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Une protection sociale limitée ou précaire

Dans le document « Tant qu'on a la santé... » (Page 50-53)

III. Soins et accès aux soins

1. Problèmes économiques, accès aux soins et protection sociale

1.2. Une protection sociale limitée ou précaire

Bien entendu, se pose ici la question de la protection sociale des familles et des aides dont elles peuvent bénéficier pour pouvoir subvenir aux besoins des membres de la famille en matière de santé. Les études statistiques montrent que la proportion d’individus ne bénéficiant que de la sécurité sociale tend à diminuer mais que des écarts persistent entre les catégories sociales. Ainsi, en 1991, n’avaient aucune couverture complémentaire : 17,4 % des ouvriers, 12,1 % des employés, 7,3 % des professions intermédiaires, 8 % des cadres, 12,8 % des artisans-commerçants, 13,3 % des agriculteurs alors que la répartition était la suivante en 1980 : 25,8 % des ouvriers, 15,5 % des employés, 13,2 % des professions intermédiaires, 14,7 % des cadres, 27,8 % des artisans-commerçants, 37 % des agriculteurs. Cependant, c’est dans les catégories les plus pauvres, parmi lesquelles les ouvriers non qualifiés et les chômeurs de ces catégories, que

l’accroissement des assurances complémentaires à la sécurité sociale (sous forme de mutuelle essentiellement, les assurances privées étant surtout l'apanage des cadres) est le plus faible. « L’extension de la couverture complémentaire au cours des dix dernières années a donc peu concerné les couches les plus pauvres de la population, celles qui déjà en principe éprouvent des difficultés à avancer l’argent nécessaire aux soins, et qui se trouvent être en outre les plus mal remboursées1. » Les familles que nous avons interrogées appartiennent bien à cette catégorie de population. Soulignons cependant la forte différence qui existe entre les familles de ce point de vue, différence qui est directement liée à la situation de l’emploi des parents. Pour être plus précis, la couverture sociale des familles étudiées varie certes en fonction de leurs revenus mais plus en fonction du caractère stable ou instable de l’emploi et du type d’entreprise dans laquelle travaillent les parents lorsqu’ils ont un emploi. Si peu de parents ont une mutuelle qui complète les remboursements de la sécurité sociale, ceux qui cotisent à une mutuelle sont les parents ayant un emploi stable, dans une grosse entreprise.

Enquêteur : « Sinon, vous pouvez vous faire rembourser facilement ?

Mme E. : Ben oui, par sécurité sociale et mon mari i travaille, j’en ai une mutuelle.

Enquêteur : Vous avez une mutuelle ? Mme E. : Ouais.

Enquêteur : C’est quoi, c’est euh… ?

Mme E. : C’est une mutuelle du travail, j’sais pas c’est quoi. Enquêteur : C’est celle de votre mari ?

Mme E. : Oui.

Enquêteur : D’accord.

Mme E. : Mais c’est une bonne mutuelle. »

M. B. : « On a une bonne mutuelle alors pour l'instant, on est bien remboursé, alors on va pas s'plaindre pour l'instant mais, mais c'est pas donné ouais des frais, c'est pas donné. Par exemple il a des lunettes là ben c’est pas donné quoi. »

Mme A. : « Je suis aux hospices civils de Lyon, je n'ai pas l'droit à, à tous ces choses-là, on a déjà une très mauvaise mutuelle qui nous rembourse euh pas

1. Pierre Mormiche, « L’accès aux soins : évolution des inégalités entre 1980 et 1991. », Economie et

statistiques, n° 282, 1995, p. 6. Les informations statistiques présentées ici sont issues du même

très bien, une mutuelle qu'on est obligé de prendre qui sort directement de nos fiches de paye, alors euh. »

Pour plusieurs parents adhérents d’une mutuelle, l’adhésion semble être le fruit d’une quasi-imposition de l’entreprise (de l’administration ou du comité d’entreprise) qui décide d’une adhésion collective à un organisme mutualiste. C’est la « mutuelle du travail » à laquelle ils se retrouvent affiliés sans nécessairement l’avoir choisi. Quoiqu’il en soit, être employé de manière stable, même sans qualification, dans une entreprise importante ou dans une administration publique permet de bénéficier d’une couverture sociale plus importante que pour les autres familles. Notons au passage que cela permet également un meilleur suivi médical de celui qui travaille, avec la visite médicale du travail, alors que dans l’exemple suivant on voit que l’épouse qui ne travaille pas ne consulte jamais un médecin.

Enquêteur : « Et ça s'passe comment la visite du travail ?

M. F. : Et ben comme les autres méd'cins et... on passe la radio euh mais “toussez, euh faut met comme ça” euh... beaucoup des choses [rire] beaucoup des choses.

Enquêteur : Et vous trouvez qu'ça suffit d'aller juste là-bas ? Pour vous ? M. F. : Pace que ? Il est méd'cin comme les autres, méd'cin général comme les autres.

Enquêteur : Et vous êtes content alors, ça s'passe bien avec lui ?

M. F. : Bien sûr moi euh... bien sûr, mais ça c'est c'est obligatoire euh obligatoire de... tous les années (...) On doit passer le le machin pour [silence]. Enquêteur : Et euh et vot'e femme, la santé ?

M. F. : Ma femme depuis quand j'est marié avec elle, elle est jamais voir un méd’cin hein. »

Pour les autres familles, celles qui sont touchées par le chômage, qui ont des emplois précaires, des revenus faibles et irréguliers, l’idée d’adhérer à une assurance complémentaire sous forme de mutuelle est inconcevable. Inconcevable parce que les moyens économiques sont trop limités pour envisager de verser une cotisation, même minime, mensuellement. Inconcevable aussi parce que soustraire une somme à la satisfaction des besoins urgents pour prévenir des dépenses ultérieures n’est envisageable que lorsque le « nécessaire » au quotidien est assuré et lorsque la stabilité des revenus est suffisante pour pouvoir songer à planifier les dépenses.

Enquêteur : « Vous avez une mutuelle non ?

Mme G. : Et c'est pas des trait'ments non plus euh... (...) vu qu'j'travaille pas non plus.

Enquêteur : Et vot'e mari, il en prend pas une ? Mme G. : I travaille pas non plus ! »

Mme N. : « C’est comme la mutuelle, j’ai plus les moyens d’payer la mutuelle. Enquêteur : Ah ouais, vous en avez plus ?

Mme N. : J’en avais une mais j’en ai plus, ça fait un an. Enquêteur : Depuis un an ?

Mme N. : Et j’ai pas pu payer et i m’ont... i m’ont... rayée...

Enquêteur : Et du coup ça... ça fait pas trop cher les soins... médicaux ?

Mme N. : Ben non j’suis... payée par la, j’suis remboursée par la sécu, c’est tout, pp’, ça fait pas bénef’, mais bon, tant pis hein. C’est la mutuelle j’peux pas. »

« Les prestations de santé continuent à bien répondre aux besoins des “établis”, c'est-à-dire de ceux qui disposent des principaux supports d’usage des biens de santé (un travail, des droits sociaux actifs). Ceux qui ont vu ce support se dégrader, ou qui ne possèdent pas les codes d’accès, connaissent un phénomène de clôture sociale qui limite les possibilités de participation au système. »1

Dans le document « Tant qu'on a la santé... » (Page 50-53)