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Une facilitation généralisée face à la communication

Le développement de l’informatique a largement contribué à la simplification et à l’accélération de l’accès aux salles et aux documents. Quand autrefois il était nécessaire, pour pouvoir s’installer à la bibliothèque de l’INHA, de présenter sa carte à l’entrée à un agent qui vous remettait un numéro de place sur un plastique vert que vous alliez ensuite donner à la banque de communication en échange d’un petit papier plastifié à liseré rouge, il suffit aujourd’hui de passer sa carte devant un lecteur. La simplicité laisse même parfois le lecteur interdit dans l’attente d’un signe, d’un mot. Il en va de même pour les demandes de communication, qui sont saisies en ligne pour la plupart des bibliothèques121.

À l’INHA, c’est sur l’accès aux collections qu’un moyen très simple et qui n’a rien d’informatique a accéléré les procédures : quand il fallait les demander puis attendre qu’un magasinier les dépose sur votre table, le libre-accès permet aujourd’hui d’aller directement et sans attendre la levée, dans les rayonnages pour y prendre ses livres. Il s’agit d’un véritable avantage qui dépasse le fait de ne pas avoir à attendre. En effet, la contiguïté des ouvrages qui touchent à un même sujet, grâce à l’utilisation de la classification de la Bibliothèque du Congrès (LCC) permet des découvertes inattendues. Ce système, qui existe ailleurs comme à la Bibliotheca Hertziana, par exemple, où les usagers manipulent les compactus, est extrêmement précieux pour les chercheurs. Et grâce à un plan très clair des magasins, aucune perte de temps n’est engendrée par la recherche de la localisation des cotes.

Plus encore que les simplifications d’accès in situ, nous l’avons évoqué concernant la BnF, il existe une volonté accrue de diversifier les publics ou du moins d’opposer des conditions moins restrictives. À l’Institut de France par exemple, la règle impose en principe de bénéficier de deux recommandations pour les lecteurs extérieurs. Mais en réalité, pour une recherche ponctuelle, et à condition que les documents ne se trouvent pas ailleurs, une seule peut suffire et il n’est même pas nécessaire de connaître un académicien puisque le personnel de la bibliothèque se charge d’adresser la demande à

119 DEHAIL, Judith, LE MAREC, Joëlle. Habiter la bibliothèque. Communication & Langages [en ligne], n°195, 2018 [consulté

le 23/02/2020], p. 17. Disponible en ligne : https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages-2018- 1-page-7.htm

120 DEHAIL, Judith, LE MAREC, Joëlle. Habiter la bibliothèque. Communication & Langages [en ligne], n°195, 2018 [consulté

le 23/02/2020], p. 10. Disponible en ligne : https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages-2018- 1-page-7.htm

121 Pour autant, il ne faudrait pas penser que l’informatisation rime avec simplification. Notre mission de stage au département

des Estampes et de la photographie, de septembre à décembre 2019, nous a fait prendre conscience, notamment, de la complexité du Catalogue général de la BnF pour de nombreux chercheurs.

l’Académie concernée. Il convient toutefois de noter qu’il s’agit là d’une règle implicite qui ne figure pas sur le site de l’établissement. Ce n’est pas une exception et il apparaît dès lors souhaitable que les établissements s’assurent de la publicité des règles au fur et à mesure de leur évolution et à l’entérinement des coutumes en leur faisant quitter le domaine de l’oralité. En d’autres termes, le lecteur doit pouvoir préparer sa visite en pleine connaissance préalable des conditions qui lui sont imposées, positives comme négatives.

Il ne faudrait d’ailleurs pas que ces changements, réels, donnent l’illusion aux bibliothécaires que les usagers s’en sont saisi, plus particulièrement quand ils appartiennent au non-dit. Nous pourrions même aller jusqu’à considérer que les difficultés d’accès font l’objet d’une forme de déni ou laissent tout du moins le sentiment qu’elles appartiennent à un temps révolu car le bibliothécaire lui-même n’y est plus confronté. Comme nous l’avons dit, à chaque fois que nous avons évoqué le refus d’inscription ou l’effet repoussoir des formalités complexes, les personnes que nous avons rencontrées n’ont pas trouvé que cela était pertinent. Ainsi, un conservateur du Rez- de-jardin que nous interrogions sur la dimension symbolique des formalités nous répond :

Pour avoir connu l’ancienne BN lorsque j’étais étudiant, cette dimension me paraissait alors beaucoup plus réelle ; parce que l’accréditation était un véritable rite de passage, parce que jongler avec les multiples fichiers supposait d’avoir acquis une habileté qui ne s’acquérait qu’à la longue, parce que les lieux étaient ceux d’une sociabilité universitaire à laquelle la présence des mandarins donnait de véritables lettres de noblesse (les fréquenter c’était entrer un peu « in nostro

docto corpore », pour parler comme Thomas Diafoirus).

Il me semble que tout cela a disparu aujourd’hui : l’accréditation s’est transformée en simple inscription, ; la rétroconversion des catalogues a mis la recherche bibliographique quasiment à la portée de tous (du moins pour la recherche bibliographique de base, celle qui consiste à trouver la cote du livre qu’on souhaite consulter), et en perdant sa position centrale dans la ville, la Bibliothèque a perdu aussi la place qu’elle occupait dans la sociabilité universitaire.

Pourtant, une conversation publique sur un réseau nous semble assez bien restituer des perceptions très contrastées. A, un conservateur, échange avec B, un autre agent de la BnF impliqué dans les services aux chercheurs, mais également intervenant auprès d’étudiants de master. Alors que A appelle à venir dans son département parce que « c’est morne plaine en salle de lecture », voici le dialogue qui s’en suit :

B : « Louable appel que de vouloir peupler les salles de lecture, mais attention à ne pas susciter une plus grande frustration, vous n’êtes pas à l’accréditation...

A – Certes mais je peux faire une lettre de recommandation si je considère sa demande légitime et s’il veut consulter des documents. La bibliothèque de dernier recours c’est fini

B – Faut le savoir et le candidat lecteur lambda, il fait comment pour solliciter une lettre de recommandation sans avoir pu entrer en salle de lecture ? On reste au parcours du combattant et de la relation interpersonnelle

B - Pas eu l’air c*n moi à inciter les [étudiants de master] TNAH [Technologies numériques appliquées à l’histoire] à demander leur carte... ont pas été déçus...

Notons la part de subjectivité dans la délivrance d’une lettre de recommandation : « si je considère que sa demande est légitime ». Et en l’absence d’une bonne connaissance des interlocuteurs possibles pour autoriser un accès, tout revient à l’audace du lecteur qui tente sa chance. Comme le soulignait la directrice de la bibliothèque de l’Institut de France, « parfois les demandes d’inscription le montrent ‘je pense que je ne pourrai pas’ mais la personne espère que ce ne soit pas le cas ».

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