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Peu à peu, les principales incertitudes pesant sur la brevetabilité de certaines inventions relatives aux médicaments ont été levées: dans un sens positif le plus souvent, parfois dans un sens négatif mais toujours avec le souci de la sécurité juridique indispensable à une industrie dont les investissements de recherche développement atteignent en moyenne 16%.2 Plusieurs exemples récents illustrent cette évolution: les brevets sur la seconde ou Nième application thérapeutique et les inventions de posologie.

1. La brevetabilité de la seconde application thérapeutique

L'article 52(4) de la Convention sur le brevet européen (CBE), dans sa rédaction initiale excluait les méthodes thérapeutiques du champ de la brevetabilité en posant, de manière irréfragable, que de telles méthodes étaient insusceptibles d'application industrielle. Afin de tourner cette interdiction, qui a été maintenue lors de la révision de la CBE en 2000 mais sans référence à l'application industrielle, les professionnels du secteur de la pharmacie ont élaboré des revendications d'utilisation.

Mais se posait alors la question de la nouveauté de telles revendications lorsqu'elles avaient trait à une seconde application thérapeutique. La plupart des juridictions européennes considéraient en effet comme dépourvue de nouveauté l'invention ayant pour objet la nouvelle application thérapeutique d'une molécule déjà connue et dont une première application thérapeutique avait été également divulguée.

Toutefois, poser que la divulgation d'une application thérapeutique quelconque à titre de médicament valait pour toutes les autres applications thérapeutiques non encore connues, était difficile à justifier: c'est la raison pour laquelle la Grande Chambre de recours de l'Office européen de brevet n'avait pas hésité, en faisant une interprétation contra !egem de la disposition de l'article 54 CBE, à autoriser la brevetabilité de la seconde application thérapeutique dans sa décision G 5/83 du 5 décembre 1984.3

2 NELLY WEINMANN, R&D des compagnies pharmaceutiques: Ruptures et mutations, Etudes du Ministère de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi 2008, p. 27, disponible sur Internet à l'adresse: http:/ /www.industrie.gouv.fr/biblioth/

docu/dossiers/sect/etude_pharma.pdf, accédé en dernier le 22 juin 2012.

3 Grande Chambre de recours de l'OEB, 5 décembre 1984, Décision No G 5/83, JO OEB 1985, p. 68; RTD Co m. 1985 No 3, p. 146, obs. Chavanne et Azema.

4 Jean-Christophe Galloux

Tous les tribunaux européens n'ont pas été convaincus par cette interprétation.4 Se sont malgré tout largement imposées les revendications dites de «type Suisse». Elles se présentaient sous la forme: «utilisation d'un composé X pour la fabrication d'un médicament pour le traitement d'une maladie Y». Il convenait de modifier le texte de la CBE pour lever les incertitudes. La nouvelle rédaction de l'article 54 issue de la révision de la CBE de novembre 2000 y a conduit: le nouvel article 54( 4) de la CBE5 admet désormais explicitement la brevetabilité de la seconde et des Nièmes applications thérapeutiques. La situation est désormais claire :l'article 53( c) dela CBEétablitune frontière entre les revendications de méthodes dirigées vers un traitement thérapeutique, qui sont exclues de la brevetabilité, et les revendications concernant des produits pour l'utilisation de telles méthodes qui sont brevetables. Toutefois la limite entre les deux est souvent ténue mais la seule manière de leur conserver un domaine propre consiste à leur donner la même importance: en ce sens, l'article 53(c) ne doit pas être considéré comme une lex specialis qui déroge à un principe général et qui, de ce fait, devrait être interprété de manière étroite.

Il n'y a donc plus de débats pour l'admission de la brevetabilité de la seconde ou de la Nième application thérapeutique d'un médicament connu, et il n'est plus nécessaire, selon l'enseignement de la Grande chambre de recours dans sa décision G 2/08 du 19 février 2010,6 de passer par le biais de ces revendications de« type suisse» pour y parvenir.

En dépit de la connaissance d'une substance et de son utilisation pour une thérapeutique particulière, peuvent être nouveaux une autre formulation du médicament, sa combinaison synergique voire, son dosage.

Cependant, le nouvel article, pas plus que la pratique qui s'est développée à la suite de la décision G 5/83, ne définit la nature de l'application thérapeutique nouvelle d'une substance connue. Plus particulièrement, la CBE ne fixe pas le degré de distinctivité que devrait présenter le nouvel usage (ou lanouvelleutilisation) pour être considéré comme« spécifique», au sens de l'article 54(5). Sur ce point, s'affrontent deux interprétations:

une large et une plus étroite; cette dernière faisant de l'article 54(5) une

4 C'était le cas de la Cour de cassation française: Cass. corn., 26 octobre 1993, PIBD 1994 n° 557, p. III-1.

5 Anciennement art. 54(5) de la CBE.

6 Propr. Intell. 2010 No 35, obs. Galloux.

Le droit des brevets pharmaceutiques en Europe: Quo vadis? 5

disposition particulière de l'article 53(c). La Haute instance privilégie l'interprétation large qui consiste à soutenir que la brevetabilité de la seconde ou de la Nième application thérapeutique d'un médicament connu ne se limite pas nécessairement au traitement de la même maladie.

L'analyse des travaux préparatoires de 1973 comme de 2000 conforte cette approche, de même que celle des décisions rendues à la suite de la décision G 5/83.7 Les dispositions des alinéas 4 et 5 de l'article 54 apparaissent donc complémentaires et non pas exclusives l'une de l'autre.

Dès lors, il y a lieu de considérer que les dispositions des articles 54( 4) et (5) de la CBE admettent, par une sorte de fiction juridique, la nouveauté de substances ou de compositions pourtant comprises dans l'état de la technique, dès lors qu'elles sont revendiquées pour une nouvelle utilisation dans une méthode qui est exclue perse de la brevetabilité au titre de l'article 53(c) de la CBE. Dans cette hypothèse, les notions de nouveauté et d'activité inventive ne sont pas à rechercher dans la substance ou la composition mais dans l'utilisation thérapeutique à laquelle ces compositions ou substances sont liées. Cette utilisation peut être une nouvelle indication thérapeutique, au sens strict, mais ce peut être aussi une ou plusieurs étapes d'une méthode thérapeutique dès lors qu'elle n'est pas revendiquée en tant que telle. Dans tous les cas, dès lors que l'article 54(5) de la CBE se réfère à «toute utilisation spécifique», cela ne peut être limité aux seules nouvelles indications. C'est sur la base de ce raisonnement que dans sa décision G 2/08, la Grande chambre de recours a répondu par l'affirmative à la première question de la saisine:

lorsque l'usage d'un médicament pour le traitement d'une maladie est connu, l'article 54(5) de la CBE exclut la brevetabilité de ce médicament pour un traitement différent de la même maladie.

7 CRT, 15 octobre 1987, Décision NoT 19/86, JO OEB 1989, p. 24; voir aussi ces décisions non publiées au JO OEB: CRT, 22 juillet 1993, Décision NoT 893/90 et CRT, 4 mai 2000, Décision NoT 233/96, relatives à un nouveau groupe de sujets traités; CRT, 8 juin 1994, Décision NoT 51/93, CRT, 12 octobre 1999, Décision NoT 138/95, relatives à un nouveau mode d'administration; CRT, 13 novembre 1990, Décision NoT 290/86, JO OEB 1992, p. 414, CRT, 14 mai 1997, Décision No T254/93,JO OEB 1998, p. 285, CRT, 29 octobre2004, Décision NoT 1020/03, JO OEB 2007, p. 204, relatives à un effet technique différent conduisant à une nouvelle application.

6 Jean-Christophe Galloux

2. Les revendications de posologie

Restait à régler la question du dosage: la brevetabilité est-elle exclue lorsqu'un régime de dosage du médicament est le seul moyen revendiqué, dès lors qu'il n'est pas compris dans l'état de la technique? La réponse était très attendue en raison des critiques formulées par les autorités de la concurrence à l'encontre de ce type de brevets, dits «brevets de seconde génération» (par opposition aux brevets dits «de première génération» portant directement sur les principes actifs) notamment dans le cadre de l'enquête sectorielle menée par la Commission européenne au cours des années 2008-2009.8 Il était en effet apparu que ces titres étaient souvent utilisés à des fins anticoncurrentielles et que leur validité était sujette à caution, une grande majorité d'entre eux étant finalement annulés au cours des instances judiciaires les concernant.

Sur ce point, la Grande Chambre de recours ne pouvait que se référer aux principes qui viennent d'être exposés car il n'y a aucune raison de traiter différemment un tel objet qui n'est pas exclu, par lui-même, de la notion d'« utilisation spécifique» au sens de l'article 54(5) de la CBE. La réponse est donc également affirmative. Toutefois, la Haute instance y met deux bémols d'importance. En premier lieu, elle se dit consciente de la tendance dénoncée par ailleurs consistant à obtenir des prolongations indues d'un monopole d'exploitation en matière pharmaceutique par le biais de telles revendications: les critiques adressées par la Commission européenne n'ont pas été oubliées. Elle vient donc rappeler que c'est alors au plan de l'appréciation de la nouveauté et de l'activité inventive qu'il convient de placer les filtres ad hoc destinés à contenir de telles demandes. Plus précisément, et en second lieu, selon la Grande Chambre de recours la définition revendiquée d'un régime de dosage ne doit pas se contenter d'être nommément différente de celle décrite dans l'état de l'art mais elle doit refléter un enseignement technique différent (c'est la recherche d'un effet technique nouveau évoquée dans les décisions précitées). De ce point de vue, il convient de se placer comme en matière d'invention de sélection car le dosage nouvellement revendiqué ne se présente en fait que comme la sélection d'un dosage particulier parmi un ensemble de dosages généralement défini dans l'art antérieur. L'ensemble

8 Voir infra II B. 1.

Le droit des brevets pharmaceutiques en Europe: Quo vadis ? 7

des critères dégagés par les Chambres de recours de l'OEB est alors ici applicable. 9

Les juridictions européennes ne suivent pas unanimement cette approche.

Dans une affaire concernant la Finastéride, le juge anglais a relevé que

«l'utilisation de la Finastéride pour la préparation d'un médicament pour l'administration orale pour le traitement de l'alopécie chez l'homme, dans lequel le dosage se situe entre 0,05 et 1,0 g » était en principe brevetable mais manquait en l'espèce de nouveauté.10 Le juge ajoute par ailleurs que les revendications portant sur les dosages sont évidentes car il est tout à fait commun dans la pratique d'essayer différents dosages pour trouver celui qui apparaît le plus approprié. Le Bundespatentgericht semble partager ces vues sur la brevetabilité de principe de ces revendications de dosage.11 En revanche, le juge français, comme le juge suisse, semblent plus sceptiques. Dans le volet français de la Finastéride il a jugé que

«une posologie spécifique pour le traitement d'une maladie ne constitue ni une première ni une seconde application thérapeutique mais bien une simple indication de la fourchette dans laquelle cette substance est efficace en vue de soigner telle ou telle maladie au Vll des tests et recherches effectués et explicités dans le brevet. L'application thérapeutique se limite donc à l'utilisation même d'une substance en vue de soigner une maladie spécifique et non au choix de tel ou tel dosage au sein d'une plage de dosages efficaces. Il appartient ensuite au praticien de déterminer dans sa démarche thérapeutique et au vu des nombreux autres éléments à prendre en compte (âge, poids et sexe du patient, antécédents et autres maladies, autres traitements suivis) quelle posologie est adaptée au traitement de la maladie soignée par cette substance ».12

La raison d'être de l'exclusion de brevetabilité visant les méthodes thérapeutiques vise à préserver la liberté du médecin dans l'exercice de son art: le système juridique doit donc veiller à ce que le choix et la mise

9 Voir notamment, JO OEB, La jurisprudence des Chambres de recours de I'OEB,

se

éd., 2009, p. 82 ss.

10 England and Wales Court of Appeal, 21 mai 2008, [2008] EWCA Civ. 444,Actavis c. Merck; voir: AxEL CASALONGA/GfRARD DossMANN, Vers le brevet de posologie, Prop. Ind. juin 2010 p. 19.

11 Bundespatentgericht, 26 juin 2008, AH. No 3 Ni 58/06 (EU), Actavis c. Merck;

ibid.

12 TGI Paris, 3ème ch., tère sect., 28 septembre 2010, RG No 07/16296, Actavis c.

Merck.

8 Jean-Christophe Galloux

en œuvre d'une thérapeutique par le médecin ou le vétérinaire ne soient pas entravés par l'existence de brevets. La liberté thérapeutique du médecin s'exprime dans la liberté de prescription: il s'agit d'un principe fondamental de la déontologie médicale unanimement reconnu.13 La liberté de prescription médicamenteuse inclut pour le médecin celle de ne pas respecter la posologie proposée par l'autorisation de mise sur le marché du médicament (AMM) et de l'adapter à la situation de son patient: le monopole sur la mise en œuvre d'une posologie est donc potentiellement de nature à y porter atteinte. Il convient toutefois procéder à une analyse au cas par cas pour vérifier ce point.

B. Une voie parfois mal pavée: l'acquisition d'un titre