Chapitre 1. Les mécanismes de maintien en mémoire de travail
3.4 Preuves de l’implication de différents processus de maintien en MDT
3.4.4 Utilisation conjointe de la répétition et du rafraîchissement
Chen et Cowan (2009) ont formulé l’hypothèse d’un maintien de l’information
verbale par un mécanisme général et par un mécanisme spécifique qui fonctionneraient
en parallèle. Oberauer et Lewandowsky (2008), à l’aide d’un paradigme d’empan
complexe, ont observé que le rappel de lettres était moins efficace lorsque le traitement
impliquait conjointement une tâche de suppression articulatoire (répéter “ super ”) et
une tâche de jugement coûteuse en attention, que lorsque le traitement impliquait
uniquement la tâche de suppression articulatoire. De plus, les performances de rappel
étaient plus faibles dans le paradigme d’empan complexe avec la tâche de suppression
articulatoire que dans un paradigme de rappel immédiat. Ces résultats indiquent que le
rappel était affecté par la suppression articulatoire et ils indiquent que l’effet d’un
traitement coûteux en attention s’ajoutait à l’effet de la suppression articulatoire. Ceci
laisserait supposer que la répétition et le rafraîchissement sont utilisés conjointement.
Camos et al. (2009) ont testé l’hypothèse de l’additivité du rafraîchissement et de
la répétition en manipulant orthogonalement leur disponibilité dans un même
paradigme d’empan complexe. Les participants avaient pour consigne de retenir des
lettres pendant la réalisation d’une tâche concurrente. Les auteurs ont manipulé la
disponibilité du rafraîchissement en proposant soit une tâche de détection de stimuli
peu coûteuse en ressources attentionnelles, soit une tâche de jugement de parité
coûteuse en ressources attentionnelles. La disponibilité de la répétition a été manipulée
en demandant aux participants de réaliser les deux tâches soit manuellement (i.e.,
appuyer sur une touche), soit oralement (i.e., donner la réponse à haute voix). La
modalité de réponse orale avait pour but de créer de la suppression articulatoire. Enfin,
les auteurs ont manipulé la possibilité d’utiliser le rafraîchissement et la répétition en
faisant varier le rythme du traitement dans les deux tâches. Pour cela, pour un délai
constant, le nombre de stimuli à traiter était de quatre pour le rythme lent et de huit
pour le rythme rapide. Le rythme rapide avait pour but de réduire les opportunités de
rafraîchissement et de répétition des lettres. En désaccord avec l’hypothèse
d’indépendance et d’additivité du rafraîchissement et de la répétition, les résultats ont
montré que la suppression articulatoire et le coût attentionnel interagissaient dans des
directions opposées suivant le rythme de traitement. Ainsi, avec un rythme lent, leurs
effets étaient sur‐additifs, c'est‐à‐dire que le rappel des lettres était beaucoup plus
affecté par la suppression articulatoire pour la tâche de jugement de parité que pour la
tâche de détection. En revanche, avec le rythme rapide, les effets de suppression
articulatoire et de coût attentionnel étaient sous‐additifs, c'est‐à‐dire que le rappel des
lettres était beaucoup plus affecté par la suppression articulatoire pour la tâche de
détection que pour la tâche de jugement de parité. Toutefois, d’après Camos et al.
(2009), ces résultats pourraient être biaisés, notamment par l’emploi de stimuli
différents à traiter et à articuler dans les tâches de détection et de jugement de parité.
Dans une seconde expérience, les auteurs ont donc harmonisé les stimuli en
présentant des séries de chiffres pour lesquelles les participants devaient soit détecter le
chiffre “ 5 ”, soit vérifier si la somme de deux chiffres était égale au troisième chiffre. La
tâche de vérification était considérée comme étant plus coûteuse en ressources
attentionnelles que la tâche de détection. Cette fois‐ci, la disponibilité de la répétition a
été manipulée en demandant aux participants de lire les chiffres soit silencieusement,
soit oralement pour produire de la suppression articulatoire. L’opportunité d’utiliser le
rafraîchissement et la répétition a également été manipulée en faisant varier le rythme
d’apparition des chiffres à traiter. Les résultats de cette seconde expérience n’ont pas
révélé d’interaction entre la suppression articulatoire et le coût attentionnel quel que
soit le rythme de traitement. Le rappel des lettres était affecté par la suppression
articulatoire de la même manière pour les tâches de détection et de vérification. De plus,
les effets de suppression articulatoire et de coût attentionnel étaient additifs, les
performances de rappel étant plus affectées lorsque la répétition et le rafraîchissement
étaient tous les deux indisponibles que lorsque seul l’un des deux était indisponible.
D’après Camos et al. (2009), bien que les résultats de la première expérience
semblent refléter la présence de biais expérimentaux, les résultats de la seconde
semblent aller dans le sens de l’hypothèse d’indépendance et d’additivité du
rafraîchissement et de la répétition proposée dans le modèle TBRS étendu. Camos et al
(2009) concluent que la répétition et le rafraîchissement sont deux mécanismes
différents qui travaillent ensemble pour le maintien de matériel verbal en MDT. Ils
proposent alors que la répétition et le rafraîchissement pourraient opérer de façon
conjointe sur les mêmes traces mémorielles. Ceci impliquerait que les traces
mémorielles soient multimodales (i.e., phonologiques, orthographiques, visuelles,
spatiales et sémantiques). Ces représentations multimodales seraient alors stockées
dans un système unique et multimodal plutôt que dans des systèmes distincts et
spécifiques à une modalité comme dans le modèle à Composantes Multiples de Baddeley
(2000). Pour Baddeley (2000), l’information verbale serait stockée sous forme
phonologique et maintenue par répétition subvocale dans le stock phonologique, mais
elle serait également stockée sous forme multimodale et maintenue par focalisation
attentionnelle dans le buffer épisodique. D’après Camos et al. (2009), cette conception
permettrait d’expliquer l’indépendance de la répétition et du rafraîchissement observée
dans leurs études, mais elle manquerait de parcimonie pour expliquer l’utilisation
conjointe des deux mécanismes. En effet, la mise en œuvre conjointe des deux
mécanismes impliquerait que l’information soit représentée simultanément dans le
stock phonologique et dans le buffer épisodique. Par contre, d’après Camos et al. (2009),
l’implication conjointe des deux mécanismes. En effet, d’après ce modèle, l’activation
d’une même trace mémorielle serait maintenue à la fois par un processus attentionnel
général et par un processus phonologique spécifique.
Dans le document
Les mécanismes de maintien de l'information verbale en mémoire de travail
(Page 56-59)