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REVUE DE LITTÉRATURE

3 La modélisation pharmacocinétique comme outil d’analyse et de prédiction

3.6 Utilisation des modèles PK pour caractériser l’absorption orale des xénobiotiques

En pharmacocinétique, la phase d’absorption est caractérisée par la constante de vitesse ‘ka’ qui reflète la vitesse à laquelle le principe actif passe de la lumière intestinale à la circulation systémique, en passant par la veine porte hépatique. Bien que ‘ka’ soit généralement ajusté aux données plasmatiques à l’aide un processus d’ordre un (Staats, Fisher et al. 1991; Suttle, Pollack et al. 1992; Higaki, Yamashita et al. 2001), l’absorption intestinale peut aussi être représentée par un processus d’ordre zéro, de type Michaelis-Menten, ou un processus séquentiel d’ordre zéro et d’ordre un (Holford, Ambros et al. 1992). Certains modèles ont été utilisés à des fins de caractérisation de l’absorption de principes actifs qui présentaient des doubles pics dans leur profil plasmatique (Higaki, Yamashita et al. 2001; Yin, Tomlinson et al. 2003). Cependant, cet ajustement tend à ignorer la mécanistique physiologique du processus d’absorption, et à en restreindre la compréhension.

L’absorption orale des médicaments est un processus très complexe impliquant de nombreux facteurs physicochimiques, physiologiques, ainsi que des facteurs reliés à la formulation du médicament affectant à la fois la quantité absorbée et la vitesse d’absorption (Gibaldi.,1991). De nombreuses recherches ont été effectuées pour intégrer les connaissances physiologiques, biochimiques, et physiques à la modélisation de l’absorption intestinale. On distingue trois catégories d’approches de modélisation de l’absorption intestinale (Yu, Lipka et al. 1996).

3.6.1 Degré d’ionisation

La première approche repose sur le calcul du degré d’ionisation (pH partitioning) et du potentiel d’absorption (Absorption Potential, AP) développé par Dressman (Dressman, Amidon et al. 1985). Cette dernière ne se base pas uniquement sur le degré d’ionisation du principe actif, mais prend en compte aussi sa solubilité, son coefficient de partage, et la dose administrée. Ces méthodes sont indépendantes des variables spatio-temporelles. Elles sont utilisées comme première estimation de la quantité de principe actif absorbée (Macheras and Symillides 1989).

3.6.2 Bilans de masse macroscopiques ou microscopiques

Cette deuxième catégorie regroupe des modèles d’absorption intestinale (Macroscopic

Mass Balance Approach and Microscopic Mass Balance Approach) développés à l’état

d’équilibre. Ces modèles intègrent la composante spatiale dans l’estimation de la faction absorbée. En effet, le tractus intestinal est représenté comme un cylindre de rayon R, de longueur L et de surface d’échange 2πRL. Un bilan de masse est effectué pour caractériser l’absorption du principe actif à travers la membrane intestinale, en utilisant la perméabilité effective du principe actif, et la solubilité du principe actif, et ce, à différentes échelles. L’approche macroscopique est plus simple à réaliser et donne des résultats similaires à ceux des modèles microscopiques pour les composés fortement solubles. D’abord développée par Amidon et al (Amidon et al, 1988), l’approche macroscopique a ensuite été complétée pour prendre en compte l’effet de la solubilité du médicament (Sinko, Leesman et al. 1991), et de la dégradation intestinale enzymatique et chimique (Sinko, Leesman et al. 1993). Willmann et coll ont récemment proposé une

approche de modélisation continue de l’absorption intestinale des composés neutres, acides ou basiques (Willmann, Schmitt et al. 2003; Willmann, Schmitt et al. 2004). Ce modèle tient compte des effets du changement de pH, de diamètre, de surface d’échange effective dans la lumière intestinale ainsi que de l’effet de la solubilité et de la perméabilité des composés sur la fraction de médicament absorbée. Leur approche permet d’illustrer au moyen de diagrammes, la relation entre la fraction absorbée et la perméabilité ou la solubilité des composés. Cette approche basée principalement sur l’hypothèse de diffusion passive des composés à travers la membrane épithéliale intestinale doit être ajustée en conséquence si le xénobiotique s’avère être un substrat de transporteurs d’efflux ou d’influx intestinaux.

3.6.3 Modèles dynamiques

Les modèles dynamiques forment la troisième catégorie des approches de modélisation de l’absorption intestinale. Ils s’avèrent plus complets que les deux approches précédentes puisqu’ils prennent en compte les variables spatio-temporelles impliquées dans le processus d’absorption. Ainsi, il est possible d’estimer à la fois la fraction absorbée et la vitesse d’absorption. Fait intéressant, ils peuvent être reliés à un modèle pharmacocinétique pour estimer l’évolution temporelle des concentrations plasmatiques. Les modèles dynamiques comprennent les modèles de dispersion, de réacteur mélangé, et les modèles d’absorption et de transit (Compartmental Absorption Transit model, CAT

model; Advanced Compartmental Absorption Transit model, ACAT).

Souvent utilisés en ingénierie, les modèles de dispersion furent les premiers modèles dynamiques appliqués à la caractérisation et la prédiction de l’absorption intestinale. L’hypothèse sous-jacente est que le principe actif se déplace longitudinalement dans la lumière intestinale représentée par un tube uniforme, et selon une vélocité axiale constante, une dispersion constante et un profil de concentration radial constant. L’équation différentielle caractérisant le processus de dispersion implique des dérivées partielles première et seconde (δC/ δt, δC/ δz et δ2C/ δz2). Bien qu’il existe une solution

analytique pour des cas simples, cette équation se résout de manière numérique par des méthodes de discrétisation spatio-temporelle.

Le deuxième type de modèles dynamiques, initialement proposé par Goodacre et Murray (Goodacre and Murray 1981) est le modèle à réacteur mélangé (mixing tank model) qui représente le tractus intestinal à partir d’un ou de plusieurs compartiments connectés en série selon une cinétique de transfert inter-compartimentale linéaire. Goodacre et Murray ont exprimé la vitesse d’absorption en termes de résistance de transfert de matière dans la phase aqueuse entourant les particules de principe actif, et dans la phase lipidique de la membrane intestinale. Cependant, leur modèle est axé sur l’aspect physique du phénomène d’absorption, et les facteurs physiologiques, biochimiques ont été ignorés. Par la suite, le concept de mixing tank model a été repris et modifié par d’autres auteurs et appliqué à des principes actifs peu solubles (Dressman and Fleisher 1986), ou présentant des doubles pics d’absorption (Oberle and Amidon 1987). Bien que cette méthode soit simple et intuitive, elle ne présente pas de base physiologique suffisamment solide pour être reliée à une quelconque partie de l’intestin grêle. En effet, les études effectuées avec cette méthode s’avèrent inconsistantes quant au nombre de compartiments utilisés pour représenter l’absorption intestinale (Dressman and Fleisher 1986; Oberle and Amidon 1987; Staats, Fisher et al. 1991). Sachant que le nombre de compartiments affecte le résultat de la simulation d’absorption et de transit intestinal, il était important de déterminer ce nombre pour donner une signification physiologique à cette approche tout en ayant une bonne capacité de prédiction du temps de transit intestinal et de l’absorption intestinale. Yu et al ont développé un modèle de transit compartimental (Compartmental Transit Model) à partir duquel ils ont pu déterminer que sept compartiments étaient nécessaires pour reproduire le temps de transit intestinal moyen dans le cas d’une molécule non absorbable et non dégradable dans la lumière intestinale (Yu, Crison et al. 1996). Ces compartiments peuvent être reliés à la physiologie de l’intestin grêle puisque la première moitié du 1er compartiment représente le duodénum, la deuxième moitié du 1er compartiment ainsi que le 2eme et le 3eme compartiment représentent le jéjunum, et le reste représente l’iléum. Par la suite, ces auteurs ont complété leur approche en considérant le mécanisme d’absorption intestinale, et ont proposé le model CAT (Compartmental Absorption Transit model) qui fait partie de la troisième catégorie de modèles dynamiques. Cependant, le modèle CAT surestime la fraction absorbée pour des principes actifs ayant de fortes éliminations

présystémiques intestinales, puisqu’il ignore les enzymes de métabolisme intestinal (Agoram, Woltosz et al. 2001).

Un modèle avancé, l’ACAT (Advanced CAT model) pallie cette faiblesse, en décrivant non seulement le transit intestinal et l’absorption du principe actif, mais aussi le relargage depuis sa forme pharmaceutique, sa dissolution, sa dégradation luminale, et son métabolisme. Le modèle ACAT considère différents états physiques du principe actif (solide, dissout, non-dissout, ionisé, dégradé, métabolisé, absorbé) et requiert 8 compartiments (7 pour l’intestin grêle + 1 pour le colon) pour représenter la forme solide, 8 autres pour la forme relarguée, et 8 autres pour la forme absorbée. La Figure 3. 10 illustre l’évolution des modèles dynamiques depuis le premier ‘mixing tank’ jusqu’au modèle ACAT. Ce dernier, par son côté mécanistique, se rapproche beaucoup de la réalité physiologique et est intégré dans la modélisation PBPK via les logiciels PKsim® et Gastro-plus™ (Simulations Plus). D’autres modèles mécanistiques, tels que STELLA® (Grass 1997), IDEA™ (LION Biosciences) ou GITA (Kimura and Higaki 2002) ont aussi été proposés mais n’ont pas eu de retentissement comparable à celui de l’ACAT.

Les modèles PBPK-ACAT ont été utilisés pour étudier l’effet de la prise d’un repas (Jones, Parrott et al. 2006), ou de l’altération du temps de vidange gastrique causée par certains médicaments (Peters and Hultin 2008) sur le profil d’absorption de principes actifs. Peters a aussi illustré l’utilité du modèle PBPK-ACAT pour identifier des mécanismes non-considérés initialement dans la PK orale d’un principe actif, comme l’implication potentielle de transports actifs, de mécanismes de saturation, de métabolisme extra-hépatique, de délai de vidange gastrique, etc (Peters 2008). Les processus non-linéaires de métabolisme intestinal et de transport d’influx et d’efflux, ainsi que l’effet des aliments, ont été incorporé dans le modèle ACAT, en ajustant des données plasmatiques (Agoram, Woltosz et al. 2001).

Figure 3. 10. Illustration de l'évolution des modèles dynamiques compartimentaux d'absorption

intestinale.

Très récemment, les processus de transport actif et de métabolisme intestinal ont été intégré dans un modèle de type CAT pour modéliser l’absorption intestinale de substrats de CYP3A et de P-gp (Badhan, Penny et al. 2008). Pour ce faire, les auteurs ont considéré la distribution longitudinale des CYP3A et des P-gp dans les enterocytes jumelée à l’activité métabolique des CYP3A et la vitesse d’efflux des P-gp. Ces activités furent estimées à partir des données in vitro de clairance intrinsèque microsomale et de ratio d’efflux des P-gp (ratio de PappAB et PappBA). Ce modèle reste à être intégré dans

un modèle PBPK complet pour valider la façon dont leur approche d’absorption intestinale se reflète sur le profil de concentration plasmatique.

3.7 Utilisation des modèles PK dans les études d’interactions médicamenteuses