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2. Limites de fonctionnement du système vasculaire : cavitation et embolie

2.3. Variabilité de la vulnérabilité à l’embolie estivale

Les travaux issus de la littérature montrent que la vulnérabilité à l’embolie estivale varie de façon importante, et ce à différents niveaux d’analyses : entre espèces (variabilité inter-spécifique), entre génotypes d’une même espèce (variabilité intra-spécifique) et même au sein d’un même individu (variabilité entre organes et plasticité phénotypique).

2.3.1. Variabilité inter-spécifique

Un grand nombre de courbes de vulnérabilité à l’embolie estivale sont aujourd’hui publiées.

Les différences entre espèces constituent de loin la source de variabilité la plus grande (voir

Maherali, Pockman & Jackson 2004). Parmi les espèces ligneuses les plus vulnérables, on

compte les peupliers (e.g. Cochard, Ridolfi & Dreyer 1996 ; Harvey & Van Den Driessche

1997, 1999; Rood et al. 2000 ; Hukin et al. 2005 ; Cochard, Mencuccini & Casella 2007b) et

les saules (Cochard, Cruiziat & Tyree 1992 ; Wikberg & Ögren 2004 ; Cochard, Mencuccini

& Casella 2007b) avec des valeurs de Ȍ50 généralement comprises entre -1 et -3 MPa. A

l’autre extrémité, des valeurs de Ȍ50 inférieures à -10 MPa ont été rapportées pour certaines

espèces de Juniperus(Pockman & Sperry 2000).

La caractérisation d’un grand nombre d’espèces provenant d’habitats très contrastés a

permis de mettre en évidence que les espèces xérophiles possédaient des valeurs de Ȍ50 plus

faibles que les espèces mésophiles (e.g. Kolb & Sperry 1999 ; Hacke, Sperry & Pittermann

2000 ; Pockman & Sperry 2000 ; Maherali, Pockman & Jackson 2004). Autrement dit, les seuils de vulnérabilité à la cavitation correspondent assez bien avec la notion empirique de tolérance à la sécheresse au niveau inter-spécifique. Il est donc fort probable que la vulnérabilité à la cavitation soit un trait soumis à sélection compte tenu de son importance fonctionnelle pour le maintien d’une balance hydrique favorable.

2.3.2. Variabilité intra-spécifique

Cet aspect est beaucoup moins documenté que la variabilité inter-spécifique. Les raisons dérivent probablement du fait que les méthodologies qui étaient auparavant utilisées ne permettaient pas de mettre en évidence de façon systématique de très faibles différences de

Ȍ50. Une des premières études centrée sur la variation intra-spécifique fut celle de Neufeld et

al. (1992) qui démontra des différences de Ȍ50 (-0.83 à -1.36 MPa) entre 4 génotypes de canne à sucre (Saccharum sp.) sur des segments de feuille. D’autres études similaires sur

l’eucalyptus (Vander Willigen & Pammenter 1998 ; Pita, Gascó & Pardos 2003), l’hévéa

(Sangsing et al. 2004a, 2004b), l’olivier (Ennajeh et al. 2008), le saule (Wikberg & Ögren 2004), ou encore le peuplier (Harvey & Van Den Driessche 1997) sont par la suite venues documenter la variation entre génotypes pour ces espèces d’intérêt agronomique. Certains travaux se sont également attachés à caractériser la variation existante entre populations ou provenances géographiques d’un même taxon, comme par exemple pour une espèce d’érable

proche de l’érable à sucre (Acer grandidentatum, Alder, Sperry & Pockman 1996),

l’ambroisie (Ambrosia dumosa, Mencuccini & Comstock 1997), le peuplier baumier de

l’Ouest (Populus trichocarpa, Sparks & Black 1999), le pin ponderosa (Pinus ponderosa,

Maherali & De Lucia 2000), une essence néo-tropicale de la famille des Borraginaceae

(Cordia alliodora, Choat, Sack & Holbrook 2007), le cèdre du Liban (Cedrus libani, Ducrey

et al. 2008) ou encore le pin sylvestre (Pinus sylvestris, Martínez-Vilalta et al. 2009).

Néanmoins, parmi ces études, seules celles de Mencuccini & Comstock (1997), Sparks &

Black (1999) et Ducrey et al. (2008) ont été réalisées dans des conditions environnementales identiques permettant de distinguer réellement variabilité génétique et plasticité phénotypique. De façon générale, la gamme de variabilité généralement observée pour la vulnérabilité à la cavitation à l’échelle intra-spécifique est en toute logique inférieure à celle trouvée au niveau inter-spécifique (typiquement entre 1 et 2 MPa). Même si les données au niveau intra-spécifique sont moins nombreuses que celles au niveau inter-spécifique, il est très probable que ce genre d’étude va prendre de l’importance dans le futur. Les études intra-spécifiques offrent de réelles opportunités afin de répondre à certaines questions essentielles : quelle est la part de variabilité intra-population et inter-population ? La vulnérabilité à la cavitation est elle est trait adaptatif ? Quel contrôle génétique de la vulnérabilité à la cavitation ? Peut-on envisager d’utiliser la vulnérabilité à la cavitation comme un critère de tolérance à la sécheresse pour des génotypes au sein d’espèces d’intérêt agronomique ? Les relations couramment observées au niveau inter-spécifique entre la vulnérabilité à la

cavitation et d’autres traits d’importance physiologique sont-elles applicables au niveau intra-spécifique ?

2.3.3. Variabilité entre organes

La vulnérabilité à la cavitation peut également varier au sein d’un même individu en fonction des organes considérés : pétiole, tige ou racine. L’idée que les pétioles seraient plus

vulnérables que la tige a d’abord été énoncée par Zimmermann (1983) et fait référence à

l’hypothèse de segmentation hydraulique. Les feuilles correspondant aux zones où les tensions xylèmiennes sont les plus fortes dans la plante, ce sont elles qui souffriront des premiers évènements de cavitation lorsque la tension seuil sera atteinte, par exemple lors d’une sécheresse. La conséquence directe est la chute des feuilles en question, la limitation du taux de transpiration et donc la limitation des tensions dans la tige. Sous cette hypothèse, les parties non pérennes (les feuilles) sont donc sacrifiées au profit des parties pérennes représentant l’investissement carboné le plus important (la tige). Une étude sur noyer a

clairement confirmé cette hypothèse avec des différences d’environ 1 MPa (Tyree et al.

1993a). Au contraire, d’autres études sur peuplier ne l’ont pas confirmée (Cochard, Ridolfi & Dreyer 1996 ; Hacke & Sauter 1996): dans le premier cas, aucune différence n’avait pu être détectée alors que dans le second cas, les pétioles étaient plus résistants. Par ailleurs, un grand nombre de courbes de vulnérabilité ont également été construites sur des racines et montrent

que ces dernières sont en général plus vulnérables que la tige (Sperry & Saliendra 1994 ;

Alder, Sperry & Pockman 1996 ; Hacke & Sauter 1996 ; Alder et al. 1997 ; Kavanagh et al. 1999 ; Martínez-Vilalta et al. 2002 ; McElrone et al. 2004 ; Maherali et al. 2006 ; Pratt et al. 2007a, 2007b): ceci est en accord avec le fait que les racines correspondent aux zones à moindre risque, là où les tensions xylèmiennes sont les plus faibles.

2.3.4. Plasticité phénotypique

Le dernier niveau de variabilité à considérer est la plasticité phénotypique. Comme dit précédemment, la vulnérabilité à la cavitation est une caractéristique intrinsèque du tissu conducteur, entièrement dépendante de l’ultrastructure des ponctuations. Il en résulte que comme pour tout trait structural, une modification des conditions environnementales prévalentes entraîne un ajustement de la vulnérabilité à l’embolie estivale. L’effet de la lumière est probablement l’effet le mieux documenté. Par exemple, chez le hêtre, les expériences ont montré que (i) les branches d’arbres adultes développées dans la canopée en

condition de lumière incidente limitée, ainsi que (ii) des plants de deux ans acclimatés à 12%

de lumière incidente montraient une vulnérabilité à la cavitation accrue (Cochard, Lemoine &

Dreyer 1999 ; Lemoine, Jacquemin & Granier 2002). Des résultats similaires ont été rapportés

pour un plus large panel d’espèces d’arbres de nos régions tempérées (Barigah et al. 2006).

La généralisation de telles observations peut s’expliquer du fait que des valeurs d’irradiance plus fortes s’accompagnent généralement d’une demande évaporative plus forte, et donc de tensions plus fortes au sein du xylème ; la mise en place d’un xylème moins vulnérable est donc nécessaire afin de pallier les risques éventuels d’embolie. Il existe par ailleurs d’autres facteurs environnementaux pouvant influer sur le niveau de vulnérabilité à la cavitation,

notamment la fertilisation à l’azote (Harvey & Van Den Driessche 1997, 1999; Ewers, Oren

& Sperry 2000), la texture du sol (Holste, Jerke & Matzner 2006), ou encore la sécheresse

(Holste, Jerke & Matzner 2006; Beikircher & Mayr 2009). Toutefois, il est très surprenant de noter que cette dernière catégorie est très peu documentée.

L’ensemble de ces résultats soulève une question : comment la vulnérabilité à la cavitation est-elle modulée ? Cette dernière étant totalement dépendante de la taille des pores au niveau de la paroi primaire des ponctuations, le(s) mécanisme(s) d’acclimatation est à rechercher au niveau des facteurs contrôlant la mise en place de cette paroi et la formation des ponctuations. Aucune étude n’a toutefois été publiée à ce jour ni sur l’acclimatation possible de l’ultrastructure des ponctuations, ni sur les bases physiologiques et moléculaires de cette acclimatation.