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Les Variétés de la langue dans le roman gabonais

Chapitre 1 : Stratégies d’écriture d’Otsiémi

1.1 Les Variétés de la langue dans le roman gabonais

La langue française, comme toutes les langues vivantes, se présente sous diverses formes. Les locuteurs ne parlent exactement pas tous de la même façon. Les manières de s’exprimer varient d’une personne à une autre notamment selon la situation de communication dans laquelle le locuteur se trouve, et même en fonction des facteurs géographiques, sociaux et historiques. Ainsi, ce phénomène connu sous le nom de « variété linguistique » est un fait dépendant de l’appartenance du locuteur à un groupe social, à une classe sociale ou de sa volonté de s’adapter à son interlocuteur.

La variété de langue est la notion majeure de la sociolinguistique. Elle est définie comme étant une différence dans les mots ou les règles d’une même langue, et désigne alors les écarts entre différentes façons de s’exprimer. La différence se fait selon plusieurs facteurs. Il est important de relever que « le français se renouvelle, se réinvente, se transforme et n’hésite plus à transgresser les règles, devenant ainsi une langue multiple et changeante qui s’adapte au monde moderne et aux réalités culturelles64 ». Ainsi, nous faisons face non pas à « une » langue

française, mais à « des » langues françaises, grâce aux pratiques diverses qui la constituent. D’un territoire francophone à un autre, la langue française est sujette à divers usages, en fonction de sa hiérarchie sociale et du contexte amenant sa diversification. C’est dire que sa diversité se perçoit à la fois dans les classifications sociales (registres de langue) et est appelée à varier (variations linguistiques).

1.1.1 Les Registres de langue

Qu’est-ce qu’un registre de langue ? C’est l’usage fait de la langue en fonction d’une situation de communication, laquelle détermine des choix lexicaux, de ton, mais aussi une plus ou moins grande liberté par rapport aux règles établies.

En ce qui concerne la langue française, on relève généralement quatre registres de langue : la langue soutenue, la langue standard, la langue familière et la langue populaire. On

64 Organisation Internationale de la Francophonie, La langue française dans le monde (Synthèse), Paris, Nathan,

doit cette classification, influencée par le fait social, au linguiste William Labov65. Figure

emblématique des sciences humaines et sociales au XXe siècle, Labov dirige ses travaux sur la

linguistique générale, la dialectologie urbaine, la sémantique et la diachronie. Il innove en considérant la langue comme un fait social, contrairement aux linguistes qui fondent leurs études sur la grammaire. En effet, lors d’une enquête effectuée à New York, auprès des employés de trois grands magasins66 (du plus prestigieux au moins prestigieux), Labov a pu

relever que plus le magasin était haut dans la hiérarchie, plus l’emploi de la langue des employés présentait des valeurs élevées. Ainsi, il a distingué deux types de discours, surveillé et familier : L’essentiel du matériau de Sociolinguistique a été recueilli à New York, au cours d’une longue et minutieuse enquête sur certains aspects de changement phonétique. Une pré- enquête, portant sur la stratification sociale de la variable (r) fut effectuée auprès du personnel de trois grands magasins new-yorkais de standing inégale. La méthodologie est ici relativement sophistiquée : l’enquêteur-linguiste, déguisé en client banal, se borne à demander un renseignement qui doit faire apparaître l’usage du r post- vocalique (celui de « fourth floor »). Or les résultats sont nettement différenciés. Les personnes interrogées ont d’autant plus tendance à faire entendre un [r] que leur clientèle habituelle est plus bourgeoise. Cependant est fonction inverse de l’âge des personnes interrogées dans le magasin le plus « chic », fonction directe de l’âge dans le magasin de standing moyen, et indépendante de l’âge (et faible) dans le magasin « populaire ». La même distribution complexe et paradoxale se retrouvera dans l’enquête proprement dite, avec un échantillon représentatif (et socialement stratifié selon neuf catégories) d’un quartier de New York (le Lower East Side) dans un contexte de discours non plus « familier » ou « spontané » (comme dans l’interaction brève et anonyme de la pré-enquête) mais « surveillé » (du fait des contraintes d’une situation d’interview « formelle »). […] Labov distingue en effet le discours familier (où le degré d’attention porté par le locuteur à son langage est minimum) et le discours surveillé (traversé lui-même de moments de discours spontané), lui-même distinct des situations où il demande de lire un texte, dire des listes de mots ou des « paires minimales ».67

Ainsi, Labov a su démontrer que la langue est fortement influencée par la situation de communication du locuteur et sa catégorisation sociale.

Bickerton (1975)68, lui, a parlé d’une situation diglossique basée sur la terminologie

allant de l’acrolecte (variété haute de la langue) au basilecte (variété très éloignée de l’acrolecte), en passant par le mésolecte (variété intermédiaire). La diglossie, renvoyant à la

65 William Labov, Sociolinguistique, Paris, Minuit, 1976. 66 Saks fifth avenue, Macy’s et S. Klein.

67 Jean-Claude Forquin, William Labov, Sociolinguistique (Sociolinguistic patterns), In Revue française de

pédagogie, Volume 42, 1978, p. 80.

cohabitation (hiérarchisée) de langues différentes à l’intérieur d’une même société69, est ici

surtout vue comme la coexistence de deux variétés dans une même langue, une considérée comme prestigieuse (variété haute) et une autre moins prestigieuse (variété basse).

Au Gabon, et particulièrement dans sa littérature, comme dans la majorité des pays francophones, l’on distingue plusieurs niveaux de langue française, allant du plus élevé hiérarchiquement au plus bas. Les écrivains et la société à laquelle ils appartiennent adoptent, selon leur classe sociale d’appartenance et/ou selon la classe sociale d’appartenance de leurs interlocuteurs/lecteurs, un niveau de langue qui leur est le plus adapté. Nous croyons donc pouvoir repérer un niveau de langue acrolectal, un autre mésolectal et un troisième basilectal. À quoi correspondent-ils ? Quel est leur intérêt et à quelles occasions sont-ils utilisés ?

1.1.1.1 La Langue acrolectale

La langue acrolectale correspond à la langue standard (langue de la presse, des documents officiels, de la communication internationale) et à la langue soutenue (raffinement de la langue standard). Surtout utilisée à l’écrit, c’est une façon de s’exprimer avec des mots rares et savants. Elle est très présente dans les textes littéraires et les discours officiels.

Au Gabon, la langue acrolectale est le français standard, considéré comme le plus élevé par les membres de la communauté ; elle est langue officielle, langue de communication et langue d’enseignement. Utilisée en milieu universitaire par les étudiants et diplômés, cette variété est le fait des « élites ». Considérée comme langue administrative, elle constitue dans la hiérarchie sociolinguistique la langue des lettrés, des hauts bourgeois, etc.

Du point de vue de l’écriture, les écrivains subsahariens francophones ont souvent procédé à des choix de langue divers : des auteurs tels que Léopold Sédar Senghor adoptant l’écriture des œuvres en français mais marquée par la mise en mots d’une présence de la littérature orale (proverbes, légendes et autres traditions orales) ; d’autres, dont Calixthe Beyala, élaborant des œuvres en français sans marqueurs d’africanité, c’est-à-dire des œuvres n’ayant aucun trait linguistique particulier et propre à l’écriture africaine ; et d’autres comme Ahmadou

69 Cela concerne particulièrement certaines sociétés africaines où les langues importées (français, anglais, etc.)

Kourouma produisant des œuvres écrites en français chargées de vernacularismes et d’innovations lexicales revendiquées.

Des écrivains gabonais tels que Sylvain Nzamba, Bessora, et bien d’autres, font usage de la langue française dans son caractère le plus prestigieux. Leur style d’écriture conserve le modèle hexagonal, sans doute pour atteindre un plus large lectorat francophone. C’est l’occasion pour le public d’ailleurs de connaître et de comprendre la réalité de la société gabonaise peinte par Sylvain Nzamba70 et Bessora71. Ils peignent la société telle qu’ils la

perçoivent et surtout n’usent pas d’artifices dans leur langue d’écriture.

Dès les premiers mots de Sylvain Nzamba72, dans Les Larmes de Tsiana, on ne trouve

aucun signe linguistique particulier relevant soit de l’oralité soit des vernacularismes, et il en sera ainsi tout au long du roman :

La grande saison sèche tirait déjà à sa fin. Chaque après-midi, on apercevait dans les vallées des montagnes, des73 grandes fumées noires qui couvraient le ciel. C’étaient des

femmes qui brûlaient leurs plantations. En Afrique centrale, ce scénario est le même entre la fin du mois d’août et le début de septembre. Pendant cette période, les températures sont très hautes et dépassent, selon les cas, les 42° à l’ombre. En Europe, on parle de canicule. Mais chez nous, c’est le moment idéal que choisissent les femmes pour brûler les étendues des forêts défrichées pour accueillir de nouvelles cultures. C’est la culture du brûlis dont la technique s’est toujours transmise de génération en génération depuis des millénaires. (p. 13)

C’est un choix de l’auteur : « Pour ma part, j’ai seulement observé et présenté au monde le spectacle épouvantable de notre quotidien et je m’en tiens là. » (Avertissement, p. 9). Bien que son écriture ne soit pas parfaite (quelques coquilles), il est un auteur engagé pour qui l’unique objectif est de traduire la réalité sociale sans nécessairement jouer avec sa langue d’écriture. C’est le principe même de la langue acrolectale.

1.1.1.2 La Langue mésolectale

Contrairement à la langue acrolectale qui est le fait des élites, des littéraires et des médias, la langue mésolectale est le fait de la population. C’est dans cette variété que l’on recense le plus de particularismes régionaux et que l’on fait face à des caractères spécifiques de la norme endogène, celle-ci, en sociolinguistique, étant la norme produite par un milieu social.

70 Sylvain Nzamba, Les Larmes de Tsiana, Nantes, Amalthée, 2006, 154 p. 71 Bessora, Pétroleum, Paris, Denoël, 2004, 333 p.

72 Sylvain, Nzamba, Op. cit, 2006.

En effet, dans cette langue, la norme n’est pas plus celle validée par l’Académie française, mais celle validée par la société en elle-même.

Au Gabon, en parlant de la langue mésolectale, nous nous rendons compte qu’il s’agit d’un français qui, tout en étant proche du niveau standard, révèle quand même des régionalismes. La langue mésolectale, ici, est la langue française moyenne, parlée par la grande majorité des Gabonais, la langue française appropriée, la langue française régionale, la langue française « gabonisée ». Elle est considérée comme langue véhiculaire.

D’un point de vue littéraire, nombreux sont ces écrivains gabonais qui s’engagent à écrire dans un français gabonisé : Jean-René Ovono Mendame, Jean Divassa Nyama, et même Janis Otsiémi et Eric-Joël Békalé.

Jean-René Ovono Mendame, dans Le Savant inutile74, fait usage de nombreux

particularismes linguistiques et en regroupe quelques-uns dans un glossaire, des mots n’existant dans aucun dictionnaire de la langue française ni même dans le langage de la société gabonaise, mais qui sont un exemple parmi tant d’autres de la capacité des Gabonais à faire preuve de créativité lexicale et à faire évoluer ainsi les régionalismes. Des mots qui, selon la typologie des néologismes de Sablayrolles75, seraient une composition de mots par suffixation. L’auteur

additionne éventuellement un suffixe aux mots « Occident », « Texto » et « Diplôme » pour en créer d’autres aux sens tout aussi divers. Il s’inspire pour les deux premiers exemples, des pathologies telles que la bronchiolite, la poliomyélite, etc., et pour le dernier exemple, de la lombalgie, fibromyalgie, entre autres, car ses néologismes désignent des pathologies :

Occidentalite : Pathologie virale dont seraient victimes les ressortissants des pays du Sud, en particulier les Africains, pour avoir séjourné pendant des années en Occident. Elle se manifesterait par un dérèglement des facultés mentales et présenterait le sujet comme déconnecté des réalités locales. Le malade de l’occidentalite est en proie à des rêveries et passe pour un stupide, un dément.

Textolite : Pathologie résultant des pulsions qui condamnent à la passion de la lecture, de l’écriture et au respect de l’écrit considérés comme moyens par excellence d’authentification de la conscience historique et de réhabilitation de la dignité humaine. […]

Diplômalgie : Ensemble des maux d’ordre psychologique et affectif générés par le désœuvrement chez la personne détentrice de hauts diplômes. L’oisiveté et l’errance qui

74 Jean-René Ovono Mendame, Le Savant inutile, Paris, L’Harmattan, 2007, 166 p.

75 Jean-François Sablayrolles, Christine Jacquet-Pfau, John Humbley. Emprunts, créations ”sous influence” et

équivalents. Passeurs de mots, passeurs d’espoir : lexicologie, terminologie et traduction face au défi de la diversité, Oct 2009, Lisbonne, Portugal. Éditions des Archives Contemporaines ; Agence universitaire de la francophonie, pp. 325-339, 2011.

en résultent concourent à en aggraver l’ampleur, réduisant la victime à un objet de risée populaire. Elle désigne donc la souffrance provenant du paradoxe d’être savant et de ne servir à rien.76

D’autre part, Ferdinand Allogho-Oké, dans Biboubouah : chroniques équatoriales suivi de Bourrasque sur Mitzic77, fait également usage de particularismes linguistiques, des mots

composés de mots déjà existant et de suffixe :

Aussitôt, Minko Mi-Oyone le catéchiste se leva, mit ses petites lunettes vue-claire et se dirigea vers la cuisine de Mema Mbazo’o. À peine eut-il enjambé le seuil de la porte qu’il lança un vibrant « Au nom du père… », les mains « jésusement » jointes, l’air grave. La prière fut instantanément reprise en chœur.78

Ce jour-là, j’avais mis mon pantalon de sixième, celui que ma tante m’avait acheté à « l’assamsé » à la friperie. Comme j’avais grandi, il s’arrêtait au milieu de mes mollets. Quand ma camarade Ntsame me vit ainsi accoutré, elle se mit à rire en clamant « Hé papa j’ai grandi ! » Comme sur un coup de bâton magique, tout le collège s’était mis à crier : « Zang a grandi ! Zang a grandi ! ». Elle réussit à calmer la foule et lâcha cet autre sobriquet : « Zang pantaculotté ! Panta-culotte ! »79

De cette langue est née une langue urbaine créée par les jeunes, le « toli bangando80 ». Jerry

Rawilde, étudiant et jeune écrivain, écrit Une vie de toli81, roman qui plonge le lecteur dans un

univers décrit dans un langage difficilement accessible aux non-initiés : - Les gars on dit quoi ?

Ah ! Odzo’o ! On est là, comme d’habitude, on garde le pivot. Ah ça ! Alors Liza, on ne fait pas les commandos ?82

Moi j’apporte la chair.83

Hum ! Pitt Poker, toi tu es toujours pressé d’apporter la chair.

Alors ! On a ça en quantité industrielle, Fax et moi, on se charge de ça. Ce n’est pas l’usine que vous avez chez vous !

Toi aussi Moudjahidine ! Usine là c’est petit, donc c’est le poulailler qu’on a chez nous là que tu négliges !

Moi je vais sonner84 des casseroles chez moi.

Encore toi-même ! Jack le pro du sonnage.85

Les gars, moi c’est la dure chez moi. J’apporte juste le goût.86

76 Jean-René Ovono Mendame, idem, pp. 161-163.

77 Ferdinand Allogho-Oké, Biboubouah : chroniques équatoriales suivi de Bourrasque sur Mitzic, Paris,

L’Harmattan, 1985, 160 p.

78 Ferdinand Allogho-Oké, Op. cit, p. 24. 79 Ibidem, p. 77.

80 Toli bangando : Langage des jeunes de la rue. Issu d’un mélange d’emprunts à des langues étrangères, de

créations et de dérivations d’autres mots.

81 Jerry Rawilde, Une vie de toli, Paris, La Doxa, 2015, 102 p. 82 Retrouvailles entre amis autour d’un repas.

83 Viande. 84 Voler. 85 Vol.

Ah ! Colonel seulement le goût ? Toi aussi ! Hum ! Le TH tu apportes quoi ?

Moi, j’apporte le water. En plus, on n’est pas loin du robinet d’eau. Bon, qu’est-ce qui manque ?

Odzo’o, toi tu demandes ça, tu apportes quoi toi-même ? Ooooh ! Moi c’est le cuisinier, donc j’apporte mes techniques. Hum ! Tous les jours la même chose !

Bon ! Je vais aller sonner le riz chez le Lica.87

Il ne faut pas te faire vampsna88 hein Kelly !!!89

La langue mésolectale, la langue française gabonisée, est ainsi le fruit de la capacité de créativité lexicale par une population qui maîtrise déjà dès le départ la langue française standard et qui se la réapproprie. L’on y voit des particularismes lexématiques, sémantiques, grammaticaux, morphosyntaxiques et stylistiques.

1.1.1.3 La Langue basilectale

La langue basilectale est la variété la plus basse de la langue. Elle est sujette à des fautes d’orthographe et de syntaxe si l’on se réfère à la norme instaurée par l’Académie française. Cette variété, étant généralement produite par des peuples urbains peu lettrés, est très souvent utilisée en cas d’hypercorrection laquelle traduit une forme d’insécurité linguistique.

Louis-Jean Calvet, linguiste français, l’un des représentants les plus connus de la sociolinguistique française dont il est l’un des fondateurs, constate à ce sujet :

On parle de sécurité linguistique lorsque, pour des raisons variées, les locuteurs ne se sentent pas mis en question dans leur façon de parler, lorsqu’ils considèrent leur norme comme la norme. À l’inverse, il y a insécurité linguistique lorsque les locuteurs considèrent leur façon de parler comme peu valorisante et ont en tête un autre modèle, plus prestigieux, mais qu’ils ne le pratiquent pas.90

De là découle l’hypercorrection, qui est l’expression du sentiment du peu de maîtrise qu’on a de la langue. Samson-Legault et Henrichon s’expriment à ce sujet :

Au sens le plus strict, c’est penser éviter une faute en en créant une. Dans l’imitation d’un modèle de prestige, c’est « d’en rajouter ». On fait de l’hypercorrection quand on se force à bien parler ou à bien écrire, à l’oral ou à l’écrit. Et très souvent justement dans le passage laborieux de l’oral à l’écrit.91

87 Boutiquier.

88 Surprendre.

89 Jerry Rawilde, Idem, pp. 24-25.

90 Louis-Jean Calvet, La Sociolinguistique, 4e édition, Paris, PUF, 2002, p. 51.

91 Daniel Samson-Legault et Marie Henrichon, « L’Insécurité linguistique au Québec », Recto Verso, mars-avril

Au Gabon, le phénomène d’hypercorrection est présent, une revue l’a notamment analysé : La fraction intellectuelle, pour s’en démarquer, verse dans une hypercorrection linguistique qualifiée de « gros français ». L’ancien Premier ministre Jean-François Ntoutoume Emane, à qui l’on attribue des expressions comme « le progressisme démocratique et concerté » ou encore « la rénovation rénovée », incarne assez bien cette fraction au pouvoir.92

On voit bien ici que l’hypercorrection est une réalisation linguistique « fautive » qui résulte tant de l’ignorance spontanée de la règle que d’un excès de zèle menant à la volonté d’opter pour la gromologie93. Peggy Lucie Auleley94 en montre un exemple dans son roman :

Celui qu’on appelait Mouila moi je l’appelai « Blanc-cassé ». […] Ce qui m’amusait chez lui ? Son parler dans lequel il incrustait de nombreuses négations et des répétitions de mots. J’aimai à l’entendre brailler à bouche haute : « Tu n’auras pas rien. Maintenant je vais te dire maintenant ». Mais encore, il se révélait un dictionnaire de fautes, excellant dans les ellipses, dans les pataquès, dans les omissions, dans les pléonasmes. Pire, il commettait de nombreuses confusions de mots. « ATTENTION » devenait « ENTTENTION ». Imaginez le reste. (pp. 84-85)

La langue basilectale, dans les romans d’auteurs gabonais, est très souvent l’œuvre de personnages déscolarisés, ayant un très faible niveau scolaire ou atteint d’un excès de zèle. Janis Otsiémi ne manque pas d’en intégrer dans son œuvre pour signaler ce phénomène très présent dans sa société d’appartenance.

1.1.2 Les Variations linguistiques

La langue française est un produit social. Dans chaque société, des individus s’expriment d’une certaine manière selon un certain contexte. Une langue n’est ainsi jamais figée. Les locuteurs appartenant à une même communauté n’ont pas toujours les mêmes usages linguistiques.

William Labov, père de l’approche variationnelle en sociolinguistique ayant travaillé sur la dialectologie sociale, a démontré que ce qui détermine la variation dans la langue est extérieur à la langue. Ferdinand de Saussure95, dans son Cours de linguistique générale,

92 Placide Ondo, « Le « kongossa » politique ou la passion de la rumeur à Libreville. Un mode de participation