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Chapitre II : Variabilité isotopique naturelle des minerais de fer

2. Composition isotopique du fer de différentes roches terrestres

2.1 Composition isotopique des roches ignées terrestres

Les roches ignées ou magmatiques regroupent toutes les roches formées à partir de la solidification d’un magma (roches plutoniques, volcaniques, métamorphiques et roches du manteau). Ces roches ont une composition des isotopes du fer relativement homogène, variant de -1 à +0,6 ‰ pour l’indice 57Fe (e.g. Poitrasson et Freydier, 2005 ; Zhao et al., 2012). Une étude pionnière sur le sujet a consisté à mesurer la composition isotopique du

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fer dans différents types de roches terrestres et lunaires (Beard et Johnson, 1999). La méthode du TIMS avec double spike utilisée a permis d’atteindre une précision de 0,14‰ (1SD). Les résultats obtenus ont montré la grande homogénéité isotopique des roches ignées terrestres et lunaires avec une composition moyenne de 0,00 ±0,38‰ pour le rapport

57Fe/54Fe. Contrairement à cela, les roches ferrugineuses sédimentaires analysées (5 nodules

de fer-manganèse et 2 échantillons de fer rubané) ont montré des compositions variant de 1,35 à -1,80‰. Ces variations importantes furent alors interprétées comme résultant de processus biologiques. Néanmoins, en 2003, Beard et al. ont utilisé la méthode du MC-ICP- MS pour ré analyser certaines de ces roches ignées, précédemment citées, ainsi que 32 nouveaux échantillons, en prenant pour référence la moyenne déterminée par Beard et Johnson (1999). La nette amélioration de la précision analytique a permis de déterminer une composition moyenne des roches ignées de 57Fe = 0,00 ±0,075‰ (1SD). Cette étude a également mis en évidence de légères variations de compositions entre les différents types de roches ignées. Par exemple, la composition moyenne des roches ultramafiques de -0.06 ‰ est différente de celle des basaltes océaniques (MORB, mid-ocean ridge basalts) de 0,03‰ (Beard et al., 2003). Cependant ces différences ne sont pas significatives à un niveau de précision de 2 SD (0,1‰).

Suite à ces études pionnières, le perfectionnement des méthodes d’analyses, en particulier celle du MC-ICP-MS a permis de déceler des différences significatives de composition des roches terrestres ignées (e.g. Poitrasson et al., 2004 ; Poitrasson et Freydier, 2005 ; Weyer et Ionov, 2007 ; Dauphas et al., 2009 ; Craddock et al., 2013 ; Teng et al., 2013 ; Poitrasson et al., 2013 ; Williams and Bizimis, 2014 ; Sossi et al., 2016). C’est notamment le cas des basaltes formés au niveau des dorsales océaniques (Middle Oceanic Ridges Basalts, MORB) qui ont une composition enrichie en isotopes lourds du fer ( 57Fe 0,1 ±0,01 ‰ d’après Sossi et al., 2016) par rapport aux péridotites du manteau dont ils sont issus (environ 0,05 ‰ plus léger que les MORB d’après Sossi et al., 2016). Les deux processus pouvant expliquer ces différences de compositions isotopiques sont la fusion partielle du manteau supérieur et les processus de métasomatisme entre le mélange en fusion et les roches encaissantes (e.g. Weyer et al., 2007 ; Zhao et al., 2012 ; Poitrasson et al., 2013). D’après plusieurs auteurs, le fractionnement cinétique des isotopes du fer lors des phénomènes de métasomatisme est majoritairement responsable des différences de composition observées ici et induit une

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hétérogénéité isotopique dans le manteau pouvant expliquer les variations de composition des péridotites du manteau (e.g. Zhao et al., 2010, 2012 ; Poitrasson et al., 2013).

Contrairement aux MORB dont la composition isotopique est relativement homogène (Teng et al., 2013), les basaltes d’arcs formés au niveau des zones de subduction ont une composition qui peut varier de -0,2 ‰ à 0,2 ‰ pour l’indice 57Fe (Sossi et al., 2016). Cette variabilité s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs. La subduction du plancher océanique au niveau des arcs insulaires permet l’apport en profondeur de matériel hydraté abaissant le point de fusion des péridotites du manteau. Ce phénomène peut alors induire une augmentation de la fugacité d’oxygène dans le manteau supérieur partiellement fondu qui devient alors plus oxydé (augmentation de la proportion de Fe3+) par rapport au MORB (e.g Kelley and Cottrell, 2009 ; Wallace and Edmonds, 2011 ; Evans et al., 2012). Ainsi, en plus des phénomènes de fusion partielle et de métasomatisme décrit plus haut, les changements de conditions d’oxydoréduction constituent un troisième facteur susceptible de générer un fractionnement des isotopes du fer dans les systèmes magmatiques de marges convergentes. Du fait de l’incompatibilité plus importante du Fe3+ par rapport au Fe2+, la fusion du manteau oxydé conduit à la formation d’un magma enrichi en isotopes lourds du fer (Dauphas et al., 2009 ; Sossi et al., 2016). Bien que la gamme de variation isotopique des basaltes d’arc soit plus importante que celle des MORB, leur composition moyenne est significativement plus légère 57Fe = 0,04 ± 0,10 ‰ d’après Sossi et al. (2016). La différence de sources mantelliques, celle des magmas d’arc étant enrichie en isotopes légers du fer par rapport à celle des MORB pourrait expliquer la composition isotopique moyenne plus légère des basaltes d’arc (Nebel et al., 2013, 2015). Cependant, l’enrichissement en isotopes légers du fer par les phénomènes de fusion partielle du manteau ne peut excéder -0,05 ‰ (Nebel et al., 2015), ce qui implique l’action d’autres mécanismes susceptibles de générer les variations isotopiques observées dans les basaltes d’arc (environ 0,4 ‰). L’apport de fer léger sous forme de complexes Fe-Cl2 pourrait

permettre l’enrichissement en isotopes légers du fer, mais cette explication reste hypothétique et d’autre études sur le sujet seront nécessaires pour expliquer ce phénomène (Sossi et al., 2016).

Des variations de composition des isotopes du fer ont également été observées dans des granites (e.g. Poitrasson et Freydier, 2005 ; Foden et al, 2015). Différents mécanismes tels

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que la cristallisation fractionnée et l’exsolution de fluides hydrothermaux sont susceptibles d’expliquer ces variations isotopiques. Par exemple, l’exsolution d’un fluide aqueux à partir d’un magma entraine préférentiellement les isotopes légers du fer, induisant l’enrichissement du magma résiduel en isotopes lourds du fer ainsi que son refroidissement (e.g. Poitrasson et Freydier, 2005). Dans un tel cas, la perte de fer dans le magma sera directement fonction de la proportion de fluide et de la solubilité des différentes espèces du fer (Sossi et al., 2016). La migration préférentielle des isotopes lourds du fer vers le magma plus froid et plus différencié le long d’un gradient thermique peut également expliquer les variations de composition isotopiques observées dans les granites (Zambardi et al., 2014). Un autre mécanisme pouvant expliquer cette variabilité est un fractionnement entre le magma et les cristaux lors de la formation du magma par fusion, ou lors de sa cristallisation fractionnée (Sossi et al., 2012, 2016). Dans un tel cas l’équilibre entre magma et minéraux joue un rôle clé dans la détermination de la composition isotopique du granite. Ces variations de composition permettent alors de distinguer les différents types de granite. Les granites de type A (alcalins) et I (source ignée) forment deux populations distinctes de composition moyenne 57Fe 0,38 ± 0,10 ‰ et 57Fe 0,18 ± 0,08 ‰ (1SD) respectivement. Les granites de types S (source sédimentaire) tendent à être légèrement enrichis en isotopes lourds du fer, mais recoupent les compositions des deux autres types, avec une composition récurrente autour de 57Fe 0,28 ± 0,11 ‰ (Foden et al., 2015 ; Sossi et al., 2016).

Certaines roches ignées terrestres constituent d’importants gisements riches en fer, largement exploités de nos jours. C’est en particulier le cas des litages d’oxydes de fer, principalement de la titano-magnétite (Fe2TiO4), contenues dans de grandes formations

intrusives mafiques d’origine magmatique. La large province ignée d’Emeishan (ELIP), située au sud-ouest de la Chine, constitue l’un des principaux exemples de ce type de formation (e.g. Ali et al., 2005 ; Zhou et al., 2008 ; Shellnutt, 2014 ; Liu et al., 2014a ; Liu et al., 2014b ; Liu et al., 2015). On peut également citer la présence de formations similaires en Afrique du Sud, avec les complexes de Ushushwana et Rooiwater (e.g. Winter, 1965 ; Reynolds, 1978). La province d’Emeishan est constituée d’intrusions mafiques à ultra-mafiques de plusieurs centaines de mètres à 5 km d’épaisseur, intercalées entre des carbonates du permien moyen et des roches sédimentaires clastiques du permien final (Chung et Jahn, 1995). Dans ce contexte, on distingue les intrusions magmatiques pauvres en titane, associées à des

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gisements du cuivre, de nickel et de métaux du groupe du platine (PGE), et les intrusions de magmas riches en titane ayant conduit à la formation de gisements de d’oxydes de fer et de titane tels que la titano-magnétite. D’un point de vue pétrographique, ces oxydes se présentent sous forme de phases interstitielles entre des cumulats d’olivine, de clinopyroxènes et de plagioclases. L’olivine constitue la principale phase silicatée et représente 10 à 30% du volume des minerais de titano-magnétite. Les travaux de Liu et al. (2014) ont mis en évidence des variations significatives de compositions des isotopes du fer au sein de ces minerais. En effet, les compositions en 57Fe sont comprises entre -0,02 ± 0,10 ‰ et 0,14 ± 0,14 ‰ (intervalle de confiance à 95% pour 3 à 6 mesures par échantillon) pour les olivines, entre 0,15 ± 0,08 ‰ et 0,32 ± 0,24 ‰ pour les clinopyroxènes, et entre 0,28 ± 0,09 ‰ et 0,48± 0,12 ‰ pour les titano-magnétites. Ainsi, selon les échantillons de minerai considérés, les facteurs de fractionnement entre ces espèces minérales varient de 0,05 ‰ à 0,29 ‰ entre olivines et clinopyroxènes, de 0,14 ‰ à 0,46 ‰ entre olivines et titano- magnétites, et de 0,00 ‰ à 0,29 ‰ entre clinopyroxènes et titano-magnétites (Liu et al., 2014). D’après les auteurs, ce fractionnement hors équilibre s’explique par la cristallisation des silicates (olivines et clinopyroxènes) et de la titano-magnétite à partir de deux fluides immiscibles, respectivement riches en silice et en fer. La ségrégation continue du fluide riche en fer à partir du fluide silicaté aurait alors engendré une modification de la composition isotopique de ce dernier, induisant une différence de composition entre les minéraux silicatés et les oxydes de fer et de titane. D’un point de vu archéologique, les travaux de Killick et Miller (2014) ont mis en évidence l’utilisation de minerais de ce type dans la région de Lowveld, au nord-est de l’Afrique du Sud. Bien que cette exploitation ait perduré jusqu’à une époque relativement tardive (fin du XIXe siècle), ces minerais étaient réduits par la méthode directe en bas fourneau du fait de leur forte teneur en titane (Killick et Miller, 2014), la méthode indirecte en haut fourneau ne permettant pas une bonne séparation du titane et du fer métal.

Malgré les différences significatives de composition des isotopes du fer observées dans les roches ignées, les différents exemples cités ici montrent que cette variabilité reste limitée par rapport à celle mesurée dans les eaux de surface ou dans d’autres types de roche (Figure II-2). Aussi, en accord avec Poitrasson (2006), nous pouvons considérer que la composition moyenne des isotopes du fer dans la croûte terrestre est d’environ 0,1 ±0,03 ‰ par rapport

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au standard IRMM-14. D’un point de vue archéologique, cette homogénéité isotopique relative peut représenter un avantage permettant d’établir une signature isotopique bien contrainte pour les minerais d’origine ignée exploités aux époques anciennes. En revanche, il est probable que cette signature ne soit pas distinguable de celle de minerais semblables issus d’autres régions de production de fer, limitant ainsi le potentiel de traçage des isotopes du fer dans ce cas précis.