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Remarques introductives

III. Un vitalisme de la pensée

Nous avons mis à jour les enjeux épistémologiques du vitalisme comme pensée de l'affirmation. D'une part, nous avons montré sa dimension critique, à l'égard des pensées du négatif. D'autre part, l'analyse de La généalogie de la morale et de sa lecture deleuzienne a établi la possibilité d'un vitalisme critique, capable de comprendre les pensées du négatif en termes d'affirmation de modes d'existence et d'éviter d'y retomber en les rangeant du côté des pensées illusoires et des existences contradictoires. Il s'agit maintenant de tirer les conséquences de cette double démonstration pour le projet deleuzien d'un vitalisme radical, portant sur la pensée elle- même.

Les écueils ne manquent pas. Nous les avons déjà rencontrés menaçant la légitimité du vitalisme et de sa dimension critique. Ils réapparaissent maintenant à propos de sa valeur. Il faut y voir à la fois une conséquence de l'attitude vitaliste et la cause de sa radicalisation et de son déplacement sur la philosophie. Une pensée en termes de modes d'existence ne peut en effet se satisfaire de sa seule supériorité intellectuelle : la question se pose de savoir pourquoi être vitaliste. D'autant qu'un vitalisme conséquent ne juge pas les autres modes d'existence, mais en comprend la singularité et les puissances propres. Il apparaît d'autant moins évident de choisir le vitalisme plutôt que la dialectique, si l'on porte le débat, en vitaliste, sur le terrain de l'existence. C'est pourquoi il est nécessaire maintenant d'aborder le problème de la valeur du vitalisme, la radicalisation de la pensée de l'affirmation portée à sa racine : sur elle-même. Ce mouvement sera celui de Deleuze durant les années soixante, autour du thème de l'image de la pensée : nous l'étudierons dans notre seconde partie. Il s'agit ici d'en amorcer l'analyse en l'étudiant là où Deleuze le trouve, chez Nietzsche lui- même. Nous conclurons ainsi notre première partie.

1) L'origine de la pensée

« Penser » n'est pas une chose évidente. Encore moins penser pour penser, c'est-à-dire pour comprendre, expliquer, connaître, penser le vrai. Pour le vitalisme, c'est d'autant moins évident que la pensée est d'abord un instrument dialectique. L'analyse du processus affirmatif du ressentiment menée dans La généalogie de la morale y montre – nous l'avons effleuré – l'origine de la pensée – non pas la pensée pure, la pensée en tant que telle, mais la pensée à ses premiers pas, la pensée

embryonnaire.334 Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne s'agissait pas d'un pur désir de

connaître en soi, d'un désir de connaître pour connaître, par amour du vrai, mais avant tout d'une force précise au service d'une volonté de puissance déterminée. Il s'agissait, pour le dominé subissant la pression d'une puissance, d'intervenir dans le rapport de forces avec de nouvelles puissances – se rappeler, calculer les torts, déterminer les responsabilités, chercher les causes de la douleur : autant de moyens de se soulager, autant de nouvelles puissances, mais aussi autant de moyens d'entretenir la douleur, de rappeler la souffrance, d'infecter la plaie. L'origine du calcul,

c'est-à-dire de la raison, est dans la constitution de la mémoire, qui est le produit d'un rapport de

forces dans lequel le dominant marque sa puissance en infligeant des souffrances qui rappellent l'impuissant à son impuissance :

Au moyen de semblables images et procédés, on finit par garder en mémoire cinq ou six « je ne veux pas », qui sont objets de la promesse faite en vue de profiter des avantages de la société, et effectivement ! au moyen de cette espèce de mémoire on venait enfin « à la raison » ! Ah ! la raison, le sérieux, la maîtrise des affects, toute cette sombre affaire qui s'appelle réfléchir, tous ces privilèges et ces fastes de l'homme : quel n'en a pas été le prix !335

C'est dans cette mémoire que nous trouvons l'origine de la pensée. D'abord il y a un rapport de forces entre un créancier et un débiteur. La solution pour ce dernier est soit de se laisser agir par le créancier et d'accepter le rapport de forces, soit de le refuser et de développer une autre force que celles qui sont en jeu : sa mémoire, qui donnera la pensée. Le débiteur fait de sa mémoire une force, il la reprend et la développe. Se rappeler, se rappeler et trouver un responsable qu'on accuse, mais aussi mesurer les torts exacts, chicaner sur les causes, c'est tenter de rééquilibrer le rapport de forces, voire de le retourner à son profit, en attribuant des qualités morales au puissant : toute une activité nouvelle dans laquelle le débiteur investit ses forces, par laquelle il intervient dans le rapport de dette, par laquelle il participe à la mesure de la dette et n'y est pas seulement soumis. La pensée, c'est avant tout cet instrument de mesure, de comparaison, d'estimation, d'évaluation, qui prend sa source dans

la relation personnelle la plus ancienne et la plus originelle qui soit, dans la relation entre l'acheteur et le vendeur, entre le créancier et le débiteur : ici, pour la première fois, une personne s'affronta à une autre personne, ici pour la première fois, une personne se mesura à

334 Mais les origines dont parle Nietzsche dans La généalogie de la morale « sont en acte ou en puissance à toute époque ». Ibid., II, § 9, p. 82.

une personne. On ne connaît point de degré de civilisation si rudimentaire qu'elle ne recèle quelque trace de cette relation. Établir des prix, estimer des valeurs, concevoir des équivalents, troquer – voilà qui a occupé les toutes premières pensées de l'homme à un point tel que dans un certain sens, il s'agit là de la pensée : c'est là qu'on a formé l'espèce la plus ancienne de perspicacité, on peut sans doute trouver que c'est là aussi l'ébauche de l'orgueil humain, son sentiment de prééminence vis-à-vis des autres animaux. Peut-être notre mot « homme » (manas) exprime-t-il encore quelque chose de ce sentiment de soi : l'homme se désignait comme l'être qui mesure les valeurs, qui évalue et mesure, comme l'« animal évaluateur en soi ».336

Comme toute force, la pensée n'a pas son sens et sa valeur en soi. Tout dépend du dispositif dans lequel elle est saisie, orientée, dirigée. Que la pensée soit à l'origine une force du ressentiment ne signifie pas qu'elle soit restreinte au type du ressentiment : elle peut être reprise par le type de l'homme fort – ce serait une manière de tourner en un sens joyeux la puissance naissante corrélée au ressentiment naissant de l'homme fort –, pour instituer la justice comme arrangement entre puissants. La pensée comme justice, comme institution de la justice, n'a en ce sens rien à voir avec le ressentiment comme type, elle en est même plutôt la conjuration.

[...] à ce premier degré, la justice est la bonne volonté, entre puissances à peu près équivalentes, de s'arranger, de « s'entendre » à nouveau grâce à une compensation – et, s'agissant des moins puissants, de les y contraindre entre eux.337

En ce sens, le problème de la pensée est bien le problème de la justice, comme nous l'avions vu avec les préplatoniciens.

2) Le problème de la pensée : la liberté

Rendre justice à ce qui existe revient à attribuer un sens et une valeur aux choses. Mais c'est avant tout établir la mesure à l'aune de laquelle ce sens et cette valeur seront attribués. Nous devinons la dualité qui traverse et partage les différentes modalités de constitution de cette mesure ou de ce critère : depuis quelle volonté, depuis quelle volonté de puissance, depuis quelle qualité de la volonté de puissance la mesure est-elle établie ? Entre volontés « de bonne volonté », entre « puissances à peu près équivalentes » qui cherchent ainsi à « s'arranger » ou à « s'entendre », c'est-

336 Ibid., II, § 8, p. 81. 337 Ibid., II, § 8, p. 82.

à-dire à satisfaire et à jouir de leurs puissances ? Ou entre volontés qui ne veulent pas s'entendre, entre impuissances inégales, qui cherchent à se venger, qui veulent la justice comme un moyen d'accuser, de distribuer des torts, d'incriminer un coupable, c'est-à-dire au fond de ranimer et d'entretenir la souffrance de leur impuissance, et de faire de leur vie une vie de douleur ? Se dessine ici la grande dualité que nous traçons depuis le début, depuis notre analyse de La philosophie à

l'époque tragique des Grecs : penser revient-il à affirmer ce qui existe, est-ce une force portée par

une jouissance de l'existence, ou une force au service d'un partage dans l'existant qui en relègue une partie en dehors de ce qui a le droit d'exister ? Penser est-il au service d'une volonté de puissance joyeuse qui jouit de son existence, ou d'une volonté de puissance qui trouve sa puissance dans la souffrance de son existence et qui veut entretenir cette souffrance, en accusant une partie de l'existant, ou tout l'existant ? Penser, est-ce penser la souffrance depuis une vie joyeuse qui la justifie, ou penser la vie joyeuse depuis une souffrance qui est la seule légitimité qui soit, et qui cherche à se renforcer dans l'accusation de cette vie joyeuse, c'est-à-dire en définitive dans sa dé- légitimation ? Deleuze demande : « quel est le sens de la douleur ? Le sens de l'existence en dépend tout entier ; l'existence a un sens pour autant que la douleur en a un dans l'existence. »338 Voilà

l'activité propre de la pensée : donner un sens à la douleur ; lui donner sa place et sa mesure ; et par là donner un sens à l'existence. Elle mesure l'importance, la valeur que doit avoir la douleur, par rapport à d'autres affects ; elle attribue aux autres affects une place et une valeur. Par là, se déterminent le sens et la valeur que la pensée accorde à ce qui existe. Il s'agit en somme d'établir une certaine existence, de vouloir une certaine existence, c'est-à-dire certaines forces et certaines puissances, et une certaine qualité affective de ces puissances.

L'histoire de la pensée est longue. L'histoire des interprétations et évaluations de l'existence aussi. Mais cette histoire trouve à son origine un événement qui, quand on y pense, est pour le moins singulier : l'événement qui a vu la pensée, non pas naître, mais prendre son indépendance ou son autonomie. Il s'agit de cet événement producteur de l'idée d'un monde de la pensée, d'une pensée en soi, séparée des autres choses, en un mot : pure. Quelles forces et quelles puissances portent cette pensée en soi, LA pensée ? Autrement dit, quelle est la pensée, l'évaluation et l'interprétation du monde impliquées dans ce qui se présente comme pensée pure ? Toute pure qu'elle soit, elle mobilise un mode d'existence, un partage du monde, une valorisation de certaines puissances et une dévalorisation d'autres puissances. Chercher le vrai derrière les apparences, faire de l'existence une illusion, poser un monde derrière ce monde : nous l'avons vu, ce sont autant de moyens de justifier, d'appuyer, de décupler la souffrance de l'existence, de renforcer les idéaux

ascétiques. C'est le prêtre ascétique qui philosophe, la volonté de puissance du prêtre ascétique qui est « amenée à philosopher ». Il pose des oppositions entre un domaine réservé à la pensée et un domaine qui ne vaut pas la peine d'être pensé : « il réduira l'existence corporelle à l'illusion, et avec elle la douleur, la multiplicité, et toute l'opposition conceptuelle du “sujet” et de l'“objet”. »339

L'instrument de mesure et de valorisation est désormais la pensée pure : celle qui s'oppose à l'existence, relève d'un monde derrière ce monde et cherche la vérité au-delà des illusions et des apparences. Que ou qui sert-elle ?

Il faut prendre le point de vue de la volonté de puissance : celui qui met en évidence l'affirmation, l'agir interne à une représentation ou à un phénomène. En d'autres termes, il faut regarder quel est l'usage de la pensée pure. Deleuze l'identifie avec Nietzsche du nom de « connaissance » :

Nietzsche reproche souvent à la connaissance sa prétention de s'opposer à la vie, de mesurer et de juger la vie, de se prendre elle-même pour fin. [...] Et Nietzsche ne cessera pas de dire : simple moyen subordonné à la vie, la connaissance s'est érigée en fin, en juge, en instance suprême.340

Mais cette opposition de la connaissance à la vie ne doit pas nous tromper. Comme tout à l'heure, l'opposition de la connaissance et de la vie, l'opération par laquelle la connaissance se fait juge de la vie, sont des symptômes et seulement des symptômes. La connaissance s'oppose à la vie, mais parce qu'elle exprime une vie qui contredit la vie, une vie réactive qui trouve dans la connaissance elle-même un moyen de conserver et de faire triompher son type.341

Et quand Deleuze dit que la connaissance exprime une vie qui contredit la vie, il faut entendre par là que la connaissance développe une conception de la vie contre une autre. Elle joue un type d'existence plutôt qu'un autre, c'est-à-dire certaines puissances et qualités de puissances plutôt que d'autres. Le vrai, la connaissance, la raison, ce sont autant de moyens par lesquels la pensée porte un mode de vie qui a fait de la souffrance sa puissance propre, une existence qui ne trouve sa puissance qu'en exploitant et en décuplant sa souffrance.

Quel est alors le problème ? Si la connaissance, à l'instar du ressentiment, de la mauvaise

339 Nietzsche, La généalogie de la morale, III, § 12, op. cit., p. 135. 340 Deleuze, Nph, p. 114.

conscience et des idéaux ascétiques, implique un mode d'existence avec ses puissances propres, pourquoi Nietzsche et Deleuze s'emploient-ils à en faire la critique ? Notre question revient, enrichie de l'étude vitaliste topo- et typo-logique : que pose comme problème au vitalisme une pensée de la négation qui prend la forme de la pensée pure, sur le plan de l'existence ? L'envers de cette question est : quelle existence requiert l'institution d'une pensée de l'affirmation et, corrélativement, sur quoi porte sa critique de la pensée de la négation, si derrière toute pensée un mode d'existence s'affirme et construit ses rapports de forces spécifiques ? Nous devinons déjà la réponse. Si, pour poser correctement le problème de la valeur du vitalisme sur le plan de l'existence, il est nécessaire de faire la genèse de la pensée pure, c'est parce que l'existence du vitalisme y est liée ; aussi la critique du mode d'existence de la connaissance est-elle en quelque façon liée à la critique, déjà établie plus haut, de la valeur épistémologique des concepts de la pensée de la négation. Autrement dit, poser le problème de la valeur du vitalisme sur le plan de l'existence, c'est le poser nécessairement sur le plan de la pensée. Alors seulement nous comprenons pourquoi la critique des pensées du négatif en général, de la connaissance en particulier, est toujours nécessairement critique de leurs modes d'existence : parce qu'elle est menée depuis une existence pour laquelle la puissance de la pensée est déterminante.

Que reprochent au juste Nietzsche et Deleuze à la connaissance et à la prétention à la pensée pure ? Moins d'utiliser des termes proscrits – négation, opposition, contradiction – que de s'en servir pour empêcher de penser. Le vrai, pour Nietzsche et Deleuze, c'est d'abord un arrêt de la pensée. LA vérité signifie ce qu'on ne peut pas penser. Poser la vérité c'est poser « la foi [...] dans le caractère

inestimable, incritiquable de la vérité ».342 C'est vrai, un point c'est tout. Pourquoi ? Parce que c'est

vrai. C'est rationnel. Pourquoi ? Parce que c'est rationnel.343 Voilà la vérité de la connaissance, voilà

la vérité de la vérité : une domination de la pensée par elle-même, une maîtrise par la pensée de la pensée, penser comme moyen de dominer la pensée et de la faire souffrir.

L'affirmation que la vérité existe et que l'ignorance et l'erreur ont fait leur temps, est une des plus grandes séductions qui soient. Si l'on y croit, du coup, la volonté d'examiner, de chercher, de se méfier, d'expérimenter, se trouve paralysée ; cette volonté peut même passer pour criminelle, pour un doute relatif à la vérité...344

342 Nietzsche, La généalogie de la morale, III, § 25, op. cit., p. 173.

343 Dans un texte plein d'ironie, Nietzsche moque le procédé démonstratif, comme procédé instituteur de la vérité du démontré, qui présuppose en réalité ce qui est à démontré, depuis une norme du vrai déjà posée. C'est pourquoi le savant « cherche parce qu'on le lui a commandé et qu'on lui en a donné l'exemple. » Nietzsche, La volonté de puissance

I, Livre I, § 37, op. cit. p. 15.

La vérité et la raison sont des moyens par lesquels la pensée s'arrête de penser. Elle pose et délimite un domaine qui est le sien, en deçà et au-delà duquel elle ne s'aventure pas – le domaine du vrai, du rationnel, de la connaissance. « La connaissance est la pensée elle-même, mais la pensée soumise à la raison comme à tout ce qui s'exprime dans la raison. »345 La pensée n'est l'instrument de l'idéal

ascétique, elle n'en est la force majeure, que dans la mesure où elle ne satisfait pas sa puissance propre, mais celles de l'idéal ascétique – le contrôle de soi, la maîtrise de soi, l'asservissement de soi. Autrement dit, la pensée déploie toute sa puissance en l'exerçant sur elle-même. Elle met toutes ses forces au service de son asservissement, elle s'évertue à penser pour ne pas penser : telle est la fonction des pensées du négatif et des fictions qu'elles propagent.

Penser désigne l'activité de la pensée ; mais la pensée a ses manières à elle d'être inactive, elle peut s'y employer tout entière et de toutes ses forces. Les fictions par lesquelles les forces réactives triomphent forment le plus bas dans la pensée, la manière dont elle reste inactive et s'occupe à ne pas penser.346

Nous retrouverons plus loin cette caractéristique majeure des pensées du négatif et en particulier de toutes les entreprises de connaissances pures, rassemblées par Deleuze sous l'expression d'« image dogmatique de la pensée » : il s'agit d'un prodigieux effort de la pensée pour s'empêcher de penser, courbant ses propres concepts pour encercler les puissances qu'elle dégage. Différence et répétition affirmera à propos de l'image dogmatique que « la pensée et toutes ses facultés peuvent y trouver un plein emploi ; la pensée peut s'y affairer, mais cette affaire et cet emploi n'ont rien à voir avec penser. »347 Cette idée, Deleuze la trouve chez Nietzsche, comme beaucoup d'autres, parmi les plus

importantes. Quand il parle d'une « manière basse de penser », il faut entendre cette expression à la lettre ; quand il assigne à la philosophie la tâche de nuire à la bêtise et de mener la critique du type réactif aussi :

Combattre le ressentiment, la mauvaise conscience qui nous tiennent lieu de pensée. Vaincre le négatif et ses faux prestiges. Qui a intérêt à tout cela, sauf la philosophie ? La philosophie comme critique nous dit le plus positif d'elle-même : entreprise de démystification. Et qu'on ne se hâte pas de proclamer à cet égard l'échec de la philosophie. Si grandes qu'elles soient, la bêtise et la bassesse seraient encore plus grandes, si ne subsistait un peu de philosophie qui