Chapitre 1. Les mécanismes de maintien en mémoire de travail
2.3 Preuves de l’implication du rafraîchissement attentionnel en MDT
Figure 1.5 : Exemple d’une tâche d’empan de lecture de chiffres employée par
Barrouillet et al. (2004) dans laquelle le traitement consistait à lire une série de
chiffres qui apparaissait entre les lettres à mémoriser.
2.3Preuves de l’implication du rafraîchissement attentionnel en MDT
Barrouillet et collaborateurs ont apporté de nombreuses preuves empiriques
pour étayer leur modèle de Partage Temporel des Ressources (e.g., Barrouillet & Camos,
2001 ; Barrouillet et al. 2004, 2007 ; Gavens & Barrouillet, 2004 ; Lepine, Bernardin &
Barrouillet, 2005 ; Portrat, Barrouillet & Camos, 2008). Pour cela, ils ont réalisé
plusieurs études dans lesquelles ils faisaient varier le rythme ou la difficulté du
traitement dans des paradigmes d’empan complexe.
Manipulation du rythme du traitement
Barrouillet et al. (2004) ont manipulé le rythme du traitement pour une tâche
d’empan de lecture de chiffres. Ils ont demandé aux participants de mémoriser une série
de consonnes présentées successivement et de lire à haute voix la série de chiffres qui
apparaissait après chaque consonne (Figure 1.5). Les auteurs ont manipulé le rythme du
traitement en faisant varier soit le nombre de chiffres à lire après chaque consonne en
maintenant la durée du traitement constante (Expérience 4 ‐ conditions a et b de la
Figure 1.5), soit en faisant varier la durée du traitement en maintenant le nombre de
chiffres à lire constant (Expérience 5 ‐ conditions a et c de la Figure 1.5). Dans
l’Expérience 4, le rappel des consonnes était meilleur lorsque le traitement comportait 6
chiffres plutôt que 10 chiffres. Dans l’Expérience 5, le rappel était meilleur lorsque la
durée du traitement était longue (1000 ms par chiffre) que lorsque la durée du
traitement était courte (600 ms par chiffre). Ces résultats ont permis de mettre en
évidence que les performances de rappel n’étaient pas dépendantes uniquement de la
durée totale du traitement, comme le suggéraient Towse et Hitch (1995), ou du nombre
d’items à traiter, mais plutôt de la combinaison de ces deux facteurs. Les résultats
observés par Barrouillet et al. (2004) allaient dans le sens du concept de partage de
ressource et à l’encontre de ce qui avait été montré par Towse et Hitch (1995), et Towse,
Hitch et Hutton (1998, 2000). En effet, ces auteurs avaient montré que les performances
de rappel chez l’enfant et l’adulte ne dépendaient pas de la quantité d’attention capturée
par le traitement, mais plutôt de la durée du traitement, rendant ainsi l’idée d’une
capacité de partage de ressource limitée superflue (Towse & Houston‐Price, 2001).
Cependant, Barrouillet et Camos (2001), Barrouillet et al. (2004), puis Gavens et
Barrouillet (2004) ont montré qu’augmenter la durée du traitement ne provoquait pas
nécessairement des performances de rappel moins élevées. Les performances étaient
même meilleures comparées à une condition pour laquelle la durée de traitement était
plus courte, comme nous l’avons vu plus haut (Expérience 5, Barrouillet et al., 2007).
Barrouillet et al. (2004) concluent, en accord avec ce qui avait été proposé par Towse et
Hitch (1995), que la durée de traitement joue un rôle important sur les performances de
rappel, mais que la notion de partage de ressource est également nécessaire pour
expliquer les performances mémorielles. Ceci est également illustré par le fait que la
manipulation de la demande attentionnelle du traitement concurrent affecte les
performances mémorielles.
Manipulation de la demande attentionnelle du traitement
Selon Barrouillet et al. (2007), toute activité cognitive concurrente n’a pas
nécessairement un impact sur le maintien. Les auteurs ont donc manipulé la difficulté du
traitement concurrent dans un paradigme d’empan complexe. Ainsi, les participants
avaient pour consigne de mémoriser des séries de consonnes et d’effectuer le traitement
qui suivait la présentation de chaque consonne. Deux types de traitement étaient
proposés : une tâche de détection ou une tâche de localisation. La tâche de détection
consistait à appuyer sur une touche aussitôt qu’un point apparaissait à l’écran, alors que
la tâche de localisation consistait à appuyer sur la touche correspondant à la position
d’un point apparaissant au‐dessus ou au‐dessous de la ligne horizontale d’un écran
d’ordinateur. Pour manipuler le rythme du traitement, les auteurs faisaient varier le
nombre de points présentés successivement après chaque consonne tout en maintenant
la durée de l’épisode de traitement constante. Les résultats ont révélé une baisse
constante des performances de rappel lors de l’augmentation du nombre de traitement,
uniquement pour la tâche de localisation. Selon les auteurs, la différence entre les deux
tâches de traitement résiderait dans l’implication d’un processus de sélection de
réponse coûteux en ressources attentionnelles. Ainsi, comme la tâche de localisation
était coûteuse en attention, plus le nombre d’items à traiter augmentait moins l’attention
était disponible pour maintenir les traces en mémoire. Par contre comme la tâche de
détection n’était pas coûteuse en attention, les ressources attentionnelles restaient
disponibles pour le maintien quel que soit le nombre d’items à traiter. Barrouillet et al.
(2007) concluent donc que ce n’est pas la durée de l’activité de traitement qui importe,
mais la proportion de temps durant lequel l’attention est capturée et les processus
centraux occupés.
Pour résumer, nous avons présenté deux modèles de MDT, le modèle de
Processus Emboîtés de Cowan (1999) et le modèle TBRS de Barrouillet et al. (2007). Ces
deux modèles postulent l’existence d’un pool de ressources limité, l’attention, et d’un
mécanisme de maintien général, le rafraîchissement attentionnel. Selon Cowan (1999)
ou Barrouillet et al. (2007), le rafraîchissement attentionnel opérerait sur n’importe
quelles traces mémorielles, que celles‐ci soient verbales, visuelles, spatiales ou de toute
autre forme. Néanmoins, cette conception n’est pas en mesure de rendre compte ou
d’expliquer certains effets, comme les effets associés à la boucle phonologique (e.g., effet
de similarité phonologique). Nous allons présenter trois modèles qui supposent à la fois
l’implication d’un mécanisme général et de mécanismes spécifiques pour le maintien de
l’information en MDT.
3 Un mécanisme de maintien général et un mécanisme de
maintien spécifique
Nous avons vu que deux conceptions de la MDT s’opposent. La première conçoit
la MDT sous forme de systèmes distincts et spécifiques. Ces systèmes sont dotés de
processus de stockage et de maintien spécifiques aux propriétés des items à retenir et
ont chacun à leur disposition leur propre pool de ressources. La seconde conçoit la MDT
sous forme d’un processus unique et général permettant de conserver l’activation des
traces mémorielles des items à retenir indépendamment du domaine auquel elles
appartiennent. Nous allons maintenant présenter trois modèles de MDT qui considèrent
ces deux conceptions comme étant complémentaires dans le sens où l’information serait
maintenue en MDT à la fois par un processus spécifique et par un processus général. Le
premier modèle est une adaptation du modèle à Composantes Multiples proposé par
Baddeley (2000), le second est le modèle d’Attention Contrôlée proposé par Engle et al.
(1999) et le troisième est une version étendue du modèle TBRS proposé par Camos et al.
(2009). Après avoir présenté ces trois modèles nous verrons quelles sont les preuves en
faveur d’un maintien à la fois spécifique et général, puis nous verrons comment nous
avons testé les idées proposées dans le modèle TBRS étendu.
Dans le document
Les mécanismes de maintien de l'information verbale en mémoire de travail
(Page 45-48)