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Les  objectifs  de  la  décennie  internationale  de  l'eau  potable  sont  avant  tout  des  objectifs quantitatifs  de  raccordement  au  réseau  d'eau  potable.  Ils  ne  sont  pas  sous­tendus  par  une quelconque vision de l'organisation du service et des rôles de chaque acteur, et s'inscrivent en cela dans une vision linéaire du sous­développement, considéré  comme un simple retard de développement. 1.1. Une politique d'investissements publics qui s'inscrit dans le prolongement des théories du développement des années 1960 La décennie de l'eau correspond, avec quelques vingt années de décalage, à une politique du développement  qui  date  des  années  1960,  selon  laquelle  le  phénomène  de  sous­ développement est dû avant tout  à  des  causes  internes.  Les  premières  théories,  de  tendance plutôt libérale, mettent en avant le "retard" de développement (Rostow, 1963). Les principaux CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

auteurs adoptent une vision linéaire et quantitative du développement et mettent l'accent sur l'investissement afférent aux facteurs de production : c'est la période optimiste, où l'on pense qu'augmenter  l'investissement  pour  accumuler  le  capital  permettra  de  sortir  des  "cercles vicieux" du sous­développement (Nurkse, 1952). Selon la théorie du big push, seul un apport massif de technologie  et  d’investissement  permettra  le  décollage  des  économies.  C'est  ainsi que l'aide extérieure est considérée comme nécessaire pour l'étape de la transition, et qu’elle se traduit par un financement concentré sur les infrastructures supposées créatrices d’activités, comme les réseaux d'eau, les infrastructures routières, ou les grands complexes industriels.

1.2. Les principaux maîtres d'œuvre : collectivités publiques et régies

L'objectif  de  la  décennie  de  l'eau  est  d'accroître  le  taux  d'accès  à  l'eau  potable  :  c'est  un objectif quantitatif, qui reste limité, car il ne vise ni les pratiques des individus (c'est­à­dire des changements de comportements que devrait induire un meilleur accès à l'eau potable) ni les pratiques des exploitants (c'est­à­dire les méthodes de conception et de gestion du service). Pour atteindre cet objectif, on fait appel massivement à des subventions publiques, que ce soit pour  le  milieu  rural  ou  urbain,  pour  investir  prioritairement  dans  des  infrastructures  de production  et  de  distribution  d'eau  –  l'assainissement  restant  en  général  en  retard.  Les nouveaux financements destinés aux services d'eau sont gérés par les institutions existantes, c'est­à­dire les régies publiques.

La  vision  du  service  qui  prédomine  est  celle  d'un  service  d'intérêt  général  à  vocation sanitaire :  elle  se  traduit  différemment  dans  les  grandes  villes  et  dans  les  petits  centres urbains. Dans les  grandes villes, il s'agit de remplacer les systèmes  d'approvisionnement  en eau existants (puits, sources, revente d'eau) par un réseau centralisé, plus fiable et fournissant un  service  de  meilleure  qualité.  La  disponibilité  accrue  de  financements  internationaux favorise  de  gros  projets  d'augmentation  de  la  capacité  de  production  par  exemple  dans  les grandes  villes.  Nous  verrons  dans  le  cas  indien  que  cela  conduit  à  des  projets surdimensionnés,  parfois  mal  adaptés  aux  besoins  des  populations  et  gérés  de  manière  peu efficace.  Dans  les  petits  centres  urbains,  à  l'intermédiaire  entre  le  rural  et  l'urbain,  des expériences  intéressantes  témoignent  d'une  prise  en  compte  des  pratiques  existantes  pour construire un modèle de gestion hybride plus adapté aux réalités locales. CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

1.3. Des résultats globalement décevants

On ne dispose pas de chiffres globaux validés concernant la couverture en eau potable et en assainissement avant 1980, car la première enquête globale date de 199026. Ce que l'on sait, c'est qu'environ 100 milliards de dollars sont ainsi investis entre 1980 et 1990 dans des projets destinés  à  améliorer  l'accès  à  l'eau  potable  et  à  l'assainissement.  Ainsi,  1,3  milliard  de personnes sont approvisionnées en eau potable et 750 millions en assainissement – avec des résultats  variables  :  en  milieu  rural,  le  taux  d'accès  à  l'eau  potable  progresse  largement  (il double quasiment, de moins de 30 % à 60 % environ), tandis qu'en milieu urbain, où se fait la plus grande partie de la croissance de la population, les investissements compensent tout juste l'accroissement  de  la  population.  Ainsi,  en  1990,  près  de  1,5  milliard  de  personnes  n'ont encore pas un accès à l'eau défini comme "adéquat" par l'OMS, dont environ 250 millions en milieu urbain et 1,25 milliard en milieu rural27.

La conférence de New Delhi en 1990 marque le bilan de la décennie de l'eau lancée par les Nations  Unies  en  1980.  Les  objectifs  ne  sont  pas  atteints,  et  c'est  la  manière  d'utiliser  les ressources  financières  qui  est  mise  en  cause  :  "Failure  to  achieve  coverage  targets  in  the 1980s  has  as  much  to  do  with  the  manner  in  which  funding  sources  have  been  mobilized, allocated,  and  used  as  with  the  absolute  level  of  resources  available"  (UNDP­World  Bank and Sanitation Program 1990).

      

26 Néanmoins, à partir des données de la population  mondiale en 1980 (4,45  milliards  d'habitants)  et  en  1990 (5,276 milliards d'habitants), et des chiffres d'accès à l'eau en 1990 (1,434 milliard de personnes n'ont pas d'accès à l'eau, si l'on fait l'hypothèse que tous les pays développés ont une couverture de près de 100 %), sachant que 1.3 milliard de personnes ont été connectées entre 1980 et 1990, on peut évaluer le  taux  global  de  couverture d'accès à l'eau potable de 57 % en 1980 et 73 % en 1990. Ces chiffres  sont  à  manier  avec  précaution,  car  les définitions ont pu changer. Ils sont toutefois proches de chiffres cités par Arku (2002), qui donne un taux d'accès à  l'eau  inférieur  à  30 % pour  les  populations  rurales  (qui  représentent  en  1980  plus  de  60 %  de  la  population totale) contre un taux de près de 80 % pour les populations urbaines. 27 La définition de l'OMS exclut l'alimentation aux puits non protégés et aux sources, soit la majeure partie de l'alimentation en milieu rural. CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

2.  Le cas des métropoles indiennes : l'échec de la logique d'offre