• Aucun résultat trouvé

Chapitre II : Variabilité isotopique naturelle des minerais de fer

2. Composition isotopique du fer de différentes roches terrestres

2.3 Variation isotopique du fer dans des formations de fer rubané (BIF)

Les formations de fer rubané, ou BIF (Banded Iron Formation) constituent le principal minerai de fer sédimentaire à l’échelle planétaire. Ces roches anciennes se sont formées à l’Archéen et au Protérozoique et sont généralement classées en trois types (cf. Robb, 2005). Les BIF de type Algoma sont associés à des arcs volcaniques et sont généralement localisées dans les ceintures de roches vertes Archéennes, telles que celles d’Abitibi (Ontario, Canada). Le second type, le plus courant, est celui des Lake Superior BIF, localisés sur les plateformes continentales stables et généralement formées au Paléoprotérozoïque. Par exemple, ce second type de formation se trouve dans le bassin de Hamersley en Australie, ou celui de Transvaal en Afrique du Sud. Enfin, les BIF de type Rapitan, plus rares, sont des formations sédimentaires formées durant les périodes glacières du Néoproterozoique. Ce dernier type de BIF est lié au modèle de la terre « boule de neige » selon laquelle notre planète aurait connu des périodes de glaciation totale, induisant une stratification des océans avec une surface oxydante et un fond réducteur (e.g. Hoffman et al., 1998 ; Halverson et al., 2011). Les formations des montagnes McKenzie au Canada sont un exemple de ce type de BIF. La figure II-4 représente un schéma des conditions géologiques théoriques de genèse de ces formations ferrugineuses.

92

Le modèle global de formation des BIF implique la division des océans un deux parties : une couche profonde anoxique réductrice et une couche de surface oxydante. L’activité hydrothermale au niveau des dorsales océaniques (fumeurs noirs) permet l’accumulation de fer dissous Fe2+ dans la couche profonde anoxique. Ce fer dissous est ensuite transporté par les courants océaniques vers la surface où il est oxydé en Fe3+ et précipite sous forme d’un précurseur peu cristallin d’oxyhydroxyde de Fe(III) (e.g. Halverson et al. 2011). Ces oxyhydroxydes de Fe(III) s’accumulent au fond des océans puis sont déshydratés et transformés en hématite par métamorphisme d’enfouissement.

Figure II-4 : Modèle des conditions géologiques et environnementales de formation des différents types de BIF (d’après Robb, 2005). Le diagramme représente l’estimation des ressources de chacun

des trois types de BIF ainsi que leurs âges de formation (d’après Holland, 1984).

En plus de leur âge de formation, les formations de fer rubané diffèrent par leurs compositions minéralogiques, chimiques et isotopiques qui résultent des contextes

93

géologiques auxquels elles sont associées. Quel que soit le type de BIF considéré, le fer est très majoritairement présent sous forme d’oxyde (hématite, magnétite). Cependant, d’autres minéraux de fer tels que des carbonates (sidérite), silicates (greenalite et minnesotaite) et sulfures (pyrite) peuvent être présents (Robb, 2005). Des cherts et des schistes noirs peuvent également être associés au BIF. D’après James (1954) le passage d’un faciès à oxydes de fer vers un faciès à carbonates et sulfures reflète la précipitation des minéraux de fer dans un environnement de plus en plus réducteur. Bien que ce modèle ait été modifié depuis (Klein and Beukes, 1993 ; Robb, 2005), cela montre que la minéralogie des formations de fer rubané est largement tributaire des conditions d’oxydoréduction de leur milieu de formation.

Diverses études ont révélé l’ampleur des variations de la composition isotopique du fer dans ces BIF, que ce soit à l’échelle stratigraphique (e.g. Beard et al., 2003 ; Heimann et al., 2010 ; Johnson et al., 2008 ; Tsikos et al., 2010), entre différents minéraux (e.g. Johnson et al., 2003 ; Frost et al., 2007), ou au sein d’un même minéral (e.g. Whitehouse and Fedo, 2007 ; Steinhoefel et al., 2009, 2010 ; Czaja et al., 2013 ; Li et al., 2013). Johnson et al. (2003) ont mesuré la composition isotopique du Fe dans des hématites, magnétites, carbonates de fer et pyrites (FeS2) contenus dans un BIF Sud-Africain (Transvaal Supergroup). D’après l’auteur,

les importantes variations isotopiques mesurées à l’échelle de la roche totale (-3,76 à +1,66 ‰ pour le rapport 57Fe/54Fe) reflètent une combinaison de processus tels que des fractionnements à l’équilibre spécifiques pour chaque minéral, une variation de la composition isotopique du fluide à partir duquel ces minéraux ont précipité et l’impact de la transformation métabolique du Fe par les bactéries (DIR). Par la suite, Johnson et al. (2008) ont précisé que parmi les procédés biologiques et non-biologiques qui induisent des changements d’état redox ou d’énergie de liaison, la réduction microbienne a produit la majeure partie des fractionnements des isotopes du fer, supérieurs de plusieurs ordres de grandeur par rapport aux processus non-biologiques. Selon cette étude, la composition fortement négative de certains minéraux de ces formations, en comparaison avec celles de BIF plus âgés et plus jeunes, révèlerait d’un maximum d’activité bactérienne aux alentours de 2,5 Ga. En accord avec cette théorie, Heimann et al., (2010) ont reporté une variation isotopique du fer de 1,5‰ à -1,5‰ pour le rapport 57Fe/54Fe dans les couches de carbonates de fer (roche totale) d’une formation rubanée d’Afrique du Sud. Les compositions fortement

94

négatives mesurées par Tsikos et al. (2010) dans les roches d’un BIF de la formation d’Hotazel en Afrique du Sud ( 57Fe de -2,4‰ à -3,5‰) sont également interprétées comme étant le résultat de l’activité bactérienne. Enfin, on peut également citer les travaux de Czaja et al. (2013) qui ont mesuré des variations de composition de 0,6‰ à 1,6‰ pour le rapport

57Fe/54Fe dans des minéraux d’hématite issus de différentes strates d’une formation de fer

rubané du Groenland (Isua Supracrustal Belt) datant de 3,7 à 3,8 Ga. Cette variabilité est relativement faible par rapport à celle de magnétites de BIF d’Australie et d’Afrique du Sud (Hamersley et Transvaal bassin) datées de 2,5 Ga ( 57Fe de -1,8‰ à 1,8‰). Les auteurs suggèrent alors que les variations de composition des isotopes du fer observées dans le BIF du Groenland sont dues à l’oxydation partielle de Fe(II)aq et à la précipitation de Fe(III) plutôt

qu’à l’activité bactérienne. Au contraire, les compositions plus variables des formations Australienne et Sud-Africaines reflèteraient le maximum de l’activité bactérienne dans les océans autour de 2,5 Ga, en accord avec les conclusions de Johnson et al. (2008). Ces différentes études suggèrent donc l’utilisation de la composition des isotopes du fer dans les BIF comme traceur du cycle biogéochimique du fer dans les océans anciens.

Cependant, l’étude d’une formation de fer rubané de type Rapitan (Windermere Supergroup, Canada) a conduit Halverson et al. (2011) à proposer un nouveau modèle de formation des BIF impliquant uniquement des réactions d’oxydoréduction d’origine abiotique. Ce modèle implique la séparation de la colonne d’eau par une chemiocline qui recoupe le fond en pente de l’océan (Figure II-5). Cette chemiocline serait enrichie en isotopes légers du fer dans sa partie supérieure et en isotopes lourds dans sa partie inférieure. Les variations de composition isotopique observées dans ces BIF ( 57Fe de -0,7 à 1,2 ‰) reflèteraient leurs différentes profondeurs de formation. En effet, les dépôts de Fe- OH les plus proches de la côte et les moins profonds auraient une composition isotopique enrichie en fer léger du fait de leur précipitation dans la partie supérieure de la chemiocline. Au contraire, les dépôts d’hydroxydes de fer plus profonds et plus loin de la côte auraient une composition isotopique plus lourde du fait de leur précipitation sur toute l’épaisseur de la chemiocline (Figure II-5). Les variations du niveau de la mer induiraient alors un déplacement vertical de la chemiocline et une variation de la composition isotopique des oxydes de fer précipités à un endroit donné.

95

Figure II-5 : Modèle schématique de la formation des BIF de type Rapitan (d’après Halverson et al., 2011).

Bien que les processus impliqués dans la formation des BIF (biotiques ou abiotiques) soient encore sujets à controverse, les informations apportées par l’étude de ces roches peuvent nous renseigner sur la composition isotopique d’autres roches sédimentaires ferrugineuses utilisées par les anciens. D’un point de vue général, la variabilité isotopique du fer des formations ferrugineuses sédimentaires et la possibilité de distinguer les différentes sources exploitées aux périodes anciennes constitue un atout majeur des isotopes du fer pour le traçage des métaux anciens.