de rappeler que toute personne sous la protection de Dieu n‟a pas à

craindre ces bêtes menaçantes. Puis il prie. Suite à ces paroles et ce recours à la „Toute-Puissance‟,

un second monstre arrive et combat le premier, le découpant même en trois morceaux, puis se retire

(Voyage, cap. 952).

Altre bestie veient venir,

Qui bien le deit cuntretenir.

Dreit cum ceste vers la nef traist,

L’altre qui veint a rage braist ;

Ceste cunuit sa guarrere,

Guerpit la nef, traist s’arere.

Justedes sunt les dous bestes ;

Drechent forment halt les testes ;

Des narines li fous lur salt,

Desque as nües qui volet halt ;

Colps se dunent de lur noës,

Tels cum escuz, e des podes.

A denz mordanz se nafrerent,

Qui cum espez trenchant erent ;

Salt en li sanz as aigres mors

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Que funt li dent en cez granz cors ;

Les plaies sunt mult parfundes,

Dun senglantes sunt les undes.

La bataille fud estulte,

En la mer out grant tumulte.

E puis venquit la dereine,

Morte rent la premereine ;

A denz tant fort la detirat

Que en tres meitez la descirat

(Voyage, II. 931-954)

Les palmes de ces monstres sont comme des boucliers, leurs dents comme des épées, leurs naseaux

crachent du feu qui s‟élève jusqu‟aux nuages et la mer prend une couleur rouge-sang. La Navigatio

est quant à elle moins loquace :

His finitis tribus uersibus, ecce ingens belua ab occidente iuxta / illos transibat obuiam alterius

bestie. Que statim irruit bellum contra illam, ita ut ignem emisisset ex ore suo. […] His dictis,

misera belua que persequebatur famulos Christi interfecta est in tres partes coram illis, et altera

reuersa est post uictoriam unde uenerat (cap. 16, II. 15-18 ; 21-23).

Par la suite, piégés par une tempête sur une île, Dieu « envoie » en guise de nourriture à Brendan et

ses frères l‟une des trois parties de la carcasse du monstre vaincu :

Appropinquantibusque illis ad ipsius litus atque ascendentibus de naui, uiderunt posteriorem

partem illius belue que erat interfecta. Ait sanctus Brendanus: « Ecce, que uoluit uos deuorare.

Ipsam deuorabitis (Navigatio, cap. 16, II. 24-28).

Ensuite, dans le Voyage, un griffon vient s‟attaquer à la barque mais un dragon intervient, tue le

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