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I. Introduction

4. Les facteurs HES : inhibiteurs transcriptionnels de type bHLH-O

4.2. Rôles multiples des gènes Hes au cours du développement embryonnaire

4.2.2. Une implication dans des processus développementaux divers

Les gènes Hes sont impliqués dans de très nombreux processus développementaux (Kageyama et al., 2007) ; (Kageyama et al., 2010). Je me contenterai ici de ne développer que les exemples du développement pancréatique, de la somitogenèse et de la différenciation des cellules ES. Nous reviendrons ultérieurement et plus longuement sur le rôle de Hes1 dans la neurogenèse.

4.2.2.1. Hes1 et développement pancréatique

Pendant le développement du pancréas, le gène Ptf1a, qui code une protéine à domaine bHLH, favorise la différenciation des cellules exocrines, alors que le gène Ngn3 favorise la différenciation des quatre types de cellules endocrines (Murtaugh, 2007). Chez la souris, l'inactivation de Hes1 conduit à l’augmentation de l’expression de Ngn3, à la différenciation prématurée des cellules endocrines et à une sévère hypoplasie pancréatique (Jensen et al., 2000). Des défauts similaires ont été observés suite à l’inactivation du ligand de Notch, delta-like1 (DLL1) ou du gène RBP-J, ou après surexpression de Ngn3 (Apelqvist et al., 1999). Ceci suggère que la voie DLL1-Notch-RBP-J-Hes1 régit le timing de différenciation des cellules pancréatiques endocrines. Hes1 réprime également l'expression de

Ptf1a en se liant directement à son promoteur et plusieurs études on montré que la voie Notch

inhibait aussi la différenciation des cellules exocrines (Murtaugh, 2007). Ainsi, chez les souris nulles pour Hes1, les gènes Ptf1a et Ngn3 sont exprimés de façon ectopique dans le canal cholédoque, dans l'estomac et dans le duodénum, ce qui conduit à la formation d'un pancréas ectopique (Sumazaki et al., 2004) ; (Fukuda et al., 2006). En accord avec de récentes études de lignage montrant que Hes1 marque les précurseurs pancréatiques multipotents (Kopinke et al., 2011), il a donc été proposé que la voie Notch-Hes1 favorisait le maintien de ces derniers à l’état indifférencié en réprimant à la fois les gènes Ptf1a et Ngn3 (Figure 18). Ces effets sont cependant dépendants du niveau d’activation de la voie Notch. Il a en effet été très récemment montré que la voie Notch est nécessaire pour conférer aux précurseurs pancréatiques leur compétence à différencier en cellules ductales et endocrines. Cette étude confirme que lorsque Notch est maintenu à niveau élevé, la différenciation est bloquée via l’activation de Hes1, mais suggère qu’un niveau plus faible est requis pour la différenciation des cellules ductales et endocrines (Shih et al., 2012).

Figure 18 : Hes1 régule la différenciation des cellules pancréatiques.

Au cours du développement, l'épithélium pancréatique donne naissance à la fois aux cellules exocrines et endocrines. Le gène Ptf1a régule la différenciation des cellules exocrines, alors que Ngn3 favorise la différenciation des quatre types de cellules endocrines. Hes1 contrôle le maintien des précurseurs en inhibant l'expression de Ptf1a et Ngn3. D’après (Kageyama et al., 2007).

4.2.2.2. Le rôle des gènes Hes dans la somitogenèse

Certains facteurs Hes, comme Hes1 et Hes7 sont connus pour réguler leur propre expression en se liant directement à leur promoteur, formant ainsi des boucles de rétro-inhibition (Figure 19A). Ce processus, associé à la demi-vie très courte des ARNm et protéines correspondantes engendre l'expression cyclique de ces facteurs (Hirata et al., 2002) ; (Hirata et al. 2002) ; (Bessho et al., 2003). Ce mode d’expression est requis dans divers contextes développementaux et notamment dans la formation des somites, la différenciation des cellules ES et la neurogenèse.

Les somites, unités segmentaires à l’origine des vertèbres, des côtes, des muscles striés du squelette axial et du derme, sont formées par la segmentation périodique de la région antérieure du mésoderme présomitique (PSM) (Dubrulle and Pourquie, 2004). La formation d’une nouvelle paire se répète toutes les 2 heures chez les embryons de souris, chaque 90 minutes chez le poulet et chaque 30 minutes chez le poisson zèbre. Cette périodicité est contrôlée par une horloge biologique, appelée l'horloge de la segmentation. Il a d'abord été montré chez le poulet que l'expression de c-Hairy1 était périodiquement propagée comme une

vague de l'extrémité postérieure vers la région antérieure du PSM, chaque onde d’expression conduisant à la génération d'une paire de somites (Palmeirim et al., 1997). Chez la souris,

Hes1, Hes5 et Hes7 présentent le même patron d’expression dans le PSM. D’un point de vue

fonctionnel, l'expression périodique de Hes7 semble être le facteur le plus important pour la segmentation (Figure 19B). En absence de Hes7, les somites fusionnent ce qui conduit à la fusion des vertèbres et des côtes (Bessho et al., 2001). Un phénotype similaire est observé quand l’expression de Hes7 est artificiellement maintenue à niveau élevé (Hirata et al., 2004). Chez le poisson zèbre, les orthologues de Hes7, Her1 et Her7, ont aussi des expressions oscillatoires et jouent un rôle semblable (Henry et al., 2002) ; (Holley et al., 2002) ; (Choorapoikayil et al., 2012).

Figure 19 : Les gènes Hes sont des oscillateurs moléculaires.

A. L’expression cyclique de Hes1 est régulée par une boucle de rétroaction négative. Une fois

produit (en aval de la voie Notch par exemple), Hes1 réprime sa propre transcription. Puis, l’ARNm et la protéine disparaissent rapidement à cause de leur demi-vie très courte, autorisant la vague d'expression suivante. Ceci permet à l'expression de Hes1 d’osciller de manière autonome. B. Le gène Hes7 oscille pendant la somitogenèse. (a) Vue ventrale d'un embryon de souris au stade cinq somites. Les somites se forment périodiquement par la segmentation de la région antérieure du mésoderme présomitique (PSM, représenté en bleu). (b) L’expression de Hes7 est périodiquement propagée, comme une vague, de l’extrémité postérieure vers la région antérieure du PSM (flèche bleue, phases I, II, III), et chaque cycle conduit à la formation d’une paire de somites (marron). (c) Cette dynamique d’expression est permise par l’oscillation de Hes7 dans chaque cellule du PSM avec un léger retard de la région postérieure par rapport à la région antérieure. D’après (Kageyama et al., 2007)

Le maintien et la synchronisation de la formation des somites repose sur des boucles de rétro-inhibition complexes. Le gène Lfng (lunatic fringe) est l’une des cibles de Hes7. Il code pour une glycosyl-transférase qui module par modification post-traductionnelle l'activité

de Notch (Moloney et al., 2000) ; (Bruckner et al., 2000). Lfng est une cible directe de Hes7 et oscille donc en phase avec ce dernier (Bessho et al., 2003). Cette oscillation est également cruciale pour la somitogenèse, puisque la perte comme le maintien de l’expression de Lfng conduisent à la fusion des somites. Enfin, Lfng inhibe périodiquement le récepteur Notch et donc génère une activité cyclique de cette voie, qui à son tour influence la périodicité de Hes7 (Kageyama et al., 2007) ; (Saga, 2012).

Notons que la somitogenèse repose également sur l’expression périodique de membres d’autres voies de signalisation, comme les voies FGF et Wnt (Saga Y. 2012). L’interaction de tous ces facteurs a fait l’objet de récentes simulations informatiques permettant de modéliser le comportement du PSM(Hester et al., 2011) ; (Tiedemann et al., 2012).

4.2.2.3. Le rôle de Hes1 dans les cellules ES

Les cellules souches embryonnaires ES se caractérisent par leur capacité à proliférer indéfiniment et à générer tous les types cellulaires de l’organisme (pluripotence). Elles représentent donc une source très prometteuse de cellules pour la médecine régénérative. Cependant, elles constituent une population de cellules hétérogènes et il est très difficile de diriger leur différenciation de façon univoque vers un type cellulaire d’intérêt, en partie car les bases moléculaires qui sous-tendent leur hétérogénéité ne sont pas claires.

Hes1 est fortement exprimé dans les cellules ES sous le contrôle des voies de

signalisation BMP et LIF. Des expériences d’imagerie en temps réel ont révélé que son expression oscille dans les ES avec une période de 3 à 5h (Kobayashi et al., 2009). Cette expression de Hes1 conduit à des changements dynamiques dans l’expression de ses gènes cibles tels que le ligand de Notch Dll1 ou Gadd45γ, un gène codant un inhibiteur du cycle cellulaire (Kobayashi et al., 2009). Enfin, l’expression cyclique de Hes1 semble contrôler le lignage des cellules ES. Kobayashi et collaborateurs ont pu classer ces cellules en deux catégories suivant leur taux d’expression de Hes1, élevé ou bas. Après induction de la différenciation, ces deux types de cellules adoptent des lignages différents : les cellules ES à forte expression de Hes1 ont tendance à se différencier en cellules mésodermiques tandis que celles présentant un faible niveau d’expression tendent à se différencier en cellules neurales. En accord avec ceci, l’invalidation de Hes1 pousse les cellules ES vers une destinée neurale (Kobayashi et al., 2009) ; (Kobayashi and Kageyama, 2010). Ceci suggère que les oscillations de Hes1 contribuent à la diversification des types cellulaires à partir des cellules ES.

Ces données semblent cependant en contradiction avec de précédents travaux rapportant que l'inactivation de la voie Notch dans les cellules ES favorise la différenciation du mésoderme cardiaque (Jang et al., 2008) ; (Nemir et al., 2006) ; (Schroeder et al., 2003), alors que son activation favorise une destinée neurale (Lowell et al., 2006). Ce paradoxe apparent a été récemment levé puisque, de façon étonnante, Hes1 s’avère inactiver la voie Notch en réprimant l'expression des ligands Dll1 et Jag1 (Kobayashi and Kageyama, 2010). Ainsi, il est probable que l'expression cyclique de Hes1 modifie dynamiquement l'activité de la signalisation Notch et régule ainsi le choix du destin des cellules ES (Kageyama et al., 2010).