• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5. Structuration des filières de la transition en Bavière

1. Les enjeux énergétiques de la Bavière

La stratégie énergétique de la Bavière constitue une réponse à plusieurs enjeux clés. La sécurité énergétique menacée par la fermeture des réacteurs nucléaires doit être compensée par le déploiement des énergies renouvelables, elles-mêmes confrontées à un manque d’acceptation sociale.

La fermeture des réacteurs nucléaires

L’enjeu énergétique central de la Bavière tient à la fermeture des réacteurs nucléaires et, dans une moindre mesure, à la fin programmée du charbon. La fermeture des réacteurs nucléaires qui couvraient près de 50% des besoins du Land pose un défi énergétique conséquent à la Bavière, 2ème Land allemand

en matière de population avec 12,9 millions d’habitants et parmi les régions allemandes les plus dynamiques économiquement (Langer et al. 2016). Elle affiche un PIB en hausse de 18,3% entre 2010 et 2017 pour atteindre 594 milliards d’euros. Or, la Bavière ne veut pas dépendre de l’importation de l’électricité nucléaire des pays voisins ni des importations de charbon. Ce risque de dépendance est

203https://www.cleanenergywire.org/news/energy-transition-start-ups-shake-business-world

d’autant plus important que l’énergie nucléaire représentait près d’un quart de la consommation primaire d’énergie (25,0% en 1996 et 23,4% en 2012). Elle était produite par 4 centrales, à Isar, Grafenrheinfeld, Grundemmingen, qui doivent être fermées d’ici 2022, la première celle de Grafenrheinfeld ayant arrêté son activité en 2015 (Leipziger Institut 2015). La fermeture des centrales nucléaires d’ici à 2022 risque de créer un déficit de 25 milliards de KWh par an pour la Bavière, soit un déficit d’approvisionnement de 30% pour couvrir les besoins d’électricité de la population et de la puissante industrie bavaroise. Il doit être compensé par les centrales à gaz combinées aux ENR, à l’amélioration de l’efficacité de la production et des réseaux, au développement des capacités de stockage et à la réduction de la consommation.

Les ambitions bas-carbone

Pour répondre à l’enjeu de substitution de l’énergie nucléaire et de sécurité énergétique, le gouvernement bavarois a élaboré en 2011 son concept énergétique (Energie Innovativ) qu’il a construit autour de trois piliers : - L’utilisation efficace de l’énergie, y compris les économies d’énergie, le stockage et l’amélioration de l’efficacité énergétique de la production à la consommation,

- La production durable d’électricité, fondée sur les renouvelables (hydroélectricité, solaire, biomasse, éolien), le gaz et la digitalisation de l’énergie,

- Et l’amélioration des réseaux, notamment dans l’investissement des « autoroutes électriques » entre le nord et le sud et dans les réseaux de distribution intelligents. Les grands projets de construction de réseau sont toutefois freinés notamment en raison de l’opposition de la population bavaroise.

Aucune stratégie industrielle n’accompagne ce concept. Il s’agit plutôt d’assurer la sécurité de l’approvisionnement en réduisant la demande d’énergie, en rendant la production des énergies plus efficace afin de diminuer le besoin de déploiement massif et les risques de conflits d’acceptation sociale et en promouvant les nouvelles technologies pour optimiser leur usage. Aussi le concept énergétique bavarois affiche-t-il les ambitions suivantes :

- Une réduction des émissions de CO2 pour atteindre 5,5 tonnes par habitant maximum d’ici 2025 par rapport aux 6,2 t CO2 par habitant en 2010 (stmwi 2016). Les entreprises bavaroises doivent contribuer à développer les technologies adaptées à cet objectif et les commercialiser sur les marchés mondiaux.

- Pour réaliser la transition énergétique, la Bavière souhaite que la consommation d’électricité en 2021 se maintienne au même niveau qu’en 2011 c’est-à-dire autour de 85 milliards kWh par an (Bayerische Staatsregierung 2011). L’équation s’avère difficile pour la Bavière puisque sa capacité de production domestique diminue avec la fermeture des centrales nucléaires alors que la demande

tend à augmenter en raison de l’électrification de différents secteurs (transport, chauffage notamment).

- La part des énergies renouvelables doit atteindre 70% dans la production brute d’électricité d’ici 2025 et 50% d’énergies renouvelables dans la consommation d’électricité d’ici 2021. D’importants efforts ont été consentis. La part des énergies renouvelables dans la production brute d’électricité est passée de 25,9% en 2010 à 36,2% en 2014 (stmwi 2016).

Au-delà de l’objectif général d’accroissement de la part des renouvelables, la pression citoyenne contre l’énergie éolienne et le faible potentiel éolien de la région ont conduit le ministère à privilégier le recours au solaire. Certes, l’éolien n’est pas exclu du mix énergétique bavarois mais les difficultés d’implantation des turbines rendent l’objectif incertain. Seul 0,6% de la surface du Land pourrait être utilisée pour l’éolien, une fois retirées les zones protégées (naturelles, habitations, infrastructures). Ainsi, la part de l’éolien dans la production d’électricité brute est passée de 0,7% en 2010 à 2% en 2014 et à 5,4% en 2017205. Cependant son rythme de développement est ralenti depuis l’introduction d’une distance

minimale entre les installations et les habitations qui doit correspondre à dix fois la taille des turbines, répondant en cela aux protestations des citoyens (stmwi 2016). Il semble alors difficile d’atteindre l’objectif de 6 à 10% d’énergie éolienne dans la production d’électricité fixé à 2021 dans le concept énergétique bavarois. En effet, cet objectif correspond à environ 1000-1500 nouvelles turbines. En 2016 seulement 937 turbines avaient été installées. La règle de « 10H » équivalant à la distance minimale entre habitations et éoliennes ne pouvait que ralentir le déploiement de l’éolien, ce qui a amené le gouvernement bavarois à réduire son ambition dans ce secteur (Langer et al. 2016).

En revanche, la Bavière affiche un niveau d’ensoleillement parmi les meilleurs en Allemagne. La part du PV dans la production brute d’électricité a plus que doublé en passant de 4,8% à 11,8% entre 2010 et 2014. Les panneaux sont essentiellement installés sur les toitures et le long des autoroutes et des chemins de fer pour les fermes solaires au sol. De plus, cette énergie permet aux citoyens-investisseurs de bénéficier économiquement du déploiement du solaire et facilite l’acceptation de cette technologie. Ce faisant, la qualité de l’ensoleillement et l’acceptation de cette technologie et de son mode de déploiement par la population expliquent pourquoi le concept énergétique bavarois prévoit que 16% de la production d’électricité doit provenir du solaire PV tandis que le solaire thermique doit pouvoir couvrir 4% de la consommation d’énergie d’ici 2021 (Energieinnovativ 2013, Stmwi 2016).

Il est également intéressant de noter que la bioénergie a toute sa place dans le concept bas carbone du

Land. Elle est perçue comme un moyen de compenser l’intermittence des énergies renouvelables et de

contribuer à la sécurité énergétique. Elle vise également à renforcer l’économie locale, notamment dans le milieu rural, et à créer de la valeur dans les zones rurales. D’ici 2021, elle pourrait représenter entre 9% et 10% de la consommation d’électricité en Bavière. Pour y parvenir 15% de la surface agricole, soit 3,2 millions d’ha, devrait être destinée à l’usage énergétique. Cet objectif dépend de la résolution des conflits d’usage et de la discussion environnementale sur l’affectation des sols. Ce land vise également à mobiliser toutes les ressources végétales possibles (déchets organiques, paille, bois) associées à des technologies efficaces tels que la gazéification (Bayerische Staatsregierung 2011).

L’hydroélectricité, déjà bien déployée en Bavière, continue de jouer un rôle important dans le mix bavarois à l’horizon 2021. Le développement et la modernisation des installations hydroélectriques et le déploiement de la petite hydroélectricité doit permettre de couvrir 17% de la consommation régionale d’ici 2021. Mais la grande hydro-électricité est exclue à défaut de ressources.

L’acceptation sociale

Comme dans de nombreux autres Länder, la Bavière est confrontée à d’importantes résistances contre l’éolien. Ces conflits opposent deux camps : les tenants de l’éolien, que sont la fédération de l’éolien (BWE), les coopératives citoyennes, les grandes organisations environnementales telles que BUND ou NABU qui soutiennent le modèle de transition énergétique allemande ; les opposants qui regroupent des profils très variés qui vont des organisations de défense du paysage, de la faune, de la flore, des urbains mécontents de payer les taxes qui profitent aux agriculteurs qui louent leurs terrains aux

entreprises énergétiques et des habitants qui défendent tradition et paysages régionaux. De plus en plus souvent les conflits sont violents au sein même des villages concernés et renvoient face à face les tenants du climat et les tenants de la nature. Le manque d’acceptation sociale des turbines se traduit par une perte de confiance dans le modèle de la transition énergétique et des pertes financières conséquentes pour de nombreux projets. Certains conflits peuvent même aller très loin à l’instar de la commune de Starnberger See où le conseil municipal avait voté en faveur de l’installation de turbines sur la commune mais où le maire a reçu des menaces de mort de l’opposition anti-éolien206.

Pour répondre aux conflits liés à l’acceptation sociale des turbines éoliennes, la Bavière a imposé des régulations drastiques concernant les distances de protection à respecter. L’article 82 du code de construction bavarois (Art. 82

Abs. 1 Bayerische Bauordnung – BayBO) introduit en 2014 la règle du « 10H », c’est-à-dire que la distance entre une éolienne et une habitation doit être de dix fois la hauteur de l’éolienne. Autrement dit, une éolienne de 100 mètres de hauteur doit respecter une distance d’un kilomètre par rapport aux habitations. Dans la mesure où la taille des éoliennes ne cesse d’augmenter, il devient de plus en plus difficile de construire des turbines. Le graphique207 ci-contre montre la

réduction drastique des surfaces disponibles pour l’éolien qui représentent moins de 1% du

territoire bavarois, selon certains auteurs (Langer et al. 2016).

Cette situation a conduit à une baisse du nombre de demande de permis de construire : de 336 demandes en 2014 à 25 après la décision de mettre en place la règle des « 10H » (Langer et al. 2016). Certes, cette règle évite les conflits avec les habitants vivant à proximité, mais elle réduit également le potentiel éolien en le limitant au petit éolien. Alors que l’acceptation sociale pour l’éolien en général est assez élevée en Allemagne, l’opposition contre les projets locaux est réelle. En 2016, 39% de la population allemande refuse les turbines à proximité et proteste contre les projets qui affectent leur environnement direct (Langer et al. 2016). La nouvelle règle « 10H » décidée par le gouvernement bavarois cherche certes à rassurer les citoyens mais peut à l’inverse renforcer les doutes des citoyens face à cette technologie et consolider la position des anti-éoliennes. En outre, les parcs éoliens sont concentrés dans les régions de Haute Franconie et du Haut Palatinat au nord et à l’est du territoire bavarois. Cette concentration alimente le sentiment d’inégalités et d’injustice entre les habitants des régions qui subissent l’éolien et les autres qui en profitent. Les difficultés liées à l’acceptation sociale de cette ressource ont contribué à motiver le gouvernement à opter pour le soutien à l’innovation et à une approche holistique de la transition énergétique.