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Une famille représentative de la société d’Ancien Régime

Chapitre 1 : La cellule familiale : entre héritage et recréation

I. Une famille représentative de la société d’Ancien Régime

Lorsqu’il s’agit de décrire l’univers familial de Maubert de Gouvest, ses contemporains sont pour le moins partagés. Pour Chevrier, Maubert semble être né dans une famille modeste : son père Jean19 est épicier20. Saint-Flour, lui, insiste sur le fait que « son

père, marchand épicier, le destina d'abord au même commerce »21, tout comme Johann

Christoph Adelung, qui soutient que ses parents « le destinent à être marchand »22. A l'inverse,

selon les informations de l’abbé Yvon, notre auteur serait né dans « une famille honnête, &

17 STROEV (Alexandre), Les aventuriers des Lumières, op. cit., p. 11.

18 Jean de Vatteville, né en 1618 à Milan, est d'abord soldat puis religieux. Il mène ensuite une vie aventureuse à

Constantinople où il se serait fait circoncire et devient pacha. Il revient en France et devient abbé à Baume-les- Messieurs 1659. Il meurt en 1702.

19 Jean Maubert né vers 1696 de Léonard Maubert et de Françoise de Beauvais, cf. registre 3E 00999 de Saint-

Martin-sur-Renelle, années 1680-1791, p. 110.

20 CHEVRIER (François-Antoine), Les Trois C***, op. cit., p. 101 : Chevrier explique que Cosmopole a un père

dont le métier est « d’envelopper le poivre et la cannelle dans les écrits des Accarias de son temps ».

21 SAINT-FLOUR, L’espion ou l’histoire du faux baron Maubert, op. cit., p. 7

22ADELUNG (Johann Christoph), Geschichte der menschlichen Narrheit, oder Lebensbeschreibungen

30 alliée, du côté maternel, à quelques-unes des plus distinguées de la Province »23. Sa mère,

Catherine Marguerite Eudes24, semble en effet connaître la femme du procureur du roi Hays

qui signe, en 1732, le registre de baptême de son fils Louis Barnabé25. Les archives des

paroisses de Rouen nous apprennent que les parents de Maubert sont « marchands »26, sans

autre précision, et que sa famille est nombreuse.

Maubert appartient, en effet, à une fratrie de treize membres, composée de sept frères et de six sœurs, ainsi qu'un d’un demi-frère et de deux demi-sœurs nés de la seconde union de son père avec Marie Marguerite Rose Pavie en 1738. Maubert, né le 18 novembre 172127 est,

quant à lui, le troisième enfant « du légitime mariage de Jean Maubert et Catherine Marguerite Eudes »28 mais l'aîné des fils des Maubert. Sa mère meurt en mettant au monde

son dernier enfant, Jacques Adrien, en juillet 173629. Cette grande fratrie nous permet de

penser que la valeur du patrimoine familial ne devait pas être très élevée, puisqu’il était d’usage au XVIIIe siècle d’éviter d’engendrer une descendance trop nombreuse afin de ne pas disperser l'héritage.

Maubert admet, dans sa autobiographie manuscrite, que son père « étoit roturier »30,

et il précise qu'il n'a « jamais eu honte de [sa] naissance ni essayé de [s']en donner une plus élevée »31. Il estime d'ailleurs que « dans le Tiers-Etat, on ne se distingue que par la probité,

ce seroit folie [...] de vouloir montrer dans [sa] famille quelque autre distinction »32. Ces

propos sont cependant contredits par le changement de prénom que Maubert opère quelques années plus tard en devenant « Jean-Henri » au lieu de « Jacques », mais aussi en ajoutant la particule et le nom « Gouvest » à son patronyme. En effet, il n'est pas rare que les chevaliers de fortune tentent de falsifier leur statut social ou leur identité. Selon Alexandre Stroev, « l'aventurier […] ne veut pas connaître ses parents ; Saint-Germain passe pour le fils soit du roi de Portugal, soit de la princesse Pfalz-Neuburg, veuve du roi d'Espagne Charles II.

23 YVON (abbé), Nécrologe des hommes célèbres de France, op. cit. p. 157.

24 Catherine Marguerite Eudes (ou Heudes) né le 23 octobre 1694 et baptisée dans la paroisse de St Martin sur

Renelle, mariée le 22 juin 1718, ASM, registre 3E 00999 de Saint-Martin-sur-Renelle, années 1694-1704, p. 19.

25 ASM, registre 4E 09180 de Saint-Amand, années 1730-1759, p. 9.

26 ASM, registre 4E 02217 de la communauté des capucins de Sotteville de Rouen, années 1737-1742, p. 8. 27 Annexe 1 p. 569.

28 ASM, registre 4 E 02130 de Saint-Martin-sur-Renelle, années 1712-1737, p. 137.

29 Le nombre de naissances se situe dans la moyenne calculée pour l'époque d'un enfant tous les un an et demi.

Cf. BÉLY (Lucien), La France moderne. 1498-1789, Paris, PUF, 2003 et GARNOT Benoît, La population

française : aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Ophrys, 2005.

30 MBC, p. 7. 31 Ibid. 32 Ibid.

31 Casanova préfère croire qu'il est fils naturel d'un patricien, plutôt que fils légitime d'un comédien et trouve un père adoptif, le sénateur vénitien Matteo Giovanni Bragadin »33. Peut-

être par honte ou tout simplement par commodité, l'aventurier améliore son histoire familiale et sa généalogie34.

Le manuscrit du couvent des Capucins nous fournit également d’autres précisions sur les membres et l'origine de la famille de Maubert. D'après lui, sa « mère étoit de Rouen, de la famille Eudes par son père et Amontoue par sa mère »35. En confrontant cette généalogie aux

archives, on retrouve la trace de son grand-père, Toussaint Eudes, et de sa grand-mère, Catherine Marguerite Friard. Pour l'aventurier, ces deux familles « pourraient être appelées familles patriciennes, ayant fourni ou fournissant encore des Magistrats dans les cours souveraines de la province, et de fameux négociants en la capitale »36. D'ailleurs, la mère de

Maubert obtient une dot assez confortable de 22 000 livres que son mari dépose chez le « Sieur Hebert, négociant »37. La fortune n'est toutefois pas au rendez-vous car, ruiné par le

système de Law, ce négociant ne peut rembourser le père de Maubert. L'aventurier avoue que « jamais ce dernier n'a pu bien réparer cette brèche »38, même s'il s'est efforcé « par son travail

et son économie » de garantir l'éducation de ses enfants et de veiller à satisfaire les besoins de sa famille. Comme Maubert le confirme : « il a toujours été […] dans une honnête aisance qui lui a permis de me donner à moi et à plusieurs frères et sœurs, une éducation telle qu'il auroit eu peine à nous la donner meilleure dans la plus grande opulence »39. Maubert semble donc

avoir vécu à l'abri des tracas financiers grâce à un père méritant et travailleur.

Ce dernier aurait peut-être même possédé un domaine en Normandie. Maubert décrit son père comme le « troisième fils de Léonard [qui] vient à Rouen, et eut un emploi dans les comptoirs et bureau de M.tre Pierre et Thomas le Gendre, négociants fameux anoblis par le roi »40. Il ne serait donc pas le simple « épicier » décrit par Chevrier, ce que Maubert appuie

encore en mentionnant « à Rouen, un Maubert épicier, mais [qu'il] n'est point de parent »41.

33 STROEV (Alexandre), Les aventuriers des Lumières, op. cit., p. 21-22. 34 Voir annexe 2, p. ? 35 MBC, p. 7. 36 Ibid. 37 Ibid., p. 8. 38 Ibid. 39 Ibid. 40 Ibid. 41 Ibid., p. 7.

32 D'ailleurs, pour Maubert, la famille de son père, originaire du Mesnil-Mauger42 « du pays de

Bray dans la haute Normandie »43, possède « un petit morceau de terre, qu['il a] entendu

appeler Mesnil-Maubert, qui depuis 600 ans a été le préciput de [la] famille et le partage des aînés »44. Le mot « Mesnil »45 suivi d'un nom de famille est effectivement omniprésent dans

la toponymie normande : près de soixante sont recensés dans le seul département de la Manche46 – Mesnil-Roux, Mesnil-Heudin, Mesnil-David,... – pourtant, aucune référence à un

Mesnil-Maubert n'apparaît sur la carte de Cassini ou sur celles d'état-major47.

La famille Maubert semble montrer un groupe d'individus soudés, veillant les uns sur les autres, offrant, comme l’explique Talcott Parsons48, un lieu de réconfort et de socialisation

pour les enfants. Traditionnellement ancrée en province normande, elle y vit de manière confortable. Nous serions donc loin des propos de Johann Christoph Adelung qui voit en Maubert un poids pécuniaire pour ses parents qui réussissent à se « décharger financièrement »49 grâce à son entrée chez les Capucins ou de ceux de Chevrier qui soutient

que Maubert « n'avoit rien à espérer de ses parents »50.

Nous pouvons alors nous interroger sur la place de Maubert au sein de cette cellule familiale et également sur l'organisation de la famille elle-même. En dépit des progrès de l’incroyance, le poids des dogmes religieux reste puissant dans la France du XVIIIe siècle, la religion intervenant massivement dans la sphère privée, comme en témoignent les sacrements rythmant les grandes étapes de la vie des croyants. Il peut à ce titre se révéler intéressant de retracer le cheminement religieux de la famille de Maubert qui s’avère assez représentatif de son époque.

Les registres paroissiaux attestent que les grands-parents, les parents et certains frères et sœurs de Maubert sont mariés, les enfants sont tous baptisés et les parents sont

42 ASM, registre 3E00178, 1607-1670, p. 11 mention du mariage de Léonard et de Françoise de Beauvais le 27

juillet 1666 au Mesnil-Mauger et registre 4E1134, 1668-1694, p. 58, baptême de Jean Maubert le 1er septembre 1683.

43 AV, 22523, f°35, lettre de Cobenzl à Kaunitz du 16 juin 1759. 44 MBC, p. 8.

45 « Mesnil » serait un mot d'origine latine (mansion), comme la maison et désignerait la maison paysanne ou le

hameau.

46 LECHANTEUR (Fernand), « Principaux types toponymiques de la Normandie », Supplément aux Annales de

Normandie, 1952, vol.2, n° 2-3, p. 40-41.

47 Carte de Cassini, 1740, n° 24, Yvetot et carte d'état-major, Neufchatel, 1866.

48 PARSONS (Talcott), dir., Family, Socialization and Interaction Process, Glencoe, Illinois, The Free Press,

1955, 240 p.

49 ADELUNG (Johann Christoph), Geschichte der menschlichen Narrheit, oder Lebensbeschreibungen

berühmter, op. cit., p. 373.

33 « munis des Saints Sacrements »51 à leur mort. L'acte de mariage52 des parents de Maubert

révèle que le couple a été au préalable fiancé. Cette promesse faite avant le mariage pouvait néanmoins être résiliée par consentement mutuel ou pour un motif grave. Au siècle précédent, l'évêque de Coutances a d'ailleurs imposé les fiançailles après la publication des bans et avant le mariage, prétextant que les jeunes promis mélangeaient mariage et fiançailles53. Cette

intervention de l’autorité ecclésiastique ne doit cependant pas induire en erreur : les fiançailles sont une cérémonie laïque et privée qui est célébrée après les « accordailles », à savoir l'autorisation donnée par les parents pour épouser leur fille. Jean Maubert a très probablement demandé la main de Catherine à sa mère puisque le père est alors décédé et que cette dernière signe l'acte de mariage comme témoin. Il est d'ailleurs courant au XVIIIe siècle que l'un des deux jeunes gens soit orphelin d'un parent au moins quand il se marie54. Une bague est

souvent le signe physique de cet engagement et un contrat de mariage suit fréquemment cette démarche afin de fixer une dot. Il n'est cependant pas systématique au Nord de la Loire et il n'est fait mention ni de l'un ni de l'autre dans les archives relatives à la famille Maubert.

L'union entre Catherine Marguerite Eudes et Jean Maubert a lieu le 22 juin 1718, un mercredi, le premier jour de l'été. Comme le veut l’Eglise pour lutter contre les mariages clandestins55, des témoins assistent à la cérémonie. L’acte comporte la signature de cinq

témoins56. Là encore la famille témoigne des règles implicites en vigueur au XVIIIe siècle. Le

mariage est encore avant tout une affaire d'intérêt plutôt que de sentiments ; comme le note François Lebrun, il « doit être une union assortie »57, ce qui semble être le cas chez les

Maubert. Il y a en effet une certaine homogamie sociale, mais aussi géographique puisque, comme nous l'avons remarqué, la famille semble domiciliée dans la province de Normandie depuis plusieurs générations et que les époux sont tous deux originaires de la même paroisse. Jacques Solé souligne, lui aussi, que le choix du conjoint chez les Normands obéit « aux lois d'airain de l'économie » et que le mariage rapproche les voisins « par la nécessité d'une

51 ASM, registre 4E01980, 1730-1759, Rouen, Saint-Amand, p. 26, décès de Catherine Marguerite Maubert le 25

juillet 1736, « munie des Saints Sacrements, a été inhumée le lendemain dans cette paroisse » et p. 56, décès de Jean Maubert le 6 juillet 1741, « le corps […] munis des Saints Sacrement a été inhumé dans le cimetière de cette paroisse ».

52 On peut lire dans l’acte : « fiançailles faites sans qu'il se soit trouvé aucune opposition ». 53 BLUCHE (François), La vie quotidienne au temps de Louis XV, 1987, p. 142.

54 BELY (Lucien), sous la dir., Dictionnaire de l'Ancien Régime, op. cit., « enfance », p. 488.

55 Le Concile de Trente en 1563 impose deux témoins, puis quatre sont obligatoires après l'ordonnance de Blois

en 1579.

56 Il s'agit de Jacques Anseaume, Louis Poincheval, Catherine Marguerite Sgard, François Eudes et Pierre Marc. 57 LEBRUN (François), La vie conjugale sous l'Ancien Régime, Armand Colin, U Prisme, 1975, p. 22.

34 entreprise commune »58. Ainsi, « les historiens associent habituellement l'union légitime

d'autrefois à un accord contractuel parfaitement étranger à la passion et à l'attrait physique »59.

Parallèlement à cette nécessité économique, le mariage est également une obligation religieuse. Intégré à la liste des sept sacrements depuis 1215 et le IVè Concile de Latran, le mariage est indissoluble et fondé sur le libre consentement des deux époux. La cérémonie religieuse officiée par un prêtre devient obligatoire dès 1563, durant le Concile de Trente. Des bans sont publiés à l'avance, trois sur une durée de trois semaines depuis le XVIe siècle, ce qui permettaient à tout paroissien de signaler un éventuel empêchement au mariage. Conformément aux pratiques en vigueur au XVIIIe siècle, le mariage des parents de Maubert est donc librement consenti, réalisé devant témoins, endogamique et tardif. En effet, l'âge moyen au mariage recule durant le siècle pour les deux sexes, les garçons convolent en noces vers 28 ans et les filles 25. Catherine, qui a 24 ans, se situe presque dans la moyenne des filles. Jean est plus âgé – 35 ans,60 ayant sans doute attendu d'avoir « les moyens matériels de

s'établir »61. Ce lien indéfectible contracté devant témoins n'est rompu qu'à la mort d'un des

deux époux. Là encore, la famille Maubert illustre l'importance de la surmortalité féminine de l'Ancien Régime, due à des accidents de couches, notamment chez les femmes entre 25 et 40 ans. En effet, au terme d’une union qui s’est révélée particulièrement fertile, Catherine meurt le 25 juillet 173662 à la suite de la naissance de Jacques Adrien, son treizième enfant.

Ces enfants sont tous baptisés. Premier des trois sacrements concernant l'initiation chrétienne, le baptême permet au nouveau-né d'entrer dans la communauté des chrétiens et lave le catéchumène du péché originel. D'après Robert Muchembled, il s'agit « d'un phénomène culturel et social d'extrême importance »63. Pour lui les baptisés deviennent des «

pierres vivantes » pour « former une maison spirituelle »64, participant à la solidarité

chrétienne. Le sacrement revêt aussi un caractère de nécessité, telle une précaution destinée à assurer le salut en cas de décès prématuré. Le choix des prénoms reflète également ce phénomène social, avec la reprise des prénoms des parents, grands-parents ou autres aïeuls familiaux. Ainsi, dans la famille de l'aventurier, les prénoms utilisés sont Pierre, Jean,

58 SOLE (Jacques), L'amour en Occident à l'époque moderne, Albin Michel, 1976, p. 43. 59 Ibid., p. 41-42.

60 LEBRUN (François), La vie conjugale sous l'Ancien Régime, op. cit.,p. 31-32. 61 Ibid., p. 33.

62 ASM, registre 4E01980, 1730-1759, paroisse Saint-Amand de Rouen, p. 26.

63 MUCHEMBLED (Robert), Société, cultures et mentalités dans la France moderne, XVIe-XVIIIe siècle,

Cursus, Armand Colin, Paris, 2003, p. 40.

35 Jacques, François, Louis, Noël, Romain, Marie, Jeanne, Catherine ou Julie. Certains sont réutilisés en deuxième ou troisième position, souvent hérités des générations précédentes, sans doute dans le but d'assurer une certaine continuité familiale. D'origine latine ou traduction du mot grec, Pierre, Jean ou Marie sont des prénoms fort courants au XVIIIe siècle. Marie est très répandue en Normandie, tout comme Jeanne, Jacques ou Catherine. Noël et François deviennent véritablement usuels durant ce siècle et Julie, très populaire. Ce choix de prénoms n’est pas innocent : il montre comment les familles du XVIIIe siècle mettent au point de véritables stratégies visant à assurer la permanence familiale malgré le fort taux de mortalité infantile. Le nombre d'enfants est également un indicateur fiable. Si les familles nombreuses sont légion, on peut s'interroger sur les liens qui se tissent entre les différents individus.

La relation parents-enfants et plus précisément la place de Maubert dans sa famille constitue un élément central de la vie de l'aventurier qui peut expliquer son départ. Même si Philippe Ariès65 note que les parents ne se sont vraiment intéressés à l'enfant qu'au milieu du

XVIIe siècle, les nouveaux-nés semblent noyés dans une fratrie aussi nombreuse et deux des enfants de ces « bonnes familles » sont, de manière traditionnelle, réservés à la magistrature ou aux ordres religieux. L'affaire familiale est également souvent léguée à l'aîné. Maubert semble donc être le candidat désigné pour marcher sur les traces de son père. Mais le futur aventurier a d'autres projets en tête. Maubert quitte le domicile familial, fuyant ainsi les possibles conflits familiaux dans l'espoir de partir vers une vie meilleure au couvent. Dans un premier temps, il garde contact avec sa famille puisqu'il participe avec son père à l'inhumation de sa mère le mercredi 25 juillet 1736. Il est mentionné comme « Jean Jacques Maubert clerc tonsuré son fils »66 et signe les registres. Mais il ne s'agit que d'un lien familial ténu car

Maubert ne sait rien de la nouvelle vie de son père. Il n'apprend qu'après le décès de celui-ci qu'il a un demi-frère : « Il y a environ dix mois, qu'ayant sçu que j'avois un frère, né du second mariage de feu mon père »67. Par peur de sa réaction ou par souhait de cesser tous

contacts, Maubert ne paraît avoir été averti de la seconde noce de son père que tardivement. On peut donc en conclure que les relations avec sa famille ont été rompues dès son entrée au couvent en 1738.

65 ARIES (Philippe), L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, nouv. éd., Paris, 1973. 66 ASM, registre 4E 01980 paroisse de Saint-Amand, années 1730-1759, p. 26.

36 Cette même année, le 23 avril68, Jean Maubert a célébré sa deuxième union avec

Marie Marguerite Rose Pavie. Comme le note Jean-Pierre Poussou, « les remariages sont rendus essentiels […] et inévitables par la fréquence des veuvages et par la réelle difficulté à rester seul »69. De fait, le remariage apparaît comme une nécessité pour reconstruire une

cellule familiale dissoute et permet de ressouder la communauté. Au XVIIIe siècle, la durée moyenne du veuvage avant le remariage est d’environ dix-huit mois. Dans le cas du père de Maubert, ce laps de temps est de 21 mois. Ce remariage relativement rapide a peut-être pour origine la difficulté éprouvée par le veuf à s’occuper seul de sa progéniture. Comme le souligne Jean-Marie Gouesse70, il est d'usage que la progression des différentes étapes soit

plus rapide pour le remariage des veufs, car ceux-ci ne changent pas d'état : pour eux, les fiançailles ne constituent pas une transition entre le statut d'adolescent célibataire et celui d'adulte engagé. Ainsi, témoignant de ces pratiques, le père de Maubert et sa future seconde épouse se fiancent, semble-t-il, la veille du mariage. Une messe scelle les vœux de consentement mutuel. De cette union naissent trois enfants : Jean Baptiste Laurent, le 4 avril 173971, Marie Angélique Catherine le 30 octobre 174072, puis Marie Anne Rosalie, le 9

octobre 174173. Cette union est toutefois de courte durée puisque Jean Maubert meurt le 6

juillet 1741, à l’âge de 65 ans74. Un bel âge quand on sait qu’en 1750 l'espérance de vie est de

25 ans. Là encore, l'inhumation a lieu au cimetière de la paroisse de Saint-Amand, marquant l'appartenance de la famille à cette paroisse et plus largement à cette province normande.

La famille de Maubert n'est donc pas vraiment « absente », comme la suite du parcours de l'aventurier nous le laisse supposer. Le père de Maubert fonde même des projets pour son fils, « il souhaitoit qu’[il] tourn[ât] du côté du barreau le talent qu’il [lui] croïoit. Son