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3. La spécificité des petits Etats insulaires en développement : Analyse à l’échelle

3.1. Grandeur et décadence de Nauru

3.1.3. Un Etat souverain mais dépendant

Nauru est donc devenu, en l’espace de quelques années, un Etat extrêmement dépendant des aides internationales, comme de nombreux autres Etats insulaires en développement. La forte influence des grandes puissances, et notamment de son ancien pays de tutelle, l’Australie, remet en question une partie de l’indépendance de l’île. Juridiquement, elle n’en reste pas moins un Etat de droit, dont une des richesses principales est le statut d’Etat-membre de l’ONU. Cette richesse peut être monnayée très chère, comme l’a très bien compris la petite île. Plusieurs exemples illustrent l’usage abondant que fait Nauru de la « diplomatie du chéquier ».

Depuis son entrée à l’ONU en 1999, le pays a pris de l’importance pour Taïwan. Nauru entretenait avec l’île chinoise des relations économiques et diplomatiques depuis les années 1980. Mais comme l’écrit Luc Folliet, « Nauru "se vend" au plus offrant » (Folliet, 2010, p. 107). L’allégeance à Taïwan est remise en cause par une proposition monétaire supérieure de la République populaire de Chine : de 2001 à 2005, le petit Etat soutient activement Pékin à l’ONU, avant de se tourner à nouveau vers Taipei, plus généreux. Taïwan possède donc une ambassade à Nauru, unique représentation diplomatique présente sur l’île. Ce jeu d’allégeance se traduit spatialement : en plus d’accorder un soutien financier à l’île – les liaisons aériennes entre Nauru et Brisbane sont possibles grâce aux subventions taïwanaises-, Taïwan est le seul pays au monde à y avoir dépêché un ambassadeur. Cette présente physique lui permet de contrôler les relations diplomatiques qui peuvent parfois être chaotique ; c’est aussi le moyen de reconnaître à Nauru son rang d’Etat. Taïwan est l’exemple le plus marquant, puisqu’il est visible sur l’île, de la « diplomatie du chéquier » que pratique Nauru. Cependant, le soutien de grands Etats sur des questions politiques et diplomatiques sensibles est devenu l’apanage de la plus petite république du monde. Lors du conflit en Géorgie en août 2008, la Russie a été le premier pays à reconnaître les provinces séparatistes, à savoir l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Le pays qui lui succède, en novembre 2008, est Nauru. Cette reconnaissance a un coût pour la Russie : 50 millions de dollars [Annexe 1]. Une fois de plus, la crédibilité qu’offre le statut d’Etat internationalement reconnu se monnaye cher pour l’île, qui en tire une part non négligeable de ses revenus.

Il a été rappelé que Nauru est traditionnellement une île de pêcheurs. Le témoignage de Luc Folliet, ainsi que les données fournies par François Taglioni44 montrent cependant que Nauru parvient à peine à vivre de sa pêche. Celle-ci est plus une pêche vivrière que d’exportation. Cependant, les ressources halieutiques dont dispose l’île grâce à sa ZEE – évaluée à 320 000 km² - sont une autre source potentielle de richesse. En plus de louer des droits de pêche, l’ouverture de Nauru sur la mer lui a permis de rejoindre, en 2005, la Commission internationale baleinière. C’est le Japon qui a pressé l’île d’adhérer à cette commission : en échange du vote de Nauru pour la levée du moratoire interdisant la pêche à la baleine, le Japon a aidé à la modernisation du seul bateau de pêche dont dispose l’île, et lui assure surtout un approvisionnement en essence (Folliet, 2011, p. 115). Une fois de plus, Nauru s’exprime sur la scène internationale à propos de sujets qui ne le concernent pas directement, et qui peuvent même parfois aller dans le sens inverse de son intérêt à long terme.

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Un exemple particulier illustre la perte d’indépendance du petit Etat. Les relations entre Nauru et son puissant voisin australien se placent historiquement dans un rapport de force. Malgré l’indépendance en 1968, les Nauruans ont toujours gardé des relations économiques, diplomatiques et culturelles étroites avec l’Australie. Il existe une diaspora nauruane importante à Brisbane par exemple, et de nombreux étudiants nauruans poursuivaient leurs études supérieures dans les universités australiennes pendant l’âge d’or de la petite république insulaire. L’ « étroitesse » des liens entre ces deux nations a atteint son paroxysme en 2001, lorsque Nauru a accepté la « solution Pacifique » proposée par le gouvernement australien, alors dirigé par John Howard. Cette « solution » prévoyait l’accueil à Nauru de centaines de demandeurs d’asile principalement originaire d’Afghanistan, et qui avaient été interceptés aux larges des côtes australiennes. Contre 10 millions de dollars par ans, le gouvernement nauruan a donc accepté de recevoir 867 réfugiés sur son sol dans des camps de rétention. Nauru a franchi un pas dans la perte d’indépendance, ce qui a été fortement critiqué par une partie de l’opinion australienne. Les précédents exemples n’avaient que très peu d’impacts sur le territoire, et la « diplomatie du carnet de chèque » restait assez peu visible à l’œil nu. La location du sol de l’île pour accueillir ces réfugiés amènent de nouveaux acteurs sur le territoire nauruan. En plus des huit cents réfugiés, des Australiens – policiers, gardes, ouvriers du bâtiment, fonctionnaires – investissent l’île pour administrer les deux camps dans lesquels sont répartis les réfugiés. Ces camps de rétention sont construits à l’écart des habitations nauruanes : la séparation entre les « activités » génératrices de revenus – mines de phosphate, camps de rétention – et les zones résidentielles est bien marquée, comme le montre la carte suivante (carte 3).

Carte 3. Répartition des activités économiques sur le territoire nauruan (Anouk Coornaert, 2014, Fond de carte : Alain Houot)

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Cette carte montre que la répartition spatiale des activités à Nauru. L’organisation du territoire reflète l’histoire de Nauru. Le bâti à Nauru se situe au bord de l’eau, preuve que les Nauruans sont à l’origine un peuple de chasseurs et de pêcheurs. Les seuls axes de communication présents sur l’île, en plus de la route encerclant l’île (« Island Ring »), convergent vers la mine de phosphate. La centralité de celle-ci est donc visible sur son territoire comme dans la vie économique nauruane. Les camps de rétention se trouvent quant à eux répartis à deux endroits de l’île : le premier en retrait de la bande littoral, à l’emplacement de l’ancienne résidence présidentielle ; le second à l’intérieur du territoire nauruan, à côté de la mine de phosphate. Cette activité est donc tenue à l’écart de la vie des habitants de l’île, mais les conséquences qu’elle a à l’échelle locale comme à l’échelle internationale sont bien visibles.

Le pays, souverain en droit international, demeure donc extrêmement dépendant des revenus que lui procure son statut d’Etat. Une question se pose : l’épuisement des réserves de phosphate suffit-il à expliquer la chute qui a suivi la fabuleuse croissance de Nauru ?

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