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Une croissance fondée sur une mono-ressource

3. La spécificité des petits Etats insulaires en développement : Analyse à l’échelle

3.1. Grandeur et décadence de Nauru

3.1.1. Une croissance fondée sur une mono-ressource

Tout comme ses consœurs du Pacifique, l’île de Nauru a été colonisée pour la première aux alentours de 1000 ans av. J.-C., lors de la diffusion du peuplement austronésien (Argounès, Mohamed-Gaillard, Vacher, 2011). Les sources datant de cette époque sont pour l’île, malheureusement, inexistantes. Le site officiel de la République de Nauru rappelle que douze tribus furent à l’origine du peuplement de l’île, tribus dont se prévalent aujourd’hui

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Cette île fait partie de l’archipel des Kiribati. 39

Suva est à 2318 kilomètres de Nauru, Port-Moresby à 2398 kilomètres et Brisbane à 3330 kilomètres.

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La Micronésie est constituée de Palaos, les Mariannes du Nord, Guam, les Etats fédérés de Micronésie, les Ile Marshall et Nauru.

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encore les Nauruans autochtones. Il semble que les habitants de Nauru partagent des traits mélanésiens, polynésiens et micronésiens. L’isolement de l’île explique le peu de sources à disposition lorsque l’on s’intéresse à l’histoire nauruane. Nauru apparait sur les cartes lors de la conquête du Pacifique par les Occidentaux au XVIIIe siècle. L’île prend de l’importance lorsqu’elle devient, autour des années 1830, une île-étape pour les baleiniers occidentaux en quête d’eau et de nourriture. Cette fonction d’escale conduit progressivement à l’installation d’Occidentaux sur l’île, perturbant durablement le mode de vie tribale en place jusque alors à Nauru : de violents conflits entre les différentes chefferies éclatent sur l’île dans les années 1870. La présence de marchands allemands sur l’île pousse ceux-ci à demander le rattachement de Nauru au protectorat allemand déjà en place aux Iles Marshall, ce qui est chose faite en 1888. Les Allemands mettent un terme aux conflits tribaux qui ravagent l’île depuis une dizaine d’années : ils « vien[nent] de sauver la population de sa propre destruction » (Folliet, 2010). L’histoire de l’île est donc assez commune à celle de ses voisines : elle subit la volonté de conquête européenne, à l’heure où le Vieux Continent s’industrialise et cherche à la fois des matières premières et des marchés pour écouler sa production.

Le commerce entre Nauru et les Occidentaux se cantonnent jusqu’à au début du XXe siècle au coprah. L’importance de l’île s’accroit lorsque l’on y découvre du phosphate quasiment pur. Celui-ci est alors très recherché par l’Australie, terre peu fertile, puisqu’il entre dans la composition des engrais agricoles. Australiens et Allemands s’entendent donc pour exploiter la mine de phosphate de Nauru à partir de 1907. Les autochtones poursuivent leurs activités traditionnelles, la main d’œuvre minière étant principalement constituée de

coolies chinois. Cet accord perdure jusqu’à la Première Guerre mondiale. L’importance du

gisement de phosphate, gardée relativement secrète par l’Australie, est mise en avant au lendemain de la Grande Guerre. Luc Folliet cite par exemple un article paru dans le New- York Times en septembre 1918 : « On estime à 500 millions de tonnes les réserves de phosphate sur cette île. Ce fertilisant pourrait concurrencer les célèbres champs de nitrate du Chili » (Folliet, 2011, p.28). Nauru, en tant qu’ancienne possession de l’Allemagne perdante, entre sous le giron de la Société des Nations. Celle-ci confie son administration à la Grande- Bretagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Dans les faits, l’Australie gère seule le petit territoire mais la British Phosphate Commission, composées des trois puissances, voient le jour, gérant l’extraction minière et permettant un partage des revenus du phosphate. La gestion est donc exclusivement laissée aux mains des Occidentaux, les autochtones ne prenant toujours pas part à l’activité minière.

La Seconde Guerre mondiale bouleverse une nouvelle fois la situation de l’Océanie insulaire. Jean-Pierre Doumenge n’hésite pas à dire que « le Pacifique a brutalement fait irruption dans la modernité, lorsque les Américains et leurs alliés affrontèrent les Japonais […], transformant le Pacifique insulaire en un des trois grands théâtres d’opération de la Seconde Guerre mondiale » (Doumenge, 2010). Cette guerre du Pacifique touche Nauru : les Australiens fuient l’île en 1942, permettant aux Japonais d’en prendre possession et de déporter des centaines de Nauruans. Après la guerre, Nauru se trouve à nouveau sous tutelle australienne, dans le cadre d’un mandat des Nations Unies naissantes. Les enjeux liés à la maitrise de l’exploitation du phosphate s’accroissent, celui-ci étant nécessaire pour reconstruire l’agriculture européenne après ce second conflit planétaire. La population autochtone est une nouvelle fois tenue à l’écart de la gestion du phosphate. Cependant, une génération qui a fait ses études en Australie s’impose dans les années 1950, et n’hésite pas à s’opposer à la mainmise australienne sur les ressources du territoire nauruan. Dans un contexte de décolonisation à l’échelle internationale, les Nauruans saisissent à plusieurs reprises le Conseil de Tutelle des Nations Unies, invoquant le droit des peuples à disposer

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d’eux-mêmes, principe fondateur de l’Organisation. Les Australiens, qui rétribuaient très peu les Nauruans pour l’exploitation de leurs terres augmentent progressivement les enchères, espérant échapper à la rétrocession de l’île. La vague d’indépendance en marche dans l’Océanie insulaire gagne finalement Nauru : l’île devient indépendante le 31 janvier 1968.

L’accession à l’indépendance des petits Etats insulaires a tout de suite posé la question de leur viabilité. Pour Nauru cependant, l’enjeu est différent. Les ressources, ou plutôt la ressource nécessaire pour faire vivre le pays et son économie est toute trouvée : le phosphate. Une des premières décisions du nouveau gouvernement nauruan est de nationaliser l’ensemble des structures économiques de l’île dont la principale est la Nauru Phosphate Corporation. Les Nauruans sont indemnisés pour l’exploitation du sous-sol, si bien qu’ils deviennent « en quelque sorte des actionnaires fonciers » (Folliet, 2010). Grâce aux redevances issues du phosphate, Nauru devient un des pays au revenu par habitant le plus élevé au monde. En 1975, le cours du phosphate étant très haut, le PIB par habitant est de 25 978$ par an. A titre de comparaison, le PIB par habitant aux Etats-Unis s’élève à 22 383$ par an cette même année, et il représente 20 145$ en France41. Cette période faste se prolonge pour la petite île jusqu’à l’épuisement des réserves de phosphate. Dès lors, la croissance économique du pays ralenti et le niveau de vie par habitant diminue. Ainsi, à partir des années 1980, l’économie nauruane ralentit progressivement jusqu’à plonger le pays dans une situation de crise durable, de laquelle il n’est pas sorti aujourd’hui.

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