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pour unir l'Europe et les Européens

L’immédiat après-guerre, période d'espoirs, est propice au développement et à!la concrétisation des idées européennes. Les militants désirent répandre leurs idées, afin de réaliser l'unité de l'Europe et des Européens.

Les mouvements européens issus de la résistance vont peu à!peu s'organiser, et se fédérer en octobre 1948 en Mouvement européen.

Celui-ci regroupe des hommes et des femmes convaincus de la nécessité de créer l'Europe sur le mode fédéraliste ou par une union des Etats. Les militants se sentent poussés par deux nécessités, celle d'éviter de nouvelles guerres en instaurant une paix définitive bâtie sur la démocratie et le respect des droits de l'homme, et celle de renforcer l'Europe face à!l'hégémonie des Etats-Unis et de l'Union soviétique. Les différentes tendances du Mouvement européen se réunissent après la guerre en congrès ou conférences. C'est au cours de ces rencontres que le besoin d'une action culturelle apparaît. Une place importante lui sera donnée, car il est primordial que les Européens comprennent ce qu'ils ont en commun, se sentent semblables afin de désirer vivre ensemble et partager leurs institutions. Leur identité culturelle ou leur appartenance commune est la base même de la création d'une Europe unie.

En septembre 1946, à!Genève, cette foi et cet espoir aboutissent à!une réunion d'intellectuels qui tentent de définir l'esprit européen.

C'est une des premières manifestations de l'après-guerre en faveur de l'Europe unie. Elle témoigne de l'importance que revêt la pensée, à!côté de l'action politique, dans le militantisme européen. Ces Ren-contres internationales apparaissent comme le préambule à!toute union, parce qu'elles définissent ce que les Européens ont en commun. Denis de Rougemont dira plus tard de cette manifestation, à!laquelle il a pris part : "Ces rencontres avaient alerté l'attention

d'une large élite sur le problème européen. Elles avaient contribué à!créer un climat favorable et presque une mode intellectuelle"!1.

Des écrivains et des philosophes, au cours de neuf conférences suivies de débats publics, y définissent les caractéristiques de la culture européenne, son histoire mais aussi son avenir!; ils veulent mieux l'identifier afin de mieux la défendre. Ils sont conscients de la perte de puissance de l'Europe, ruinée par la guerre. L'union leur paraît la seule solution pour survivre, se relever et faire face aux puissances mondiales dominantes.

Stephen Spender, poète et écrivain anglais, antifasciste combattant de la guerre d'Espagne, proclame que l'objectif de l'Europe est de créer "une communauté d'êtres humains"

respectueuse de la culture européenne. Il pense que l'avenir spirituel de l'Europe dépend de "la réalisation par les Européens, dans leur vie, leur conduite et leur pensée, des valeurs que représentent leur architecture, leur peinture, leur littérature, leurs hommes et leurs femmes de génie. Les œuvres du passé doivent renaître en nous sous forme de valeurs telles que la recherche désintéressée de la vérité, l'amour du beau, la fraternité humaine"!2. Le patrimoine culturel de l'Europe doit devenir une raison d'être. Stephen Spender annonce ici la position des militants du Mouvement européen, en particulier des fédéralistes.

Le Mouvement européen ne se veut en aucune manière confessionnel. Pourtant de nombreux chrétiens y adhèrent. Parmi les hommes politiques qui fondent l'Europe, beaucoup sont des catholiques ou des protestants qui veulent unir la grande famille européenne, promouvoir la paix et un idéal de justice et d'égalité.

Le Mouvement, notamment l'Union européenne des fédéralistes (UEF), compte parmi ses dirigeants nombre de chrétiens. Ces derniers pensent que la foi rassemble, et sont convaincus de l'identité religieuse de l'Europe. Pour eux, l'âme du vieux continent est la religion chrétienne!3.

Depuis les débuts de l'intégration européenne, l'épiscopat catholi-que encourage ses adeptes à!agir en faveur de l'Europe unie!4.

1 Denis de ROUGEMONT, "Vingt ans après, ou la campagne des Congrès, 1947-49", Preuves n°!211 (octobre 1968), p.!20.

2 Stephen SPENDER lors des Rencontres internationales de Genève, L'esprit européen, pp.!219 et 233.

3 A propos de la vision européenne des Eglises catholique et protestantes, voir les documents rassemblés sous le chapitre "Views of the Churches and other Christian Groups on the Postwar International Order", dans Walter LIPGENS, Wilfried LOTH, sous la dir., Documents on the history of European integration, Berlin, Walter de Gruyter, 1986, vol.!II!: Plans for European Union in Great Britain and in exile, 1939-45, pp. 699-753.

4 A propos du rôle de l'Eglise catholique dans la construction de l'Europe,

Une action culturelle pour unir l'Europe et les Européens 59

Certains fondateurs de l'Europe, tels Robert Schuman, Alcide de Gasperi, Konrad Adenauer ou Paul Van Zeeland sont des catholiques notoires. Leurs héritiers ne sont-ils pas Helmut Kohl, Jacques Delors ou Jacques Santer ? En novembre 1948, le pape Pie XII envoie un message aux membres de l'Union européenne des fédéralistes, pour leur IIe!Congrès!réuni à!Rome!5. Le souverain pontife annonce : "Nous sommes très sensibles à!votre démarche, Messieurs". Il explique que cette action s'accorde avec celle que l'Eglise a engagée depuis dix ans, "en vue de promouvoir un rapprochement, une union sincèrement cordiale entre toutes les nations" et pour instaurer la paix. L'Eglise se garde de s'impliquer dans les "intérêts purement temporels", tout en spécifiant quelle structure doit adopter l'Europe!: Pie XII parle d'une "unité politique et économique supérieure" à!laquelle les grandes nations devraient se rallier, malgré leur gloire et leur puissance passées. Il affirme qu'il n'y a pas de temps à!perdre. Cette union ne doit pas uniformiser, mais au contraire respecter les cultures de peuples qui forment une

"harmonieuse variété".

Ce souci est proche de celui des fédéralistes. On peut supposer que si le pape envoie un message à!l'UEF, c'est que l'Eglise ne s'oppose pas à!sa vision fédéraliste. Le message principal du souverain pontife est que l'Europe, pour se maintenir en équilibre et pour aplanir les différends internes, a besoin de reposer sur "une base morale inébranlable" — comme au temps où elle était unie par la chrétienté , où "l'âme de cette unité était la religion qui imprégnait à!fond toute la société de foi chrétienne". L'Europe doit rétablir le lien entre religion et civilisation, car l'irréligion est coupable de ses déchirements. "L'Europe unie, affirme Pie!XII, ne peut se bâtir sur une simple idée abstraite". Elle doit s'appuyer sur la volonté des hommes "aimant sincèrement la paix, des hommes d'ordre et de calme, des hommes qui —tout au moins d'intention et de volonté— ne sont pas encore déracinés et qui trouvent dans la vie de famille, honnête et heureuse, le premier objet de leur pensée et de leur joie". Ainsi la hiérarchie catholique engage les chrétiens à!agir en faveur de l'Europe unie. Grâce à!eux, elle doit retrouver ses vraies valeurs et sa véritable identité, celles de l'unité chrétienne.

Les discussions sur la culture européenne et la nécessité de sensibiliser les Européens à!leur commune identité alimentent les débats du Congrès fondateur de l'Europe, au printemps 1948. Elles

voir l'ouvrage de Philippe CHENAUX, Une Europe vaticane!?, Entre le plan Marshall et les traités de Rome, Bruxelles, Ciaco, 1990, 363 p.

5 Ce discours se trouve dans son intégralité dans Charles FLORY, Le rôle de la foi religieuse dans le développement politique de l'Europe, Centre européen universitaire de Nancy, Fascicule n°!9 (non daté), pp.!10-13.

animent également la première séance de l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe, en été 1949. Une conférence européenne de la culture, enfin, se tiendra fin 1949. Ces manifestations en faveur d'une action culturelle témoignent du souci d'insérer la culture dans l'intégration européenne.