• Aucun résultat trouvé

Cet outil d'analyse vise à énumérer les effets que produit le conflit, ses causes, pour ensuite parvenir à nommer l'enjeu au cœur du conflit. C'est ce que symbolisent le feuillage (les effets), les racines (les causes profondes) et enfin le tronc (l'enjeu du conflit). Cet exercice d'analyse cherche à être le plus exhaustif possible ; ainsi il assume son foisonnement, pour exprimer la complexité du conflit.

Le sens de lecture est multiple:

- du bas vers le haut : c'est le sens de la logique du développement du conflit : des causes originelles vers les effets ;

- du haut vers le bas : c'est le sens des perceptions plus immédiates qu'on a du conflit, c'est le sens de la compréhension : depuis le haut, les effets du conflit tels qu'ils sont perçus, vers les causes qui expliquent ces effets ;

- à partir du centre, du tronc, par la désignation du conflit, pour descendre vers les causes qui le produisent et remonter les effets.

Cet outil fait progresser l'analyse d'un conflit car il permet d'une part de ne pas confondre causes et conséquences dans le conflit ; d'autre part, il amène à nommer le conflit, en désignant son enjeu à inscrire sur le tronc. C'est un travail central pour cibler l'analyse puis l'action à entreprendre sur le conflit. Il est généralement long.

Cette analyse des conflits d'accès à la terre et à l'eau n'épuise cependant pas l'analyse de la complexité du conflit qui se déroule au Nord-Tillabéri. Les concurrences et les incompatibilités sur les usages de l'eau et de la terre sont relativement anciennes, tout en connaissant des évolutions et des transformations, et en étant exacerbées par l'évolution climatique, la croissance démographique et l’immixtion de personnalités influentes. Il faut encore ajouter un nouveau niveau de conflictualité – la violence armée importée du conflit au Mali – qui affecte les populations civiles et met au défi de façon encore plus criante l’État nigérien.

2.3 Les espaces qui divisent : la violence transfrontalière

2.3.1 La violence à la frontière

« Avant, passer la frontière ne posait pas de problème »29.

« Paître de l'autre côté de la frontière ne posait pas de problème. Quand les pasteurs remontaient vers le Nord, il y a des puits publics. Maintenant, quand ils passent du côté malien, les bétails se font voler »30.

Les marchés frontaliers, sur territoire malien, sont moins fréquentés ces dernières années, depuis que la violence armée s'est installée dans le Nord du Mali. Le risque de les fréquenter est considéré comme trop élevé. Cette situation a un impact sur les économies locales qui subissent de plein fouet un ralentissement : les femmes, par exemple, ne peuvent plus fabriquer les lits en tiges de bambous parce qu'elles n'osent plus sortir pour ramasser le bambou. Et quand ils sont fabriqués, elles ne vont plus vendre les lits qu'elles vendaient entre 40 et 50.000 CFA sur les marchés maliens. La frontière a déjà été décrite comme un no man's land. « Sur plus de 100 km, elle est libre et incontrôlée ». Du fait d’une présence insuffisante de l’État, c'est plus ou moins la loi du plus fort qui règne. Voici quelques-uns des segments identifiés comme ne faisant l'objet d'aucun contrôle de la part de la police, des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) ou encore de la douane. On peut en saisir l'étendue qu'ils représentent :

À la frontière avec le Mali : - De Ansongo à Ménaka : 300km ; - De Ménaka à Adar N’Boukar : 300km ;

Du côté du Niger, l’intervalle de présence des FDS vers la frontière est de 100 km au moins.

De ce fait, la frontière revêt son potentiel lucratif fondé sur le différentiel qu'elle crée : en la traversant, dans un sens ou dans l'autre, les marchandises gagnent en valeur : produits alimentaires nigériens quand les approvisionnements maliens sont trop éloignés ou insuffisants, armes venues du Mali quand leur circulation est moins développée au Niger, carburants, drogues etc. C'est l'espace des trafics en tout genre. Les sites aurifères (par exemple de la bande Dolbel /Kossa/ Yatakala) attirent la convoitise des groupes armés, toujours à la recherche de financement pour leur guerre. Par ailleurs, le passage de la frontière protège quand il procure l'isolement recherché ; il devient alors refuge. Ainsi on peut distinguer un différentiel économique (les marchandises gagnent de la valeur de l'autre côté de la frontière) ; un différentiel social (bénéfique ou contraignant en fonction du pays) et enfin un différentiel sécuritaire (on est plus en sécurité d'un côté ou de l'autre de la frontière).

29 Entretien avec un riverain le 12 avril 2017 30 Ibid.

La frontière est, dans ces conditions, perçue comme une menace car elle symbolise l'éloignement vis-à-vis de son propre État, l'isolement, voire l'abandon et l'enclavement. En même temps, elle traduit la proximité avec le danger, c'est-à-dire l'instabilité et la violence armée de l’État voisin. Pourtant ces effets sont-ils dus à la frontière elle-même ? Nous avons montré combien dans cet espace, la frontière ne joue pas tant son rôle de séparation que l'existence symbolique d'une limite qui ne rencontre pas de réalité socio-économique mais qu'au contraire les pratiques, les circulations et les échanges contredisent. Cette violence à la frontière est en réalité la manifestation d'une violence produite par un conflit. Nous proposons d'étudier les diverses formes de cette violence à travers le triangle de la violence analysé par Johan Galtung.

Outil 3: Le triangle du conflit