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1) L’ardeur de Voltaire

Dans cette section, nous allons examiner les idées de Voltaire qui s’attache à

l’unité d’action dans la tragédie. Mais il s’agira d’abord des théories des auteurs

classiques sur cette règle. Nous voulons les saisir autour de celle de Corneille qui a

1

Corneille fait mention des relations entre l’Œdipe de Sophocle et la galanterie : « Je reconnus […]

qu’enfin l’amour n’ayant point de part en cette tragédie, elle était dénuée des principaux agréments qui

provoqué La Querelle du Cid avec Scudéry et Chapelain. Ensuite, nous regarderons

l’attachement ardent de notre poète pour l’unité d’action. Cette recherche nous

conduira à comprendre combien Voltaire considérait cette règle comme la contrainte caractéristique la plus importante de la tragédie grecque. En même temps, bien que

notre poète assimile souvent l’unité d’action à la simplicité dans la pièce des Grecs, il prônera toujours l’importance de leurs règles.

a) L’unité d’action et le classicisme

Afin que nous saisissions combien Voltaire était attaché à l’unité d’action, nous observerons d’abord les définitions des autres auteurs sur cette règle. Aristote prétend que, si un auteur veut joindre un sujet à un autre dans sa pièce, il doit approfondir les

relations des intrigues entre elles. Selon ce philosophe grec, quand un épisode est enlevé d’une pièce, si le contenu ne s’effondre pas, c’est la preuve que chacun n’a aucun rapport et que son existence est inutile1. Ces exemples s’appliquent justement à

l’Œdipe de Voltaire et de Corneille. Horace aussi explique l’importance d’unité d’action en indiquant les relations d’un cyprès avec la peinture d’un naufrage ainsi que

celles d’une amphore avec une cruche2. Quant aux opinions des auteurs français sur cette règle, en comparant la tragédie à la peinture, l’abbé d’Aubignac dit qu’il est

possible d’insérer plusieurs actions dans une tragédie comme dans la peinture. Mais il

ajoute que quand des auteurs dessinent la vie d’un mortel, il est naturel qu’il a beaucoup de passés qui ont élevé son existence jusqu’ici, il faut donc extraire le foyer capital3.

Avant tout, quand La Querelle du Cid a eu lieu en 1637, le problème de l’unité

d’action aussi a été traité comme l’objet de la critique. G. de Scudéry insiste sur l’importance des relations intimes entre la tragédie et cette règle, en disant clairement

1

Aristote, La Poétique, éd. et trad. R. Dupont-Roc et J. Lallot, Paris, Seuil, 1980, chap. 8, v. 1451a31-

1451a35. De plus, ce philosophe définit le tragique et le comique sous l’aspect de l’unité d’action : « ce

[la structure double] n’est pas là le plaisir que doit donner la tragédie, c’est plutôt le plaisir propre de la comédie » (chap. 13, 1453a35-1453a36).

2

Horace, Art poétique, in Épîtres, éd. et trad. F. Villeneuve, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Collection des Université de France », 2002, v. 19-23.

3

D’Aubignac, La Pratique du théâtre, éd. H. Baby, Paris, Honoré Champion, 2001, liv. Ier, chap. VI, p. 77 ; liv. IIe, chap. III, p. 137-138.

que la tragédie ne doit avoir qu’une action1. Chapelain, qui était l’arbitrage de la controverse entre Corneille et Scudéry, prétend que l’auteur du Cid y a introduit trop

d’épisodes à cause de son incapacité à écrire une pièce d’un seul sujet2

. Au contraire, quoique Corneille reconnaisse qu’il a inséré bien des événements dans sa pièce, il impute les critiques dirigées contre lui à la règle d’unité de temps. Il s’explique :

Je ne puis dénier que la règle des vingt et quatre heures presse trop les incidents de cette Pièce. […] mais il n’en va pas ainsi du combat de Don Sanche [à la différence du temps avoisinant entre la mort du comte et l’arrivée des Maures], dont le Roi était le maître, et pouvait lui choisir un autre temps que deux heures après la fuite des Maures. Leur défaite avait assez fatigué Rodrigue toute la nuit pour mériter deux ou trois jours de repos, et même il y avait quelque apparence qu’il n’en était pas échappé sans blessures. (P. Corneille, t. I [1980],

Le Cid, « Examen », p. 703-704).

1

G. de Scudéry, Observations sur Le Cid, in P. Corneille, Œuvres complètes, t. I, op. cit., p. 784. Au sujet de cette discussion, Voltaire mentionne ironiquement ces deux critiques en citant Boileau (Épîtres, VII, 43-45) : « Boileau disait à Racine :¶ Cesse de t’étonner si l’envie animée, / Attachant à ton nom sa

rouille envenimée, / La calomnie en main quelquefois te poursuit. ¶ Scudéry et l’abbé d’Aubignac

calomniaient Corneille. » (Lettres sur Œdipe, « 1ère lettre », OC, t. 1A, p. 385 [variant de 1719]). Mais,

en 1730 notre auteur blâme surtout d’Aubignac en défendant Corneille : « Je suis persuadé que tous ces raisonnements délicats, tant rebattus depuis quelques années, ne valent pas une scène de génie, et qu’il y

a bien plus à apprendre dans Polyeucte et dans Cinna, que dans tous les préceptes de l’abbé

d’Aubignac. » (Œdipe, « Préface », OC, t. 1A, p. 261). Quarante ans plus tard aussi, Voltaire compare d’Aubignac avec Corneille en méprisant ce théoricien dans les deux textes : « L’abbé d’Aubignac, qui comme prédicateur du roi se croyait l’homme le plus éloquent du royaume, et qui pour avoir lu la

Poétique d’Aristote, pensait être le maître de Corneille, fit une tragédie en prose, dont la représentation

ne put être achevée, et que jamais personne n’a lue. » ; « Vous pouvez voir dans ce commentaire que l’abbé d’Aubignac, prédicateur ordinaire de la cour qui croyait avoir fait une Pratique de théâtre, et une

tragédie, appelait Corneille Mascarille, et le traitait comme le plus méprisable des hommes. Il se mettait contre lui à la tête de toute la canaille de la littérature. » (Questions sur l’Encyclopédie, art. « Art

dramatique », OC, t. 39, p. 80 : Les Lois de Minos, « Épître dédicatoire au duc de Richelieu », OC, t. 73, p. 76). Et Voltaire résume très simplement la vie d’Aubignac : « Attaché au cardinal de Richelieu, il était l’ennemi de Corneille. Sa Pratique du théâtre est peu lue ; il prouva par sa tragédie de Zénobie que les connaissances ne donnent pas les talents. » (Le Siècle de Louis XIV, « Catalogue de la plupart des

écrivains français », art. « Aubignac (François d’) », GH, p. 1135). Cependant, après que H. Lion a

énuméré les traits caractéristiques de la tragédie voltairienne, ce critique met en doute l’attitude de notre poète, qui critiquait sévèrement d’Aubignac et il s’exprime : « Mais quoi, Voltaire ne s’est-il pas déjà suffisamment écarté de cette poétique, peu dissemblable d’ailleurs de celle d’un d’Aubignac ? N’a-t-il pas lui-même, soit dans ses préfaces, soit dans ses tragédies, battu en brèche nombre de préceptes énoncés ici avec une candeur tout autoritaire ? Que deviendraient ses propres tragédies, s’il les fallait juger d’après son propre code ? […] En face de ses tragédies, c’est-à-dire en face de la pratique, les choses changent. » (H. Lion, p. 281).

2

J. Chapelain, Les Sentiments de l’Académie Française touchant les observations faites sur la tragi-

comédie du Cid, in Opuscules Critiques, éd A. C. Hunter, Genève, Droz, 2007, p. 291-292. Concernant

le rapport de Chapelain avec La Querelle du Cid, voir G. Collas, Un Poèteprotecteur des lettres au XVIIe

siècle : Jean Chapelain 1595-1674, Paris, Académique Perrin, 1911 ; Genève, Slatkine Reprints, 1970,

Selon l’auteur du Cid, certes il n’est pas étrange que dès que Don Gomès a été tué par

Rodrigue, l’armée maure arrive à Séville, parce que ces deux affaires ne se rattachent

pas l’une à l’autre. Mais il paraît impossible, du double point de vue du temps écoulé et

de la dépense physique requise, qu’après que le fils du Don Diègue a lutté contre les Maures, il ait immédiatement une confrontation avec Don Sanche. Car, Rodrigue est à bout de force à cause du combat. Corneille continue :

Cette même Règle presse aussi trop Chimène de demander justice au Roi la seconde fois. Elle l’avait fait le soir d’auparavant, et n’avait aucun sujet d’y retourner le lendemain matin pour en importuner le Roi […]. Le Roman lui aurait donné sept ou huit jours de patience avant que de l’en presser de nouveau ; mais les vingt et quatre heures ne l’ont pas permis : c’est l’incommodité de la Règle. (p. 704).

Corneille considère l’introduction de plusieurs événements dans le cadre de la contrainte de vingt-quatre heures, mais non pas dans celui d’un sujet unique. C’est-à- dire que, s’il était permis que ces incidents aient lieu pendant une semaine comme dans un roman, ils se disperseraient et les spectateurs ne sentiraient pas qu’il y a beaucoup

d’épisodes. Toutefois, dans le cas de la tragédie, le même nombre d’événements que le

roman semblent d’autant plus nombreux et plus artificiels qu’il existe cette contrainte de vingt-quatre heures. Corneille insiste sur ce point en remplaçant le problème de

l’unité d’action par celui de l’unité de temps. Et l’auteur du Cid définit l’unité d’action dans l’Examen d’Horace :

Le second défaut est, que cette mort [la mort de Camille] fait une action double par le second péril où tombe Horace après être sorti du premier. L’unité de péril d’un Héros dans la Tragédie fait l’unité d’action ; et quand il en est garanti, la pièce est finie, si ce n’est que la sortie même de ce péril l’engage si nécessairement dans un autre, que la liaison et la continuité des deux n’en fasse qu’une action. (P. Corneille, t. I, Horace, « Examen », p. 840).

Il pense que « l’unité d’action » consiste dans « l’unité de péril »1. Même si certaines situations critiques étaient insérées dans la tragédie, si chacune se lie intimement, elles sont réduites en un sujet. De plus, Corneille explique plus concrètement cette règle :

1

Corneille insiste de nouveau sur ces relations entre la tragédie et l’assimilation de l’unité d’action à celle de péril en comparant la comédie : « l’unité d’action consiste, dans la comédie, en l’unité

d’intrigue, ou d’obstacle aux dessins des principaux acteurs, et l’unité de péril dans la tragédie, soit que

son héros y succombe, soit qu’il en sorte. » (P. Corneille, t. III, Les Trois Discours sur le poème

dramatique [désormais Les Trois Discours], « Discours des trois unités », p. 174). À propos de cette

[…] ce mot d’unité d’action ne veut pas dire que la tragédie n’en doive faire qu’une sur le théâtre. […] ces trois parties [un commencement, un milieu et une fin] non seulement sont autant d’actions qui aboutissent à la principale, mais en outre, chacune d’elles en peut contenir plusieurs avec la même subordination. Il n’y doit avoir qu’une action complète […], mais elle ne peut le devenir, que par plusieurs autres imparfaites, qui lui servent d’acheminement, et tiennent cet auditeur dans une agréable suspension. (P. Corneille, t. III, Les Trois Discours, « Discours des trois unités », p. 174-175).

Il semble que, d’après son opinion, Corneille remplace des sujets par « un commencement, un milieu, et une fin » qu’Aristote considère comme des éléments constituants de la tragédie, mais l’auteur du classicisme préconise que si définitivement chaque partie se lie à un ensemble, ce soit par l’unité d’action1. Concernant des autres auteurs français aussi, Rapin tient un sujet pour un but, mais il affirme que tous les sujets se dirigent vers un but et qu’ils doivent avoir des relations étroites (R. Rapin, Les

Réflexions sur la poétique, éd. E. T. Dubois, Genève, Droz, 1970, p. 32-33). Racine

avait déjà conscience de l’importance de l’unité d’action, depuis qu’il avait composé

La Thébaïde, son premier ouvrage :

Ce sujet avait été autrefois traité par Rotrou sous le nom d’Antigone. Mais il faisait mourir les deux Frères dès le commencement de son troisième Acte. Le reste était en quelque sorte le commencement d’une autre Tragédie, où l’on entrait dans des intérêts tout nouveaux. Et il avait réuni en une seule Pièce deux Actions différentes, dont l’une sert de matière aux Phéniciennes d’Euripide, et l’autre à l’Antigone de Sophocle. Je compris que cette duplicité d’Actions avait pu nuire à sa Pièce. (J. Racine, La Thébaïde, « Préface », p. 119).

Racine critique le double sujet de la pièce de Rotrou et accorde une attention

minutieuse à l’unité d’action dès ses débuts. Son jugement s’applique justement aux fautes de l’Œdipe de Voltaire et de Corneille.

Quoique notre auteur ait échoué dans cette pièce, il s’explique au sujet des

relations entre la tragédie et cette règle : « J’assiste à une tragédie, c’est-à-dire, à la

représentation d’une action. Le sujet est nécessairement l’accomplissement de cette

action principale, à laquelle les intérêts divers et les intrigues particulières sont subordonnés, un tout composé de plusieurs parties qui toutes tendent au même but. C’est un bel édifice, dont l’œil embrasse toute la structure, et dont il voit avec plaisir les différents corps. » (Commentaires sur Corneille, « Remarques sur Les Trois Discours : 3e discours », OC, t. 55, p. 1049).

1

À propos des « commencements, milieu, et fin », Aristote s’explique en définissant la tragédie : « Notre thèse est que la tragédie consiste en la représentation d’une action menée jusqu’à son terme, qui forme un tout et a une certaine étendue […]. ¶ Un tout, c’est ce qui a un commencement, un milieu et une fin. » (Aristote, La Poétique, chap. 7, 1450b21-1450b26).

action unique. » (Œdipe, « Préface », OC, t. 1A, p. 266). Pour lui, assister à une

tragédie, c’est regarder un sujet unique. Il souligne son idée dans le même texte : « Je

ne suis point venu à la Comédie pour entendre l’histoire d’un héros, mais pour voir un seul événement de sa vie. » (p. 266). Certes, tant que nous avons considéré son idée

concernant l’unité d’action, il semblait qu’elle ne différât pas des opinions des auteurs précédents. Mais l’attachement de notre poète à l’unité d’action, souvent considérée sous l’aspect de la simplicité, est plus exceptionnel que chez les autres. Unité d’action

et simplicité resteront pour toujours des éléments essentiels de la dramaturgie de Voltaire. Quand il a composé Mérope, il reconnaissait son engouement pour l’unité

d’action : « c’est à cette simplicité, dont j’ai toujours été idolâtre » (Mérope, « Lettre

au marquis Maffei », OC, t. 17, p. 231). Le laconisme du contenu qui ne comporte pas plusieurs épisodes était le but qu’il recherchait continuellement dans la tragédie. Concernant cette pièce il fait mention de celle de Maffei : « M. le marquis Mafey [Maffei] a réussi prodigieusement en Italie avec une pièce simple, familière même quelquefois, sans incidents, sans intrigue1. » Bien que cet ouvrage italien manquât trop

d’épisodes, il a néanmoins pu remporter un triomphe. Voltaire confie sa préférence pour la simplicité de cette pièce de l’auteur italien : « J’avouerai encore que la simplicité de l’ouvrage de M. Mafey [Maffei] m’avait séduit2

». Le grand mérite de

cette pièce consiste dans l’unité d’action qui convient à son goût. Et Voltaire aussi crée

Mérope en prenant la simplicité en considération, mais il la fait avancer de manière

plus extrême dans sa pièce. Notre auteur s’explique dans la même lettre : « j’ai pu

pousser la simplicité jusqu’à la platitude3

». La simplicité normale ne lui suffit pas. À propos de Mérope, Tournemine loue le mérite de Voltaire qui a respecté non seulement la simplicité, mais aussi d’autres éléments importants que la pièce grecque conservait. Ce jésuite dit à Brumoy :

Vous, mon père, qui nous avez donnés en français Euripide, tel qu’il charmait la Grèce, avez reconnu dans la Mérope de notre illustre ami, la simplicité, le naturel, le pathétique d’Euripide. Monsieur de Voltaire a conservé la simplicité du sujet ; il l’a débarrassé non seulement d’épisodes superflus, mais encore de scènes inutiles. Le péril d’Égist[h]e occupe seul le théâtre. L’intérêt croît de scène en scène

1

Lettre à Mlle Quinault, 2 janvier 1738, GC, t. I, p. 1055 [no 908 (D1417)].

2

Ibid., p. 1056.

3

jusqu’au dénouement, dont la surprise est ménagée, préparée avec beaucoup d’art. (Tournemine, Lettre à Brumoy sur Mérope, OC, t. 17, p. 213-214 ; nous soulignons)

Il semble que cette louange de Tournemine soit un peu exagérée, mais il souligne

l’importance de l’unité d’action qui est l’essence de la tragédie grecque en alléguant la

conservation de cette règle de la Mérope voltairienne1.

b) La simplicité et la tragédie grecque

Et, comme Tournemine, le zèle de Voltaire aussi s’ancre dans l’admiration pour le modèle de la Grèce. Il souligne que l’unité d’action est une valeur grecque :

Il faut avouer qu’elle [l’Électre] était dans le goût antique ; une froide et malheureuse intrigue ne défigurait pas ce sujet terrible ; la pièce était simple et sans épisode : voilà ce qui lui valait avec raison la faveur déclarée de tant de personnes de la première considération, qui espéraient qu’enfin cette simplicité précieuse qui avait fait le mérite des grands génies d’Athènes, pourrait être bien reçue à Paris, où elle avait été si négligée. (Oreste, « Épître à la duchesse du Maine », OC, t. 31A, p. 407-408).

Voltaire compte la simplicité parmi les mérites des Grecs2. La pièce qui s’est bien conformée à cette règle était Électre de l’Antiquité. Mais il nomme une autre tragédie représentative de la Grèce qui respectait l’unité d’action. C’était l’Œdipe de Sophocle. Sans tenir compte de sa propre erreur, Voltaire témoigne du mépris à l’égard de la

1Au sujet de l’éloge de Tournemine, après que M. Mat-Hasquin a relevé le peu de rapport entre la

Mérope de Voltaire et la tragédie d’Euripide, elle analyse cette lettre : « Ainsi, la Mérope de Voltaire

apparaît-elle a priori bien peu grecque et il est assez étonnant qu’un homme aussi érudit que le jésuite

Tournemine reconnaisse à Voltaire le mérite d’avoir restauré, dans cette pièce, la tragédie grecque et l’écrive au traducteur du Théâtre des Grecs, le p. Brumoy, qui, d’après le contexte, semble partager cet

avis. Sans doute dans cette lettre, destinée indirectement à Voltaire, y a-t-il une part de complaisance des

deux pères à l’égard d’un élève brillant de leurs collèges […] ? » (M. Mat-Hasquin, p. 71).

2

M. Mat-Hasquin rend compte des contraintes des traducteurs qui sont obligés de sacrifier la simplicité

de l’Antiquité au goût du public du dix-huitième siècle : « Poinsinet de Sivry et Fréron déplorent certes l’étroitesse de goût [la persistance dans les bienséances classiques et le bon goût] de leurs contemporains, incapables d’apprécier la simplicité antique, mais dans leur esprit, comme dans celui de mme Dacier ou d’Auger, la simplicité doit s’allier à la noblesse […]. Tiraillés entre les exigences d’un public

sourcilleux et le désir de respecter le ton de l’original − ou ce qu’ils considèrent comme tel, entravés par leurs propres habitudes littéraires, les traducteurs aboutissent souvent à des versions hybrides, bien

éloignées de la “simplicité antique”. » (M. Mat-Hasquin, p. 36). Quand Brumoy a traduit les tragédies grecques, il s’exprimait à propos de la simplicité d’Eschyle : « j’ai hasardé la traduction entière de sept Tragédies, dont trois sont de Sophocle, et quatre d’Euripide. On verra aisément pourquoi je n’ai traduit en entier aucune pièce d’Eschyle. Ce père de la Tragédie a été celui des trois que le Temps a le plus maltraité. De plus, son extrême simplicité et ses défauts auraient pu d’abord dégoûter les Lecteurs ».

pièce de Corneille en comparaison de celle du poète grec dans la même épître : « j’admirai l’antique dans toute sa noble simplicité. Ce fut là ce qui me donna la

première idée de faire la tragédie d’Œdipe, sans même avoir lu celle de Corneille. »

(p. 400). Pratiquement, la pièce cornélienne a-t-elle été indispensable à la réflexion de

Voltaire, mais son aveu met l’accent sur la valeur de la simplicité dans la tragédie

grecque1. Au reste, la cible de la critique voltairienne vise aussi les auteurs étrangers : « L’action de la pièce chinoise dure vingt-cinq ans, comme dans les farces

monstrueuses de Shakespeare et de Lope de Vega, qu’on a nommées tragédies ; c’est un entassement d’événements incroyables. » (L’Orphelin de la Chine, « À

Monseigneur le maréchal duc de Richelieu [désormais “Au duc de Richelieu”] », éd. B. Guy et R. Bret-Vitoz, OC, t. 45A [2009], p. 112). La « pièce chinoise » est

l’Orphelin de Tchao traduit par le père Brémare, mais Voltaire affirme qu’une action

compliquée ne convient pas au tragique. À partir des opinions exprimées, nous

pouvons comprendre qu’il pense que l’unité d’action est un des éléments primordiaux