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Chapitre 3. Structuration des filières de la transition énergétique au

1. Une demande soutenue par une politique volontariste

Lorsque le Danemark fut affecté par le premier choc pétrolier en 1973, 90% de la consommation d’énergie était couverte par des importations de pétrole du Moyen-Orient. Des initiatives furent prises pour limiter la consommation (dimanche sans voiture, réduction de l’éclairage public, vitesses limite abaissées sur les routes). En matière d’offre, le pays renforça ses efforts dans l’exploration des ressources pétrolières de la mer du Nord (avec des retombées dans les années 80), envisagea l’option d’un parc nucléaire avant de privilégier les énergies renouvelables.

Avec une géographie exposant très largement le pays aux vents dominants du sud-ouest, le secteur éolien fut plus particulièrement soutenu. La première éolienne connectée au réseau le fut dans les années 1970. Durant la même période, le centre d’essais et de certification du Laboratoire national de Risø fut ouvert par la Danish Technical University (DTU).

À l’origine, les premières éoliennes furent le projet de militants soucieux de protection de l’environnement et désireux de répondre à des besoins locaux. Peu à peu se constitua une filière qui permit l’implantation, entre 1977 à 2000, d’environ 8000 éoliennes terrestres dans le pays. Le manque

d’espaces sur terre conduisit à envisager l’éolien marin à parti de 1991 jusqu’à la mise en place de la plus grande ferme éolienne du monde installée en 2002 à Horns Rev.

Si les échecs de certains pays européens sont attribués aux revirements de leurs politiques de soutien aux EnR, le Danemark a connu, lui aussi, plusieurs inflexions majeures. Ainsi, lorsque la majorité socialiste-écologiste perdit le pouvoir aux élections de 1991, un coup d’arrêt fut porté au développement de l’énergie éolienne. Confrontées aux plaintes croissantes des populations locales, les nouveaux ministres de l’environnement et de l’énergie limitèrent en effet l’essor de l’éolien jusqu’à ce que l’ancienne coalition revienne au pouvoir dès 1993 à la faveur d’un scandale politique.

Arguant de la nécessité de limiter le réchauffement climatique, les autorités initièrent une nouvelle stratégie énergétique (E-21). De nouveaux tarifs d’achat furent négociés entre pouvoirs publics, propriétaires d’éoliennes et entreprises conduisant à une nouvelle croissance du nombre d’éoliennes installées. De 1994 à 2000, la contribution de l’éolien à la production d’électricité fut portée à 18% (Karnøe & Buchhorn, 2008).

En 2018, c’est l’arrêt du dispositif classique en février pour l’éolien terrestre qui suscita des inquiétudes dans le secteur. Cette année-là, 4 187 turbines (d’un âge moyen de 19 ans) étaient implantées sur le territoire (4GW soit 27% de la consommation électrique du pays). En février 2017, DWIA et l’association des propriétaires d’éoliennes avaient publié un communiqué commun appelant à la mise en place d’un nouveau dispositif111. En juin de la même année, les principaux partis danois approuvèrent le lancement

de 3 appels d’offre pour l’éolien marin pour un total de 2.4GW, mais une réduction de l’éolien terrestre d’ici à 2030 fut acté dans le même temps (de même que l’abandon du charbon)112.

Concernant l’éolien terrestre, le gouvernement opta pour un système fondé sur des appels d’offres technologiquement neutres de 200 MW environ en 2018 et 2019 (134 millions € sont prévus). Réduire le coût de la transition, soutenir les efforts de R&D113, simplifier le système de subvention, impliquer

davantage les développeurs dans la prise de risque furent les principales priorités énoncées. Les autorités envisagent désormais un FiP114 fixe de l’ordre de €0.017/kWh sur 20 ans (contre €0.034/kWh

pour le système en vigueur jusque-là)115. L’industrie a critiqué ce système, lui préférant le modèle CfD

mis en œuvre notamment en Allemagne, au Royaume-Uni ou pour l’éolien marin au Danemark116 afin

de mieux se prémunir contre d’éventuelles baisses des prix du marché.

Un modèle décentralisé

Les principaux acteurs à l’échelle gouvernementale

- Le Ministère du climat et de l’énergie (Ministère à part entière) élabore entre autres les plans climat.

- Le Ministère des Affaires étrangères promeut la filière à l’export, notamment pour mettre en œuvre la stratégie adoptée en 2018 de doubler d’ici à 2030 les exportations.

- L’Agence danoise de l’énergie certifie les éoliennes et contribue à la définition des systèmes de soutien.

111 David Weston, 28 juin 2017, Denmark reaches 4GW onshore wind, WindPower monthly,

https://www.windpowermonthly.com/article/1437919/denmark-reaches-4gw-onshore-wind. Consulté le 12 novembre 2018.

112 Les premiers 800MW sont appelés à être agréés en 2019/20 pour une mise en service en 2024 et en 2027, avec pour la première fois des coûts de connexion qui pourraient être inclus dans les projets à soumettre. Deux autres projets de 800MW seront sollicités en 2021 et en 2023. Le gouvernement a exprimé son souhait de voir à terme des projets ne sollicitant aucun soutien public. Afin de limiter les problèmes d’acceptabilité, les municipalités sont depuis cette date autorisées à approuver des projets situés à 15 kilomètres des côtes (contre 8 actuellement).

113 L’accord prévoit un financement de 150 million DKK sur 3 ans pour financer un centre d’essais de turbines à installer en 2018 et 2019 sur la base du principe, premier arrivé, premier servi.

114 Feed-in premium.

115 S’agissant de l’éolien terrestre, le parc ne devrait compter que 1 850 machines contre 4 300 en 2018 grâce au remplacement d’anciennes éoliennes par de nouvelles plus puissantes. Entre 2020 et 2024, des appels d’offre neutres seront lancés mettant notamment en concurrence l’éolien et le photovoltaïque. In : David Weston « Denmark agrees "ambitious" energy deal », Windpower monthly, 29 June 2018 by https://www.windpowermonthly.com/article/1486456/denmark-agrees-ambitious-energy-deal. Consulté le 12 novembre 2018. 116 David Weston, DWIA rebukes 'expensive' political agreement, 26 September 2017, https://www.windpowermonthly.com/article/1445706/dwia-rebukes-expensive-political-agreement

Le rôle clef des municipalités

Les municipalités et les particuliers détiennent une grande partie du parc éolien. En outre, la législation oblige les développeurs à associer les riverains aux retombées financières des projets. Au final, plus de 80% des éoliennes sont la propriété de coopératives, d’agriculteurs et 150 000 familles ont des participations dans des coopératives. Les actionnaires sont rassemblés dans l’Association des propriétaires danois d’éoliennes (Krohn, 2002). L’implantation d’éoliennes repose pour l’essentiel sur les municipalités qui décident tous les 4 ans leur plan d’occupation des sols en y incluant (ou pas) des espaces réservés à l’énergie éolienne. Les citoyens ont voix au chapitre à 2 moments : lors de la consultation préalable à la définition des plans d’occupation des sols et au cours de la phase de consultation pour un projet précis. La phase de consultation dure au minimum 8 semaines, période au cours de laquelle les habitants peuvent faire entendre leur avis.

Comme dans plusieurs autres pays, la multiplication des éoliennes a peu à peu suscité des oppositions locales (Sovacool, 2013). La loi de 2009 sur les énergies renouvelables fut pensée entre autres comme une réponse à cette montée des oppositions, notamment 4 dispositions mises en œuvre pour favoriser l’acceptation sociale (Johansen, Emborg, 2018) : le système de copropriété, le système de partage des bénéfices avec la collectivité (the green scheme (Anker and Jørgensen, 2015), le système de compensation pour perte de valeur du bien immobilier, le fonds de garantie. S’il est communément admis que de telles dispositions sont de nature à favoriser l’acceptation sociale (Cowell et al., 2011, p. 552), leur impact est fonction de différents paramètres (Bidwell, 2013; Cass et al., 2010; Kerr et al., 2017) et leur impact local est sujet à caution (Johansen, Emborg, 2018).

Ainsi Johansen et Emborg (2018) ont étudié plus précisément le système de copropriété qui prévoit que tout développeur est soumis à l’obligation de proposer à la population locale une participation de 20% au parc mis en œuvre117. Ils ont souligné un biais, les habitants jeunes, masculins, déjà acquis à la cause

de l’éolien étant nettement mieux informés et plus désireux de participer que le reste de la population. En somme, l’effet d’aubaine serait notable, les populations les plus affectées et/ou les plus sceptiques à l’égard de l’éolien ne faisant pas partie des bénéficiaires principaux. Certes, la législation prévoit 3 autres dispositifs mais le système de copropriété est de loin le plus significatif d’autant que le green scheme, qui bénéficie lui, à l’ensemble de la collectivité concernée par la pose d’éolienne, demeure peu sollicité (Johansen, Emborg, 2018).

Des coopératives omniprésentes

L’une des particularités du système danois est l’abondance de coopératives, responsables d’une grande partie des fermes éoliennes installées dans les années 80 et 90. La première réalisation de ce type fut établie en 1980 à proximité d’Aarhus dans le Jutland. Si les entreprises municipales et privées ont peu à peu pris en charge le développement de l’éolien, le rôle des coopératives demeure crucial. Il a été renforcé par la législation de janvier 2009 (voir plus haut) qui prévoit notamment que le développeur de tout projet doit proposer au moins 20% des parts de son projet aux habitants, par exemple à travers une coopérative. En somme, la transition énergétique a, comme en Allemagne, réactivé la création de coopératives qui remonte au 19ème siècle (la première coopérative de produits laitiers fut créée en 1882

dans le Jutland de l’Ouest). Si le nombre de coopératives a chuté dans les années 70, elles demeurent un cadre apprécié dans le secteur de l’énergie éolienne. Le risque pris par les sociétaires est en effet minime (les coopératives ne sont pas autorisées à contracter des emprunts). Le plus souvent, une part équivaut à une production de 1000 kWh d’une éolienne particulière et l’influence du sociétaire dépend du nombre de parts détenues.

De nos jours, environ 15% des éoliennes danoises sont détenues par environ 300 coopératives. Le nombre des petites éoliennes étant appelé à diminuer, celui des coopératives devrait suivre la même tendance même si la loi de 2009 leur fournit un soutien en vue de renforcer l’acceptation sociale des projets. De fait, l’implication financière des citoyens vaut désormais également pour des projets d’éolien

117 Citizens eligible for investing in wind farm shares through OPSS must be 1) minimum 18 years of age. Citizens must also be registered in the Danish CPR-register with 2) permanent residency address a) up to 4.5 km from the wind farm project site, or b) in the municipality hosting the wind farm project, or c) in municipalities with coastline up to 16 km from off-shore project sites when shares are sold. Shares are sold at cost price. Group a is prioritized, and citizens in this group a can buy up to a maximum of 50 wind farm shares. The remaining shares are then offered to citizens above 18 in groups b and c. The wind farm developer disposes freely over shares not sold during the min 8 week period when shares are offered for sale (Anker and Jørgensen, 2015;

marin. La ferme offshore Middelgrunden (40 MW) près de Copenhague fut ainsi développée à travers une entreprise et plusieurs personnes privées (avec 8 000 sociétaires, elle constitue à ce jour la plus importante coopérative énergétique au monde). Le projet Samsø Project sur la côte Est du Jutland (23 MW) fut également financée par des habitants de l’île de Samsø et par la municipalité.