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3. Cadre méthodologique

3.1.2. Une démarche inductive

Le récit de vie se fait généralement selon une démarche inductive (Dépelteau, 2000). Cette démarche « procède par construction de données élaborées à partir des données observées pour constituer un modèle théorique, issu des données et de modèles partiels existants » (Leutenegger & Saada-Robert, 2002, p. 15). Il s’agit cependant d’une dominante, car une recherche en sciences de l’éducation ne saurait être « purement » inductive. A un moment où un autre, les données recueillies sur le terrain sont définies par des concepts théoriques; un mouvement déductif prend alors le relai (ibid.).

Questions de recherche

Toute recherche commence par la définition d’une problématique et la formulation de questions de recherche, celles-ci reposant sur les conceptions théoriques du chercheur, issues de ses expériences, de ses observations, de ses lectures (Burrick, 2010). Dans une recherche inductive, les questions de recherche n’ont cependant pas le même statut que dans une recherche hypothético-déductive.

Comme le souligne Maxwell (1999), présenter les questions de recherche comme le point de départ inévitable de toute étude ne rend pas justice à la nature interactive de la recherche inductive. Il ne s’agit pas pour autant de se lancer sans question, en allant simplement sur le terrain. Le chercheur dispose d’une base d’expériences et de connaissances qui engendre certaines questions initiales sur le phénomène étudié. Celles-ci structurent l’étude et serviront de base au développement de questions plus spécifiques auxquelles la recherche pourra répondre à terme. Ainsi, ces questions spécifiques « sont généralement le résultat d’un processus interactif de conception, plutôt que d’être le point de départ de ce processus » (ibid., p. 96).

Dans un premier temps, j’ai donc articulé mon mémoire autour de deux questions de recherche, tout en sachant que celles-ci évolueraient au fil de ma démarche. Ces questions sont les suivantes:

- Qu’est-ce qui, dans une histoire de vie, amène l’individu à s’orienter vers l’enseignement spécialisé?

- Est-il pertinent, dans le cadre de l’enseignement spécialisé, de distinguer l’identité professionnelle et personnelle?

Au terme de ma récolte de données et après avoir soigneusement relu les récits recueillis, j’ai admis qu’il me serait difficile de répondre à ma première question de recherche sur la base de ce matériau. Les récits abordent certes des thématiques diverses et ne se limitent pas à des considérations scolaires ou professionnelles. Ils touchent cependant peu à l’intimité des sujets et ne comportent que peu d’informations quant à leur histoire familiale. Les motivations profondes à devenir enseignant spécialisé me restent donc inaccessibles. Pour aborder cette question, il faudrait opter pour des récits de vie complets, ce qui n’entre pas dans mes intentions pour ce mémoire.

Mes lectures théoriques ont également contribué à une redéfinition de mes questions de recherche. Les travaux de Gohier et al. (1997) autour de l’identité globale des enseignants m’ont amenée à dépasser le clivage que j’ai initialement établi entre identités professionnelle et personnelle. Toujours selon Gohier et al. (1999), il existe un jeu d’influences réciproques entre l’individu enseignant et les critères définitoires de la profession. Ainsi, la profession a des effets sur l’individu qui contribue lui-même à l’évolution de la profession. Identité professionnelle et identité personnelle sont donc à penser davantage en termes d’interaction que d’opposition. Ces deux considérations m’amènent à redéfinir une question de recherche principale et deux secondaires. - Quels sont les éléments définitoires de la profession d’enseignant spécialisé?

- Ces éléments s’apparentent-ils à ceux de la profession enseignante?

- Trouve-t-on, chez les enseignants spécialisés, des caractéristiques personnelles participant à déterminer ces éléments ?

Je garde à l’esprit qu’une recherche « ne vise pas forcément à résoudre un problème. Il peut s’agir d’une nouvelle connaissance à acquérir, d’une théorie à vérifier, ou d’un nouveau domaine à explorer » (Deslauriers, 1991, p. 23).

Hypothèse

Les hypothèses sont des propositions de réponse aux questions que l’on se pose. Elles établissent des liens entre les composantes de la situation explorée (Mathier, 2001). Dans une démarche inductive, le chercheur n’est pas non plus exempt d’hypothèses. Il ne choisit pas son champ d’investigations au hasard: c’est parce qu’il a déjà une idée de ce qu’il trouvera, ou du moins de ce qu’il aimerait trouver, qu’il le définit de la sorte.

En revanche, les hypothèses ont, à l’instar des questions de recherche, un autre statut que dans une recherche déductive. Selon Bertaux (2010), « il ne s’agit pas de les vérifier mais de les élaborer à partir des observations et d’une réflexion fondée sur les récurrences » (p. 30). Les hypothèses initiales sont donc amenées à évoluer pour devenir, confrontées aux différentes données recueillies sur le terrain, des hypothèses « de travail ».

Dans un premier temps, j’ai défini deux hypothèses de recherche, en lien avec mon questionnement initial:

- La personne qui s’oriente vers l’enseignement spécialisé cherche à « réparer » son enfance par le biais de sa profession.

- Plus que dans les autres professions, il y a confusion entre identité professionnelle et personnelle chez les enseignants spécialisés.

Ces hypothèses se sont transformées pour correspondre à mes nouvelles questions de recherche: - L’identité professionnelle des enseignants spécialisés se différencie de celle des enseignants dits

« ordinaires », tout en présentant des points communs avec elle.

- Il n’y a pas de caractéristiques personnelles prédisposant à devenir enseignant spécialisé.

- Il existe en revanche des caractéristiques personnelles prédisposant à opter pour un métier dit « de l’humain ». Celles-ci contribuent à la définition de l’identité professionnelle collective des enseignants spécialisés.

- La multiplicité des expériences professionnelles et des formations de base des enseignants spécialisés contribuent fortement à la définition de leur identité professionnelle collective.

Ces hypothèses évolueront encore, au fil de l’analyse des données. Cependant, il est important de poser des hypothèses de travail lorsqu’on est confronté à des données issues de récits de vie, même partiels. En effet, c’est « prendre une petite avance dans la compétition continuelle entre le chercheur qui veut dominer son matériau [...] et le matériau qui dans son processus d’accumulation tend sans cesse à l’engloutir » (Kaufmann, 2008, p. 35) .

3. 2. Méthodologie

Comme nous l’avons évoqué dans notre problématique, une approche par le récit de vie convient particulièrement bien à une question comme celle de l’identité professionnelle, car les données recueillies sont fidèles à la complexité de la thématique abordée. Nous avons en outre mentionné la dimension diachronique de l’identité. Sa construction a été mise en lien avec la « mémoire autobiographique » des individus par Carver et Scheier (1990), puis ultérieurement par Conway et Pleydell-Pearce (2000). Cette mémoire autobiographique est un système complexe qui englobe deux composantes en interaction: un système de contrôle (le « working- self ») et une base de connaissances autobiographiques. Qualifiée par Beckers (2007) de « support de l’identité » (p. 157), elle se construit au fil de l’histoire de vie de l’individu.

L’importance, chez les enseignants, des expériences personnelles antérieures à la formation initiale a également été mise en avant par Britzman (1992), qui postule qu’elles forment le cadre de référence de leur identité professionnelle (Riopel, 2006).

L’ensemble de ces considérations nous ont conduits à opter, dans un premier temps, en faveur d’une méthodologie basée sur les récits de vie. Nous avons ensuite affiné notre choix pour le fixer sur les biographies éducatives.